* Chapitre 29 *
Il cessa brusquement d'écrire et leva son stylo, relisant pensivement sa dernière phrase. Il ferma les yeux, prit au piège. Il avait perdu. Il n'aimait pas beaucoup la façon dont cette histoire se terminait... Par la mort. Par sa mort. Il soupira et ferma le petit cahier dans lequel il avait inscrit son récit, portant bien évidemment le nom de son personnage principal : TOM. Il soupira de nouveau en secouant lentement la tête. Non. Cette histoire était particulièrement déplaisante. Il allait devoir s'y pencher sérieusement, ne serait-ce que pour trouver une fin alternative à son décès puisqu'il n'avait, malheureusement, plus le temps de tout revoir de A à Z. Et puis... Outre ce final tragique, les péripéties de ce gosse l'amusaient beaucoup. Les choses ne se passeraient peut-être pas à l'identique de ce qu'il avait décrit, il le savait, mais prédire les agissements de ce jeune homme lui éviterait un joli nombre de mauvaises surprises.
Il avait toujours adoré écrire. Malheureusement, ses histoires ne plaisaient pas à tout le monde : on pouvait même dire qu'elles choquaient. Alors, le jour où il avait avoué que son plus grand rêve était de leur donner vie, sa conseillère d'orientation s'était alarmée. Fais un travail qui te permettra d'aider les autres, lui avait-elle dit, et tu verras que tu n'as pas besoin de faire preuve d'autant de violence et de rancœur. Il l'avait écouté. Et il avait eu parfaitement raison : il n'avait jamais espéré se sentir aussi épanoui dans son travail. Il avait repris l'écriture avec ferveur, inspiré à l'infini par ses péripéties professionnelles. Peut-être devrait-il prendre le temps d'aller remercier cette vieille dinde avant qu'elle ne meure, un de ces jours...
Il écrasa sa cigarette dans un vieux cendrier en verre et se leva, son cahier à la main : une petite fente marquait sa place sur l'étagère, entre deux autres récits du nom de Mathéo et de Camille. Ces deux là étaient terminés depuis longtemps. Il s'agissait même des deux premières histoires de cette série. L'écrivain néophyte observa son œuvre, un grand sourire satisfait collé aux lèvres, avant de retourner à son bureau pour surveiller son écran d'ordinateur. Cinq minutes. Le décompte laissait filer les secondes une à une, décroissant à l'inverse de son impatience. Il trépignait. Les noms des quinze chanceux affichés dans un coin de l'écran emplissaient son regard d'une lueur étrange, presque tendre. Plus que quatre minutes. Bientôt.
Il était temps pour lui de se préparer. Il abandonna son blouson sur sa chaise de bureau et alla fouiller dans son armoire en sifflotant : un sweat-shirt, un gilet pare balle, des chaussures confortables et une cagoule feraient probablement l'affaire... Mais sa cagoule restant introuvable, il se rabattit sur un vieux masque d'halloween abandonné sur une étagère. Il grimaça. Tant pis. Il attrapa sa tenue et la fourra dans un sac de sport avant d'éteindre son ordinateur fixe. Il aurait pu attendre les résultats, comme tout le monde, mais il n'en avait pas besoin : il les connaissait par cœur. Il savait quels joueurs allaient être tirés au sort. Il savait même lequel d'entre eux allait perdre cette nuit là. C'était lui qui les avait choisi, avec beaucoup de soin et de plaisir.
Il attrapa ses clefs et sortit de son appartement. Le concierge croisa sa route dans la cage d'escalier, une grosse caisse à outils sous le bras.
̶ Dites-donc, encore une panne de sommeil ? s'étonna-t-il en apercevant l'homme.
̶ Malheureusement... répondit l'autre en souriant poliment.
̶ Ce qui veut dire petite marche nocturne, j'imagine ?
̶ Ah... Vous me connaissez trop bien...!
̶ Après dix ans on apprend à connaître les résidents ! s'esclaffa le gardien. Bon... Essayez tout de même de ne pas rentrer trop tard, Monsieur Delmes !
L'inspecteur hocha la tête et salua le gardien. Il descendit les escaliers et poussa la porte de son immeuble, l'esprit plus paisible qu'il ne l'avait jamais été. Il attendait cela depuis si longtemps. Des mois. Non, des années. Et maintenant, tout était prêt.
Enfin.
Le jeu allait pouvoir commencer.
FIN
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