CHAPITRE 45 : UNE JOURNÉE... LUI ET MOI ? (Et mon stalkeur)
🦢
T H E R A S Y A
CERCLE
15 H 30
Il fouille...
Sans s'arrêter.
Chaque tiroir qu'il ouvre claque comme une détonation dans la pièce. Le bruit résonne et me prend à la gorge. Mes jambes flanchent, un frisson glacé me traverse. Mon cœur s'emballe. Il est prêt à éclater.
Le voir ainsi me terrifie.
Il va me détester... Je le sais.
Je cherche son regard, mais il est plongé sur les milliers de dossiers qu'il a ouverts à plat sur le bureau.
Je me dirige vers une étagère en essayant de me concentrer. Mes doigts parcourent les dossiers entassés à la recherche de quelque chose, une réponse sur son vrai père, juste un indice. Peu importe quoi, tant que ça me donne une raison de vivre encore quelques heures.
Je tire un vieux classeur poussiéreux et commence à le feuilleter à la va-vite, mais les mots dansent sous mes yeux. Impossible de me concentrer. Tout ce que j'entends, c'est son souffle irrégulier derrière moi et le bruit sourd de ses gestes brusques.
— Qu'est-ce que vous faites là ? lança une voix depuis la porte.
Je relève brusquement la tête et aperçois Jared dans l'encadrement, son regard rempli d'incompréhension. Il nous fixe, d'abord moi, puis Kyle, qui continue de foutre un bordel monstre dans le bureau, totalement indifférent à la présence du neveu de John.
— Jared ? l'interrogeai-je, surprise de le revoir encore dans ces lieux. Qu'est-ce que tu fais ici ? Ne me dis pas que tu travailles encore pour cette organisation ?
Il baisse les yeux, mal à l'aise. Il me fait tellement de la peine... C'est juste adolescent qui voit sa vie se dégrader par les choix de son oncle.
La mort John ne semble pas trop l'affecter
— Je voulais juste récupérer des affaires, répondit-il en haussant légèrement les épaules. Après la mort de John, Harvey m'a proposé de vivre chez lui pour un temps... jusqu'à ce que je sache quoi faire de ma vie.
Je hoche doucement la tête. Mon cœur se serre, mais pour une fois, c'est de soulagement pour Jared. Harvey a pris la responsabilité de l'aider. Ça me rassure. Je voyais mal Kyle s'occuper de lui sans lui hurler dessus.
Ce dernier relève enfin la tête vers Jared, et ses traits se figent. Son visage est dur, tendu. La colère qui bout en lui est presque palpable. Il est sur le point d'exploser.
— John t'a dit qu'il me devait des informations ? lâcha-t-il d'une voix sèche.
Je me mets instinctivement entre eux, jonglant mon regard entre l'adolescent et le mercenaire.
— J'ai su la veille de sa mort ce qu'il t'avait promis, Kyle, et je...
— Ils sont où ? Les dossiers qui parlent de mon père, ils sont où ?
— Écoute, je comprends ta frustration, balbutia Jared. Mais il... Il t'a menti, Kyle. Je suis désolé.
Kyle serre les poings, sa mâchoire crispée. Il fixe Jared comme si ses mots n'étaient qu'une autre trahison.
Encore et toujours déçue des autres.
Je pose doucement une main sur le bras de Kyle, essayant d'apaiser la tempête qui gronde en lui.
— Kyle... il n'y a peut-être rien ici, murmurai-je, espérant qu'il m'entende. Mais si John t'a menti, on trouvera une autre piste. Ça ne peut pas s'arrêter là.
Il ne répond pas, ses yeux toujours rivés sur Jared, mais je sens ses muscles se contracter sous ma main.
Jared déglutit difficilement, évitant le regard de Kyle. Il finit par lâcher, d'une voix hésitante :
— De ce qu'il m'a dit, il n'a jamais eu l'intention de t'apporter des réponses. Pour lui... tu faisais juste ce qu'il voulait que tu fasses, quitte à jouer avec ton mental pour te manipuler.
Le silence qui suit est pesant, glacial. Kyle s'avance d'un pas vers Jared de manière menaçante sans même avoir besoin de dire un mot.
— Et tout l'argent ? gronda-t-il. Tout ce que je me suis tué à lui donner en échange de réponses ?!
Jared recule d'un pas, ses mains se lèvent automatiquement pour essayer d'apaiser la tension.
— C'était... c'était juste un de ses jeux stupides, Kyle, avoua-t-il avec difficulté. Il n'a jamais voulu t'aider.
Je vois Kyle vaciller, juste une fraction de seconde, ses mots viennent de lui porter un coup qu'il ne peut pas esquiver. Mais il reprend rapidement son masque de colère. Ses yeux, désormais sombres et orageux, fixent Jared avec une intensité insoutenable.
— Un jeu ? répéta le mercenaire. Toute ma vie... c'était qu'un putain de jeu pour lui ? Comme pour les autres ?
Je m'interpose doucement, plaçant une main sur son torse, essayant de lui rappeler ma présence.
— Kyle, ce qu'il t'a fait est impardonnable, mais perdre ton calme maintenant ne changera rien. Si on doit découvrir la vérité, ce ne sera pas ici, et ce ne sera pas sur Jared que tu dois passer ta colère.
Je ne sais pas s'il m'écoute vraiment, mais au moins il ne bouge plus. Il est tendu sur place. Jared en profite pour s'éclipser avant que la situation n'empire. Kyle souffle de frustration, puis plante son regard dans le mien.
— Si je peux faire quoi que ce soit... marmonnai-je, mais il me coupe aussitôt.
— Tu sais quoi, Tara ? Peut-être que ça valait mieux.
Je cligne des yeux, prise au dépourvu par ses mots.
— Peut-être que la vérité aurait été pire que le mensonge. Peut-être que je n'aurais pas supporté de savoir.
Son ton est dur, mais il y a autre chose, quelque chose que je n'ai pas l'habitude d'entendre chez lui : une forme de résignation.
— Tu es sûr de toi ?
Il rit, un rire sans joie, presque cynique.
— Toute ma putain de vie, j'ai cherché des réponses. Chaque fois que je pensais les trouver, c'était un autre mensonge. Une autre manipulation.
Il fait un pas vers moi.
— Maintenant... je ne sais même pas si je veux vraiment savoir. Peut-être que ça me tuerait.
Ses mots me frappent, parce qu'ils sonnent terriblement sincères. Je hoche doucement la tête, sans être sûre de ce que je devrais dire.
— Je comprends, dis-je finalement, d'une voix calme. La vérité... elle est souvent plus dure à accepter qu'on ne l'imagine.
Je plonge mes yeux dans les siens avant de détourner le regard vers la porte. Mais alors que mon pied franchit le seuil, sa voix grave brise le silence.
— Pardonne-moi.
Je m'arrête net, figée. Lentement, je me retourne pour lui faire face.
— Quoi ?
Il se tient immobile avec les poings serrés. Il a l'air d'un homme sur le point de s'écrouler.
— Pardonne-moi, répéta-t-il. Pour tout ce que j'ai pu te faire.
Je reste silencieuse, le souffle coupé, alors qu'il continue, chaque mot semblant lui arracher un morceau de lui-même.
— Pardonne-moi... pour t'avoir menacée. Pardonne-moi d'avoir joué avec tes traumatismes. Pardonne-moi d'avoir mêlé Maddison à tout ça.
Sa voix se brise légèrement, mais il ne s'arrête pas.
— Pardonne-moi... de t'avoir rendue malade...mentalement.
Il inspire profondément, les yeux baissés, avant de lâcher ce dernier aveu :
— Pardonne-moi pour tout.
Je sens mon cœur se serrer si fort que j'en ai mal physiquement. Je ne sais pas quoi dire, quoi penser.
— Le pardon est quelque chose de précieux pour moi, dit-il finalement. Je te l'ai déjà dit, je n'attends pas à ce que tu me pardonnes, honnêtement.
Il baisse légèrement les yeux, presque honteux, avant de continuer :
— Mais je veux être en paix avec ma conscience... parce que... je regrette.
Je le regarde un instant, puis je murmure doucement, comme si mes mots allaient briser quelque chose entre nous :
— Le pardon viendra avec le temps. Je ne peux pas te promettre d'oublier tout ça si facilement.
Il hoche la tête, le regard perdu dans le vide. Un silence s'installe, il est lourd, insupportable. J'ai envie que le sol s'ouvre et m'avale. Je n'aime pas cette situation. Je cherche quelque chose à dire, à faire, pour dissiper cette tension.
— Est-ce que... tu veux boire un café avec moi ? dis-je par sans trop réfléchir.
Il relève brusquement la tête, les sourcils froncés, comme s'il n'était pas sûr d'avoir bien entendu.
— Euh, pourquoi pas.
Un sourire furtif me traverse les lèvres, et je reprends :
— Je t'invite. Enfin, pas vraiment. Je te guide jusqu'au café, mais c'est toi qui payes. Je compte sur toi pour sortir la carte bancaire.
Je vois un mini sourire se dessiner sur ses lèvres, un sourire à peine perceptible, mais il est là. Ça me suffit. Tant que j'arrive à lui changer les idées, c'est tout ce qui compte.
******
BLUE BOTTLE COFFEE
— Est-ce que vous avez décidé ? nous demanda une serveuse, son carnet prêt à noter.
Je tourne la tête vers Kyle, qui fixe toujours le menu devant lui. Ses yeux parcourent les lignes comme s'il essayait de déchiffrer un texte en langue étrangère. Il fronce légèrement les sourcils, passe à la page suivante, puis revient à la première. Ainsi de suite.
Je retiens un sourire en le voyant aussi hésitant. Ça change complètement de son attitude habituelle, sûre et autoritaire.
— Ok, laisse-moi faire, réclamai-je.
Il me regarde, méfiant.
— Sérieusement, fais-moi confiance, ajoutai-je. Je te promets que tu ne regretteras pas.
Après une seconde d'hésitation, il finit par hocher la tête, résigné.
— Deux cafés noisettes et deux croissants aux chocolats, s'il vous plaît.
Elle hoche la tête, note rapidement notre commande et s'éloigne.
Je sens le regard perçant de Kyle posé sur moi. Je tourne la tête et le trouve en train de me fixer, les sourcils levés.
— Encore un croissant... lâcha-t-il.
— Quoi ? répondis-je innocemment. Tu les as bien aimés, ceux qui devaient être pour Eden. Non ?
Il lève les yeux au ciel avant d'ajuster sa chaise en s'installant plus confortablement.
— C'est dingue quand même, repris-je après une pause. Tu es censé être le mercenaire le plus redouté au monde... mais ici, personne ne te fuit ou n'appelle la police.
Il hausse les épaules, l'air détaché.
— Je dirige quelques endroits de New York. Certains flics sont de mon côté. Ils savent très bien que je me tire de chaque affaire.
— Je le sais, dis-je en croisant les bras. C'est Oliver qui t'a donné ces droits. Et dire que mon patron t'as fourni mes données personnelles pour que tu m'atteignes...
— Et oui, dit-il en esquissant un sourire. Au final, avoir la commandante de Manhattan sous le bras, ce n'est pas si mal.
Je plisse les yeux, le toisant avec mépris.
— Tu rêves si tu crois que je vais t'aider dans tes affaires, pestai-je, une pointe d'agacement dans la voix.
Il glousse légèrement et se met à fixer le pot de fleurs posé au centre de la table.
— Entre nous, dit-il en relevant la tête, un éclat provocateur dans les yeux, on sait tous les deux que ton poste en tant que commandante n'est qu'une fraude. Et Oliver le sait très bien.
Je reste figée, son regard se plante dans le mien.
— Tu as 21 ans, reprit-il en arquant un sourcil. C'est vraiment compliqué d'arriver où tu en es, surtout dans un poste comme celui-là.
— Il faut croire que j'ai eu de bons professeurs, rétorquai-je en soutenant son regard. J'ai suivi un programme intensif en criminologie, droit et psychologie.
Il laisse échapper un gloussement, mais je sens qu'il n'est pas vraiment amusé.
— Intensif, hein ? dit-il en appuyant sur le mot. Ou bien un petit coup de pouce d'Oliver pour te propulser là où il avait besoin de toi ?
Je serre les dents. Il sait exactement comment me provoquer, mais je refuse de lui donner la satisfaction d'une réaction.
— Je ne dois rien à Oliver, dis-je froidement. Tout ce que j'ai, je l'ai mérité.
— Bien sûr, murmura-t-il en s'adossant à sa chaise. Mais tu sais aussi bien que moi que dans ce monde, on n'arrive jamais au sommet sans faire de concessions. Quelles concessions tu as faites ?
Je détourne les yeux un instant.
Il va le savoir...
Ils le sauront tous...
— Celles que je devais faire pour survivre, répondis-je finalement, ma voix calme mais ferme. Et toi, Kyle ? Qu'est-ce que tu as sacrifié pour devenir ce que tu es aujourd'hui ?
Il reste silencieux, son sourire s'évanouissant lentement, remplacé par une expression plus dure, presque douloureuse.
— Tout, finit-il par dire. J'ai tout sacrifié.
Au même moment, la serveuse arrive avec un sourire en déposant les deux cafés noisette et les croissants au chocolat sur la table.
— Et voilà pour vous ! dit-elle joyeusement en ajustant les tasses. Bon appétit !
— Merci, murmura Kyle.
Je remercie la serveuse d'un sourire poli avant de poser les yeux sur Kyle. Il fixe son café.
— Surtout étouffe toi, lançai-je en souriant. Avec tout mon amour pour toi.
Je suis soulagée que la serveuse ait rompu cette discussion. Un instant, j'ai eu l'impression que tout était suspendu, comme si Kyle avait vu à travers moi. Je n'ai pas envie qu'il mette son nez dans cette histoire, dans ma vie. La raison pour laquelle j'ai obtenu ce poste aussi rapidement est un secret, un de ceux qu'il vaut mieux garder enterré. Si ça venait à sortir, tout ce que j'ai construit risquerait de s'effondrer.
Il est le dernier à devoir savoir.
Si quelqu'un d'autre venait à découvrir, je perdrais toute crédibilité. Les regards changeraient, et je ne serais plus jamais prise au sérieux.
— Tu ne manges pas ? me fait-il remarqué.
Je secoue la tête pour chasser mes pensées et attrape mon croissant avec un sourire forcé.
— Si, si, ne t'inquiète pas. J'étais juste... ailleurs, répondis-je en mordant dedans pour appuyer mes paroles.
Je fais de mon mieux pour paraître détendue même s'il me fixe avec insistance.
— Tu réfléchis beaucoup pour quelqu'un qui prétend être tranquille, dit-il finalement.
Je lève les yeux vers lui, essayant de camoufler mon anxiété derrière ce sourire.
— Peut-être que je réfléchis à comment te faire payer ce café.
Il éclate d'un rire bref, surpris par ma réponse.
— Ah, c'est comme ça ? Tu veux me ruiner ?
— On appelle ça de la justice, répliquai-je, retrouvant un peu de mon aplomb.
Il secoue doucement la tête avec ce sourire accroché à ses lèvres.
— Tu es marrante quand tu veux.
Je lève les yeux au ciel, mais intérieurement, je suis soulagée. L'atmosphère s'est adoucie, et la conversation coule naturellement.
Je prends une gorgée de mon café et savoure la chaleur qui se diffuse dans ma poitrine. Bien qu'elle soit brûlante, ça me permet de penser à autre chose.
— Alors, verdict ? dis-je en désignant son croissant du menton.
Il relève les yeux vers moi, prenant un instant avant de répondre.
— Pas mal. Mais t'emballe pas, j'ai connu mieux.
— Ah oui ?
— Tes pancakes.
Je le fixe, abasourdie. Je sens mes joues rougir bêtement.
Craque pas.
Il le fait exprès !
— Oh... Merci. Si tu veux apprendre à en faire, il suffit juste...
— Et par "excellents", j'entends bien sûr "une arme de destruction massive".
Je le dévisage, indignée, tandis qu'il retient difficilement son sourire au coin. Ça lui fait rire, en plus. Ce con.
— Tu sais quoi ? J'ai vraiment hâte de te ruiner, au point que tu finisses à découvert. Peut-être que ça te fera retourner en prison, proclamai-je.
— Je pense que je m'en sortirai.
Je laisse échapper un soupir. Pourtant, cette légèreté me fait du bien. Il continue de grignoter tranquillement, mais son regard s'attarde sur mon assiette vide.
— T'as déjà tout fini ? Tu manges vite.
Je hausse les épaules avec nonchalance. Il esquisse un sourire et se redresse, sortant sa carte bancaire de sa poche.
— Prends-la pour payer, réclama-t-il.
— Je t'ai dit que je t'invite, ripostai-je. Je voulais te faire changer les idées, alors laisse-moi payer, je te le demande.
Il s'arrête puis replonge ses yeux dans les miens et me dit d'un ton ferme :
— Non. Je t'ai dit que je voulais ton pardon. Alors, laisse-moi agir.
Il ne me laisse même pas le temps de protester qu'il va déjà en caisse payer.
Je croise les bras en l'observant de loin. Une partie de moi admire sa ténacité, mais l'autre bouillonne à l'idée qu'il ignore ce que je voulais faire.
Il revient finalement, la carte dans la poche, avec ce petit air satisfait qui me fait lever les yeux au ciel.
— Tu es vraiment impossible, tu le sais ça ? lançai-je, faussement agacée.
— Peut-être. Mais tu devrais être contente : tu n'as rien dépensé.
Je soupire et attrape mon sac à main.
— Un jour, je trouverai une façon de te rendre la pareille.
— Bonne chance, rétorqua-t-il. Je gagne toujours. Surtout quand il s'agit de faire les choses bien avec toi.
*******
CIMETIÈRE
18 H 25
Le cimetière est baigné dans une lumière douce, le soleil se couche lentement à l'horizon, colorant le ciel d'une teinte orangée. L'air est calme, seulement perturbé par le léger mouvement des branches des saules pleureurs, qui bruissent doucement sous la caresse du vent. Le ciel est dégagé, il n'y a pas un nuage.
Nous marchons côte à côte, avançant sans hâte, sans vraiment chercher à aller quelque part. Kyle reste silencieux, ses mains profondément enfoncées dans les poches de sa veste. De mon côté, mes yeux glissent sur les vieilles pierres tombales, parfois attirées par les noms gravés dessus.
— Tu viens souvent ici ? finit-il par demander.
— De temps en temps, répondis-je presque dans un souffle, quand j'ai besoin de réfléchir.
Il hoche la tête, sans ajouter un mot, ses yeux suivant les allées couvertes de tombes. Mes yeux se posent sur une tombe particulière, une que je connais trop bien. Mon cœur se serre. Je m'arrête finalement devant elle.
Kyle s'immobilise juste derrière moi, sans dire un mot. Mes yeux restent figés sur les fleurs récemment déposées. Puis, lentement, je me baisse, déplaçant délicatement le bouquet pour dévoiler la gravure qui se cache derrière : Irina West.
Mes doigts glissent sur la pierre froide, une douleur sourde envahit ma poitrine, mais je reste silencieuse. Je ne dis rien, mais mon absence de mots semble tout dire.
Je prends une profonde inspiration avant de commencer à frotter doucement la pierre tombale, chassant la poussière qui s'y est déposée. Mes gestes sont lents, presque machinales. J'ai toujours fait ça. Toujours.
Depuis qu'elle est parti...
Et je n'ai pas pu la venger de son véritable meurtrier...
Je frotte de plus en plus fort comme si je pouvais effacer la douleur, l'atténuer. Mais bien sûr, ça ne marche pas. La douleur reste.
Je ne sais pas combien de temps je passe ainsi, absorbée par cette tâche. Je suis tellement concentrée sur ce geste, presque en quête de réconfort, que je ne remarque pas tout de suite que Kyle s'est éloigné.
Je l'entends revenir derrière moi. Un bruit léger, comme des feuilles frémissant sous ses doigts, m'avertit qu'il ne revient pas les mains vides.
Quand je me relève, je le vois, tenant délicatement un bouquet de roses blanches, soigneusement arrangées. Il le dépose lentement sur la pierre tombale, juste à côté des fleurs fanées. Je le regarde sans rien dire.
Il se tient là, à quelques pas de moi, sans un mot, mais d'une manière ou d'une autre, ces fleurs semblent apporter une forme de paix, une sorte de respect que je n'aurais pas su exprimer autrement.
— Merci, marmonnai-je comme le seul mot que j'étais capable de dire.
— C'est la moindre des choses.
Nous marchons silencieusement sur un pont au dessus d'un lac où les cygnes glissent paisiblement sur l'eau. Le ciel, désormais orange et rose, annonce la fin de la journée. L'air est calme, frais, et les arbres autour de nous bougent doucement dans la brise.
— La première fois que Maddison m'a fait goûté des huîtres, j'ai fini malade pendant deux semaines, avouai-je.
Je n'oublierai jamais ce souvenir.
Les toilettes aussi n'oublieront jamais.
Je les ai squatter pendant des heures et des heures.
Il glousse avant de me répondre :
— La première fois qu'Eden m'a fait manger des poulpes, j'ai cru y passé aussi, me confia Kyle.
— Peut-être que c'est un signe qu'on devrait laisser tomber les fruits de mer, dis-je avec légèreté.
— Ou laisser tomber Maddison et Eden tout court.
Je le fixe un moment, incrédule.
Quel imbécile.
Nous nous arrêtons, fascinés par la beauté des cygnes. Leur calme contraste avec la lumière chaude du soleil qui se couche derrière nous.
— Quand je vivais dans le manoir de mon beau-père en Russie, il avait des cygnes noirs dans son lac. dit-il soudain, les yeux fixés sur l'eau. C'était une obsession pour lui, ces animaux.
Je le regarde, intriguée.
— Ma mère aussi adore les cygnes noirs. À Émeraude, il y en a pas mal.
Soudain, une question trotte dans ma tête.
— Et toi, ton obsession, à part moi, c'est quoi ?
Un rictus mauvais s'empare de son visage. Je sais qu'il va sortir une connerie.
— Avoir des cimetières en mon nom. La preuve, regarde là-bas.
Il pointe un portail un peu plus loin. Mes yeux suivent son doigt, et je tombe sur une inscription gravée en lettres imposantes : KYLE VOLKOV.
Mes yeux clignotent comme si je rêvais. Ce n'était pas une blague en plus...
— Sérieusement ?
Il hausse les épaules de manière à paraitre faussement innocent.
— Ce n'est pas de ma faute si je suis célèbre même sous terre.
Je secoue la tête, exaspérée.
— Tu sais vraiment pas comment te comporter normalement, hein ?
— Si je savais, tu t'ennuierais, répliqua-t-il avec ce rictus mauvais qui le rend insupportable.
Je le regarde de manière désemparée. En une fraction de seconde, il reprend son air sérieux. Il racle sa gorge avant de m'avouer :
— Sinon... Quand j'étais gosse, j'aimais bien les corbeaux.
Est-ce la véritable réponse à ma question ? Je n'aurai jamais pensé à ce type de réponse de sa part.
— Les corbeaux ? répétai-je, légèrement surprise.
— Ouais. Je jouais souvent avec eux dehors, quand j'étais seul.
Je baisse les yeux vers l'eau où un cygne noir apparaît soudain, se frayant un chemin parmi les blancs. Si Kyle aimait temps jouer avec des corbeaux, cela expliquerait son tatouage sur son épaule. Mais pourquoi avoir tatoué mon pendentif avec ce corbeau ?
— Quand j'étais petite, il y avait un corbeau qui se posait toujours sur le rebord de ma fenêtre. Chaque matin, chaque soir, il était présent, confiai-je. C'était quand même frustrant parce qu'il me collait beaucoup.
— Et tu penses que c'était le hasard ? lança-t-il d'un ton absent.
Son ton a changé rapidement. Il est plus distant, comme s'il avait autre chose en tête, mais je ne comprends pas ce qui le tracasse. J'essaie de l'observer discrètement, mais il évite mon regard, fixant l'horizon, perdu dans ses pensées. Je me demande ce qui se cache derrière cette attitude étrange, mais je n'ai pas envie de poser trop de questions, je sais qu'il n'aime pas ça.
— Je pense, oui, répondis-je finalement, essayant de détendre l'atmosphère, mais quelque chose dans ma voix trahit mes doutes. C'était juste un corbeau, après tout.
Puis, tout à coup, quelque chose attire mon attention. Derrière un arbre, il y a un homme avec une capuche qui tient une arme dans ses mains. Malgré la distance, j'arrive à apercevoir que l'arme nous pointe tout les deux.
Il va te tirer dessus...
Je vais me tirer dessus...
Il va nous tuer...
Je vais nous tuer...
— ATTENTION ! criai-je.
Je tire Kyle vers le bas, sans réfléchir.
Il se laisse faire, mais me regarde avec un air complètement perdu.
— Mais qu'est-ce qui t'arrive ?
Je me redresse en cherchant l'homme du regard. Mais il n'y a rien. L'arbre est vide. Rien du tout. Je balaye la zone, mais je ne vois personne.
Kyle se relève lentement, un peu plus calme mais toujours confus.
— Je... Je comprends pas. J'ai vu un homme avec une arme.
— Mais il n'y a personne, dit-il, en balayant la zone du regard. Tu as peut-être mal interprété ?
Je me mords la lèvre. J'ai l'impression de me perdre dans cette confusion.
— Je... je suis sûre, Kyle il était derrière cet arbre ! dis-je en lui pointant du doigt l'arbre en question.
Il se retourne, ses yeux suivent la trajectoire de mon doigt. Il me regarde longuement, sans dire un mot. Je passe nerveusement ma main dans mes cheveux, essayant de reprendre mes esprits.
Je l'ai vue.
Il va te tuer...
Il est la pour toi...
Je tourne la tête dans tous les sens pour voir qui est ce qui prononce ses mots. Je ferme brusquement les yeux et protège mes oreilles avec mes mains pour stopper ses voix. Je suis totalement déséquilibrer. Kyle comprend dans quel état je suis car il me regarde avec pitié. Cette façon de me prendre pour une enfant souffrante. Je déteste ça.
Schizophrène...
Personne comprendra.
— C'est pas grave, dit-il après un moment. Je vais te déposer chez toi.
Cette sensation me ronge, mais je ne sais pas comment l'expliquer. Je sais ce que j'ai vue...
Non tu ne sais pas...
Il était pas là.
Tu as tout inventé.
Ça ne va jamais cesser.
*******
MAISON
Je m'arrête devant ma porte avec Kyle. Je cherche mes clés dans mon sac, mais mes mains tremblent encore. L'épisode de tout à l'heure tourne en boucle dans ma tête. Mes clés glissent de mes doigts et tombent au sol avec un bruit sec qui résonne dans le calme du soir. Avant que j'aie le temps de me pencher, Kyle les ramasse déjà.
Je le remercie doucement tandis qu'il ouvre la porte pour moi. Une fois à l'intérieur, je remarque qu'il reste immobile sur le seuil.
— Tu n'entres pas ? demandai-je, intriguée.
— Je pense qu'on a eu notre dose pour aujourd'hui, dit-il en haussant légèrement les épaules. Repose toi.
Je lui adresse un petit sourire en guise de réponse. Cette journée était bien différente de toutes celles qu'on avait passées ensemble jusque-là. Sans une mission à accomplir.
— Tu as raison, répondis-je. On a eu notre dose pour la journée.
Je continue de me repasser cette scène de torture dans ma tête quand je le vois arriver lentement vers moi.
— Mais si tu...enfin... Si tu as be-besoin de quoi que ce soit. Je-je suis là.
Je me raidis sur place. Son bégaiement m'étonne. Il ne cesse de regarder mon visage ce qui me met mal à l'aise. C'est comme s'il me regardait pour la première fois, comme si j'étais la seule personne sur terre. Mon souffle se coupe, et je sens mes mains devenir moites.
— Je vais essayer de dormir. Je me sens fatigué, dis-je comme excuse.
Mon cœur bat si fort que j'ai l'impression qu'il peut l'entendre. Son regard s'attarde sur mes yeux, puis glisse lentement jusqu'à mes lèvres avant de revenir se plonger dans mes iris.
Je veux parler, dire quelque chose, mais aucun mot ne sort. Il s'approche encore, doucement, tellement doucement que c'en est insupportable. Sa main se met à effleurer à peine mon poignet, ce qui me procure un frisson dans tout mon corps.
— Ça marche, marmonna-t-il.
Mon souffle se mêle au sien. Ses lèvres s'approchent, millimètre par millimètre, si lentement que je pourrais compter les secondes. Mon esprit est un tourbillon de questions, mais mon corps refuse de s'écarter. Même si je sais que nous allons commettre cet erreur à nouveau. Puis, à la dernière seconde, juste avant que nos lèvres ne se rapprochent, la voix de Maddy se fait entendre.
— ENFIN TU ES LÀ !
Kyle et moi reculons brusquement.
— Oh... Je dérangeais ? reprit-elle en fixant notre malaise.
— Non, non. Kyle allait s'en aller, déclarai-je sans même le regarder.
La situation est déjà assez gênante comme ça. Je souris à mon amie qui me dévisage. Maddy n'est pas stupide, elle a très bien compris ce qu'on faisait. Pour éviter tout son interrogatoire, je tire le bras de Kyle et l'entraîne vers la porte.
— Merci pour les fleurs, Kyle. Rentre bien, lui murmurai-je en espérant que Maddy ne nous écoute pas.
— Dors bien.
Après un moment qui paraît durer une éternité, il se détourne et disparaît dans la nuit. Je referme la porte derrière lui, le cœur battant encore trop vite. Ma main reste un instant posé sur la poignée de la porte. Je relève la tête et croise Maddy, immobile, bras croisés, avec un sourire si large qu'il en devient presque insupportable.
— "Merci pour les fleurs", répéta-t-elle avec un sourire en coin.
— Il a déposé des fleurs sur la tombe d'Irina, expliquai-je en arquant un sourcil.
— Tu sais, loin de moi l'idée de me mêler de ce qui ne me regarde pas, mais...
— Tu le fais déjà, je te signale, répondis-je entre mes dents.
— Peu importe, continua-t-elle, imperturbable. Quand on fait la paix avec quelqu'un, on évite de l'embrasser le jour même.
J'ouvre la bouche, cherchant désespérément quelque chose à répondre, mais rien ne me vient. Elle me défie avec ce sourire qui en dit long. Elle avait marqué un point. Maddy, 1 – Tara, 0.
— Sinon, j'ai eu envie de faire des huîtres aujourd'hui. Si tu en veux, elles sont encore dans la...
Instinctivement, je lève la main pour l'interrompre.
— NON ! Non merci.
— Tu es sûre ? Je les ai vraiment bien réussies cette fois !
— Moi et ma digestion sommes sur la même longueur d'onde. Je vais aller me coucher.
Elle me lance un regard interrogateur que je préfère éviter à tout prix. Alors je tourne les talons avant qu'elle ne puisse ajouter quoi que ce soit.
Je referme la porte de ma chambre derrière moi. La lumière tamisée de la pièce m'apporte un certain réconfort. Ça fait longtemps que je n'avais pas remis un pied dans ma chambre alors que beaucoup de personne ne quitterait leur chambre pour rien au monde.
Moi je la fuis quand je suis seul.
Je déteste dormir seul. Je déteste ressentir les mains de cet homme sur moi quand je n'avais que 9 ans et qui disait que c'était juste pour m'aider à dormir.
J'enfile rapidement un pyjama confortable, puis je me dirige vers ma table de chevet pour retirer mon collier.
Elle est morte...
Elle est morte...
Elle est morte...
Je serre la mâchoire, tentant de faire abstraction.
Tout est de ta faute... Elle est morte à cause de toi.
Les voix ne s'arrêtent jamais vraiment. Parfois, elles sont plus faibles, presque faciles à ignorer. Mais ce soir, elles s'accrochent. Elles me condamnent. Je me force à respirer profondément, mes doigts sont crispés sur le collier autour de mon cou.
Bienvenue dans mon cauchemars.
Alors que mes doigts effleurent le fermoir, un bruit fracassant éclate dans le silence. Tout s'arrête dans ma tête. Un calme terrifiant. Une pierre vient de traverser la fenêtre, projetant des éclats de verre sur le sol. Je reste immobile, le souffle court, luttant pour comprendre ce qui vient de se passer.
Je m'avance lentement vers la fenêtre brisée et me baisse pour ramasser la pierre. Elle est froide et lourde, mais ce n'est pas ce qui me fait frémir. Une substance poisseuse la recouvre. Mon estomac se serre. C'est du sang.
Un mot tracé avec ce même liquide attire mon attention. Mon sang se glace lorsque je lis ce qui y est écrit :
"Je te tuerai."
Une sueur froide coule dans mon dos. Je déglutis difficilement et mon regard se porte instinctivement vers la fenêtre brisée.
Quand mes yeux s'habituent à l'obscurité de la nuit, je distingue une silhouette immobile en bas, juste en face de ma maison. Un homme avec une capuche noire sur la tête reste debout devant moi.
Que me veut-il ?
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On arrive bientôt à la fin du Tome 1
Ça me rend sad 🥲
Mais il le faut !
Si vous savez qui est le stalker, je suis à votre écoute 👀
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