Chapitre 26 Fuite en Ethérie
Thys finit sa phrase dans un sanglot. Sa lâcheté lui faisait mal. Comment avait-il pu dénoncer sa grand-mère si facilement ?
— Ne t'inquiète pas, fiston. Téodor a anticipé tout ça ! Rinata a été prévenue, elle est sur ses gardes et elle a déjà quitté le site en Bosnie. Apparemment, elle aurait même eu le temps d'examiner ce qui l'intéressait ! Viens, lève-toi !
Anthony tendit une main secourable à son fils qui s'y agrippa comme un animal terrorisé.
— Pa, il faut aussi remercier Marceline Chanfrain, c'est une Ignure ! C'est elle qui a dit à Cid où j'étais et qui l'a conseillé de vous prévenir ! Elle est en danger ! Cid a failli la présenter à ce monstre de Le Tallec.
Téodor s'avança, posa sa large main sur l'épaule du fragile Ether :
— Marceline était ton Tutrix, ou si tu préfères, la personne chargée de veiller sur toi en mon absence. Elle a été efficace, je l'ai déjà remerciée et envoyée en lieu sûr. De toute façon, c'est une personne incroyablement performante qui sait fort bien se préserver seule.
Les yeux du Maître étaient encore plus incisifs que d'habitude et ils analysèrent le garçon de pied en cap, jaugeant son stress, la force du traumatisme, la volonté restante. À priori le diagnostic fut excellent, car le Maître Arcan émit un petit claquement de langue appréciateur qui ne lui était pas coutumier.
— Thys, tes débuts d'Ether éveillé ne sont pas faciles. Ce que tu as subi est très rare et tu as été très courageux.
— Courageux ? Thys parut outré par le mot employé. Non, je n'ai pas été courageux, j'ai tout dit, tout de suite parce que j'avais trop peur, j'avais mal !
Le garçon reprenait des couleurs, la colère montait, incontrôlable. Ses mains se mirent à trembler et il ressentit un fourmillement intense au creux de sa paume. L'afflux d'énergie au lieu de le stimuler lui donna la nausée et il se serait écroulé une nouvelle fois si les bras solides de son père ne l'avaient pas soutenu.
— Tu es un garçon courageux, insista Téodor Lux. Ta volonté a dû être très forte pour que ton Ingéni résiste aux assauts de cette Milvuit. Et crois-moi, aucun d'entre nous n'est programmé pour lutter contre les tortures. Chacun aurait dévoilé des secrets bien malgré lui, alors ne t'en veux pas !
— Je n'ai rien fait pour retenir cet Ingéni, j'ai juste serré les dents pour oublier la douleur et pour que ça s'arrête le plus vite possible ! Et puis, il y avait une voix en moi qui m'a dit de résister !
— Une voix ? s'étonna Grand-père Ano.
— Sans doute sa voix intérieure, sa voix du cœur, expliqua simplement le Maître Arcan.
À ces mots, les jumeaux se dévisagèrent. L'œil bleu fatigué de Thys sonda la limpidité bleu vert des yeux de sa sœur. Mais Mélia détourna la tête, elle était encore sous le coup de la colère et n'était pas prête à communiquer intensément avec son frère. Lundi, elle n'irait pas au collège et ça, c'était de sa faute ! Il fallait toujours que tout tourne autour de lui !
Le lendemain matin, Téodor Lux réveilla Thys qui n'avait pas du tout envie d'émerger du doux pays des rêves. Après plusieurs secousses amicales sur l'épaule du garçon qui débouchèrent inexorablement sur des grognements, le Maître Arcan tira largement sur la couette qui emmaillotait Thys, en chantant du clairon :
— Oyez, oyez, gentilhomme, vous vous apprêtez à faire un tour en Ethérie, il serait temps de vous vêtir.
Grelottant, Thys se recroquevilla sur lui-même et essaya d'enfouir sa tête sous l'oreiller. Mais d'un mouvement leste, Téodor saisit l'oreiller encore tout chaud et en administra un bon coup sur le postérieur du jeune Ether qui poussa un feulement contrariété.
Les adieux furent brefs. Les membres de la famille Ano étaient un peu perdus et suivaient les instructions du Maître Arcan. Celui-ci fit en sorte que personne n'ait le temps de s'appesantir sur le départ de Thys. Au petit déjeuner, il les informa que son protégé quitterait la demeure dans la matinée. Chacun embrassa alors le garçon et le serra dans ses bras se promettant intérieurement de prononcer discours et conseils lors de son départ. Mais ils n'en eurent pas l'occasion.
Dès que Thys fut habillé, Téodor lui proposa un petit tour dans le jardin. La neige avait fondu, par contre l'air était toujours glacial. Le soleil bas inondait pourtant de sa clarté les herbes gelées et les arbres nus. Les mains dans les poches de son jean, Thys triturait machinalement le bout d'écorce et la plume de geai qu'il ne quittait plus.
— Tu vois, si les choses avaient été différentes, s'il n'y avait pas eu urgence, je t'aurais demandé de ressentir et de trouver tout seul l'ouverture sur le monde Ethérique, dit Téodor Lux.
— Il n'y a qu'une ouverture ? interrogea Thys
— Non, bien sûr que non. L'écorce terrestre est parcourue sur toute sa surface d'influx énergétiques. Parfois deux influx se rejoignent et créent un nœud d'énergie. Certains nœuds recèlent une énergie phénoménale et irradient jusqu'au plan supérieur qui est donc le plan Ethérique. Il y a une multitude de nœuds d'énergie sur la surface de la Terre. Un dixième d'entre eux peuvent nous permettre d'atteindre l'Ethérie.
— Mais comment on les trouve ces nœuds et comment on fait après pour entrer dans cette fameuse Ethérie ?
— Ah ! Là est toute la question, plaisanta le Maître en prenant une voix mystérieuse. Il faut faire appel à tes sens. Il faut écouter ton corps et il te fera rapidement connaître les lieux de flux vitaux ! Par exemple, est-ce qu'il n'y a un coin de jardin que tu aimes tout particulièrement ?
— Du jardin ? Il y a une ouverture dans le jardin ?
— Réponds à ma question !
— Ben, j'aime bien m'asseoir au pied du marronnier !
Thys dirigea alors son regard sur l'arbre imposant qui avait traversé plus de huit générations humaines et qui devaient connaître bien des secrets. Le marronnier dégarni de sa gracieuse parure de feuilles gardait un port altier. Son tronc tortueux et large présentait quelques bourrelets ou entailles, souvenirs d'un passé douloureux. Des racines montraient leur dos en effleurant le sol. Ses branches solides se disputaient les rayons de soleil et s'ouvraient en un bouquet dru et échevelé.
— C'est bien Thys, droit au but ! Cet arbre cache une ouverture !
— Hein ? Vous plaisantez, vous vous moquez ?
— Absolument pas, tu as un bon ressenti. Il faut dire que ce n'est pas très difficile vu la puissance du nœud qui naît sous cet arbre.
— Mais je ne vois rien ! C'est comme pour l'Oritis, il y a une sorte de rideau d'air qu'on soulève ?
— C'est un peu ça, il faut ressentir le souffle vital autour de l'arbre pour trouver l'accès, puis tu te laisses happer par la brèche !
— Ça fait mal ? demanda Thys en se recroquevillant sur lui-même.
— Non, mais on peut se sentir un peu désorienté les premières fois ! Il faut surtout garder ton esprit concentré et...
À cet instant, le garçon ressentit un léger malaise, sa vue se brouilla et il s'adossa machinalement au tronc du marronnier qu'ils avaient rejoint en discutant. Alors, devant eux, se dressa une silhouette évanescente entourée d'un flou kaléidoscopique. D'instinct, Thys fit un pas en arrière et se protégea la tête de ses deux mains comme si on allait le frapper. Il jeta un regard en direction du Maître Arcan et fut sidéré de le voir sourire et tendre la main en direction de la forme humaine qui s'affinait devant eux. Il fut encore plus circonspect quelques secondes plus tard quand les contours se précisèrent et qu'il se trouva face à la ravissante Anastasia Tix.
— Ah ! Vous êtes là ! s'exclama la jeune femme. Je vous attendais en Ethérie, je m'inquiétais !
— Bonjour, Anastasia, dit Téodor, tu as effrayé mon jeune protégé !
La grande femme à la peau d'ébène porta son regard lumineux sur Thys. Et celui-ci se sentit aussitôt rassuré.
— Vous venez de franchir l'ouverture entre le plan terrestre et le plan Ethérique ? demanda-t-il.
— Oui, c'est cela et c'est à ton tour maintenant de faire ce trajet ! Mais ne t'inquiète pas, ça se passera bien.
D'un geste gracieux, elle incita Thys à se rapprocher de l'arbre.
— Attends, dit Maître Lux en le retenant par le bras. N'oublie pas, aucune pensée parasite pendant le passage, tu ne penses qu'à toi, qu'à ton énergie vitale !
— J'y vais là, maintenant ? Tout de suite ? Et mes parents alors ? Ma sœur ? Je dois leur dire...
— Tss-tss, quand c'est l'heure, c'est l'heure ! Centre-toi sur ton Ingéni qui recèle le meilleur de toi et ne te pose plus de questions !
Thys encouragé par les deux Maîtres Arcans s'approcha de l'arbre à l'affût d'une brèche spatiale. Où allait-il atterrir ? À quoi ressemblait ce refuge dont on lui avait si peu parlé ? Devait-il s'attendre encore à des surprises déroutantes ?
Il avança les mains et tâta sans conviction l'air autour de lui. Il se sentait très mal à l'aise sous le regard des deux grands Ethers, mais ceux-ci l'encouragèrent d'un hochement de tête. Rapidement, le jeune homme ressentit comme des frôlements dans ses paumes au niveau d'une branche basse du marronnier. Il se concentra alors sur la surface découverte et trouva une zone dense, presque palpable. Il essaya de s'engager dans cet espace et se dit qu'il devait être bien ridicule à faire de grands gestes ainsi face au vide comme un pantomime. Son cœur s'emballait dans sa poitrine et faisait écho au sang qui battait violemment dans les veines de son crâne. Et soudain, il se sentit happé. Il y eut un « plop » sonore comme le saut du bouchon d'une bonne bouteille de vin. Thys franchit le passage et fut projeté sans ménagement sur un tapis de brume. Il chancelait à la recherche d'appui. Il avait l'impression de s'être allégé d'une partie de sa masse et éprouvait des sensations étranges de flottement. Un voile vaporeux l'enveloppait.
Dans un premier temps, Thys se félicita d'être toujours en vie et en un seul morceau. Par la suite, il s'aperçut que son corps était quasi transparent et que ses pieds ne touchaient plus la terre, mais s'élevait à quelques centimètres d'une surface herbeuse. La frayeur fut telle qu'il en perdit ses ailes et se retrouva les deux pieds bien sur terre. Il appuyait fortement ses orteils dans ses chaussures pour bien adhérer au sol de peur de s'élever une nouvelle fois et il pliait même les genoux pour s'approcher au plus près de la terre.
— Oh ! Ne crains rien, lui dit Téodor Lux qui apparut à son tour dans l'Ethérie, tu ne risques pas de t'envoler ! La lévitation est le privilège des anciens.
Et Thys eut droit au sourire canin du Maître. Anastasia franchit l'ouverture à son tour. Elle était plus lumineuse que jamais. Son corps semblait constellé de particules cristallines qui reflétaient la douce lumière des lieux. Les contours de sa silhouette étaient nets de la tête aux genoux. Puis ses jambes paraissaient se lier à la brume environnante, si bien que ses pieds s'évaporaient sans atteindre le sol. Thys remarqua le même phénomène chez Téodor Lux. Chose encore plus extraordinaire, le petit homme était maintenant plus grand que la longiligne Anastasia. Sa silhouette s'étirait légère et flottait dans cette vapeur irisée.
— Ne nous regarde pas comme si nous étions des monstres, plaisanta le Maître Arcan derrière sa moustache blanche qui, tout comme les arbres alentour, reflétait une lueur astrale.
— Notre corps se lie au plan Ethérique, et plus nous ouvrons nos sens et réussissons à intégrer les flux d'énergie qui nous entourent, plus il se transforme, expliqua Anastasia, mais cela demande beaucoup de temps et de pratique !
— Tu apprendras tout ça au cours de tes différents cycles, compléta Maître Lux.
— Tout à l'heure, je ne touchais plus le sol et la lumière passait à travers ma peau, est-ce que je commence à me transformer ? demanda Thys inquiet.
— Oh non ! Ce n'est pas si facile malheureusement ! À chaque passage d'un plan à l'autre notre corps doit s'adapter et il peut réagir fortement au changement, mais les effets diminuent rapidement. D'ailleurs, regarde ! Ta peau est de nouveau toute rose comme celle d'un nouveau-né, se moqua Maître Lux.
À peine rassuré, Thys se risqua à observer les lieux. Et il fut aussitôt frappé de stupeur.
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