D'abord un énorme merci pour vos commentaires ! Ainsi que vos votes, merci de rendre ce projet qui me tient à coeur possible et de l'aimer autant que je l'aime 🤍

Bonne lecture 🩸

T H E R A S Y A

Le visage de John est pâle, mais ses yeux brillent encore de colère. Il serre les dents et son souffle saccadé trahis la souffrance qui lui déchire les nerfs. De l'autre côté, Jared garde la tête baissée et tremble comme une feuille. Il évite soigneusement mon regard, comme si le moindre contact visuel pouvait sceller son sort.

— Je n'ai rien à te dire, grogna John, sa voix déformée par la douleur.

Je commence à faire les cent pas, faisant tourner la lame entre mes doigts, le sang encore frais de John perle sur la pointe.

— Où est Maddy et la statue ? demandai-je d'une voix calme mais tranchante.

Il redresse un peu la tête.

— Sale créature ! Je l'ai toujours dit...J'ai toujours dit à Kyle qu'il aurait du te tuer quand il en avait l'occasion ! crache-t-il, sa rage surpassant sa douleur.

Je m'arrête net, un sourire sarcastique étire mes lèvres.

— Tu parles beaucoup pour un vieux qui n'a plus ses mains, répondis-je, mon regard planté dans le sien.

Je m'approche lentement de son bureau. Un verre de vodka trône près de lui, à moitié plein. Je le pris sans détourner les yeux de lui.

— Ouh... Pas de mains, pas de vodka, lançai-je en buvant une gorgée.

Je m'assois sur le bord du bureau, le verre de vodka toujours dans ma main. Je fais tourner le liquide doucement, mes yeux rivés sur Jared, assis sur sa chaise. Il garde la tête baissée, évitant mon regard.

— T'as peur, Jared ? demandai-je d'un ton presque doux, suffisamment pour le forcer à relever un peu la tête.

Ses yeux croisent les miens une fraction de seconde avant qu'il ne se replie sur lui-même et se remet à fixer le sol.

— Je... Je sais rien, je te jure, Tara, balbutie-t-il, paniqué.

Je pose le verre sur le bureau avec un claquement sec, le bruit résonne dans la pièce et le fait sursauter.

— Tu sais rien ? T'es sûr de ça ?

Je me penche vers lui, mes mains appuyées sur le bureau, mes yeux plantés dans les siens.

— Parce que si je découvre que tu mens...

Il secoue rapidement la tête, comme un gosse pris en faute.

— Je mens pas ! Je voulais pas être là, ok ?! John m'a forcé, j'avais pas le choix ! Je... je n'ai rien demandé.

— Quelle honte ! grogne John soudainement, sa voix pleine de mépris. Tu ne mérites pas d'être mon neveu. C'est pour ça que ta mère t'a toujours vu comme un échec. Remercie Kyle de l'avoir tuée, au moins elle a été épargnée de voir la pitié que tu inspires. Elle aurait dû t'avorter !

Jared se fige, comme si le coup porté par les mots de John était plus violent que tout ce que j'aurais pu lui infliger physiquement.

La mort de sa mère...

Eden m'avait dit que ce n'était qu'une rumeur. Kyle n'a pas tué cette femme, elle avait tenté de l'agresser avant de provoquer sa propre fin.

John ne peut pas savoir. Mais sortir de telles horreurs à un gamin de 17 ans ? C'est...

Affreux. Horrible. Monstrueux.

Sans hésiter, je m'avance vers John. Il tente de reculer dans son fauteuil, mais il n'a nulle part où aller. Mon poing part d'un coup sec et s'écrase contre son visage.

— Ça, c'est pour avoir fait alliance avec ma folle de tante, dis-je en le regardant droit dans les yeux.

Il grogne, du sang coulant de son nez, mais je ne lui laisse pas le temps de réagir. Un deuxième coup fuse.

— Et ça, c'est pour avoir couché avec elle. Elle devrait vraiment revoir ses goûts en matière d'homme.

Il serre les dents, le regard noir, mais il ne dit rien. Je le tiens bien. Un troisième coup suit, encore plus fort que les précédents.

— Ça, c'est pour avoir forcé Kyle à me planter cette putain d'aiguille.

Son visage est déjà bien amoché, mais je ne peux pas m'arrêter là. Je le frappe une dernière fois, juste pour le plaisir.

— Et ça...C'est pour Maddy et.. Irina...

Irina...

Irina...

...Irina

Je recule doucement, le poing encore serré. L'horreur de toute à l'heure revient en flèche, me percutant en une fraction de seconde. Son corps... étendu sur mon lit, découpé sauvagement...

Ce n'était pas elle qui devait mourir.

C'était moi.

Tout ce que je touche finit brisé.

Je tourne la tête vers Jared, l'espoir mince qu'il puisse m'apporter une réponse me traverse l'esprit.

— Qui... qui a tué Irina ? demandai-je d'une voix si faible que j'avais peine à m'entendre moi-même.

Il relève lentement la tête, ses yeux croisant les miens. Mon regard déborde d'une rage que je m'efforce de contenir. Si je perds patience, je risque de tout gâcher.

— Jared... Qui a tué Irina ? répétais-je.

— Je te jure, Tara, je sais pas ! Je sais rien ! Je te l'ai dit ! supplie Jared, les larmes aux yeux, sa voix tremblant de peur et de désespoir.

Je serre les dents, mes doigts crispés autour du couteau posé sur la table.

— Irina est morte ? lance John soudainement avec un sourire qui déforme ses traits ensanglantés. Je n'ai envoyé personne pour la tuer, mais... apprendre cette nouvelle qui semble te détruire ne peut que me réjouir.

Il éclate d'un rire rauque, se moquant ouvertement.

— Qui a eu cette idée brillante ? Je me le demande.

Sa remarque m'embrase de l'intérieur. Je prends le couteau posé sur le bureau, prête à lui faire ravaler son ricanement.

— Tue-moi. Vas-y. Prends ma vie, ricane-t-il. Mais souviens-toi de ça : tu entraîneras Kyle dans la mort. Et tu seras fautive d'une autre mort.

Mes sourcils se froncent. Il m'a frappée là où ça fait mal. Ses mots ébranlent ma colère, la tordent en une étrange confusion. Est-ce que Kyle, vraiment, pourrait être victime de tout ça ? De mes erreurs, de mes failles ?

Bordel. Pourquoi ils ne sont jamais précis dans ce qu'ils disent ? Pourquoi tout le monde répète que la mort de John entrainerait celle de Kyle ?

— Dans tous les cas, il finira par ouvrir les yeux sur ce que tu es réellement. Misérable. Fragile. Sensible. Une petite chose qui se cache derrière un masque, poursuit-il. Il le sait déjà. Mais un jour, il comprendra pleinement, et crois-moi, ce sera fini pour toi.

— Ferme-la, John, sifflai-je.

— Tu crois vraiment que tu peux le changer ?

Son rire rauque déchire l'air.

— Laisse-moi te dire une chose, Petrova : cet homme est mort de l'intérieur. Il n'y a rien à sauver. Rien du tout. Il est une machine, un meurtrier, un monstre sanguinaire qui tue de sang froid et qui adore ça. 

Son regard brille d'une lueur malsaine, et chaque mot qu'il prononce enfonce la douleur un peu plus profondément.

— Il représente la fierté du Cercle. Notre plus grande réussite. Dans le monde entier, il est le seul à s'être surpassé. Son humanité est morte, et je tiens à ce qu'elle reste ainsi.

— Je n'ai jamais cherché à le sauver, rétorquai-je, d'une voix glaciale.

— Depuis que tu es là, il prend ta défense sans la moindre hésitation. Mais crois-moi, tu aurais dû être morte depuis longtemps.

Son ton s'alourdit, chacun de ses mots ressemble à une sentence.

— Tu te rappelles de cette île ? Je l'ai envoyé là-bas pour faire ses preuves auprès du Cercle. Sa mission était simple : te tuer. Éliminer le diable créé par Akira et devenir sa seule œuvre cruelle. Mais Akira t'a préféré, toi, et t'a mise sur un piédestal à sa place.

Je reste figée.

Te tuer.

Le couteau tombe de ma main, mes doigts sont incapables de le retenir. Les souvenirs m'assaillent : cette île, ces jours à survivre, Kyle toujours là, silencieux mais présent. Il m'observait sans rien dire. Akira nous interdisait de nous parler, pourtant, je sentais une sorte de connexion, comme une voix qui m'attirait vers lui. 

Et pourtant... il devait me tuer pour prouver sa valeur. Mais il ne l'a pas fait.

— Tout ce que tu crois savoir de lui n'est qu'une illusion. Les Volkov resteront fidèles au Cercle, ma jolie. 

Je recule d'un pas, ma respiration est saccadée.

Mais un bruit dans le couloir me fait figer. Des pas lourds, mesurés. Une ombre imposante s'étire sur le mur.

Kyle.

Il entre dans la pièce sans un mot, et son regard acéré balaie la scène sur les mains mutilées de John, le visage pâle et tremblant de Jared et moi.

Il s'arrête juste à l'entrée du bureau, la lumière dessinant ses traits durs et son regard glacial. Son silence est plus terrifiant que n'importe quel mot.

— C'est quoi ce bordel ? lâche-t-il enfin.

Un sourire étire les lèvres de John, malgré la douleur évidente qui perle sur son visage.

— Je disais à notre belle et précieuse Petrova que c'est soit la statue, soit la jeune Maddison. Pas les deux.

Je fais un pas en avant, prête à le réduire au silence une bonne fois pour toutes, mais Kyle s'interpose brusquement, sa main ferme attrape mon bras.

— Où est Maddison ? demande-t-il d'un ton tranchant.

Je me fige, le regardant avec incompréhension. Il est en train de choisir à ma place ? Je le fixe abasourdit. 

Qu'est-ce qui m'empêche de lui couper la langue ?

Entendre le rire grave de John me donne envie de lui arracher les cordes vocales. Il se penche légèrement en avant.

— Dis-moi où elle est, ordonne le mercenaire, d'un ton plus menaçant.

John plisse les yeux. Il s'amuse de la situation.

— Pourquoi c'est Maddison que tu t'obstines à sauver ? Une vie en vaut plus que des milliers ?

— Si tu crois que je vais te laisser jouer à ce petit jeu, tu te trompes lourdement, ripostai-je.

Je m'avance d'un pas, prête à faire taire son ricanement une bonne fois pour toutes. Mais Kyle se place une nouvelle fois devant moi.

— Tara, recule.

Je le regarde, déconcertée.

— Quoi ? Mais il se fout de notre gueule, Kyle ! Merde !

— Fais ce que je te dis et arrête de me tenir tête ! me crie-t-il.

Sa voix est aussi tranchante qu'une lame, pleine de cette autorité glaciale qu'il porte toujours.

Je souffle. Je ne contrôle plus rien. Je me mets de côté, les bras croisés, observant la scène avec la frustration d'une spectatrice. Je souhaite de tout mon coeur que John, dans toute sa grandeur, mourra d'une crise cardiaque.

Kyle se tourne lentement vers lui, ses yeux d'acier fixe l'homme avec une froideur qui ferait frémir n'importe quel autre. Mais John continue de jouer sa comédie.

— Qu'attends-tu pour lui trancher la gorge ? Lui couper la langue ? C'est ce que tu as l'habitude de faire. Pourquoi pas la pendre ? Ce serait vraiment une bonne chose. Sa voix agaçante me transperce les oreilles.

Dommage qu'il respire toujours malgré ça, ce sale enfoiré.

— Réponds à ma question, rétorque Kyle d'un ton calme. 

Il incline légèrement la tête, et dans un murmure je l'entends dire :

— Des hommes sont en chemin vers le Manhattan Bridge, explique John. La pauvre Maddison est coincée dans une malle qui va être jeté dans le grand lac.

Mon cœur rate un battement.

— Non... murmurai-je, mes yeux cherchant désespérément une contradiction dans son visage.

Il ne va pas faire ça...

Kyle s'approche de John, sa carrure imposante domine la pièce.

— Combien de temps avant qu'ils y soient ? interroge-t-il.

— Oh, ils doivent déjà être en route. Mais si tu cours, peut-être que tu arriveras à temps. Ou peut-être pas. Tic-tac, tic-tac.

Je sens le désespoir monter en moi, un tourbillon qui menace de m'engloutir. Mais Kyle, lui, reste imperturbable.

— Tara, on bouge. Maintenant, ordonne-t-il.

Je reste figée, mon esprit est complètement vide. Il ne me laisse pas le choix. Il m'attrape par le bras et m'entraîne hors de la pièce. Les mots de John tournent en boucle dans ma tête : "C'est soit la statue, soit Maddison. Pas les deux."

Mon cœur bat à tout rompre. Chaque mot de ce vieux ne cesse de me rattraper malgré moi. Maddison. La statue. Et surtout... l'île... Cette idée horrible qui s'insinue dans mon esprit.

Kyle avait été envoyé là-bas pour me tuer.

On arrive à la voiture. Il ouvre la portière du côté passager, me fait signe de monter. Je m'installe sans dire un mot. Il s'assoit à son tour, démarre en trombe, le regard fixe. L'air est lourd. Je ne tiens plus.

— Tu... Tu as été envoyé sur l'île pour me tuer ? demandai-je, ma voix faible.

Il ne répond pas tout de suite. Ses mains se crispent sur le volant.

— Tara, ce n'est pas le moment.

— Ça ne sera jamais le bon moment pour toi et moi, alors dis-le-moi ! insistai-je, ma gorge serrée par la colère et l'angoisse.

Il inspire profondément, comme s'il cherchait à contenir une explosion.

— Tu veux que je te dise ? Très bien. Oui, j'ai été envoyé sur l'île pour te tuer. Oui, j'ai dû faire mes preuves en faisant couler ton sang. Et tu veux savoir ? Je l'aurais fait, sans hésiter, sans aucun remord, si tu...

Il s'interrompt brusquement.

— Si je quoi ? demandai-je, les poings serrés sur mes genoux.

— Ça n'a aucune importance, murmure-t-il en accélérant. Maddison va être jetée dans le lac si on continue de parler.

Un silence lourd s'installe. Tout ce qu'il vient de dire me tourne dans la tête. Il aurait pu me tuer. Il en avait l'intention. Alors pourquoi suis-je encore là ?

— Tu es bien la première de mes victimes à y avoir échappé, lâche-t-il finalement, le regard toujours rivé sur la route.

— Ah, donc je devrais me sentir honorée ? lançai-je, le ton rempli de sarcasme.

— Ce n'est pas ce que j'ai dit, éjecta-t-il.

— Mais c'est ce que tu laisses paraître, répliquai-je.

Il pousse un long soupir.

— Tara, si tu veux qu'on se dispute, pas de problème. Mais on doit retrouver Maddison d'abord.

Je serre les dents, détournant le regard pour fixer la route qui défile à toute vitesse. Une partie de moi veut crier, lui balancer tout ce que j'ai sur le cœur. Mais il a raison. Maddison passe avant tout. Je garde le silence. Pour l'instant.

Le silence lourd est brisé par la sonnerie stridente du téléphone de Kyle. Sans un mot, il décroche l'appareil de sa poche, le regarde une fraction de seconde, puis me le balance sur les cuisses.

— Réponds.

Je l'attrape à temps, un peu surprise par son geste brusque. L'écran affiche "Eden". Je déglutis, puis glisse mon doigt sur l'écran pour répondre.

— Allô ?

— Tara ? Qu'est-ce qui se passe ? Où est Maddison ?

La voix d'Eden est pressante, presque paniquée. Je jette un coup d'œil vers Kyle, mais il garde les yeux rivés sur la route, la mâchoire serrée.

— On y va, Eden. Elle va... elle va être jetée dans un lac si on n'arrive pas à temps, dis-je.

— Quoi ?! s'étrangla-t-il presque à l'autre bout du fil. Mais c'est quoi cette histoire ? Où êtes-vous ? Où allez-vous ?

— On fonce vers le Manhattan Bridge. John... il la retient là-bas.

Un silence de quelques secondes se pose, puis il répond :

— Je... Harvey et moi, on arrive. Le plus vite possible.

Il raccroche sans attendre ma réponse. Je laisse le téléphone tomber sur mes genoux et souffle un grand coup, sentant la tension grimper en flèche.

— Il va venir, murmurai-je.

— Tant mieux.

La voix de Kyle est calme, presque détachée. Mais ses mains serrées sur le volant racontent une toute autre histoire.

Je le fixe un instant, cherchant à comprendre ce qui se passe dans sa tête. Puis je détourne les yeux pour me concentrer à nouveau sur la route. La voiture file dans la nuit, et le compte à rebours a déjà commencé.

— Kyle, là-bas ! le guidai-je.

Un fourgon noir est garé près du pont. Quatre silhouettes imposantes se tiennent au bord avec une grande malle entre leurs mains. Le temps semble s'arrêter alors que je comprends ce qu'ils s'apprêtent à faire.

— Non... NON ! hurlai-je, impuissante.

Dans un mouvement brutal et sans hésitation, ils balancent la malle par-dessus le garde-corps du pont. Mon souffle se coupe en la voyant basculer dans le vide, heurtant l'eau avec un bruit sourd avant de disparaître sous les vagues.

Les hommes remontent calmement dans le fourgon, comme si rien ne s'était passé tandis que Kyle arrive à toute vitesse. La rage et la panique se mélangent en moi.

Il sort en trombe de la voiture.

— Reste ici ! aboie-t-il en ouvrant la portière.

— Hors de question ! rétorquai-je en le suivant.

Il ne me regarde même pas, ses yeux sont fixés sur l'endroit où la malle a coulé. Arrivé au rebord, il retire sa veste d'un geste ferme et me la tend.

— Prends ça.

— Qu'est-ce que tu...Tu vas pas sauter ?! balbutiai-je, la gorge serrée.

— Tara, prends la veste, maintenant.

Je saisis le tissu chaud, incapable de protester. Sans attendre une seconde de plus, il grimpe sur le rebord du pont.

— Kyle, c'est de la folie ! Tu vas te tuer !

Il se tourne vers moi. Il tend la main, agrippe mon bras et m'attire plus près de lui.

— Je sais que tu as peur, dit-il.

Ses yeux s'ancrent dans les miens.

— Je te promets, je te ramènerai Maddison. Fais-moi confiance.

Il relâche doucement mon bras et recule d'un pas. Sans attendre ma réponse, il saute et plonge.

L'eau glacée l'engloutit immédiatement, ne laissant qu'un éclat d'écume sous le pont. Mes mains agrippent la barre froide et je cherche désespérément à apercevoir sa silhouette dans les eaux sombres du fleuve.

Un bruit de moteur me sort de ma paranoïa. Une voiture freine brusquement derrière moi, ses phares illuminent le pont. Je me retourne, encore sous le choc, et aperçois Eden qui sort précipitamment du véhicule, les traits déformés par l'inquiétude.

— Tara ! Où est Kyle ?! crie-t-il en courant vers moi.

Je désigne le fleuve d'un geste tremblant, incapable de formuler une phrase cohérente.

— Il a sauté... C'était déjà trop tard.

Il s'arrête un instant et son regard alterne entre moi et le rebord du pont.

— Merde, murmure-t-il entre ses dents avant de courir vers la balustrade.

— Eden, attends ! criai-je, mais il ne me laisse pas le temps de l'arrêter.

Il grimpe à son tour et plonge sans hésiter dans les eaux sombres.  Mon cœur bat à un rythme effréné.

C'est alors que je sens une main ferme se poser sur mon épaule.

Je me retourne brusquement et tombe sur Harvey. Sa présence m'apporte une pointe de réconfort, même si la panique me ronge encore.

— Ils vont revenir, dit-il d'une voix calme.

Je veux y croire, mais en regardant l'eau agitée en contrebas, le doute s'installe.

— Ils reviendront. Ils la sauveront.

Je descends les marches à côté de lui.

On arrive enfin au bord du fleuve, où l'eau clapote doucement contre la rive. Harvey reste immobile, les bras croisés, pendant que je fais les cent pas, incapable de rester en place.

— Ça fait trop longtemps... soufflai-je en regardant la surface sombre.

— Ils reviendront. Crois-moi.

Je veux croire à ses paroles, mais chaque seconde qui passe alourdit mon anxiété. Le courant emporte des débris, mais toujours aucune trace d'eux. Je serre mes bras contre moi.

— Et s'ils...

— Là ! Regarde !

Harvey me coupe et pointe quelque chose dans l'eau. Je fixe du regard ce qu'il montre. Deux formes bougent faiblement dans les vagues.

— C'est eux, chuchotai-je, mon souffle bloqué dans ma gorge.

Les deux silhouettes se rapprochent du rivage. Elles semblent tenir quelque chose de lourd entre elles. Mon cœur s'accélère encore. Harvey court vers la rive, ses chaussures s'enfoncent dans la boue. Je reste figée quelques secondes avant de me précipiter à sa suite.

— Kyle ! Eden ! criai-je, ma voix cassée par l'émotion.

Kyle pousse un grognement en sortant de l'eau, trempé et épuisé. Eden n'est pas en meilleur état, mais tous les deux tiennent toujours la malle d'une main ferme. Ils atteignent enfin la rive et déposent la malle près de nous.

Je m'empresse d'essayer de l'ouvrir mais je constate un cadenas.

— Merde ! susurrai-je en cognant la malle par panique.

— C'est verrouillé à double tour, dit Kyle en claquant sa langue contre son palais.

Eden tourne la tête frénétiquement vers nous.

— Il faut trouver quelque chose pour le casser ! Un outil, une pierre, n'importe quoi !

Je regarde leurs visages tendus puis je sens une main ferme attraper mon poignet.

— Kyle ?

Il ne répond pas tout de suite, trop concentré sur ce qu'il fait. Il ouvre rapidement le fermoir de mon bracelet.

— Fais-le, murmure-t-il en plongeant son regard dans le mien. Tu es la solution la plus rapide.

Il serre ma main autour du bracelet.

— Tara, fais-moi confiance. Tu sais quoi faire.

Je baisse les yeux vers mon poignet libéré de se bracelet qui me condamne dans l'utilisation de mes dons.

Je m'approche du cadenas. Eden me fixe, les sourcils froncés, tandis que Harvey recule légèrement, comme s'il sentait ce qui allait arriver.

Je pose mes doigts sur le métal froid. Une sensation glaciale m'envahit, une énergie familière parcoure mon corps. Le cadenas se met à grésiller, comme si un givre surnaturel le recouvrait.

— Qu'est-ce que tu fais ? murmura Eden, ses yeux écarquillés.

Je ne réponds pas. Toute mon attention est sur le cadenas. Le givre vert émeraude s'intensifie et s'étend sur tous le cadenas, et soudain, un craquement puissant éclate dans l'air. Le cadenas se brise en morceaux et tombe au sol.

Avoir des dons surnaturels est une bonne chose, finalement.

Kyle n'attend pas une seconde. Il ouvre violemment la malle. Maddison est là, son corps inerte, ses cheveux trempés collés à son visage.

Harvey et Kyle posent Maddison doucement sur le sol. Je me précipite à genoux à côté d'elle. Mon cœur bat à cent à l'heure. Je pose deux doigts sur son cou pour chercher un pouls. Rien.

— Non... non, non, non...

Mes mains se placent sur son torse, et je commence les compressions. Une, deux, trois... Mon esprit s'embrouille. J'essaie de me concentrer, mais la panique me rattrape.

— Maddy, réveille-toi ! Respire !

Eden s'agenouille brusquement à côté de moi.

— Attends, laisse-moi m'en charger ! dit-il.

Je recule et le regarde. Il incline doucement la tête de Maddison en arrière, pince son nez et commence à lui donner de l'air en lui faisant du bouche à bouche. Une fois. Deux fois.

Le silence autour de nous est insupportable. 

— Ça marche pas, murmure Eden en serrant les dents.

Mes mains tremblent. Mon esprit hurle.

Ça peut pas finir comme ça. Pas pour elle.

Pas encore une personne.

Puis, tout à coup, Maddison tousse. Elle recrache de l'eau et son corps se met à bouger brusquement.

— Maddy !

Je m'approche d'elle. Ses yeux s'ouvrent lentement. Elle a l'air terrifiée et complètement perdue.

— Putain de merde, j'ai cru qu'on t'avait perdu, déclare Eden, essoufflé, en posant une main sur son épaule.

On l'aide à se redresser.

— Je... je pensais que c'était trop tard pour moi quand les hommes du Cercle m'ont kidnappée, murmure Maddison.

— Ils ont réussi à nous assommer avec la crosse de leur flingue. Ils payeront, déclare Harvey.

Je fixe Kyle, mais derrière lui, mes yeux se posent sur un fourgon noir qui ralentit juste en face de nous. Je sens direct que ça va mal tourner. La porte du véhicule s'ouvre et quatre hommes en costumes noirs en sortent. L'un d'eux tient un téléphone à la main et s'avance vers Kyle.

— Volkov. John nous envoie. Il a un message pour vous.

Kyle reste calme, mais son regard s'assombrit. Il attrape le téléphone, qui est déjà mis sur haut-parleur.

— Qu'est-ce que tu veux ? proclame-t-il d'une voix sèche.

Une autre voix, rauque et pleine de mépris, sort du téléphone.

— La vie ne tient qu'à un fil, Kyle. Je suis peut-être amputé des mains, mais je serai toujours ton cauchemar.

Je jette un coup d'œil rapide aux hommes qui ne bougent pas.

— Je pourrais très bien annuler tout ce que je t'ai promis. Alors arrête de te foutre en travers de mon chemin, poursuit John. Les 9 millions de dollars que tu t'es tué à me fournir n'auront servi à rien si tu continues de défendre l'autre gamine. Choisis bien ton camp.

Les 9 millions de dollars.

Kyle lui aurait fournit de l'argent... Avec tous l'argent qu'il gagne, cet homme est blindé tout comme John. Alors pourquoi lui verser des sous ? 

Je sens mon souffle se bloquer. Des morceaux du passé reviennent en flashs : le cambriolage de la Banque Centrale, ces combats clandestins... L'argent que je devais ramasser en bossant comme serveuse au Red Club en même temps que de récolter des informations.

Tout ça... ça avait un prix. C'était pour Kyle... Mais pourquoi faire exactement ?

Je le regarde, complètement perdue. Pourquoi il a fait tout ça ? Non, ça n'a aucun sens. John a dû lui promettre quelque chose. Un truc énorme, un truc qui compte plus que tout pour lui.

— Il n'y a aucun camp, crache le mercenaire.

— Mais tu as fait le bon choix en sauvant Maddison, continue John. Je t'en remercie. Moi et la statue, on s'occupera du reste.

— Sale enfoiré, murmure Kyle entre ses dents.

La voix de John devient plus sombre, presque joueuse.

— Je ne vais pas détruire le monde de ta protéger. Non, pas encore... Il est encore trop tôt pour ça. Sa famille respire toujours. Mais je te promets que quand le moment sera venu, je les regarderai tous brûler.

— Va te faire voir, John.

Je vois Kyle serrer le téléphone si fort que ses jointures deviennent blanches.

— Quoi qu'il en soit, tu mérites une punition, Kayden.

À ce moment-là, Kyle explose.

— NE M'APPELLE PLUS JAMAIS PAR CE PRÉNOM !

Sa voix résonne si fort que j'en ai presque un frisson. Mais John rigole. Un rire froid qui me fout la chair de poule.

— J'espère que tu es solide, continue-t-il. Comme ton beau-père me l'avait dit après t'avoir enfermé dans le noir, dans cette petite cellule. Tu t'en souviens ? Tu étais jeune quand même.

— Je vais te tuer, enfoiré, hurle Kyle, complètement hors de lui.

— J'ai hâte de rejoindre les enfers avec toi, alors.

Et d'un coup, ça coupe. Plus rien. Le téléphone devient silencieux. Les hommes reprennent le téléphone avant de mettre les voiles.

Bordel, mais c'est quoi ce délire !

— Comment on peut être quatre à faire transporter un téléphone ? John n'a plus de main ou quoi ? s'exclame Eden.

S'il savait...

— Il adore faire travailler ses putes, déclare Harvey en aidant Maddy à se relever.

Kyle reste figé un instant, les poings serrés, les épaules tendues, comme une bombe prête à exploser tandis que je reste totalement paumée, et avec cette sensation horrible que tout ça va mal finir.

Il commence à s'éloigner. Je le suis rapidement, sans réfléchir, marchant à ses côtés sur la route déserte.

— Kyle ? Kyle, attends-moi !

Il ne ralentit pas.

— Casse-toi.

Sa voix est sèche, mais il ne s'arrête pas. J'ai besoin de lui dire quelque chose, pas de le questionner sur ce qu'il vient de se passer. Je ne ferai que d'alimenter sa rage et j'en payerai les conséquences. Mais le remercier... Je me dois de le faire. Alors, je prends une grande inspiration.

— Je veux te remercier, dis-je en le rattrapant. Pour ce que tu as fait. Tu as tenu ta promesse.

Il me jette un coup d'œil rapide, sans ralentir sa marche.

— Je fais toujours ce que je dois, Tara. Ne me remercie pas, répondit-il de sa voix grave.

Je souris un peu, sachant qu'il ne dira jamais autre chose. Mais au fond, je sais qu'il tient sa parole. Je me rapproche et j'essaie de rattraper sa main avant de la serrer doucement. Cet homme est frustré, et je me sens responsable.

D'un coup il s'arrête et fixe ma main dans la sienne.

— Je sais, marmonnai-je. Tu n'as qu'une seule parole.

Je serre un peu plus sa main froide et relève les yeux vers lui. Il me regarde, sans dire un mot, et pour une seconde, il semble vraiment perdu. Je prends une grande inspiration et, sans trop y réfléchir, j'entrelace mes doigts avec les siens. 

Mon cœur bat un peu plus fort, mais je continue de le regarder dans les yeux. Sous les rayons de la lune qui éclaire tout New York, on arrive à trouver un certain degrés de réconfort, sans parler, juste un contact.

Il ne dit rien pendant un moment, mais je vois quelque chose dans son regard : une confusion.

— Tu... tu ne...tu ne veux pas me lâcher, hein ? bégaie-t-il.

Il parle doucement comme si la question était pour lui-même. Il soupire, ses doigts bougent lentement, comme s'il s'habituait à ce contact. 

C'est dingue, mais j'ai l'impression qu'on a fait un petit pas ensemble. C'est rien, mais ça veut dire quelque chose. Et je n'ai pas envie de le lâcher. Pas maintenant.

Un blanc s'installe entre nous, on se regarde un peu trop longtemps. Je vois ses yeux sur mes lèvres pendant une fraction de seconde avant qu'il ne les pose dans mon regard.

Mon coeur s'emballe sans raison. Je me sens bête de ressentir ce que je refuse d'éprouver. 

Puis brusquement, il a l'air de se figer. Il grimace et place sa main sur son cœur. C'est comme s'il venait de prendre un coup.

— Kyle ? Je me rapproche un peu, inquiète.

Il prend une grande inspiration.

— Ça va... ça va, dit-il d'une voix un peu rauque.

Sans prévenir, il reçoit encore un autre coup, comme une décharge électrique dans tout son corps. Je vois son visage se déformer de douleur, et là, il tombe carrément à genoux.

— Kyle ?! hurlai-je complètement paniquée.

Il fait une crise cardiaque ?

Il pose sa main sur son cœur, encore une fois. Il tremble mais essaie de respirer.

— Tu... tu es cardiaque ? demandai-je, ne sachant pas quoi faire.

— Ça... ça va passer. Tara, ne t'inquiète pas. C'est... normal.

Normal ?! Mais c'est quoi cette connerie ?!

Je me remets à penser aux mots de John. "Tu mérites une punition." Ça aurait un lien ? C'est lui qui est en train de faire ça ? Mais comment, avec toute cette foutue distance ?!

Kyle se met à cracher du sang au sol. J'écarquille les yeux, horrifiée. Je me sens dépassée. 

Il y a quelque chose de pas normal dans cette histoire.

— Oh, putain ! Mais qu'est-ce qu'il se passe ?! m'exclamai-je.

Il tousse, toujours à genoux, et me lance un regard agacé et épuisé.

— Je t'ai dit de ne pas t'inquiéter.

— Mais comment tu veux que je reste calme ?! T'es là à tenir ton cœur comme si t'allais crever et tu craches du sang partout ! criai-je en serrant les poings.

Il lève les yeux vers moi, le regard dur, mais je vois bien qu'il est à bout.

— Ce sont les conséquences. Quand je fais pas ce qui est prévu...C'est la règle, on ne détourne jamais la règle.

La règle ? Mais quel règle, merde !

Je secoue la tête, furieuse.

— Non. Non, Kyle. Si tu veux rien me dire, très bien. Mais arrête de me sortir que c'est normal ! 

Et d'un coup, il se met à exploser par manque de patience.

— ET QU'EST-CE QUE TU VEUX QUE JE TE DISE, TARA ?!

Mon cœur manque un battement. 

— Que je sois honnête ? poursuit-il. Non. Je refuse que tu replonges dans cette condamnation qu'était ta vie avant. Je refuse que tu entres dans cette histoire.

Je serre les poings, incapable de garder mon calme.

Je ne suis pas en sucre, merde.

— Arrête de vouloir tout le temps me défendre ! Tu détournes la conversation, encore une fois ! lançai-je, presque hors de moi.

Il soupire, son regard glisse sur ses doigts tachés de sang.

— Putain ! m'exclamai-je. C'est quoi ce délire ? Tu veux vraiment que je crois que tout ça est normal ? Que ce choc, ce sang... c'est pas grave ? Est-ce que... est-ce que c'est à cause de moi ? demandai-je. Explique-moi, Kyle, parce que ça n'a aucun sens !

Il fait un pas vers moi et, avant que je ne puisse reculer, il pose ses mains sur mes épaules. Je sens le tremblement infime dans ses doigts.

— Arrête. Juste... arrête, dit-il doucement.

Sa voix est basse, mais il y a une urgence dans son ton qui me cloue sur place.

Et puis, lentement, il baisse la tête jusqu'à ce que son front touche le mien. Le geste est si inattendu que j'en perds mes mots.

— Rien de tout ça n'est de ta faute, tu m'entends ? Rien. Ni Irina, ni Maddison, ni la statue, ni tout ce bordel. Tu n'es pas responsable.

Je déglutis, mais je ne réponds pas. Je hoche juste la tête, incapable de parler.

Il reste immobile une seconde, juste assez longtemps pour que je sente son souffle contre ma peau.  Puis, il relève les yeux vers moi : 

— Ce qui se passe... Ça va déjà mieux.

— Non, tu mens, rétorquai-je.

Ses mains effleurent doucement mon visage.

— Si, je vais bien. Parce que tu es près de moi.

Je sens ma gorge se nouer. Il a l'air sincère, mais ses yeux... ils disent autre chose. Ils sont remplis de douleur dévoilés derrières son regard sans vie.

— Tu n'as pas à faire semblant avec moi, dis-je en le fixant.

Il esquisse un sourire.

— Peut-être, mais si je ne fais pas semblant, je risque de m'effondrer. Et ça, je ne peux pas me permettre. Pas maintenant. Pas devant toi.

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Et voilà pour ce chapitre incroyable 👀

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À SUIVRE...