Chapitre 16 : Atterrissage
TW : homophobie, crise d'angoisse
𝑯𝒂𝒏 𝑱𝒊𝒖𝒏𝒈 -
« Tu m'appelles ce soir ? »
Il avait dit oui, il fallait donc qu'il le fasse.
« Propose-lui de vous voir demain, c'est vendredi on n'a pas cours l'aprèm, » lui avait dit Félix après qu'ils aient décortiqué en long en large et en travers la relation de Jisung et Minho.
Même sans avoir connaissance de ses problèmes d'anxiété et de toutes les fois où Minho avait été là pour lui, Felix lui avait quand même dit que ce que ce que ressentait Jisung pour le roux s'apparentait bien à un petit (gros) béguin.
Il se sent un peu mal de cacher une si grosse partie de lui à celui qu'il considère comme son meilleur ami, mais il refuse de l'inquiéter. Même si ça veut dire qu'il lui faut lui mentir.
Quelque part, il est bien plus proche de Minho qu'il ne l'est de Felix, pourtant jamais il n'a considéré son aîné comme un potentiel "meilleur ami" (qu'importe ce que cette appellation peut bien vouloir dire). Eux deux ça n'a rien à voir, depuis le début. Il a toujours su qu'avec Minho c'était différent, sans vraiment savoir jusqu'à quel point.
Jisung n'a jamais été amoureux. Ses parents sont séparés, il n'a pas connu ses grands-parents, il a passé la plus grande partie de sa vie seul, il ne sait pas ce que c'est qu'aimer quelqu'un.
Aimer quelqu'un ?
Parce que c'est acté qu'il aime Minho ? Comme ça ? D'un coup ? Sans prévenir ?
Mais bien sûr qu'il l'aime. Bien sûr. Reste à savoir jusqu'à quel point.
Un sifflement agacé s'échappe de ses lèvres et il attrape son téléphone sans de se laisser le temps de tergiverser encore un moment.
« Allo ? »
La voix de Minho lui paraît à la fois lointaine et pourtant si proche lorsqu'il décroche, presqu'instantanément après qu'il l'ait appelé.
« Hyung.
- Ça va ?
- Par rapport à quoi ?
- Hier ?
- Bien mieux. Je crois qu'il y a quelque chose qui s'est débloqué en moi. J'ai vraiment envie d'aller mieux.
- C'est super Jisung. »
Le silence entre eux est presque pesant. Les yeux de Jisung sont fermés pour ignorer Alix qui se tient dans un coin de la chambre, les bras croisés.
« Je crois qu'il faut qu'on parle, finit par dire Minho d'une vois lourde de sous-entendu et Jisung le remercie silencieusement d'amener le sujet sur la table car il n'aurait pas eu le courage de le faire par lui-même.
- Je crois oui, répond-il donc.
- Demain ?
- L'après midi.
- Où ?
- Un endroit calme, si possible.
- Bien sûr. Le long du fleuve ? Tu voulais voir les fleurs des cerisiers non ? Ils commencent à peine à fleurir mais c'est déjà beau. »
Un sourire idiot apparaît sur les lèvres de Jisung qui doit se mordre l'intérieur des joues pour revenir à lui.
« Tu t'en es souvenu.
- Je t'écoutes quand tu parles, tu sais. »
Minho rigole légèrement.
« À demain alors ?
- À demain Jisung. Dors bien.
- Toi- Toi aussi. »
Il raccroche et se laisse tomber sur le dos entre les coussins de son lit, le rouge aux joues.
Alix n'existe plus à cet instant, pourtant il n'arrive pas à dormir. Ce n'est pas le stress qui l'empêche de dormir : c'est le trac. La frontière est infime, mais pour Jisung elle est là. Le trac n'est pas mauvais, il l'aide à faire ce qu'il n'ose pas faire. Jamais il n'est anxieux lorsqu'il est avec Minho, il ne ressent pas de stress lorsque son aîné aux cheveux teints en roux pose ses yeux sur lui.
C'est sûr cette pensée qu'il finit par s'endormir. Le lendemain il se réveille dans le même état d'esprit et se retrouve comme un con devant sa penderie à se demander s'il faut qu'il fasse un effort ou s'il est juste en train de se monter la tête. Après tout, ils vont juste discuter, n'est-ce pas ?
Qu'est-ce qu'il attend de cette discussion en fait ? En réalité, rien du tout. Il n'a aucune attente quant à la discussion qu'il va avoir avec Minho.
Un léger ricanement lui échappe. C'est Minho. Il passe sa vie en cargo et en sweat, de quoi il a peur ?
Alors il enfile rapidement un baggy, un tee-shirt beige et sa veste en jean, rajoute un collier pour la forme et son bob fétiche sur la tête, puis s'en va en cours.
La matinée passe à toute vitesse et en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire, midi arrive et le voilà devant Minho qui - comme il s'en doutait - n'a lâché ni le cargo ni le sweat (malgré les températures plus chaudes de cette fin avril).
« Salut, dit-il en souriant doucement lorsque Jisung s'arrête devant lui.
- Toi aussi t'as pas dormi, pouffe Jisung en remarquant les poches sous les yeux de Minho.
- P't'être bien. C'est pas tes oignons. »
Jisung réellement cette fois et les lèvres de Minho remontent légèrement en un petit sourire.
« On y va ? »
Minho prend la main de Jisung dans la sienne pour le tirer à sa suite, sans lui laisse le temps d'en placer une.
« T'es bien pressé.
- J'ai la dalle.
- Tout s'explique, ricane Jisung et Minho lui lance un regard en coin.
- T'es de bien bonne humeur toi.
- Je suis content d'aller voir les cerisiers !
- Et moi tu t'en fous ? »
Le cœur de Jisung loupe un battement et tourne la tête vers son hyung qui fait semblant de l'ignorer.
« Non, dit-il finalement en serrant un peu plus la main de Minho dans la sienne. Si j'y étais allé sans toi ça aurait été bien moins bien.
- T'es gentil, Jisung. »
Et Minho lâche sa main pour venir mettre les siennes dans ses poches. Ce n'est qu'à ce moment que Jisung remarque la veine qui court dans le cou du roux et sa mâchoire serrée.
« J'suis gentil ? » répète-t-il d'une voix blanche.
Il ne sait pas s'il est gentil. Il a essayé de l'être toute sa vie.
"Sois gentil Jisung, va jouer autre part."
"T'es pas gentil, Han. Tu fais tout le temps la tête j'ai pas envie d'être ton ami."
"Pourquoi tu veux pas nous donner un peu de ton goûter ? Allez sois gentil !"
Il n'a jamais vraiment réussi, hein ?
« Jisung ? »
Il sort de ses pensées et son regard tombe dans celui de Minho qui s'est arrêté devant lui pour le prendre par les épaules et le faire revenir sur terre. Il a le visage un peu tiré, inquiet, ses yeux noirs le fixent en attente d'une quelconque explication.
« Désolé, lâche Jisung en forçant un sourire. Je pensais juste à un truc.
- Tu veux en parler ?
- C'est pas de ça dont j'ai envie de parler actuellement. »
Une ombre passe dans le regard de Minho et il se redresse en ignorant à la fois le regard de Jisung et le sous-entendu dans sa phrase.
Ils repartent alors et pour la première fois Jisung sent une piqûre familière dans son cœur : le stress. Le stress qu'il n'avait jamais ressenti en présence de Minho. Minho qui gardait toujours ses mauvaises pensées loin de lui. Minho qui ne le regarde même plus.
Le fantôme de la main d'Alix se glisse dans la sienne et sa voix chaude lui glisse à l'oreille :
« Il ne t'aime pas. »
Merde. C'est faux ! N'est-ce pas ?
Il risque un regard vers Minho qui a repris sa marche, le regard porté devant lui. Jisung se tient à ses côtés, pourtant il se sent si loin de lui.
Au loin il aperçoit les cerisiers et les quelques fleurs blanches qui commencent à apparaître çà et là entre les branches noires et les feuilles vertes.
Ils longent désormais le fleuve Han, toujours sans rien dire. Le silence en est pesant. Au moment où Jisung se dit qu'il va falloir qu'il dise quelque chose ils arrivent devant un attroupement d'une trentaine de personne, rassemblées autour d'une vieille femme, juchée sur un bloc de béton.
Elle semble captiver la foule autour d'elle, ses yeux s'arrêtant sur chacun d'entre eux, ses bras se tendant vers le ciel.
« Jisung, dit alors Minho en attrapant son bras. Viens, on va les contourner.
- Attend. »
Jisung est attiré par cette femme qui semble avoir connu le commencement du monde. Il n'entend pas ce qu'elle dit mais il veut savoir. Ses pieds avancent tout seul vers la foule et il se fraie un chemin jusqu'à atteindre le promontoire, un Minho inquiet sur les talons qui l'appelle encore pour lui faire rebrousser chemin. Mais c'est trop tard, Jisung est arrivé devant la femme. Il entend ses mots si durs qui viennent se figer dans son cœur comme des pics de glaces.
« Ils seront punis ! vocifère la femme. Dieu les enverra en enfers rejoindre leurs confrères les démons. »
C'est là qu'il remarque les drapeaux aux couleurs de l'arc-en-ciel barrés de croix noir et un grand frisson le prend. Jisung est trop sensible. Il prend tout comme une agression.
« Hyung ? » appelle-t-il par réflexe.
Sa main tâte le vide, cherchant celle de Minho qu'il ne trouve pas. Autour de lui les gens applaudissent, crient leurs slogans remplie de méchanceté, lancent insultes et injures à l'encontre de ces "dégénérés de la société".
Et ça le frappe.
Felix, son rayon de soleil de meilleur ami qui ne ferait pas de mal à une mouche : dégénéré.
Hyunjin, un danseur exceptionnel qui aime un peu trop ses amis : dégénéré.
Chan qui donnerait tout pour ses amis : dégénéré.
Lui, Jisung, qui aime Minho un peu trop fort : dégénéré.
Contrairement à la plupart des gens de son âge, il ne s'était jusqu'à présent jamais posé la question. De toute façon il ne pensait pas que quelqu'un pourrait l'aimer un jour ou que lui serait capable d'aimer quelqu'un, alors elle ne se posait pas la fameuse question.
Il tremble et il n'a rien sur quoi se raccrocher. Le fleuve est plein de remous, la marée humaine le bouscule, les arbres sont dénués de fleurs, il n'y a plus rien du tout.
« Jisung ! »
Les yeux de Minho se plantent dans les siens comme plus tôt, mais cette fois il ne détourne pas le regard. Il n'y lit plus de l'inquiétude mais une sombre détermination alors qu'il articule ces mots :
« Ces gens ont tort.
- Je- Je n'avais pas conscience, bredouille Jisung.
- Tu n'en as pas besoin. Ce n'est pas eux qui connaissent ta vie et tes envies. Jisung écoute moi. Ils ont tort. Tous. »
Les gens autour d'eux commencent à remarquer leur petit manège et les regards qui se posent sur eux sont pareil à des langues de feu.
« Minho, » gémit-il.
Il le supplie du regard de faire quelque chose, n'importe quoi, tant qu'il peut se concentrer sur autre chose que les vociférations de la vieille femme et des regardes brûlants des gens autour d'eux.
Les yeux de Minho sont noirs, si noirs, alors qu'ils sont toujours plantés dans ceux de Jisung. Ceux de Jisung qui s'emplissent peu à peu de larmes.
Il se prend toute la haine du monde en pleine face, comme ça, sans prévenir, alors qu'il prend conscience au même moment de quelque chose de bien trop important pour lui, c'est trop. Bien trop.
Les mains du roux, jusqu'à présent sur ses épaules, migrent jusqu'à ses joues et maintenant ils sont deux à paniquer. La foule devient un peu plus silencieuse. Leurs yeux écarquillés se fixent sans comprendre.
Pourquoi ? Pourquoi maintenant ?
Et Minho laisse échapper un juron et ses lèvres viennent s'abattrent sur celles de Jisung.
Et la tempête éclate.
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