Chapitre 10 Le duo
Thys, impuissant, regardait sa sœur terrorisée faire face aux trois assaillants. Il l'entendait gémir aussi et ne pouvait rien faire. C'était intolérable !
Il sentit la colère le dévorer, la rage l'envahir et dominer sa peur et sa souffrance. Ses mains se mirent à grésiller doucement et se teintèrent de bleu. Thys eut alors l'espoir de détenir un pouvoir. Pouvait-il maintenant, comme Maître Lux, se défendre et combattre les âmes nocives ? Comment devait-il s'y prendre ? Il essaya de concentrer toute la haine qu'il ressentait dans ses paumes et de diriger celles-ci en direction des Indésiratas. Il ne se passa rien de plus, le petit grésillement persistait, mais la lumière avait disparu. Quelle frustration ! Les yeux cruels étaient toujours là, ricanant de plaisir.
Mélia ne gémissait plus. Elle se trouvait, comme lui, tétanisée. Totalement immobile, elle le fixait, les yeux incrédules, les traits tirés. Dix mètres les séparaient. Un fossé immense pour les jumeaux.
À deux pas, les Indésiratas se concertaient. Thys les observa. C'était bien des humains. En tout cas, ils ressemblaient aux humains. L'un était chauve et arborait une volumineuse moustache noire, l'autre grattait négligemment son gros ventre rebondi, le troisième était très grand, blond, les cheveux huileux. Des hommes communs, comme il aurait pu en croiser dans la rue. Il y avait pourtant cette lueur rouge qui inondait leurs yeux par moment dans la pénombre et leur mâchoire semblait plus épaisse que la moyenne, plus large. Le grand blond s'approcha des enfants statufiés.
— Bon, nous devons faire vite, ça pullule d'Ethers par ici, dit-il en retroussant le nez dans la direction de l'imposante maison. Avant votre déconnexion définitive, nous avons besoin de renseignements, alors soyez coopératifs, sinon vous verrez souffrir votre jumeau !
— Que nous voulez-vous ? réussit à ânonner Thys qui retrouvait soudain la parole grâce à un simple geste de l'homme à la moustache.
— Nous souhaitons connaître quelques secrets d'Ether, annonça le plus gros des Indésiratas qui sentait fortement la cigarette froide.
— Nous ne savons rien !
— Tais-toi, ouvre la bouche uniquement pour répondre à mes questions ! Alors, combien y a-t-il de Cités et où sont-elles ?
— Quelles Cités ? demanda Thys interloqué.
— Très drôle et très bête aussi !
Le Péragore pointa un doigt en direction du jeune homme qui ressentit aussitôt une piquée violente au niveau de l'estomac. Le cri de douleur fut comme aspiré quand il franchit ses lèvres et se perdit dans la nuit, pas plus sonore qu'un murmure. Mélia pleurait son impuissance. Les assaillants se délectaient.
— Bon, revenons à nos moutons, gloussa une nouvelle fois le ventru. Avez-vous trouvé des cylindres ?
Thys, à qui la parole avait été restituée, était en total désarroi. Il ne comprenait rien et se demandait ce qu'il pouvait répondre pour éviter de les mettre en danger sa sœur et lui.
— Il faut me croire, nous ne sommes au courant de rien ! Je n'ai jamais entendu parler de cylindres ou de Cités ! geignit-il.
— Idiot ! Tu veux faire le brave ? Ta sœur va horriblement souffrir ! Je vais prendre un vilain plaisir à abimer son visage d'ange. Démonstration !
— Non ! S'il vous plaît, non ! hurla Thys.
Mais le grand Indésirata, qui se tenait un peu en retrait, déploya ses longs bras, comme un albatros prêt à l'envol. L'envergure était impressionnante. L'air devint électrique. L'attaque était imminente.
Thys, le visage défiguré par la terreur et la culpabilité, regarda sa sœur. Mélia semblait prier, les yeux clos, elle marmonnait.
L'Indésirata aux cheveux graisseux abaissa brutalement le bras et pointa la terre sous leurs pieds. Le sol vibra, promesse de douleur. Un jet agressif d'ondes crépitantes fusa sur la jeune fille. Thys hurla intérieurement et tous ses organes se rétractèrent. Curieusement Mélia fut simplement enveloppée d'un halo bleu. Le sourire de l'attaquant se figea, ses yeux clignèrent et il perdit de sa superbe. Quelque chose le contrariait. Il ne semblait plus maître des événements.
Comme une apparition divine, Thys découvrit alors sa grand-mère qui agitait calmement les mains en direction des Indésiratas. La vieille dame paraissait si fluette face aux trois gaillards que la situation aurait pu être comique dans un film. Mais là, pour les jumeaux, cette rencontre était tout simplement une abomination.
— Non ! Pas Mamina, pas ma grand-mère, pas elle ! sanglota Thys devant l'évidence de la confrontation disproportionnée.
Rinata Tournelle fit alors quelques gestes doux dans sa direction et Thys se trouva à son tour enveloppé d'une lueur bleue. Ses muscles se détendirent instantanément, seul un léger engourdissement persista.
Les Indésiratas en profitèrent pour lancer une attaque conjointe contre la vieille femme. Bien orchestrés, ils écartèrent simultanément les bras et les rejoignirent dans un violent claquement de main. La Terre gronda, le ciel crépita et un éclair jaillit du plus gros cumulonimbus avoisinant. Il vint percuter la fragile grand-mère.
Mais celle-ci, au lieu de se désintégrer en poussière de feu sous l'impact de la foudre, se tint immobile, légèrement chancelante, réceptive. Thys avait l'impression que sa Nina adorée, à la peau si douce, absorbait l'arc électrique. Tout son corps vibrait, elle grimaçait, mais ses yeux verts restaient vifs et vigoureux. Les trois âmes indésirables, désarçonnées quelques instants par la force cachée de leur proie, se ressaisirent vite et amorcèrent une autre attaque. Ils agitèrent leurs doigts à toute vitesse, puis le moustachu chauve tapa sauvagement du pied.
Le sol commença à trembler, mais l'action s'arrêta nette et, étrangement, ce fut le chauve qui hurla. Sa peau rougit, boursouffla, et son corps disparut dans un nuage nauséabond de poussière grumeleuse. Seule une partie de la moustache roussie et fumante reposait au sol. Tout le monde resta sidéré, mâchoire tombante, à contempler l'improbable assemblage de poils qui polluait la cour de gravier.
Thys et Mélia, dans leur bulle protectrice, jouaient les spectateurs incrédules d'un show à effets spéciaux. Grand-mère Tournelle et les deux hommes oublièrent l'espace de deux secondes leur affrontement pour se jeter des regards interrogateurs devant le phénomène étrange.
À ce moment-là, apparut, tout sourire ou toutes dents dehors, fier de son entrée fracassante, le grand, l'unique Téodor Lux. Ses cheveux noirs luisaient, impeccablement peignés et coupés uniformément au millimètre près, alors que ses quatre mèches blanches virevoltaient dans le souffle d'air qui l'enveloppait. Encore une fois, le petit homme semblait gigantesque dans son costume bleu nuit. Sa veste, une jaquette aux longs pans arrondis, mariée avec une chemise blanche, immaculée, lui apportait une prestance singulière.
Il se planta face aux deux âmes nocives qui s'étaient ressaisies et se préparaient à l'affrontement. Rinata Tournelle le rejoignit. Tous deux, sans concertation, mais par entente tacite, attrapèrent une branche rugueuse du chêne attenant. Leur main grésilla et tout leur être se mit à rayonner intensément. L'osmose de deux êtres flamboyants ! C'était beau et effrayant à la fois. D'ailleurs, les deux Indésiratas paraissaient se liquéfier devant ces superbes Ethers et préférèrent choisir la fuite. Un vent glacial balaya le périmètre, les yeux rougeoyants miroitèrent une dernière fois et deux ombres s'engouffrèrent dans le bois à une vitesse stupéfiante. Une branche sèche craqua et ils étaient déjà loin.
Maître Lux ne semblait pas disposer à les poursuivre dans son costume de fête. Mais grand-mère Tournelle, leste comme une biche, se frayait un chemin dans le sous-bois, quand un sifflement autoritaire la rappela. Elle s'arrêta, lança un regard courroucé au Maître Arcan.
— Téodor, tu sais que je déteste quand tu me siffles comme ça !
Elle ajusta coquettement une mèche ondulée de cheveux blond argenté derrière son oreille.
— On stoppe là, Rina, on ne sait pas où cette histoire peut nous mener, nous ne sommes pas prêts et puis nous n'avons plus vingt ans pour crapahuter les bois à la chasse aux Péragores !
— Oh ! L'Ether poussiéreux ! Dis tout de suite que je suis une vieille chouette arthritique ! Je te signale que j'ai à peine dépassé la soixantaine !
— Mais non, ma belle ! Ne t'emballe pas, je trouve même que tu as formidablement bien encaissé leur attaque.
— Mouais, fais le beau parleur, une fois n'est pas coutume !
Le temps de cette altercation, Thys et Mélia s'étaient rejoints et blottis l'un contre l'autre. Anéantis par ce qu'ils venaient de vivre. Tout cela n'avait peut-être duré que cinq minutes, mais les marquerait à vie. Ils avaient été témoins de phénomènes inexplicables. Ils avaient partagé une situation douloureuse et incompréhensible. Main dans la main, les deux adolescents s'approchèrent de leurs sauveurs et assistèrent aux reproches à peine voilés que se distribuaient encore les deux grands Ethers.
— Rinata, cela fait une année que l'on ne s'est pas vus et te voilà déjà à te vexer pour rien. Tu ne changeras donc jamais !
— Oh ! Stop Monsieur le professeur qui préfère se la couler douce à impressionner les petits novices, plutôt que d'arpenter les continents pour préserver notre survie.
— Tss-tss, ne dis pas n'importe quoi, Madame l'Archéologue en chef, moi aussi je suis utile, voire indispensable. Je dirais même que sans moi ton petit fils chéri n'aurait pas pu passer son Oritis !
Ces derniers mots semblèrent leur faire soudain réintégrer la réalité et ils tournèrent la tête vers le petit fils chéri et sa sœur.
— Mes pauvres pupuces ! (Grand-mère Tournelle les avait depuis toujours affublés de surnoms tendres assez ridicules) Venez dans mes bras. Oh ! Mes tout petits porcelets adorés !
Maître Lux ricana, retroussant la lèvre supérieure et délivrant ses dents massives. Il s'adressa avec un clin d'œil à Thys :
— Alors, le petit cochon à sa mémé, il n'a pas eu trop peur !
Mais le jeune Ether qui serrait toujours la main de sa sœur n'avait pas du tout envie de rire.
— Que sont-ils venus faire ici, ces espèces de... de... gros quoi, Péragores, c'est ça ! C'est cette lignée-là, hein ? Pourquoi voulaient-ils nous faire du mal ? Et ils voulaient connaître des secrets. Mais nous, on ne sait rien ! Et d'abord, pourquoi on ne sait rien, hein ? s'énerva le garçon, sa voix devenant de plus aigüe.
— Calme-toi, mon chou crémeux, le tança Rinata qui serrait une Mélia toute tremblante dans ses bras. Viens faire un câlin à ta mamie.
Mais Thys, même s'il adorait sa grand-mère, n'avait pas du tout envie de lui faire un câlin, dans l'instant présent, elle l'exaspérait plutôt.
— Mamie, arrête, on vient de vivre un moment horrible, mais ce qui est le plus dur, je crois, c'est de ne rien comprendre à ce qui se passe.
— D'où sortaient ces hommes ? demanda Mélia d'une voix blanche. Ils voulaient quoi ? Et comment vous faites tous ces trucs pour vous battre ? C'est de la magie ?
— Ma douce, ne t'alarme pas trop, la rassura Rinata, ces hommes sont des âmes mauvaises, ennemies des Ethers depuis des millénaires. Ceux-là sont bien des Péragores, on les reconnaît à leur style d'attaque et leur stature massive. Ils en veulent à ton frère, car il vient de passer l'Oritis et n'a encore reçu aucune protection, c'est une proie facile pour eux.
— D'ailleurs, Thys, que faisais-tu tout seul, dehors ce soir ? le gronda le Maître Arcan.
Ces dernières paroles firent exploser la fureur montante du garçon.
— Quoi, mais qu'est-ce que j'en savais moi que je ne pouvais pas sortir, que c'était risqué de respirer l'air du jardin. Hein ! Qu'est-ce que j'en savais que je n'avais pas de protection alors que personne ne m'a jamais parlé de danger ?
Rinata fixa Téodor, pleine de reproches, les joues écarlates.
— Non ! Qu'est-ce que j'entends là ! Tu ne l'as pas préparé, n'est-ce pas ?
Elle marqua un silence pour avaler sa colère, alors que Téodor baissait la tête, visiblement gêné.
— Tu voulais le tester. Tu souhaitais me prouver que j'avais tort, que ce n'était pas un Clairvoyant ! vociféra Rinata. Mais tu es un inconscient, Téodor Lux, et tu as joué avec la vie de cet enfant !
Ses yeux d'or et de jade s'embrasaient de fureur. Penaud, le Grand Arcan redevint tout petit et baissa la tête.
— Tu as raison, Rina, j'ai mal joué, j'ai été irresponsable. Mais c'était le seul moyen de savoir. Et je t'ai vu à travers cet enfant, j'ai voulu le tester, mais...
— Il n'y a pas de « mais » qui tienne, je t'en veux, mon ami, je t'en veux horriblement. Tu as intérêt à te rattraper et à le « moduler » comme il convient !
Téodor Lux acquiesça en grimaçant. Elle avait raison, mais qu'est-ce qu'elle l'agaçait avec ses grands airs de Madame-je-sais-tout-et-je-contrôle-tout. Il se reprit, il ne pouvait pas perdre la face devant ces enfants qui, un jour, seraient peut-être ses Prudens.
— Bon, très bien ! Thys, tu auras toutes les explications et les protections nécessaires dans les jours à venir. Mélia, fais comme si tu n'avais rien vu, car tout ceci ne te concerne pas encore !
— Mais, en fait...
— Pas de « mais » comme le dit si bien ta grand-mère.
Il jeta un regard complice à Rinata qui avait le visage fermé et ne broncha pas.
— Mais Maître, il faut que vous sachiez que...
La porte d'entrée claqua et le petit diable de cousin se précipita vers les jumeaux.
— Ah ! Vous êtes là, mais qu'est-ce que vous faites ? Il fait froid et tout le monde vous attend à l'intérieur pour la « récémonie » finale de l'or de Thys, je crois !
Tous furent obligés de sourire devant la mine sérieuse du petit monstre.
— On arrive, chérubin, lui dit sa grand-mère en l'attirant dans ses bras.
Mais Loris se dégagea et désigna sans gêne le Maître Arcan.
— C'est qui celui-là ? Il a des drôles de dents et des cheveux tout bizarres, j'aime pas !
— Oh ! Ça, c'est un ours mal léché, rétorqua la grand-mère.
Et elle prit la direction de la maison sans laisser le temps à Téodor de répliquer.
— Les enfants, chuchota Le Maître Arcan aux jumeaux, surtout pas un mot de ce qui vient de se passer, à personne, compris ! Ce n'est pas la peine d'alarmer tout le monde. Je leur en parlerai en temps voulu !
Thys pinça les lèvres et serra la main de sa sœur. Il ne décolérait pas, mais il ferait selon la volonté du Maître, car il ne souhaitait pas gâcher cette soirée qui se voulait joyeuse.
Sitôt entrés dans le salon, tous les regards se braquèrent sur eux.
— Tout va bien ? demanda Sylvie qui se précipita auprès de Mélia. Où étiez-vous passés ?
— Téodor, vous voilà enfin !
Anthony Ano saisit le bras du Grand Lux et le dirigea au fond du salon en tête de la grande table. Tous les convives se regroupèrent et s'alignèrent de part et d'autre de la table. Il n'y avait plus trace de nourriture, tout avait été englouti. Seul un bout de cake croqué se morfondait au fond d'un plat, quelques noyaux d'olives s'agglutinaient dans un pot et trois cacahouètes grillées erraient sur la nappe froissée. Des verres encore remplis semblaient avoir perdu leur propriétaire. Des serviettes en papier souillées épongeaient parfois le vin ou le jus de fruits renversé par une main maladroite. Téodor Lux s'éclaircit la voix et prit la parole.
— Gardiens de la Terre, nous voilà réunis aujourd'hui pour célébrer un événement exceptionnel qui n'arrive qu'une fois dans la vie d'un Ostende. Thys Ano vient de vivre l'épreuve de l'Oritis et a été courageux et vaillant.
Tous les regards se portèrent sur le jeune Ether. Certains pleins d'admiration, de fierté, mais d'autres étaient envieux ou interrogatifs. Thys se sentit rougir et se cacha derrière sa mèche blonde. Le Maître poursuivit.
— Par les âmes ancestrales des Ethers, des Ignures, des Aguerris, des Aéquors, des Uentels ! Moi, Téodor Lux, modulateur de l'Oritis, je déclare que Thys a accompli le rite avec succès et sera accepté comme Prudens pour passer son premier cycle.
Il accompagna cette annonce de gestes lents et doux, apposa ses mains sur les paumes de Thys, les scella plusieurs minutes, faisant naître un point de chaleur qui, progressivement, en mouvements ondulatoires, envahit le corps entier du héros de la soirée.
Salve d'applaudissements, cris d'enfants trop longtemps contenus, commentaires et bouteilles de champagne débouchées. Thys expira profondément, il ne s'était pas attendu à un tel moment officiel !
Mais Téodor Lux ne lui laissa pas le temps de se ressaisir, il frappa dans ses grosses mains pour reprendre la parole. Il avait de la prestance, cet homme. Une autorité naturelle, car aussitôt, petits et grands cessèrent leur agitation et prêtèrent une oreille attentive.
— Je demande maintenant à tous les non-initiés de se retirer afin de finir la cérémonie avec les Eveillés.
On entendit des soupirs, puis des mains saisirent les enfants récalcitrants et beaucoup quittèrent la salle en silence. Mélia fut la dernière à sortir, elle jeta un long regard d'encouragement à son frère et ferma lentement la porte du salon.
Thys observa ceux qui restaient. Il y avait bien sûr ses parents, sa grand-mère, son grand-père et oncle Paul, mais sa tante Orine était sortie. Peut-être devait-elle s'occuper de Lise et Loris ? Il aperçut aussi le groupe de Maîtres Arcans qu'il avait déjà vu en réunion dans son salon quelques jours auparavant. Une fillette rousse de neuf ou dix ans, le regard sérieux se tenait parmi les adultes. Thys se demanda si ce n'était pas la fille de Solène Donnador, elle lui ressemblait étrangement et demeurait derrière elle, sans la lâcher des yeux. Un groupe de trois personnes qui semblaient vaguement familières au garçon complétait la petite troupe restée pour la cérémonie finale.
Sur un signe de Téodor, tous se donnèrent la main et formèrent une ronde serrée. Thys en était le centre. Il n'en menait pas large et n'avait qu'une envie, disparaître, et les laisser entre eux. Il se sentait menacé par une secte. Et justement, le gourou, en la personne de Téodor Lux, vint le rejoindre au milieu du groupe.
— Thys, tu es membre à part entière des Ostendes et comme nous, tu peux communiquer maintenant avec les éléments et puiser les énergies terrestres grâce à ton Ingéni. Montre-nous, s'il te plaît, la marque de l'Oritis.
Et comme les yeux de Thys n'étaient qu'interrogation, le Maître Arcan lui fit un léger signe en direction de son œil droit. L'enfant compris alors ce qu'il pressentait déjà. Timidement, devant tous ces regards braqués sur lui, il souleva sa mèche claire et dévoila son éclat de quartz. Certains murmures s'échappèrent, des sourires de contentement éclairaient tous les visages.
— Un superbe quartz, pur et lumineux, commenta grand-mère Tournelle. Bravo, mon petit !
— Il est de belle taille, fit remarquer Térence Plomb en gratouillant sa barbichette bien entretenue.
— Sa forme en losange symbolise la vie et l'échange, informa Solène.
Petit à petit, chacun se rapprocha et examina l'éclat de quartz qui miroitait à côté de l'œil vert inquiet de Thys.
Un bruit fracassant, suivi d'un son mat et d'un cri, les fit tous sursauter. Derrière eux, la petite fille rousse se relevait prestement et lissait, de ses mains moites, sa robe verte à carreaux blancs. À côté d'elle, une chaise était renversée.
— Mélanie, voyons qu'as-tu fait, la gronda Solène Donnador.
La pauvre petite, sans doute très timide, baissa la tête et s'empourpra, colorant d'écarlate la raie qui séparait en deux couettes ses beaux cheveux roux. Thys vint à la rescousse de la fillette qui attirait maintenant tous les regards.
— Elle a voulu voir mon... heu, mon Ingéni. Mais vous étiez tous devant, alors elle s'est grandie en montant sur une chaise. Tout cela n'est rien. Tiens, regarde, dit-il, en dégageant une nouvelle fois sa mèche.
La jeune Mélanie plongea ses yeux turquoise dans le cristal, puis souleva sa frange et Thys fut stupéfait de découvrir sur le front de la petite fille, à la racine des cheveux, une pierre ronde et verte.
Téodor toussota pour ramener l'attention sur lui. Il leva ensuite les bras au ciel, puis les dirigea lentement vers le sol. Ce fut comme un signal. Chacun alors laissa apparaître son Ingéni. Certains durent ôter une chaussure, car leur pierre siégeait royalement sur un orteil, d'autres enlevèrent leur pull pour libérer le minéral qui pointait sur une épaule. Thys chercha ses parents et aperçut son père qui arborait fièrement un saphir sur son torse musclé et parsemé de poils noirs. La gemme bleue, en forme de fin triangle bougeait à rythme régulier, suivant sa respiration.
Sa mère, elle, avait relevé ses épais cheveux blonds et Thys vit une délicate agate verte isolée derrière son oreille. Il se rappela alors avoir déjà remarqué l'éclat vert quand il était petit et qu'il enfouissait sa tête dans le cou de sa maman pour humer son odeur.
Tous les convives souriaient en regardant Thys. Ensemble, ils déclamèrent des paroles apprises comme un poème et le garçon se laissa envelopper par ce chant scandé qui émanait de sincérité :
« Des âmes enorgueillies d'amour, de foi, de puissance,
Du fond des âges
Dans les vallées perdues, ont donné courage et force pour que vie continue
Quand la lumière a jailli, le cœur a compris qu'une seule voix, en nous, est la voie pour tous.
Sage Ether, Lumière de la Terre, Guide de pas perdus et de pensées oubliées
Puise ton essence dans les entrailles du monde et deviens énergie et clairvoyance.
Arcanum terrae est lux ! »
Un flux puissant de force pure émana du sol ; les Ingénis vibrèrent simultanément et absorbèrent l'énergie généreusement distribuée. Le cristal de Thys émit un son clair et le garçon ressentit une rapide brûlure à la tempe avant de baigner dans la félicité. Puis la sensation s'atténua pour disparaître totalement, chacun paraissait apprécier jusqu'à la dernière seconde ce bienfait partagé.
La cérémonie était finie. Thys, tout frissonnant de plaisir et de bien-être, jeta un coup d'œil à sa montre et fut stupéfait de constater qu'il était plus de trois heures du matin. Le temps semblait s'être emballé ce soir. Chacun en silence regroupa ses affaires et salua l'assemblée avant de retourner à sa vie ordinaire.
Trop agité, le cerveau en ébullition, Thys mit longtemps à s'endormir cette nuit-là. Il avait froid et ses dents claquaient nerveusement. Quand il parvint enfin à s'assoupir, des yeux rouges ricanaient alors que des rais bleus zébraient le ciel et qu'une petite fille rousse chantait la gloire des Ethers.
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