Aller chez Ran, c'était comme jouer à la loterie. Je ne savais jamais ce qui allait se passer. Il y a un an, je venais régulièrement ici avec des papillons dans le ventre à l'idée de passer du temps avec l'homme dont j'étais amoureuse. Puis, une nuit fatidique, j'avais parcouru ce couloir sans savoir que j'allais découvrir que Ran s'était fiancée à quelqu'un d'autre. Et quelques jours plus tôt, j'avais parcouru ce même couloir pour aller à la fête d'Ellie sans savoir que j'allais découvrir qu'elle n'était pas celle qu'elle prétendait être.

Aujourd'hui, alors que je marchais dans le couloir, prête à affronter Ellie au sujet de son chantage, les émotions se bousculaient dans ma poitrine : colère, anticipation et un soupçon de fierté et de satisfaction. Ran avait déniché des informations embarrassantes sur Genji, le père d'Ellie. Apparemment, le visage du parti conservateur de Tokyo aimait visiter des bordels pendant son temps libre, ce qui ne ferait pas très plaisir à ses partisans.

Pour reprendre courage, j'ai frappé à la porte.

Le diable avait le nom et le visage de la femme qui ouvrit la porte avec un large sourire sur les lèvres.

« T/P ? Que fais-tu ici ? »

Ellie portait un legging et un t-shirt de sport. Elle posait sa main sur son ventre rond de 9 mois. Mais je n'avais pas l'intention de laisser cette vue fondante me tirer le cœur.

«  Nous devons parler. »

Le sourire d'Ellie faiblit devant la dureté de mon ton.

« Oh, bien sûr. Entre. » Elle s'écarta pour me permettre d'entrer dans son appartement. Soudain, je m'arrêtai net en voyant qui était assis à l'îlot de cuisine.

« Rindou ? »

Il me jeta un regard lent par-dessus le bord de son verre d'eau, et quand ses doux yeux lavande rencontrèrent les miens, ils s'écarquillèrent. « T/P ? Qu'est-ce que tu fais ici ? »

J'aurais voulu lui retourner la question, mais mon regard s'est alors posé sur sa tenue. Avec un pantalon de survêtement gris foncé, un grand t-shirt blanc et des baskets de sport, Rindou avait l'air beaucoup plus jeune que lorsqu'il portait un costume.

« Rindou m'a proposé d'être mon partenaire pour mon cours de Lamaze », expliqua Ellie en s'approchant de moi par derrière. Sa proximité me fit dresser les cheveux sur la nuque.

"Cours de Lamaze" ?

L'expression de confusion sur mon visage devait être évidente car elle m'a expliqué : « C'est un cours qui enseigne aux femmes comment gérer la douleur pendant leur accouchement. J'ai généralement besoin d'un partenaire pour faire les exercices, donc chaque fois que Ran ou l'une de mes amies ne peut pas m'accompagner, Rindou vient avec moi. Les femmes de ma classe l'adorent toutes ! »

Le petit rire qu'elle laissa échapper fit bouillonner la colère dans mes veines. Comment pouvait-elle regarder Rindou dans les yeux alors qu'elle était la raison pour laquelle il était forcé d'épouser Sierra ?

« Alors, de quoi voulais-tu me parler ? » me demanda Ellie, me tirant de mes pensées odieuses qui étaient toutes dirigées vers elle.

Je ne pouvais pas la confronter à propos du chantage devant Rindou parce qu'il croyait toujours que sa mère était la responsable de son mariage arrangé. Ran voulait que cela reste ainsi. Il redoutait la façon dont Rindou réagirait s'il découvrait qu'Ellie n'était pas celle qu'elle prétendait être. Je ne pensais pas qu'il deviendrait violent et qu'il essaierait de la blesser sérieusement, elle ou le bébé, mais... je ne pouvais pas le promettre non plus.

«  Tu sais quoi ? Je reviendrai un autre jour », dis-je finalement à Ellie en me retournant pour retourner à la porte.

Un froncement de sourcils contracta ses sourcils. « Oh, tu es sûre ? »

'Ouais.'

« D'accord, à bientôt ! ​​Bon retour à la maison ! »

Il m'a fallu toute ma maîtrise de moi-même pour esquisser un sourire convaincant. « Je le ferai. Prends soin de toi, Ellie. »

Un millier d'insultes se bousculaient dans ma tête tandis que j'entrais dans l'ascenseur et appuyais sur le bouton du hall, mais juste avant que la porte ne puisse se refermer, une main la repoussa avec force pour la rouvrir.

Rindou entra et vint se placer à côté de moi. À ma grande surprise, il n'appuya pas sur le dernier bouton, celui de son étage, et attendit simplement que la porte se ferme.

Coincé entre les quatre murs d'acier, je priais pour qu'il n'entende pas à quelle vitesse le fait d'être à côté de lui faisait battre mon cœur dans ma poitrine.

« Comment ça va ? » J'ai finalement rompu le silence en lui jetant un rapide coup d'œil en biais.

« Jamais mieux », répondit-il sarcastiquement, le regard toujours rivé sur la porte de l'ascenseur devant nous.

Peu de gens auraient remarqué les signes de stress qu'il affichait, mais moi, si. Je connaissais trop bien Rindou pour ne pas remarquer la façon dont sa mâchoire tremblait de tension ou les cernes que l'éclairage de l'ascenseur rendait plus visibles.

« Tu ne vas pas te marier avec Sierra. Je ne laisserai pas cela arriver. » La promesse m'échappa si naturellement que je n'aurais pas pu la retenir. Je voulais juste – j'avais besoin – que Rindou sache qu'il n'était pas seul, même s'il en avait envie.

Quelques secondes de silence s'écoulèrent pendant lesquelles je pouvais pratiquement sentir l'intensité de son regard sur mon visage, la pression de celui-ci presque palpable.

« Je le savais, putain », dit-il finalement.

J'entendis son sourire dans sa voix avant de me tourner vers lui. Tout comme j'avais oublié à quel point Rindou paraissait plus jeune lorsqu'il portait des vêtements décontractés au lieu d'un costume, j'avais oublié à quel point il était beau avec l'un de ses rares sourires sincères sur son visage. Quelque chose avait brillé dans ses yeux et je pouvais pratiquement sentir l'énergie que mes mots lui avaient insufflée.

« Tu savais quoi ? »

« Tu as encore des sentiments pour moi. »

J'aurais aimé avoir l'air aussi confiante que lui lorsque j'ai rapidement répondu :

« Non, je n'en n'ai plus. Mais... » Je m'arrêtai et me retournai pour faire face à la porte de l'ascenseur. « ... ça ne veut pas dire que je veux te voir te marier avec quelqu'un comme Sierra. »

Du coin de l'œil, j'ai vu Rindou étudier mon profil pendant un moment avant de se tourner à nouveau vers la porte.

« Alors tu tiens encore à moi ? Un petit peu ? » demanda-t-il.

Pas un petit peu, beaucoup. Bien plus que je ne l'aurais souhaité, pensai-je, mais je me contentai de fredonner en guise de réponse.

Ma respiration devint superficielle lorsque sa main effleura légèrement la mienne avant qu'il n'entremêle ses doigts avec les miens.

Lorsque le moment est finalement venu de sortir de l'ascenseur et de nous séparer, Rindou et moi avons tous deux porté un sourire similaire à la sortie de l'ascenseur, ainsi qu'une lueur d'espoir pour l'avenir.