À cette heure de l'après-midi, les rues de Tokyo étaient pleines d'activité, les gens allaient et venaient. L'odeur des grains de café moulus envahissait mes narines alors que je me glissais à l'intérieur de la sécurité d'un petit café confortable. Mes yeux cherchaient Ran qui était assis seul à l'une des tables dans le coin de la pièce. Les quelques autres clients présents, un groupe d'adolescentes, regardaient tous Ran, mais il ne détourna pas une seule fois le regard de moi alors que je me dirigeais vers lui.

« Hé », m'a-t-il salué alors que je m'asseyais en face de lui.

« Hé. C'est pour moi ? » demandai-je en pointant du doigt le morceau de red velvet devant moi.

« Ouais. Tu as dit que c'était ton préféré. »

Je l'ai dit. Une fois. Et pour une raison illogique, le fait qu'il se souvienne de cette petite chose après tout ce temps a fait battre mon cœur plus fort.

'Merci.'

Je pris la fourchette et portai un petit morceau de gâteau à ma bouche. Pendant un moment, je fermai les yeux pour savourer le goût. Quand je les rouvris, je vis Ran qui m'observait. Il était penché en avant, un coude sur la table et posait son menton sur sa main. Peut-être pensait-il que prendre une gorgée de son café cacherait le début de son sourire. Mais ce ne fut pas le cas.

« Quoi ? » demandai-je.

Au moment où il reposa sa tasse sur la table, il n'avait toujours pas réussi à effacer le sourire de son visage.

« Rien. Tu es juste très jolie aujourd'hui. »

Mes joues étaient si chaudes que je suis presque sûre qu'elles ont pris la même couleur que la pâtisserie écarlate dans mon assiette. Je me suis raclé la gorge maladroitement et j'ai plongé brusquement dans le sujet dont nous devions discuter. « J'ai donc pensé à un moyen d'éviter le mariage de Rindou avec Sierra. Ellie est devenue quelqu'un que nous... »

Je me suis arrêté juste avant que le mot suivant ne puisse sortir de ma bouche, mais mes yeux se sont écarquillés lorsque j'ai réalisé ce que j'étais sur le point de dire.

« Quelqu'un que nous aimons tous les deux. »

« Quelqu'un qui nous tient à cœur à tous les deux. Et je pense que nous devrions faire la même chose. Nous allons aller chercher quelqu'un qui lui tient à cœur. »

C'était la première fois que la vengeance me traversait l'esprit. J'étais en colère. Non, furieuse. Et pour une fois, cette colère n'était pas dirigée contre moi-même mais contre quelqu'un d'autre. Faire face à mes émotions au lieu de les enterrer comme je le faisais habituellement m'a fait étrangement du bien.

Ran s'adossa à sa chaise, écarta les jambes et posa un bras sur le dossier de sa chaise.

« Œil pour œil, hein ? »

«Œil pour œil, dent pour dent.»

La même malice brillait dans mon regard et dans celui de Ran alors que nous nous regardions.

« Est-ce qu'elle a des frères et sœurs ? » ai-je demandé.

'Non.'

« Et ses parents ? »

« Elle est très proche de son père. »

« Que sais-tu de lui ? »

« Son nom est Genji. Il a 57 ans. Il vit à Harajuku. C'est un homme politique et il se présente aux élections. »

« Bingo. » l'interrompis-je, une lueur dans les yeux.

Peut-être qu'Ellie avait hérité de son père ses talents d'actrice. Après tout, de nombreux politiciens ont maîtrisé leur poker face au fil des ans, perfectionnant leur capacité à cacher leurs émotions et leurs véritables intentions.

« Si nous pouvons obtenir des informations compromettantes sur le père d'Ellie, alors nous pourrons faire chanter Ellie avec ça et la battre à son propre jeu. » J'ai exprimé mes pensées.

Ran regarda sur le côté pendant qu'il réfléchissait à mon idée.

« D'accord, je peux m'en occuper. Mais que se passera-t-il si nous ne trouvons rien sur lui ? » demanda-t-il finalement en se retournant vers moi.

« Alors... il faudra penser à autre chose. »

Mon regard glissa vers l'horloge sur le mur. « Je devrais probablement rentrer à la maison. »

Je me suis rendu compte de l'erreur que j'avais commise au moment où le regard de Ran s'est légèrement rétréci. « À la maison ? Tu veux dire l'appartement de Mikey ? »

Mon esprit rationnel pensait que ma maison était à Seattle, où j'allais à l'université et où se trouvaient mes amis, mais la vérité que j'avais peur que Ran puisse lire sur mon visage était que mon cœur savait maintenant que ma maison était partout où se trouvait Mikey.

À ce moment-là, l'écran du téléphone de Ran s'est illuminé avec un appel entrant d'Ellie. J'ai aperçu sa photo d'arrière-plan ; l'image en noir et blanc d'une échographie fœtale de son bébé et de celui d'Ellie était une façon brutale de me ramener à la réalité. Comment pouvais-je envisager un avenir avec Mikey alors que des gens de mon passé me hante encore ?

« Tu devrais rentrer. N'oublie pas de me tenir au courant si tu trouves quelque chose sur son père », ai-je conclu en me levant.

Ses lèvres s'ouvrirent comme s'il voulait dire quelque chose pour m'empêcher de partir, mais ensuite elles se rapprochèrent.

Quand je me dirigeai vers la porte, le groupe d'adolescentes continuait à jeter des coups d'œil furtifs à Ran. Je voulais leur dire que leur attirance pour des hommes dangereux et captivants comme Ran leur apporterait beaucoup de misère. Mais au final, peut-être que cela en valait la peine. Parce que la misère qu'il avait apportée dans ma vie était égale à l'amour qu'il m'avait donné. Le même amour que je pouvais encore ressentir irradier de lui chaque fois que son regard se posait sur moi.

~

Un soupir glissa entre mes lèvres tandis que je vérifiais l'heure pour la cinquième fois en dix minutes. J'attendais patiemment que Mikey revienne, assise sur le canapé et ne portant rien d'autre qu'un ensemble de sous-vêtements assortis. Je détestais le fait que j'étais si désespérée de lui faire plaisir, si désireuse de susciter le même mélange de gémissements et de grognements que j'avais entendu de sa part la nuit dernière. Mais je suppose que Mikey était comme une drogue très addictive ; il suffisait d'être à lui une seule fois pour que je devienne accro à son toucher et à ses mots d'éloge.

Lorsque j'ai entendu le bruit familier d'une clé insérée dans la serrure de la porte, mon cœur a fait un bond et je me suis levée. Mais à ma grande horreur, ce n'était pas Mikey qui était entré. C'était Sanzu.

« Merde. » J'ai juré à voix basse et j'ai rapidement enroulé une couverture autour de mon corps pratiquement nu.

Je savais que Sanzu avait vu ce que je portais quand un sourire narquois se répandit lentement sur son visage. Il ferma la porte derrière lui, puis s'appuya contre elle, ses yeux parcourant mon corps comme s'il pouvait voir à travers le tissu de la couverture.

« Je peux comprendre pourquoi Mikey semblait si impatient de rentrer à la maison. »

Mes joues brûlaient sous son regard scrutateur.

« Que veux-tu ? Et où est Mikey ? » demandai-je en serrant plus fort la couverture contre moi.

« Il est encore en train de s'occuper de quelque chose, alors il m'a demandé de te dire qu'il serait en retard. Aussi... » Il s'arrêta, balançant un sac en papier qu'il tenait dans sa main droite. « Il m'a demandé de t'apporter ça. »

Il m'a lancé le sac. Sans réfléchir, j'ai lâché la couverture pour attraper le sac avant qu'il ne tombe par terre. Lorsque la froideur de la pièce a caressé ma peau nue, j'ai réalisé que mon corps était une fois de plus découvert, Sanzu était là. Le sourire narquois qui s'élargissait lentement sur son visage indiquait que c'était en fait son intention depuis le début.

J'ai rapidement pris la couverture et je l'ai enroulée autour de moi. Une fois le tissu de nouveau bien fixé autour de mon corps, j'ai ouvert le sac en papier pour jeter un œil à ce qu'il contenait : des plats à emporter.

Mes épaules s'affaissèrent de déception. Mikey ne reviendrait pas pour le dîner. Je soupirai et m'effondrai sur le canapé tandis que le regard de Sanzu se posait sur mes bagages dans le couloir.

« Quand est-ce que tu retournes à Seattle ? »

« Dans trois jours. »

« Alors tu vas vraiment partir, hein ? » Le moindre tremblement dans sa voix me fit lever les yeux vers lui. « Tu attends que Mikey te demande de rester ? » demanda-t-il.

Peut être...

« Il ne va pas te demander de rester. » Sanzu a répondu à ma question à ma place.

« Il t'aime trop pour te demander de sacrifier la vie que tu as construite à Seattle et de rester ici. Alors laisse-moi le faire pour lui. »

Je le regardais alors qu'il marchait à petits pas vers moi, les mains enfouies dans ses poches.

« Mikey a perdu trop de gens pour les compter. Des amis, de la famille. Et à chaque fois, une autre part de son innocence disparaissait, à tel point que je pensais sincèrement qu'il n'en avait plus rien en lui. Mais ensuite... » Il s'arrêta devant moi. Il se tenait si près que j'ai dû relever la tête pour que mes yeux rencontrent les siens. « ... il t'a rencontré. »

Sortant une main de sa poche, il la porta à mon visage et attrapa doucement mon menton, le coussinet de son pouce reposant juste sous ma lèvre inférieure.

« Je ne sais pas ce que tu fais mais... chaque fois qu'il est avec toi, il agit comme il le faisait avant que tout cela n'arrive. Alors reste. »

Un muscle de sa mâchoire se tendit, comme si prononcer le mot suivant lui faisait physiquement mal. « S'il te plaît. »

« ... Je dois y réfléchir », répondis-je en le regardant à travers mes cils.

Il hocha la tête et me lâcha le menton. Aussi vite qu'il était arrivé, il revint vers la porte et l'ouvrit pour partir. Mais avant de sortir, il me lança un regard par-dessus son épaule.

« Mikey ne te fera pas regretter si tu restes. »

Je savais qu'il ne le ferait pas. Je n'étais plus sûre de rien.

Juste après que Sanzu ait fermé la porte derrière lui, l'écran de mon téléphone s'est allumé avec un nouveau message.

De Ran : J'ai trouvé quelque chose.