TheShowMustGoOn
Le Grand Freddie avait dit : le spectacle doit continuer. Amen ! N'empêche, c'est dur quand même, hein. Pourquoi on continuerait, quand on a plus envie ? Quand y a plus aucune raison ? Tout est mort. Ils sont tous déconnectés, là, dehors. Alors, pourquoi on continue quand même ? Personne veut être éternel, et moi non plus, pas dans un monde aussi pourri, ravagé, agonisant. N'empêche, ça fout quand même les boules de savoir que même si je voulais, je pourrais pas. Alors j'ai allumé la radio. Ca passait le dernier cri de Rox, le hard déjanté :
Danger in your eyes When you kiss my treasure,
Fall into shame As your lips just smile.
Passion in your soul Obsession of my desire And pleasure, pleasure, pleasure
When you're sufferin'
Blind to reality You live only for me Bad guys can love too.
Blackness in your mouth So exciting, so secret
Gimme all's yours You're mine now
Slave to love me Trapped in my black desire My strong pleasure
Quand Rox a fermé sa gueule, j'ai pris le phone pour appeler An en vitesse. Je tremblais, mon Trésor aussi. An a fait « Ouais ? », et à sa voix, j'ai su qu'elle aussi, elle avait écouté Rox. J'ai dit « C'est Wé », et elle a fait « j'arrive ». J'ai raccroché, pris un joint que j'avais piqué à mon pater, j'ai fermé les rideaux et toutes les lumières. J'ai fumé le tarpé allongé sur mon pieu en attendant An. La radio gueulait un vieux Gun's, et ça m'a foutu les boules.
An s'est engueulée avec la mater en arrivant, et elle a couru jusqu'à ma piaule. Elle a claqué la porte et m'a appelé, dans le noir.
- J'suis là, que j'ai fait.
Elle a sauté sur mon pieu, m'a raté de pas beaucoup. Elle sentait bon le hash. Elle avait un vieux jean troué de partout, et j'ai défait sa ceinture.
- Rox est l'meilleur, qu'elle m'a fait en m'aidant à la défrusquer. Tiens, j'ai son dernier.
Elle m'a filé un CD et j'l'ai mis à fond. Rox a hurlé qu'il fallait fumer, gueuler, cogner et baiser. C'est ce qu'on avait l'intention de faire de toute façon, mais se sentir ainsi soutenu par Rox, ben, c'est génial. An m'a grimpé dessus et c'était vache de bon avec Rox dans les synapses. J'ai tiré trop vite à mon goût, et An avait l'air du même avis, parce qu'elle a embrassé mon Trésor, comme le préconisait Rox. Le noir entre ses lèvres était doux, même s'il était trop profond et pas secret du tout.
Mes vieux devaient nous entendre, et j'ai rigolé. J'me suis imaginé leur tronche si y entraient maintenant, et ça m'a encore fait tirer. An m'a regardé, elle tremblait de sueur. Dans la pénombre, je voyais que ses yeux, et j'ai suivi l'ordre implicite. Je lui ai fait son affaire, et encore, et on a repris notre souffle, un tarpé pour nous requinquer. Et Rox a chanté « Sodomy » et comme c'était la chanson préférée d'An, j'me suis exécuté, même si j'étais crevé et pas vraiment en forme. Rox hurlait « Again ! Again ! » et An hurlait avec lui, encore plus fort. A la fin du CD, on était lessivés, et j'ai sorti un reste de bonne pour nous refaire une petite santé. On était raides et cassés, mais ça suffisait pas pour déclencher le black out qu'on espère tous. An m'a regardé et elle a dit
- La vie s'arrête au matin.
- Et le spectacle doit continuer, que j'ai répondu.
- Amen ! elle a hurlé.
On s'est fringués et on est allés sur le toit en passant par ma fenêtre. J'avais monté le son de la radio, ça gueulait 'Devil Inside'. Sur le toit, An a dansé pendant que la nuit s'installait vraiment. Y avait pas d'étoiles. Les gens, dans la rue, se grouillaient pour rentrer chez eux. Comme s'ils avaient peur. J'ai hurlé de rire et c'était hystérique. J'ai écarté les bras pour embrasser la pure et douce folie que déversait sur nous la nuit. J'aurais voulu exploser dans l'espace. An a hurlé avec moi.
On a entendu un autre hurlement, et j'ai deviné que c'était Mo, à quelques rues de là. Puis la voix de Di s'est jointe au cri de la Meute et So et Ru et Eb aussi. Je me suis rendu compte que je chialais de bonheur de les savoir là, tout près.
On a nulle part où aller. De toute façon, on a même pas envie d'y aller.
J'ai glissé le long du toit et j'ai atterri sur le trottoir, je me suis tordu la cheville. An m'a suivie sans blèmes, et on s'est mis à courir. Mo s'était tu. Il venait vers nous, lui aussi. Ses yeux verts brillaient vache de fort et il a embrassé An, violemment, avant qu'on parte tous les trois vers le downtown. J'ai senti mon sang fusionner avec mon esprit et mon cœur cesser de battre. J'étais bien, hyper bien.
Comme l'a dit le Grand Freddie, y a pas de place pour nous. Y a pas d'époque pour nous. Y a aucune chance pour nous. Alors on a rien à perdre, rien à risquer, rien à espérer, et quand j'ai croisé les yeux verts de Mo, j'ai vu qu'il pensait pareil. Il a levé la main droite, celle où y a « HELL » tatoué en rouge, et An s'est léché les lèvres, tellement elle voulait s'éclater. On s'est remis à courir comme des malades et on a foncé sur un jeune con qui paradait sur le bitume en attendant un client. Il était pas mal, et pendant un moment, j'me suis demandé si An aurait envie de lui. Elle a été la première à cogner, et Mo a ensuite balancé « HELL » dans la gorge et le type a craché du sang. C'était mon tour et j'me suis acharné sur son Trésor, et An m'encourageait et elle bougeait avec mes coups. Mo avait reculé et regardait An prendre son pied, encore une fois. Le type était quasiment mort quand An a fait signe que c'était okay, qu'elle avait son compte. Alors j'ai looké le type et j'ai décharné mes dents : y pourrait plus jamais vendre son Trésor. Y en restait que dalle.
Mo a dit que Ka avait de la bonne, alors on est allés chez elle, mais Ka était pas là. Mo a boxé son père et on est entrés. On a fouillé la piaule de Ka. C'était de la vraie bonne. La radio passait New Order et An a bloqué la porte de la chambre avec une chaise, pour qu'on soit peinards. J'me suis fait quelques lignes et j'me suis assis par terre contre le mur pour regarder An et Mo sniffer aussi.
Après, j'me souviens qu'on a trouvé du 'Fiddich sous le pieu de Ka et qu'on l'a glouglouté en rigolant. J'me souviens aussi que Freddie en personne m'a dit tout bas d'être libre avec mon tempo, que je pouvais être tout ce que je voulais. J'me souviens que ça m'a fait chialer comme un con. J'me souviens que An a poussé Mo vers moi en souriant, pour qu'il me console.
J'me souviens de pas grand chose d'autre, sauf que la main gauche de Mo, celle où y a tatoué « EDEN », était vache douce, et que son Trésor était délicieux.
J'me souviens aussi que j'avais toujours eu envie que Mo plonge son Trésor dans la secrète noirceur de mes lèvres.
*
Quand j'ai émergé, j'avais la gueule de béton alors j'ai repris un peu de bonne. An pionçait par terre, près de la fenêtre. Mo était plus là. J'me suis rappelé son Trésor et j'ai grogné de plaisir.
Y faisait jour. Comme la vie s'arrête au matin, je m'suis barré en courant et j'suis resté mort jusqu'au retour de cette adorée salope qu'est la nuit.
*
Mon psy disait que c'était à cause de notre époque que je me livrais à tous ces jeux paradoxaux. Le con ! Comme si donner un nom aux choses, ou essayer de les expliquer, va changer quelque chose ! En tout cas, c'est pas tous ses grands mots qui l'ont empêché de s'envoyer un calibre derrière la secrète noirceur !
Le soir, j'ai rêvé. An me caressait, et quand je regardais dans ses yeux, y avait rien, que du vide, et dans le vide naissaient des étoiles, des galaxies entières. Alors je voulais plonger dans le vide pour étreindre la nuit salvatrice et exploser dans l'espace, mais ma vieille a cogné à ma porte, alors je l'ai cognée parce qu'elle avait tout gâché. Elle a voulu que je me fringue, mais j'avais pas envie. J'suis allé chercher quelques bières. Le carrelage de la cuisine était froid et crade sous mes pieds mais j'en avais rien à battre. Mon pater m'a relooké bizarre, et j'me suis demandé s'y aurait pas d'autres joints que je pourrais pickpocketer dans son bureau.
Y faisait nuit et j'ai grimpé sur le toit avec ma radio. C'était un Nirvana et j'étais d'acc' : ça puait le Teen Spirit et ça manquait de shit. J'ai regardé notre Mère la Nuit. Elle était à poil, elle aussi, et ses étoiles étaient lascives. Ca m'a plu. A mon Trésor aussi, parce qu'il n'a pas fallu le solliciter beaucoup pour qu'il honore la Voie Lactée et Cassiopée. Après ça, j'me suis senti un peu nase, mais calme et vache heureux. J'ai fermé les yeux et mon esprit a volé, il a touché la voûte, l'a pénétrée et j'ai vu Freddie. Il m'a souri et j'ai voulu chialer, Lui dire qu'Il avait raison, qu'y avait plus rien pour nous, qu'on était tous morts et qu'on le savait pas encore, qu'ainsi allait la vie. Freddie a rigolé et Il a dit :
- Rien ne s'arrête. Le spectacle doit continuer.
Et Freddie m'a fait un clin d'œil ;j'ai sursauté avant de rouvrir les yeux La radio faisait Shriekback et le Big Hush m'a poignardé le cœur. La nuit m'a prise dans ses bras et la lune auréolait tout, autour de moi. J'ai entendu quelqu'un dire mon nom et une ombre a grimpé sur le toit. J'ai reconnu Ka à ses cheveux blonds. Elle a souri et s'est assise à côté de moi. Au loin, Mo a hurlé et j'ai entendu les réponses d'An, Di et Eb.
- Tu vas avec la meute ? a fait Ka en lookant mon trésor.
- Nan. Ce soir, je reste avec Elle.
Ka a regardé la nuit à son tour et a sorti des joints et de la bonne. Elle a fait le partage et s'est laissée aller contre la cheminée.
- T'étais où, hier ? que j'ai demandé.
- J'sais plus. An a dit que vous étiez passés ?
- Ouais.
Ka a rigolé doucement en fumant.
- Mon pater est furax.
J'ai levé un doigt et elle a éclaté de rire. Ce bon vieux Léo Cohen a dit que tout le monde savait, que les dés étaient jetés, qu'ainsi allait la vie. Ka a soupiré et a fermé les yeux. J'l'ai regardée. La lune l'auréolait aussi. C'était chouette et joli. J'me suis demandé ce que faisaient les autres et j'me suis demandé si An et Mo étaient ensemble. Ka a encore soupiré et écrasé son joint. Elle s'est rallumé un autre tarpé et j'ai sorti une vielle Scotch de derrière la cheminée. Ka a pas ouvert les yeux alors j'ai glouglouté tout seul et quand j'ai revisionné la nuit j'me suis aperçu que j'avais le cafard. C'est vache rare, j'ai pas l'habitude, j'aime pas ça. Rox a cassé la gueule à Léo Cohen et s'est mis à brailler 'Bad bad oBsession'. J'ai posé le Scotch et regardé Ka. J'me suis dit qu'An et Mo étaient sûrement ensemble. Alors j'ai retiré les boutons de Ka et j'ai balancé ses frusques. Elle souriait mais ses yeux étaient toujours fermés. J'ai jeté un œil à la nuit et on était toujours auréolés. C'était comme un arc-en-ciel. J'ai embrassé les lèvres de Ka, sa poitrine, et elle a guidé la secrète noirceur de mes lippes vers son propre Trésor, sans lâcher son joint. D'habitude, c'est pas un truc que j'aime faire, mais j'avais le cafard et je croie que Ka aussi, sinon, elle serait pas venue à moi. Ka est amoureuse de An, et elle aime pas trop les mecs. J'ai entendu 'Ride her 'til the end of night' et j'ai senti la main de Ka sur mon Trésor, qui me poussait vers le sien. J'me suis pas fait prier. Elle avait ouvert les yeux et on s'est activés ensemble. La lune brillait toujours très fort et on a commencé à rire et à gueuler. Des gens, dans la rue, nous ont regardés, mais on s'en foutait, parce que le spectacle devait continuer.
Et quand j'ai looké la nuit, les étoiles formaient la gueule de Freddie. Il souriait. Alors, j'ai chialé.
*
La vie s'est arrêtée au matin et le spectacle a continué sans moi. Plus rien à perdre. Alors pourquoi on se sent tous si mal ? Plus rien à risquer. Alors pourquoi on continue à espérer ? Plus rien à accomplir. Alors pourquoi on continue d'essayer ?
- Touche mes larmes ! a fait Freddie à la radio.
Y faisait jour. La vie était encore loin. Ka pionçait à côté de moi dans mon pieu et Freddie chuchotait tout contre mon cerveau.
- Touche mes larmes !
J'ai essayé mais j'ai pas pu. Freddie était trop loin, hors du spectacle qui continuait. Alors c'est mes larmes que j'ai versées, et Ka les a bues.
*
Y a pas de justice sous le ciel, Freddie. Et personne sait pour quoi on vit. La nuit est là, j'me sens revivre. Ka s'est barrée et j'me demande si An va venir. Mais c'est Mo que j'ai envie de voir, c'est son Trésor que j'ai envie de sentir. J'me demande s'il me laissera le toucher encore une fois. Mo est beau et son Trésor est admirable.
J'me suis levé et j'suis sorti de ma taule pour prendre une bière. Y avait un reste de 'Fiddich, et j'l'ai embarqué. Je retournai vers ma piaule quand j'ai entendu mes vieux s'activer dans la leur. Ca m'a fait gerber et j'me suis tiré sur le toit.
J'ai entendu Mo et j'ai hurlé en réponse, pour qu'il vienne. Quand Mo est arrivé, Lune était plus là, et j'étais contre la cheminée. Mo a souri et j'lui ai tendu le 'Fiddich. J'lui ai demandé où était An et il a haussé les épaules.
- On va tous crever, qu'il a fait.
J'ai trouvé ça bizarre, mais j'ai souri quand même.
- Ainsi va la vie, que j'ai répondu.
- Et le Spectacle doit continuer !
- Amen !
- Amen !
On a rien à perdre. On a rien à gagner. On a rien à espérer. On a rien à vivre. Y a plus de héros. Juste des macchabées qui marchent. Et Rox a hurlé :
Wanna dance in the night Wanna howl as a beast
Wanna kill, kill, kill Wanna eat flesh, smell treasures
Wanna die at morning Wanna cry, fall and die
Wann run, kick, hit, kill Day of ending is near us now
J'me suis demandé si ce jour arriverait vraiment, enfin. Mo a ricané et dit qu'il voulait cogner. On a hurlé et sauté dans la rue. On a bastonné un type en costard qui rentrait chez lui et après on s'en est pris à une nana. On lui a longuement fait son affaire avant de la cogner. Et quand c'était à son tour de Trésor, Mo chantait 'Sodomy' à tue-tête et la nana gueulait 'Non ! Non !' et moi, je hurlais 'Again ! Again !'. Mo a pris son couteau et on a hurlé comme des loups avant de pique-niquer gaiement.
Lune est revenue et pour fêter ça, maintenant qu'on était repus, Mo m'a laissé reprendre son Trésor et a abreuvé la secrète noirceur de ma bouche.
Et le spectacle a continué.
*
Désespoir, désillusion, désenchantement, déception, mutilation, résignation. Les dés sont jetés, la nuit est là, le spectacle doit continuer.
Mo est venu, on s'est tirés chez Ka. An était dans son pieu, raide défoncée et ça m'a fait bizarre dans le cœur. Ka avait encore de la bonne. Le CD de Rox était à fond et j'me suis assis dos au mur. Mo est allé sur le pieu. J'ai looké An et Ka le défrusquer et s'amuser avec son Trésor, et j'ai eu une drôle de bouffée de violence. J'me suis levé et j'ai désapé mon Trésor avant de plonger sur An. 'Sodomy' était toujours sa chanson préférée et j'crois que je l'aimais aussi. Mo riait, Ka se caressait devant An et Mo m'a embrassé. La tête m'a tourné, on a mélangé nos langues et nos secrètes noirceurs. An a soupiré et j'l'ai laissée partir vers Ka. Mo m'a regardé droit dans les yeux et Eden a pris mon Trésor. J'ai entendu Ka dire à An que Mo m'aimait. A cet instant-là, moi aussi j'aimais Mo. An est partie en courant. J'crois qu'elle chialait, j'suis pas sûr, j'm'en foutais. Mo m'embrassait encore et ses yeux verts étaient vache lucides. Ka nous a regardés nous aimer et nous mélanger. Après, elle a encore distribué de la bonne et j'me suis endormi pendant que Mo officiait Ka.
Dans mes rêves, Freddie avait les yeux et le Trésor de Mo. J'ai pleuré.
*
Mon vieux a cogné parce que je me piquais avec une de ses seringues. L'aiguille a pété et j'me suis énervé. La Nuit, cette perverse idyllique et adulée, tombait sur moi, m'auréolait de folie, de violence et de désir. Alors j'ai cogné aussi, fort et longtemps, encore et encore. Et quand le crâne à moitié chauve de mon pater a éclaté contre le mur, j'ai joui.
Ca a été le plus beau pied de ma vie.
*
Quand les pols m'ont pris, je bastonnais un clodo en lookant An et son Trésor dénudé. An a pu s'tirer, pas moi. J'avais pas envie. Plus rien à perdre, plus rien à gagner, plus rien à désirer. Plus rien du tout. Les dés sont jetés. Amen !
On a pas notre place dans ce monde pourri, alors autant partir, hein...
Quand ils ont branché les p'tites électrodes qui chatouillent, mon Trésor a manifesté son contentement. J'ai juste été triste de plus jamais pouvoir sentir celui de Mo, de plus jamais pouvoir regarder ses yeux verts. Mais la Nuit était là, tout autour de moi, et elle m'enveloppait comme un rêve pendant qu'ils me tuaient.
Avant de crever, j'ai tiré.
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro