This Is What Makes Us Girls
Bonjour !
Je suis très heureuse de vous proposer une autre nouvelle sur Fantine & Ingrid (que vous avez rencontré dans ma nouvelle "La fille au révolver". Il n'est pas essentiel de l'avoir lue pour lire cette histoire, mais disons que c'est cool d'avoir tous les bails ^^
Bonne lecture !
TW : agression lesbophobe.
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Paris, quatre heures du mat'. Je sors du club, énervée et épuisée. Et surtout seule. J'essaye de ne pas trop y penser, de me persuader que ce n'est pas un drame. Je savais qu'aller à la Wet For Me avec Fantine n'était pas une bonne idée. Je n'y étais jamais allée avant ça et je n'y retournerai plus jamais. D'ordinaire, j'évite le milieu lesbien, j'y suis mal à l'aise et je ne sais jamais comment me comporter. Je préfère trainer dans les bars et les boîtes hétéro. C'est comme ça que j'ai rencontré Fantine. Dans une putain de boîte de nuit, tout ce qu'il y avait de plus hétéro. Pas besoin d'aller au 3W pour trouver l'amour.
L'amour. Ouais, j'y croyais. C'est complètement con, mais je pensais vraiment que c'était la bonne. Pourtant je ne suis pas du genre à tomber facilement amoureuse, surtout pas d'une fille. Avec les mecs, je suis souvent la bonne poire, mais bizarrement c'est l'inverse avec les filles. Trop souvent, je me suis retrouvée avec une copine trop collante et soit-disant folle de moi quand je ne pensais qu'à la sauter plus ou moins régulièrement. Sauf que Fantine a débarqué dans ma petite vie et l'a foutue en l'air à grands coups de sourires, de cheveux roux et de baise. Surtout de baise en fait. Je suis pathétique.
Ou simplement jalouse. Jalouse à en crever. Un comble pour moi, l'infidèle chronique. J'étais incapable de me poser avec la même personne plus de deux mois. Et puis j'ai rencontré Fantine. Fantine et son flingue caché sous sa jupe, son taff top-secret dans l'armée, sa crinière rousse, ses taches de rousseur, son air perdu et ses silences inquiétants. Son incapacité à entretenir des relations sociales et surtout pas amoureuses. Elle, elle y allait tout le temps à la Wet. C'était un peu son terrain de chasse, les seules nuits dans l'année où elle demandait à ne pas être dérangée. Même quand elle est avec moi, je sais qu'elle peut être appelée au beau milieu de la nuit pour un job dont je n'ai aucune idée. Apparemment, je passe après la Wet, ça aurait dû me mettre la puce à l'oreille.
Je n'arrive pas à me sortir de la tête ce que j'ai vu. Fantine dansant lascivement dans les bras d'autres filles, sans doute à moitié ivre. Je crois que je suis pas mal dans le genre moi aussi. J'ai mal à la tête, mais je ne sais pas si c'est à cause de la musique assourdissante ou de l'alcool. Il va falloir que je rentre à pied, en traversant tout Paris. Ou alors, il faut que je trouve un Noctilien, mais je n'ai jamais vraiment compris le fonctionnement et les horaires de ces bus. Et je n'ai pas les moyens de me payer le taxi, je ne suis pas ingénieur pour le gouvernement moi.
Je crois que j'ai envie de chialer. Non, en fait je suis en train de chialer et c'est pour ça que je vois flou. Je m'assoie sur le trottoir, j'essaye de me reprendre. Je ne suis même pas triste, je suis en colère. Ce sont des larmes de rage. Peut-être aussi de déception. Je croyais qu'elle m'aimait, même si elle ne le disait jamais. Moi non plus je n'étalais pas mes sentiments et je pensais qu'elle avait compris. Et si elle veut une relation libre, je ne suis pas d'accord. Je refuse de la partager. Avec aucune autre fille, ni aucun mec. Ça fait trop mal.
Le cul sur le trottoir humide, je suis en train de crever de jalousie. J'ai été assez conne pour croire qu'elle me suivrait quand je lui ai dit que j'étais fatiguée et que je voulais rentrer. Elle dansait sur une plateforme avec une blondasse décolorée. Elle s'est accroupie pour m'embrasser, je crois qu'elle n'a tout simplement pas entendu ce que je lui ai dit. Puis elle est retournée avec sa poupée Barbie. C'est sûr qu'au moins cette pétasse, elle ressemble à une femme. Pas comme moi. Si Fantine aime les filles, les vraies, ce n'est pas de moi dont elle va se contenter. Je ne comprends plus rien, je ne la comprends pas. Qu'est-ce qu'elle voulait ? C'est pourtant elle qui est revenue vers moi. C'est elle qui voulait qu'on soit ensemble.
Mes sanglots se sont calmés, je renifle et cherche un mouchoir dans mes poches de jean. Il y a celui que Fantine a utilisé pour enlever son surplus de rouge-à-lèvres. J'ai encore envie de pleurer. Est-ce que c'est terminé ? Est-ce que je vais accepter de la revoir après qu'elle ait fini dans le lit de sa pétasse peroxydée ? Non, je ne pourrais pas.
Il faut que je me reprenne. Peut-être que tout n'est pas perdu après tout ? Peut-être que je dramatise ? J'essuie mes larmes et respire profondément. J'observe la rue, il y un attroupement de filles devant le club, tout au bout de l'avenue. Je les regarde, espérant stupidement apercevoir la chevelure rousse de Fantine. Évidemment, elle n'est pas là. J'ai envie de me baffer pour être si conne. Au-dessus de moi, le ciel est d'une couleur bizarre, entre le gris et l'orange. Je ne sais même pas s'il y a des nuages. Trop de pollution dans cette putain de capitale. J'ai froid maintenant. Je remets mon écharpe et mon blouson en cuir par-dessus mon sweat. Une voiture passe, m'éblouit avec ses phares. Elle klaxonne, j'ai les jambes étendues sur la route. Je lui fais un doigt, mais me recule quand même. Pas envie de perdre une jambe, en plus de ma copine.
— Ingrid ! Tu aurais pu m'attendre ! Qu'est-ce qu'il te prend de partir comme ça ? Ça ne t'est pas venu à l'idée de me prévenir ?
Je n'ai pas le temps de me rendre compte de ce qui se passe qu'elle est déjà là. Assise sur le trottoir à côté de moi. J'évite son regard, je ne veux même pas lui parler. Les yeux baissés, je ne vois que sa jupe complètement remontée. Je me penche pour jeter un œil, aperçoit un bout de dentelle et surtout l'arme qu'elle porte autour de la cuisse.
— Tiens-toi bien, on voit ton string et le truc qui se sert de queue.
Elle me regarde avec de grands yeux. Comme si elle était choquée par mon langage, elle qui a dansé collée-serrée avec une dizaine de gonzesses au cours de la soirée. Une autre bagnole passe dans la rue. Putain, on ne peut pas être tranquille dans cette putain de ville, même pas à quatre heures du mat'. Cette fois, je me releve. Fantine me tend la main. Comme si j'allais l'aider à se relever. Je mets ostensiblement mes mains dans les poches de mon blouson et me détourne d'elle. Je marche la tête baissée, dans une direction que je crois être celle de la Seine. Je l'entends jurer derrière moi. Ses talons frappent le trottoir, sa démarche est hésitante. C'est ça de picoler et de porter en talons hauts. Moi avec mes rangers, je suis tranquille, bien stable sur mes deux jambes.
— Tu ne voudrais pas ralentir un peu ? me crie-t-elle quelques mètres derrière.
Je me contente de lever le bras pour lui faire un doigt. Si elle n'est pas contente, elle n'a qu'à appeler un taxi. Ou mieux, retourner lécher le museau de sa blond qui se fera une joie de la raccompagner. Je refuse de me retourner. Je n'entends plus le son de ses talons, elle a arrêté de me suivre. Tant mieux. J'ai le cœur qui se sert et les larmes qui me montent aux yeux. Je suis vraiment trop conne, mais c'est plus fort que moi. J'accélère le pas, il faut que je me tire, que je mette le plus de distance possible entre elle et moi.
J'entends des pas qui se rapprochent. Pas de talons, un pas léger et rapide. Je me retourne. En fait, c'est encore elle. Elle a retiré ses talons et les tient dans une main. Elle est pieds nus. J'écarquille les yeux, on ne se promène pas pieds nus dans Paris ! Pas là où les chiens pissent, les hommes aussi, là où traînent les bouts de verre et toutes les saletés que jettent les parisiens et les touristes. Alors que j'étais censée trouver un moyen de la semer, je me retrouve à lui arracher ses chaussures des mains.
— Mais remets tes pompes ! C'est un coup à chopper le tétanos !
— Tu voulais pas m'attendre et je peux pas courir avec !
— C'est pas une raison ! Remets-les tout de suite ! Je veux pas qu'on finisse à hosto ! Tu crois pas que t'as fait assez de conneries pour ce soir ?
Elle me lance un regard noir, mais récupère les chaussures que je lui tends.
— Pas la peine de me hurler dessus, je les remets. Voilà, tu es contente ?
— Ouais, c'est ça.
Pas folle la guêpe, elle m'a attrapée par le bras pour être sûre que je ne m'échappe pas. Je reste plantée là, devant elle, les yeux rivées sur ses chaussures bleues vertigineuses. Je me demande comment elle fait pour marcher avec ça.
— Tu vas me dire quel est le problème ? me demande-t-elle d'un ton autoritaire.
— Comme si tu ne savais pas..., grogné-je en refusant toujours de la regarder.
— Tu n'es quand même pas en train de me piquer une crise de jalousie ? Parce que je te préviens si c'est ça...
Je ne la laisse pas finir sa phrase, j'explose.
— Bien sûr que non ! C'est sûr que je m'en branle que tu te frottes à d'autres filles ! Tu peux même aller baiser avec elles si tu veux ! Oublie pas de m'envoyer la vidéo !
Elle m'a lâché le bras, elle me regarde d'un air dégoûté. Soudainement, j'ai honte de mes paroles. Je me sens rougir alors qu'elle me répond plus sèchement qu'elle ne m'a jamais parlé.
— Excuse-moi d'avoir voulu m'amuser un peu. Je te signale quand même que je t'ai invitée à danser une dizaine de fois et que tu t'es entêtée à rester assise dans ton coin en faisant la gueule. Alors oui, j'allais pas gâcher l'une de mes seules sorties de l'année à cause de toi. Faute de copine, j'ai dansé avec d'autres filles. Mais c'est pas parce que je danse avec quelqu'un que je vais repartir avec. Surtout pas quand tu es avec moi.
— Donc ça veut dire que si je suis pas là, tu peux le faire ?
— Ne me fais pas dire ce que j'ai pas dit. Tu fais pitié avec ta jalousie, Ingrid.
Je reste silencieuse, elle me regarde sans ciller. Elle me mets mal à l'aise et je me retrouve à culpabiliser. Alors que c'est elle la fautive dans l'histoire !
— Et si ça avait été des mecs ? Tu m'aurais aussi piqué une crise ? Tu as peur de quoi exactement ? Tu vas m'interdire de sortir et de m'amuser ? De voir mes amis ?
Je ne peux m'empêcher de rire à cette dernière question. Fantine, des amis ?
— T'as pas d'amis...
— Tu me fais chier, Ingrid !
Putain ce qu'elle est belle quand elle est énervée. Ça me donnerait presque envie de la mettre en colère juste pour la voir dans un état pareil. Les yeux noirs, les joues rouges, les cheveux ébouriffés. On dirait presque qu'elle vient de s'envoyer en l'air. C'est con, mais j'ai envie de la prendre dans mes bras, lui dire que je suis désolée et que je ne recommencerai plus. Juste pour qu'elle accepte de m'embrasser et qu'on fasse l'amour. Je ne sais pas où on pourrait faire ça, dans le 18e arrondissement de Paris à quatre heures du matin, mais j'en ai envie.
— C'est quoi ton problème ? me demande-t-elle en croisant les bras. De quoi t'as peur pour être aussi jalouse ?
— Je veux pas que tu me quittes pour une vraie fille.
C'est sorti tout seul. Et maintenant que je l'ai dit, je me sens encore plus conne qu'avant.
— Tu es complètement à côté de la plaque.
— Ça doit être ça...
— Ingrid, regarde-moi.
Je secoue la tête. Pas envie. Et trop honte aussi. Mais elle me relève doucement le menton et je ne peux qu'obtempérer.
— C'est pas parce qu'au départ, je t'ai prise pour un mec, que la plupart des gens te prennent pour un mec et que parfois, tu es aussi conne qu'un mec que tu en es un pour moi. Tu es une vraie fille et si tu en doutes, je peux te présenter des butches à côté desquelles tu auras l'air d'une princesse Disney.
Je ne peux m'empêcher de sourire, elle a sans doute raison. Mais quand je la voyais au milieu de toutes ces belles nanas, oui, j'ai eu peur. Elle est tellement belle. Et intelligente en plus de ça. Certes, elle est étrange, elle n'a aucun ami, pas de famille connue et aime beaucoup trop les armes à feu, mais elle vient de dire les paroles les plus censées que je n'ai jamais entendues. D'ailleurs, elle semble s'en rendre compte et se recule un peu brusquement. Comme si elle avait pris peur.
— En résumé : arrête de dire des bêtises et ne me fais plus jamais de crise comme celle-là. Je ne vais pas partir avec une autre. Et j'ai parfaitement intégré le fait que tu étais contre les relations libres.
— Parce que toi, tu es pour ?
— Je n'ai jamais vraiment eu de vraie relation en fait... A cause du boulot. Et parce que je suis bizarre.
— T'es pas bizarre.
Elle hausse les sourcils d'un air dubitatif. Non, c'est vrai qu'elle est bizarre, mais je veux dire qu'elle n'est pas si bizarre que ça. Elle porte une arme en permanence sur elle, elle voue une fascination inquiétante aux explosifs, elle a des absences inquiétantes, elle est capable de réciter un nombre incalculable de décimales de Pi, elle refuse catégoriquement d'entrer dans un magasin, dans un restaurant ou dans un quelconque lieu où on cuisine ou vend de la viande. Et il lui est arrivé de pirater le système du gouvernement pour qui elle travaille à des fins personnelles, mais à part ça...
— Tu n'es pas plus bizarre que moi, rectifié-je.
— Peut-être.
Elle n'a pas l'air convaincue. En même temps, je raconte n'importe quoi. Maintenant ça suffit les discussions, je l'attire contre moi, mes bras autour de sa taille. Elle passe ses bras autour de mon cou et se penche pour m'embrasser. Je soupire dans notre baiser, je me suis rassurée. On s'embrasse à en perdre haleine, elle me pousse contre le mur. J'essaye de me contrôler. On est dans la rue, on ne peut pas faire n'importe quoi. Même si ce n'est pas une grande avenue et qu'il n'y a pas un chat à cette heure. Elle a ouvert le bouton de mon jean, j'attrape son poignet pour l'arrêter.
— Pas ici... Putain, Fanfan.
— Y a personne, murmure-t-elle contre mes lèvres.
De son autre main, elle me caresse à travers mon jean. J'hésite quelques secondes avant de relâcher sa main. Cette fille me fera faire n'importe quoi. On va finir chez les flics pour exhibitionnisme. Quoi que, elle est un peu flic dans son genre, non ? Presque agent secret, quelque chose comme ça. J'en sais rien, elle ne veut rien me dire, je ne peux qu'essayer de deviner et là, tout de suite, je m'en fiche. J'ai remonté sa jupe, je caresse ses fesses nues d'une main et glisse deux doigts sous son string.
Des rires gras, des sifflements. Masculins. Merde. Je repousse Fantine qui a le sage réflexe de tirer immédiatement sur sa jupe. Un groupe de mecs s'approchent, hilares. Mes mains tremblent alors que je reboutonne mon jean en jurant. Quelle merde. Je rabats la capuche de mon sweat, pour dissimuler au maximum mon visage. Je sais trop bien ce que je dois faire dans ce genre de cas. Jouer le jeu.
— Reste derrière moi... murmuré-je à Fantine en la tirant vers l'arrière.
Je mets les mains dans les poches, je toussote un peu et tente d'afficher un sourire. Ils sont trois, deux gars costauds et un maigre. Tous plus grands que moi bien sûr.
— Bah alors ? Vous dérangez pas pour nous, on faisait que passer. Enfin filmer, lance le plus grand de la bande en agitant son téléphone portable.
— Elle est vachement mignonne ta copine, ajoute le maigre.
— Ouais, si on aime les rouquines.
— Elle pue pas trop d'la chatte ? Il paraît qu'ça pue les rousses...
Ils éclatent de rire, je pense qu'ils sont ivres. Je fais pareil, ou du moins j'essaye.
— Très drôle, les mecs. Qu'est-ce que vous faites dans le coin à cette heure ?
Je n'ai qu'à prier pour que ma voix leur paraisse assez grave. Ou pour qu'ils soient assez saouls. Je pressens que s'ils s'aperçoivent qu'on est deux filles, ça va mal tourner. Ça a l'air de fonctionner, le grand au téléphone portable me répond comme si de rien n'était.
— On sort de boîte, normal.
— C'est marrant, moi aussi ! D'ailleurs, c'est là-bas que j'ai ramassé celle-là, ricané-je en désignant Fantine d'un signe de tête.
— Comme tu vois, on a eu moins de chances que toi, p'tit mec.
Il a posé sa main sur mon épaule, je me raidis immédiatement. J'espère que Fantine ne va pas faire de connerie. Pour le moment, je gère. Il faut juste que je trouve un moyen de nous sortir de là sans que ces types se doutent de quoi que ce soit. Quitte à faire ami-ami et à sortir quelques blagues graveleuses.
— Tu sais quand même que y a des hôtels pour baiser ? Ça s'fait pas de faire ça dans la rue.
— Ouais, j'sais. Disons que j'étais un peu pressé...
— J'te comprends, elle est drôlement bonne pour une rouquine.
Il me retire ma capuche. À la lumière des réverbères, je le vois plisser des yeux. Merde, merde, merde. Qu'est-ce que je vais ?
— Dis donc, les mecs ? C'est moi ou notre pote a vachement l'air d'une gonzesse ?
— Mais trop !
Avant que j'ai eu le temps de bouger, le type qui me tenait par l'épaule m'attire contre lui et glisse une de ses mains dans mon blouson entrouvert.
— C'est que ça a des p'tits seins !
— Non sérieux ? Alors c'est deux gouines !
— Elles doivent sortir de la boîte qu'on a vu tout à l'heure. Là où y avait plein de meufs qui se roulaient des pelles !
Là, j'ai vraiment peur. J'entends leur voix, leurs insultes, ils rient. Et ce mec me tient toujours prisonnière de ses bras, il faut que je trouve un moyen de lui donner un coup dans les couilles. Sauf que même si je me débarrasse de celui-là, il y aura toujours les deux autres. On pourrait essayer de s'enfuir en courant, mais avec les talons de Fantine, cette solution est fort compromise. Tout se passe très vite. Le maigre m'a attrapé les cheveux. Je n'arrive plus à réfléchir.
— Lâchez-la. Tout de suite.
La voix de Fantine a claqué dans l'air. Je ne vois rien, pressée contre le torse d'un de ces inconnus. Les trois types éclatent d'abord de rire. Puis, j'entends un son bizarre et mes agresseurs se taisent brusquement.
— J'ai dit : lâchez-la. Ou je vous descends l'un après l'autre.
— C'est toi qui ferais mieux de lâcher ton jouet, ma poule, lance l'homme qui me tient contre lui. Rassure-toi, on s'occupera aussi de toi après ta copine travestie. C'est marrant parce qu'au premier abord, on sait pas trop ce que c'est. Ça m'excite moi...
— Si t'es trop impatiente, je veux bien laisser ta copine à mes potes et m'occuper de toi tout de suite !
Merde. Elle a dû sortir son putain de flingue. Je n'ai plus peur, je suis terrorisée. Et si elle décide de tirer ? Elle en est capable.
— Fantine, tire-toi !
Évidemment elle ne m'écoute pas. Au contraire, elle tire. Le coup de feu retentit dans la nuit, je hurle à plein poumons sans pouvoir me contrôler. Je suis en larmes, je tremble. Putain, elle a tiré. Doucement, je sens l'étreinte autour de moi se relâcher, jusqu'à ce que je sois totalement libre de mes mouvements. Elle ne l'a quand même pas... ? Complètement sonnée, je reste bêtement sur place durant plusieurs secondes avant de penser à faire plusieurs pas en arrière.
Contrairement à ce que je pensais, mon agresseur est en pleine forme et ne gise pas sur le pavé, une balle dans la tête. Et ses deux potes non plus. Ils ont tous les trois levés les mains et semblent aussi tétanisés que moi.
— La prochaine, elle finit entre vos deux yeux.
— Putain, mais t'es une grande malade ! s'écrie le maigre.
— T'oserais jamais !
— Tu veux parier ?
Nouveau coup de feu. Cette fois, je vois clairement Fantine tirer vers le sol, juste aux pieds du grand baraqué qui a osé prendre sa menace à la légère. Il hurle.
— Du calme, ma jolie. Qu'il n'y ait pas de méprise, on voulait juste s'amuser un peu. Si vous voulez pas, c'est pas grave. On va s'en aller chacun de notre côté, d'accord ? Tu vas ranger ton flingue et y aura pas de malaise.
Il y a quand même un dans le lot qui n'est pas trop con. Celui qui m'a abordé et qui a tenté de me peloter... Mais son petit discours ne semble pas calmer Fantine. Elle les tient toujours en joue, impassible. C'est exactement comme dans les films, on dirait une James Bond girl. Avec ses cheveux roux ébouriffées, elle est effrayante, même moi je n'ose pas bouger un petit doigt. Les secondes passent. J'ai peur que quelqu'un ait entendu les coups de feu et appelle les flics. Même si Fantine est dans l'armée, je doute qu'elle ait le droit de menacer des civils. Ni même d'avoir sur elle son arme de service.
— Fanfan... s'il te plait...
Ma voix semble la ramener sur terre. Elle me regarde enfin, je suis dans un piteux état. Toute débraillée, les joues encore humides de larmes et tremblante de peur. Peur qu'elle fasse une connerie. Le genre de connerie irréparable. Elle se tourne vers nos trois agresseurs.
— Tirez-vous et ne vous avisez pas de revenir ou de vous attaquer encore à « deux gouines ». Je le saurais.
Les trois garçons hésitent, ils se regardent. En guise d'encouragement, Fantine baisse légèrement son arme. Comprenant qu'ils peuvent enfin se tirer de là, ces abrutis prennent leurs jambes à leur cou, s'enfuyant au croisement le plus proche. Je ne distingue pas clairement les insultes qu'ils lancent avant de disparaitre et pour être honnête, je m'en fiche complètement. Je suis trop occupée à observer Fantine ranger son arme, comme si de rien n'était.
— On peut y aller. Et la prochaine fois, laisse-moi gérer au lieu de chercher la merde.
Elle a dit ça calmement, comme si tout était normal, comme si elle ne venait pas ne menacer trois hommes avec une arme. Je reste bouche-bée, je ne sais pas quoi répondre à ça. Et encore moins comment réagir. Je la laisse me rhabiller, comme une enfant. Je crois que j'ai peur d'elle.
Elle reprend le chemin de la Seine d'un pas assuré. Je crois que cette petite mésaventure nous a toutes les deux dessaoulées. Je la suis sans un mot, légèrement en retrait. Les pensées se bousculent dans ma tête, je me refais la scène. Elle a sorti son arme et a tiré deux coups de feu. Un dans le vide et un autre aux pieds d'un mec. D'un mec vivant. Et si elle avait tiré trop haut ?
Jusqu'à présent, j'ai toujours trouvé ses flingues très excitants, mais je n'avais pas réalisé qu'elle... qu'elle savait s'en servir. Qu'elle pouvait s'en servir. Qu'elle s'en servirait. Ce n'était pas des tirs d'amateur. Ma copine est une putain de tireuse. Est-ce que... est-ce qu'elle a déjà tué des gens ? Est-ce qu'elle me ment quand elle me dit qu'elle est ingénieure de formation et conçoit des « trucs divers » pour l'armée ? Est-ce qu'elle n'est pas plutôt agent de terrain ou quelque chose comme ça ? Ça expliquerait son permis de port d'arme. On n'est pas aux Etats-Unis, bordel, les ingénieurs n'ont pas de flingues à disposition !
Je ne sais pas combien de temps on a marché, en silence, mais on est arrivées au niveau de Notre-Dame. C'est en traversant le pont que je reprends mes esprits.
Je m'assois sur un banc pour me calmer. J'essuie mes restes de larmes. Décidément, j'aurais plus chialé en une nuit qu'en un mois. S'apercevant de mon arrêt, Fantine rebrousse chemin. Elle s'assoit à côté de moi et me sourit. Voyant qu'elle s'approche pour m'embrasser, je tourne la tête. Je ne peux pas. J'y pense trop.
— Je peux le voir ? je demande d'une voix tremblante.
— Quoi ?
— Ton flingue.
Je sens son regard sur moi, mais je reste à fixer l'horizon. Le ciel commence à s'éclaircir, il va bientôt faire jour. Il se passe un moment avant qu'elle se décide à sortir son arme pour me la tendre.
— Il y a une sécurité, tu ne peux pas l'utiliser.
— Je m'en fous.
Il est plus petit que je l'avais imaginé. Je le retourne dans mes mains, on dirait un jouet. Je comprends mieux comment elle arrivait à le cacher. C'est la première fois de ma vie que je touche une arme, une vraie. C'est fascinant et effrayant à la fois. À l'image de Fantine. Sans réfléchir davantage, je me lève et le jette de toutes mes forces en l'air. Je le regarde tomber dans la Seine avec soulagement. J'ai l'impression d'aller un peu mieux.
— Tu sais que je vais devoir faire un rapport pour expliquer la disparition de cette arme ?
— Tu trouveras bien quelque chose. De la même manière que tu as trouvé une excuse pour la prendre avec toi, non ?
Je crois avoir touché juste. J'entends le petit rire de Fantine. Elle se lève et va s'appuyer contre la rambarde du pont. Le vent souffle sur la Seine, emmêlant ses cheveux et soulevant sa jupe. Je la rejoins, les mains dans les poches.
— Tu es vraiment irresponsable.
— Je sais.
— On aurait pu avoir de très gros ennuis si tu les avais touchés, ajouté-je, la gorge serrée.
— Tu crois que je l'aurais fait ? demande-t-elle innocemment.
— Je ne crois pas, je sais.
— Tu as raison.
Bien sûr que j'ai raison. Fantine est dangereuse. Le pire, c'est qu'elle ne me plait que davantage. Je dois avoir un grain pour vouloir rester avec elle.
— Pourquoi t'as fait ça ? je lui demande dans un souffle.
— Ils allaient te faire du mal.
— Ce n'est pas une excuse
— Si, ça en est une. Et sans doute la meilleure que je n'ai jamais eue.
Je ne sais pas comment interpréter cette explication. Je la regarde, elle fixe le fleuve en contrebas d'un air absent. Comme si elle avait compris, elle ajoute tout bas :
— Je ne laisserai jamais personne te faire du mal, Ingrid. Je ne le supporterai pas. Je ne laisserai jamais qui que ce soit poser un seul doigt sur toi. J'aurais pu le descendre s'il ne t'avait pas lâchée. Et j'ai cru que je ne résisterai pas à l'envie de le buter, même après qu'il l'ait fait.
— Fanfan...
— Et tu avais peur que j'aille voir ailleurs ? ricane-t-elle. Je pense que tu as compris que ce n'était pas la peine d'être jalouse ?
Enfin, elle me regarde. J'ai compris. Je glisse une main dans ses cheveux et l'attire à moi pour l'embrasser. Elle se laisse aller dans mes bras. Je ferme les yeux, profite de ce moment précieux. Elle contre moi, et sans flingue caché sous ses fringues. J'entends le vrombissement des voitures sur les quais, la sirène d'une ambulance et le souffle de Fantine. Je romps notre baiser pour la regarder droit dans les yeux. Je caresse sa joue.
— Fanfan ?
— Oui ?
— Moi aussi.
Elle me sourit et m'embrasse doucement, sur les lèvres, sur les joues et le menton. Je suis heureuse. Ma peur s'est envolée, j'oublie tout l'espace d'un instant.
Je suis amoureuse.
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N'hésitez pas à me laisser un petit avis, un petit commentaire, ça fait toujours plaisir ^^
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