CHAPITRE 28 : THANKSGIVING ET PROMESSE SANGLANTE
SUPERMARCHÉ
13 H 00
— Tu penses que si j'achète des navets, quelqu'un va les manger ? demande Eden en poussant le caddie.
— Ne compte pas sur moi, répondai-je en regardant les produits.
— En tout cas, Kyle ne risque pas d'en manger. Il est difficile en nourriture.
Oh ?
Je ne devrais pas être intéressée par ça, et pourtant...dès qu'il s'agit de Kyle, ça capte mon attention. Je mérite des gifles.
« Ou de me faire écraser par un camion »
Je secoue la tête, essayant de chasser ces pensées. Pourquoi tout ce qui le concerne devient soudainement si captivant ?
Je prends une boîte de thon et la glisse dans le panier en tentant de me concentrer sur autre chose.
— Pourquoi est-il difficile en nourriture ? demandai-je malgré moi en essayant de feindre l'indifférence.
— Tu as déjà remarqué qu'il ne mange presque jamais avec nous. Même quand le plat à l'air excellent. Il préfère se nourrir de ses addictions dans sa chambre.
Je l'avais bien remarqué.
Le nombre de médicaments, de drogues et de bouteilles d'alcools entassés dans sa chambre était suffisant pour me donner une idée.
Nous avançons vers le rayon des produits ménagers. Il attrape quelques articles et les place dans le caddie.
— Pourquoi il ne peut pas simplement se contenter de manger de bonnes choses simples comme tout le monde ? Je veux dire...cet homme vient à peine de découvrir la saveur des pancakes...dis-je en haussant les épaules.
Plutôt culotté de ma part de souligner le fait que Kyle ne profite pas des bonnes choses alors que ma soeur décortique des corps dans le but de mordre dans leur coeur.
Une famille de cinglé...
— Attends...
Il se retourne brusquement vers moi, l'air surpris.
— Kyle a mangé des pancakes ?
— Oui ? Répondis-je, les sourcils froncés.
On dirait qu'on discute d'un truc sérieux tout à coup.
Il réfléchit un instant, avant d'hocher la tête, visiblement perplexe.
— Bah putain, quand c'est moi qui en fais, il ose à peine les regarder.
Je laisse échapper un petit gloussement en imaginant la tête de Kyle à ce moment. Il est très expressif.
— Mais tu sais...C'est compliqué un peu, ajoute Eden. Pour te dire...je crois que je n'ai jamais vu Kyle manger un vrai plat de toute sa vie...C'est frustrant...
— Et il se nourrit de quoi ? À part de ses conneries ?
— Boîte de conserve, sans doute...Je lui place de la nourriture dans le mini-frigo de sa chambre, en espérant qu'il y goutera. Comme on dit, l'espoir fait vivre. À chaque fois que je vérifie secrètement, le Tupperware est toujours remplie.
Bien qu'Eden cache un côté sombre et cruel, il reste attentionné, toujours présent pour son cousin. Leur lien semble très fort, malgré la distance que Kyle impose, du moins d'après ce que j'observe.
C'est un paradoxe fascinant entre eux. Kyle, avec ses murs invisibles, essaie de garder les autres à distance, mais Eden persiste, comme un protecteur silencieux, prêt à intervenir à tout moment.
— Je vois, murmurai-je pensive.
— Et désolée de te le redire, mais il a l'air moins féroce quand il est avec toi.
Je le fixe, abasourdie.
Encore cette remarque inutile.
— Il m'a étranglée plus d'une fois ! Il me menace comme s'il était payé pour ça ! Il sait que j'ai la phobie des aiguilles et il m'a quand même retiré des litres de sang ! Et pour couronner le tout, il m'a kidnappée pour ma tante et pour les comptes d'un vieux lâche incapable d'admettre que cette statue, censée avoir des pouvoirs surnaturels, est juste un mythe.
Et malgré tout ça, hier, au lieu de me protéger, j'ai continué à jouer avec le diable. Et j'ai adoré ça.
— Ça va, murmure Eden en examinant des feutres de coloriage.
Ça ne va pas du tout !
Il continue, imperturbable tout en mettant le produit dans le caddie.
Ça doit sûrement être un autre cadeau pour Flore.
— Je crois que tu n'as jamais vraiment subi sa brutalité. T'as déjà vu notre cave, non ?
— Tu veux dire le couloir avec les prisons ? Oui, je l'ai vu.
— Là-bas, j'ai dû nettoyer des litres de sang à cause de ce dégénéré.
Je le regarde, stupéfaite, mes yeux s'écarquillent.
— Le sang... ça ne part pas avec un seul lavage ! S'exclame-t-il en regardant les différents types de livre de coloriage.
Comment peut-il parler de ça avec autant de détachement ?
— Il a déjà levé la main sur une femme ?
Il secoue la tête.
— Non. Kyle déteste s'en prendre aux femmes et aux enfants. Mais... à part la mère de Jared...enfin, c'est ce qu'il aime faire croire.
Il baisse légèrement les yeux, comme pour se remémorer ce souvenir.
— Qu'est-ce qu'il s'est passé ? demandai-je en ajoutant d'autres articles dans le caddie.
Il soupire et hésite un moment avant de répondre.
— La mère de Jared... une vraie horreur. Manipulatrice, impulsive, et totalement odieuse. Elle a toujours su comment pousser Kyle à bout.
Il marque une pause.
— Et un jour, elle est allée trop loin. Elle a commencé à le menacer, à parler de trucs vraiment graves. Elle a même tenté de le tuer...
Je reste figée, choquée par cette révélation.
— Mais pour être honnête, tout ce qui s'est passé était un accident, poursuit-il. Elle avait un couteau caché sous sa chemise. Kyle me parlait à ce moment-là, et je l'ai vue arriver derrière lui, pleine de rage. J'ai poussé Kyle pour le protéger, et elle a perdu l'équilibre. Elle est tombée et le couteau s'est planté dans son ventre.
Je déglutis.
— Donc... en fait, il ne l'a pas tuée ?
— Non. Mais il préfère qu'on le tienne responsable...Bon sang ! 30 dollars un livre de coloriage ?!
Il ne peut pas être sérieux deux minutes.
Je fronce les sourcils, tentant de le ramener au sujet principal.
— Pourquoi il veut porter le chapeau de la mort de sa mère ?
On avance lentement vers un autre rayon.
— Parce qu'il ne peut pas supporter Jared. Pour lui, c'était la parfaite excuse pour le garder encore plus loin de lui.
— Il l'aurait tué de sang froid...
— Plutôt de sang tiède.
Je secoue la tête pour éviter d'imaginer cette scène atroce.
Il change de sujet.
— D'ailleurs, en parlant de Kyle, il a pris une douche glaciale à 2h du matin. Je suis passé après lui à la salle de bain, il faisait un froid de canard ! J'ai même attrapé un rhume.
Je relève brusquement la tête. Kyle avait quitté ma chambre pour aller directement prendre une douche ? Pour se calmer, sans doute... après ce qu'il s'était passé entre nous.
Mon cœur bat un peu plus fort en me remémorant la scène et un rictus mauvais s'empare du coin de ma bouche.
On quitte le rayon quand Maddy s'approche de nous avec une pile de produits qu'elle dépose dans le caddie. Je ne peux m'empêcher de remarquer à quel point elle est apprêtée pour de simples courses. Un trench beige, une jupe courte dévoilant ses longues jambes, et des talons aiguilles.
— Tu crois que je suis Crésus pour payer tout ça ?! s'exclame Eden, en jetant un œil au caddie.
— Relaxe, c'est des trucs utiles, réplique-t-elle calmement.
— Et le string que tu viens d'ajouter, aussi ?
— Très sexy en plus, ajoutai-je en souriant.
Maddy me fixe avec un sourire en coin.
— Je te le prêterai quand tu voudras te décoincer un peu avec "tu sais qui".
Elle lance un regard vers Eden, qui semble complètement perdu. Il nous regarde, cherchant à comprendre, mais aucune de nous n'allait lui expliquer.
Alors elle a tout entendu...
Je lance un regard suppliant à Maddy, espérant qu'elle se taise avant de m'embarrasser davantage. Mais elle semble bien s'amuser.
— Tara, reprend-elle avec un sourire qui en dit long, je suis sûre que "tu sais qui" apprécierait ce petit numéro. Surtout après sa douche glacée à deux heures du matin...
Je la fusille du regard, lui faisant de grands signes pour qu'elle arrête avant qu'Eden ne fasse le lien.
Il fronce les sourcils, visiblement perplexe.
— Attendez, vous parlez de quoi, là ?
— Rien, rien, réponds-je précipitamment. Juste des histoires de filles.
Je commence à sentir mes joues rougir. Je deviens de plus en plus mal à l'aise, mon coeur bat à toute vitesse.
Mais Maddy éclate de rire, incapable de se contenir.
— Eden, tu ne trouves pas qu'elle est mignonne quand elle est gênée ?
Je lève un sourcil, perplexe.
Elle est totalement folle.
Il commence à répondre :
— J'avoue que...
— Roh, c'est bon, grognai-je en poussant Eden hors du chemin pour pousser le caddie vers la caisse.
On avance dans la file, et je prends une grande inspiration pour essayer de me calmer. Maddy, elle, continue de rire doucement, visiblement ravie de m'avoir mise dans l'embarras.
— Sérieusement, Maddy, tu pouvais pas te retenir ? chuchotai-je en déposant les articles sur le tapis roulant.
— Désolée mi amouretta, répond-elle avec un sourire espiègle. Mais Kyle qui te traite de coincée, c'est tellement drôle quand je pense à toutes les folies que tu as déjà faites.
Je lève les yeux au ciel, mais finis par sourire malgré moi.
— Tu sais que j'ai tout entendu, hein ? lance-t-elle, amusée.
— Tout entendu, genre quand ?
— Genre, quand tu lui as dit "est-ce qu'une coincée ferait ça ?"
Elle imite le ton que j'ai pris la veille. La gêne monte en flèche. Je n'ai qu'une envie : disparaître.
Je sais que Maddy ne va pas lâcher l'affaire, mais discuter de mes affaires avec Kyle en plein supermarché n'est pas du tout dans mes plans.
19 H 30
Je choisis ce que je vais mettre pour Thanksgiving. Je n'aime pas vraiment les fêtes, mais Eden est si enthousiaste qu'il a préparé le dîner grâce aux courses qu'on a effectuer.
Je mets une jupe en cuir noir qui arrive jusqu'aux cuisses, un chemisier blanc avec un corset en noire par-dessus, et des petites bottines. Ils ont vraiment apporté toute ma garde-robe ici.
Je coiffe mes cheveux simplement, en les lissant. Je veux paraître simple, donc je n'ai pas utilisé de maquillage trop voyant, juste du mascara et du gloss.
— J'ai préparé le poulet ! annonça Eden.
— J'arrive ! hurlai-je en retour.
Je sors de ma chambre quand je remarque que la porte de celle de Kyle est ouverte.
« N'y entre pas ! »
Ma conscience n'a pas l'aire de prendre conscience que je fiche de ma propre conscience. Quitte à perdre un doigt. Il faut que j'y aille.
Kyle est partie avant que nous faisions les courses alors personne ne va chipoter.
Je pousse doucement la porte, laissant ma tête passer dans l'entrebâillement. Le lit est à moitié fait, des médicaments éparpillés jonchent le sol, et sa machine à tatouer traîne négligemment dans un coin. Pas de trace de Kyle.
La fenêtre est grande ouverte, laissant le vent s'engouffrer dans la chambre tout en faisant danser le lourd rideau rouge sang.
— Tara ?
Je me retourne immédiatement.
— Maddy ? Que fais-tu ici ?
— Je pourrais te poser la même question. Eden nous attend.
— J'arrive, dis-je en regardant son bureau en désordre.
Arrivée dans la salle à manger, l'odeur alléchante du poulet rôti emplit la pièce, et Eden se précipite autour de la table avec excitation.
— Ah, enfin vous voilà !
— C'est ma faute, j'ai pris mon temps, admis-je avec un sourire coupable.
— Harvey ne va pas tarder avec Flore ! annonce Eden tout en se précipitant vers la cuisine.
— Il a réussi à la ramener malgré ce temps ? demande Maddy, sceptique.
À cet instant, la porte d'entrée s'ouvre avec un grincement, laissant entrer Harvey, complètement trempé par la pluie battante. À ses côtés, une petite silhouette hésitante s'avance, vêtue d'une robe fleurie qui détonne avec le mauvais temps. Harvey s'accroupit doucement à la hauteur de sa sœur.
— Flore, je te présente Maddison et Tara. Elles vivent avec nous pour un moment, dit-il avec un sourire rassurant.
Maddy et moi sourions chaleureusement, et la petite fille répond d'un geste timide de la main.
— Elle n'est pas à l'aise avec les personnes qu'elle ne connait pas, explique Harvey d'un ton protecteur.
— Elle est trop mignonne ! s'exclame Maddy, conquise.
Elle l'est vraiment. Sa petite robe fleurie contraste avec la grisaille extérieure, et ses grands yeux brillent d'une douceur naturelle.
Maddy me donne un léger coup d'épaule, me ramenant à la réalité. Je me hâte de prendre l'ours en peluche que Kyle a acheté, ainsi que les feutres de coloriage, puis je m'avance vers elle.
— On a un petit cadeau pour toi. On est très heureux que tu sois avec nous ce soir, dis-je en lui tendant l'ours.
— Merci, murmure-t-elle d'une voix à peine audible.
Elle accepte les cadeaux avec une main légèrement tremblante, tandis qu'Harvey dépose un baiser doux sur le haut de sa tête avant de l'installer à table.
— ESTOY LOCO ! s'écrie soudain Eden depuis la cuisine.
— Qu'est-ce qui t'arrive ? demande Maddy en se précipitant vers lui.
Je m'installe à côté de Flore, mal à l'aise, tandis qu'Harvey quitte brièvement la pièce, son téléphone toujours collé à l'oreille. Il va falloir que je fasse la conversation avec cette gamine, alors que je me sens tout aussi timide qu'elle.
— Tu as quel âge ? demandé-je maladroitement, espérant que Maddy revienne vite.
Ne me détestez pas, mais je suis encore plus timide qu'une enfant.
— Treize ans, murmure-t-elle, tapotant le sol du pied sans me regarder.
J'hésite un instant avant de poser une autre question.
— Harvey m'a dit que tu es dans une famille d'accueil. Ça se passe bien avec eux ?
Je vois ses petites mains serrer l'ours en peluche, et elle baisse la tête, comme si mes paroles l'avaient heurtée. Je me mords la lèvre, regrettant aussitôt ma question.
— Ce ne sont pas mes vrais parents... même s'ils essaient de faire de leur mieux pour que je sois le plus à l'aise possible...les miens me manquent, dit-elle dans un souffle à peine audible.
Je sens un pincement au cœur. Voir cette petite fille, si fragile, me fait remonter des souvenirs douloureux. Une image de moi, enfant, me traverse l'esprit. Ce sentiment d'être seule, perdue.
— Ils ne le disent pas, mais je sais que ma maladie est une plaie pour eux, ajoute-t-elle, sa voix tremblante.
Je fronce les sourcils. Harvey m'avait mentionné que sa sœur souffrait d'une maladie grave. C'est pour elle qu'il avait braqué des banques, pour pouvoir payer son traitement. Ce sacrifice, cet amour désespéré me serre la gorge. La solitude et la peur de cette petite me frappent de plein fouet.
— Je sais ce que ça fait de se sentir différente des autres. Mais le plus important, c'est de savoir que même si tu te sens seule, tu as des gens qui tiennent à toi. Harvey ferait n'importe quoi pour toi.
Elle hoche la tête et au même moment, Eden arrive avec Maddy, tenant tous les deux de nombreuses assiette.
— C'est toi qui as préparé tout ça ? m'exclamai-je, impressionnée.
— Je pourrais presque être le fils latino de Philippe Etchebest, plaisante Eden.
Maddy lui donne une petite tape sur l'épaule, visiblement amusée par sa blague. Harvey entre à nouveau dans la pièce et se place aux côtés de sa sœur.
— J'ai fait ma part aussi ! J'ai encouragé Eden dans la cuisson, ajoute Maddy avec un sourire.
Un énorme éclair déchire le ciel, me faisant sursauter et attirant l'attention de tout le monde.
— Tu as peur des orages ? demande Harvey, intrigué.
— Un peu, avouai-je, mal à l'aise.
— Il y en a un autre qui sursaute aussi à chaque coup de tonnerre. Je me demande ce qu'il fait dehors avec ce temps, dit Eden en fronçant les sourcils avec inquiétude.
Kyle a peur des orages ?
Nous commençons à manger, discutant des préparatifs de Thanksgiving. L'ambiance est chaleureuse malgré le tonnerre dehors. Mon esprit reste distrait par l'absence de Kyle.
Alors que nous terminons le repas, le bruit de la porte me fait lever les yeux. Kyle apparaît, trempé sous son gilet à capuche dévoilant quelques mèches noirs mouillé. Ses mains couvertes de sang tiennent un pistolet qu'il cache aussitôt sous son gilet à la vue de la petite.
— Tu veux manger ? Demande Eden.
Il secoue la tête avant de se diriger vers sa chambre, j'entends le bruit de sa porte claquer.
— Il foutait quoi dehors ? Interroge Harvey.
Dans un ton pensif, Eden répondit :
— Il fait ce qu'il fait toujours quand il s'agit de célébrer quelque chose : il fuit.
Maddy reprend la conversation avec Flore dans une ambiance joyeuse, et les discussions repartent de plus belle. Mais je ne peux détacher mon regard de Kyle et du sang sur ses mains.
S'il fuyait, c'était pour une raison. Je suis bien placée pour le savoir.
Je n'arrive plus à manger, jouant distraitement avec ma fourchette. Mon esprit erre, pensant à ses yeux gris qui provoquent à la fois un froid glacial et un réchauffement intense. Cette dualité me trouble profondément.
Je dois lui parler.
« Reste ou tu es, tu crois tes carottes vont se manger toutes seules ? »
Je me lève brusquement.
— Je reviens, je vais aux toilettes.
— Ne tombe pas dans le trou, plaisante Eden en sirotant sa boisson.
Je roule des yeux avant de presser le pas vers la chambre de Kyle. Je toque à sa porte.
— Kyle ? Kyle, c'est moi. J'ai oublié quelque chose dans ta chambre. Je peux entrer ?
Aucune réponse. Me prend-il pour une idiote ?
— Kyle !
Toujours rien. Alors, je décide d'entrer sans son accord.
Je le trouve dos à moi, la capuche retirée, devant la fenêtre, en train de faire je ne sais quoi. Sa respiration lourde se fait entendre de loin. Il est gravement blessé, sans doute.
Il reste immobile. Je prends une profonde inspiration pour me donner du courage et m'approche lentement, essayant de ne pas faire grincer le plancher sous mes pas.
— Tu ne viens pas manger ?
— Je n'ai pas faim, crache-t-il amèrement.
Je me rapproche encore, tentant d'apercevoir son visage.
— Dommage, Eden s'est vraiment surpassé, murmurai-je en essayant de faire la conversation.
— Ah ouais ? Bah retourne-y et arrête de me suivre comme un chien.
Quel enfoiré.
— Je voulais juste savoir si tu vas bien, rétorquai-je sur le même ton que lui.
— Qu'est-ce que ça peux te foutre ?
Il se retourne enfin, révélant des blessures profondes sur ses mains. Le sang coule en gouttes épaisses le long de ses doigts, teintant sa peau d'un rouge sombre. Ses mains sont lacérées par des entailles, probablement causées par un objet tranchant. Des éclats de sang séché sont aussi visibles sur sa bouche, laissant supposer un coup violent qu'il n'a pas pris la peine d'essuyer.
Je grimace en voyant l'étendue des dégâts.
Putain... Qu'est-ce que tu as fait...
— Kyle, tes blessures sont graves. Tu ne peux pas rester comme ça, dis-je en m'approchant de lui avec détermination.
— Je t'ai dit non, cracha-t-il en se déplaçant, faisant tomber un inhalateur au sol.
Je fronce les sourcils. Kyle est asthmatique ?
Il ramasse rapidement l'inhalateur pour la ranger dans sa poche, probablement pour éviter mes questions, mais il est trop tard.
— Ne te sens pas gêné si je l'ai vue, murmurai-je.
— Je me fous de ce que tu penses. Fiche-moi la paix et casse-toi.
— Je ne vais pas te laisser comme ça !
— Et pourquoi pas ?
— Je sais que tu ne feras rien pour te soigner. Il ne faut pas être un génie pour comprendre que tes blessures peuvent s'empirer si tu ne les désinfectes pas !
— D'accord. Mais dis-moi, qui a demandé ton aide ?
— Tu ne l'as pas demandée. Tu ne sais même pas parler sans ronchonner, fulminai-je.
Mes mots le touchent. Il me fixe avec une intensité si menaçante que je me sens acculée.
— Viens dans ma chambre, soupirai-je.
— Tu m'invites dans ton lit ? Ce n'est pas trop tôt ?
Mais il est totalement bipolaire celui-là.
Je fais comme si je n'avais pas entendu.
— J'ai de quoi te désinfecter après les courses que j'ai faites avec Eden. Contrairement à toi, tu as tout ce qu'il faut ici pour t'ouvrir la peau.
— Cherche les affaires. Je ne bouge pas d'ici.
— Tu veux prendre ton inhalateur sans que je te vois, c'est ça ? lâchai-je.
Il me fusille du regard, mais ne conteste pas.
Je soupire et retourne chercher la trousse de premiers secours dans ma chambre.
— Tara est vraiment tombée dans le troue ? s'exclame Eden depuis la salle à manger.
Je suis tombée sur un déséquilibré plutôt.
Une fois la trousse en main, je reviens vers lui.
Kyle est toujours là, assis au bord du lit, sa respiration lourde et irrégulière. En m'approchant, ses blessures paraissent encore plus graves. Je m'agenouille, ouvre la trousse de premiers secours et sors le nécessaire pour nettoyer et bander ses plaies.
— Laisse-moi voir ta main, demandai-je doucement mais fermement.
Il l'a tend lentement. Les entailles profondes saignent encore et le sang séché témoigne de la violence de ses récentes activités. Je nettoie les coupures avec soin, il serre les dents pour ne pas montrer sa douleur.
— Tu sais, commençai-je, ce n'est pas en te cachant que tu avanceras.
— C'est toi qui me dis ça ? Combien de personnes dans ton entourage savent que tu es schizophrène ? À part ta mère et ton père.
— C'est déjà mieux que rien, répondis-je en désinfectant une plaie. À moins qu'Eden soit au courant.
Sa respiration reste lourde et chaque souffle semble être un effort. Le silence dans la pièce est interrompu uniquement par le bruit du désinfectant et mes mouvements jusqu'à ce qu'il parle.
— Je ne suis pas asthmatique, murmure-t-il. J'ai juste des problèmes respiratoires parfois à cause du stresse...et de toutes ses merdes.
— Tu n'as pas à te justifier.
— Je préfère qu'il n'y ait pas de sous-entendus.
Je suis surpris par cette révélation. Kyle garde souvent ses problèmes pour lui.
— Tu sais à cause de quoi ?
— À... à cause d'une...d'une personne...
Il commence à tapoter sa cuisse de manière incontrôlable. Sa main tremble, rendant difficile mes soins. Il n'arrive pas à finir sa phrase, et son visage se ferme, comme s'il se repliait sur lui-même. Son récit inachevé me laisse perplexe.
Je prends sa main pour le rassurer. Il la regarde, visiblement apaisé par ce geste.
— Tu n'es pas obligé de continuer si tu ne te sens pas capable, murmurai-je.
Je n'avais jamais vu Kyle dans cet état, et il est clair que mon cœur se serre à chaque fois qu'il se montre ainsi. Il n'a pas besoin de parler pour que je comprenne qu'une personne est à l'origine de ses souffrances.
Je continue de soigner ses blessures avec délicatesse, en silence. Il reste immobile, tenant ma main. Je pense qu'il ne se rend même pas compte à quel point il est en train de l'écrabouiller comme par peur que je m'en vais sans lui.
— J'ai fini, murmurai-je en me relevant et en lâchant sa main.
— Il-il y en a d'autres, avoue-t-il en bégayant.
Je fronce les sourcils et m'avance vers lui. Ses yeux expriment une supplication muette. Je m'agenouille entre ses jambes, ouvre doucement la fermeture de son gilet, révélant son torse marqué par des ecchymoses profondes et des entailles. Mon cœur se serre en voyant ces nouvelles blessures. Je retire son gilet, dévoilant le haut de son corps nue. Mes yeux s'arrêtent sur un nouveau tatouage sur son épaule droite. Les plumes d'un corbeau parfaitement dessinée s'y trouve avec le bec grand ouvert comme l'Hydre de Lerne à trois tête tatouée sur son dos.
Ce connard a vraiment du talent.
Je lève les yeux vers lui, cherchant un signe de réconfort ou de dénégation. Mais il fixe le sol, comme s'il avait honte de ses faiblesses. Je commence immédiatement à traiter ses blessures. Après quelques minutes, tout est fini.
— Merci, murmure-t-il à contrecœur.
— De rien, Kyle, répondis-je en lui offrant un léger sourire.
Je me dirige vers la porte pour partir, il se relève derrière moi. À ce moment, un éclair éclate et un tonnerre retentit. Surprise, je me blottis instinctivement contre lui sans réfléchir.
Il reste figé, incertain de ce qu'il doit faire alors que je me serre contre lui. Je me rends compte de ma réaction, ouvre les yeux et recule rapidement.
— Je suis désolée, je ne voulais pas... balbutiai-je.
— C'est bon, ce n'est rien, répond-il.
J'hoche la tête à contre-cœur. J'étais censé le détesté pour tout, pas tomber sous son charme.
— Je vais rejoindre les autres, marmonnai-je alors que Kyle enfile son t-shirt.
— Ferme la porte en sortant.
Je réponds par un petit « Mmh » forcé avant de quitter la pièce.
En entrant dans le salon, j'entends une conversation qui m'étonne.
— Donc tu n'as jamais été attirée par la gente féminine ? demande Eden à Maddy.
— Non, je préfère sentir la poutre entre mes jambes, répond-elle.
Pourquoi cette conversation me choque-t-elle avec eux.
— Oh Tara ! me remarque Eden. T'en as mis du temps, je pensais même que je devais sortir ma canne à pêche pour te pêcher aux toilettes.
— Non, j'avais juste un mal de tête, c'est pour ça que j'ai pris un peu de temps, expliquai-je en me caressant la nuque. Flore est partie ?
— Harvey l'a déposé avant que Kyle décide de faire exploser la maison.
Maddy passe sa main sous son nez, je sais qu'elle voit à travers mon mensonge. Elle se lève du canapé.
— Bon, je crois que je vais...
Soudain, elle s'effondre sur le canapé, et je cours immédiatement à sa rescousse.
— Maddy ! m'écriais-je.
— Oh putain.
— Tout va bien, j'ai juste perdu l'équilibre. J'ai un mal de crâne énorme.
— Je ne t'ai pas empoisonnée, que je sache ? s'inquiète Eden.
— Non, rigole-t-elle.
Je passe ma main sur son front et remarque qu'elle est chaude.
— Tu as bu ce soir ? demandai-je.
— Un peu de champagne, oui.
— Viens, il faut que tu te rafraîchisses, dis-je en tendant ma main.
Elle l'attrape avec un sourire reconnaissant. Une fois arrivés dans la salle de bain, je remplis le lavabo d'eau froide et mouille une serviette.
— Mets ça sur ton front, lui conseillai-je en lui tendant la serviette humide.
Elle obéit et s'assoit sur le rebord de la baignoire. Je profite de l'occasion pour fermer la porte afin que nous puissions parler entre filles.
— Ça va mieux ? demandai-je.
— Oui, ça va. Merci.
— C'est normal...
J'analyse son état. Maddy me semble étrange ces derniers jours. Elle est toujours la première à boire plus de dix verres de champagne lors des fêtes, donc quand elle dit n'en avoir bu qu'un peu, j'ai du mal à la croire.
Cependant, ça fait plusieurs fois qu'elle dit qu'elle ne se sentait pas bien.
— Je peux te demander quelque chose ? m'interroge-t-elle.
— Euh, oui, dis-moi.
— Tu as eu tes règles ? Ou toujours pas ?
Étrange cette question. Je m'assois à côté d'elle.
— Bah euh non, pourquoi ?
— Comme ça, je ne les ai pas encore eues. Et je sais aussi que je les ai toujours après toi, donc je voulais juste savoir.
— Après les événements plutôt angoissants qu'on a subis, ce n'est pas étonnant qu'on ne les ait pas encore eues. Il n'y a pas de quoi s'inquiéter.
— Mmh.
Elle a l'aire si pensive. Ne me dites tout de même pas qu'elle est ce que je crois qu'elle est !
— Maddy ?
— Oui ?
— Tu es enceinte ? demandai-je avec de grands yeux.
— Quoi ? Ne sois pas ridicule.
— Pourtant toutes les preuves sont là ! m'exclamai-je en me relevant.
— Non, je t'arrête tout de suite. Je ne le suis pas. Je me sens juste fatiguée en ce moment.
— Tu m'as dit plusieurs fois que tu avais la nausée, que tu es fortement fatigué...
— Je ne le suis pas.
J'étire un sourire.
— Tu sais que mon plus grand rêve est d'avoir une famille et, par conséquent, de pouvoir donner naissance et de rester auprès de mes enfants ! dis-je.
— Oui, je le sais... et donc ?
— Je tiens juste à dire que si tu es amenée à être enceinte, je veux que tu saches que tes enfants seront considérés comme les miens aussi !
Elle secoue la tête d'exaspération.
— Si j'avais à être enceinte, crois-moi, tu serais la première personne à être au courant. Ainsi que ma famille...
Et d'un coup, elle explosa :
— MA FAMILLE ! Ils doivent s'inquiéter puisque je ne suis pas venue pour Thanksgiving alors que j'ai fait la promesse de venir cette année ! On doit sûrement me chercher dans tous le Mexique et les États-Unies !
— Oh ne t'inquiète pas, je suis sûre que Kyle déborde d'imagination et t'a déjà trouvé une excuse, réponds-je amèrement.
— Quel enculé !
— À qui le dis-tu...
Soudain, un craquement retentit dans la maison, suivi d'un claquement. Les plombs sautent, plongeant la salle de bain dans le noir total.
Mon cœur s'emballe. L'obscurité ravive l'angoisse, faisant remonter des souvenirs douloureux avec ma belle-mère, Ana, qui m'enfermait dans une cage à la cave du manoir, le tout dans le noir complet. Les nuits passées enfermée car j'ai osée me défendre lorsque son frère voulait me faire des attouchements, une gamine de 9 ans et un vieux de 40 ans...
Ses mains qui ont voulu me toucher un nombre incalculable de fois. J'arrivais à me sortir d'affaire à chaque fois qu'il voulait passer sa main sous mes jupes en jouant les filles posséder par le diable grâce à mes crises. Mais c'était tellement traumatisant...déroutant...effrayant...
— Maddy... Ma voix tremble, presque inaudible.
— Qu'est-ce qui se passe ? On dirait que les plombs ont sauté.
Je ne peux pas répondre. La peur m'envahit et me paralyse. Chaque seconde dans l'obscurité est une torture. Ma respiration s'accélère, mes mains tremblent. Je m'effondre au sol, me recroqueville avec la tête entre les genoux, tentant de me calmer en me balançant, mais sans succès.
— Tara, ça va ?
La voix de Maddy semble lointaine, étouffée par le brouillard de ma panique.
Je ne peux pas lui répondre. Mes ongles s'enfoncent dans ma peau alors que je garde les yeux grands ouverts dans le noir.
— Je n'ai rien fait de mal, murmurai-je le souffle coupé.
Des mots que je répète sans cesse à ma belle-mère pour lui susciter de la pitié.
— Quoi ?! Tara !
— Je n'ai rien fait de mal, Ana...
— Tara, parle-moi, qu'est-ce qui se passe ? Fait chier ! Eden ! Allume la lumière !
Je sanglote, incapable de formuler une réponse. La noirceur totale est une prison, me ramenant à ces moments traumatisants de mon enfance. Je peux à peine entendre ses paroles, perdue dans ma panique.
— L'orage a fait sauter les plombs, on essaie de les réparer, hurle-t-il.
Elle se rapproche de moi, serre fort mon épaule.
— Respire. C'est juste une panne de courant. Je suis là avec toi, tu n'es pas seule.
— Je ne voulais pas te décevoir...
— Tara, je ne comprends rien à ce que tu me dis. C'est qui Ana ?
Les lumières se rallument enfin. Malgré cela, ma crise de panique ne se calme pas. Mes yeux fixent un point invisible, et ma respiration reste rapide et saccadée.
— Je n'ai rien fait...
Maddy me regarde avec une telle peine, elle tourne la tête vers Kyle qui se tient dans l'encadrement de la porte, en train de me fixer.
— Je vais rester avec elle, sors.
Elle balaie son regard vers moi, remarquant à quel point je suis totalement irrécupérable. Malgré elle, elle sort de la salle de bain.
Il s'avance doucement vers moi, alors je recule instinctivement par crainte jusqu'à sentir le dos de la baignoire contre le mien. Je n'ai plus les idées claires. Il s'arrête.
— Je ne vais pas te faire de mal, dit-il calmement en me détaillant.
Je relève la tête vers lui, toute tremblante, essayant de ne pas verser de larmes devant lui. Ses yeux gris fixent les miens avec une intensité calme, comme s'ils essayaient de transmettre un message apaisant au-delà des mots.
Il s'agenouille doucement devant moi, me détaillant de A à Z. Je le regarde sans rien dire. Il murmure des choses totalement incompréhensibles que je n'essaie même pas de déchiffrer. Au fil du temps, il se positionne à côté de moi, tandis que je reprends le contrôle de mes pensées.
— Ana a dû te faire de sacrées choses, murmure-t-il en regardant un point fixe tout comme moi.
De sacrées choses, oui...
Comment savait-il que ma crise venait d'elle ?
Je ne réponds qu'avec un silence.
— Je ne te lâcherai pas.
Je tourne enfin la tête vers lui, qui reste fixé sur un point.
— Que veux-tu dire ? demandai-je.
Il détache son regard vers moi.
— On a toujours été persécutés, toi et moi.
Un nœud se forme dans ma gorge.
— Kyle...
Il m'interrompt doucement mais avec une intensité nouvelle.
— Alors je t'en fais la promesse. Chaque peau qui oserait toucher la tienne, chaque regard envieux, chaque geste déplacer à ton égard, je les trancherai jusqu'au dernier, jusqu'à les brûler entièrement.
Je reste silencieuse, mes yeux s'ouvre en grand devant la ferveur de ses paroles. Il semble être dans un autre monde, il ne s'arrête pas. Les veines sortent de ses bras par la rage qui émerge en lui.
— Je ferai couler leur sang pour chaque larme que tu verseras.
Sa voix, grave et basse, résonne comme une promesse sanglante, un serment solennel.
— Chaque douleur que tu éprouves, je les vivrai comme les miennes. Je ferai payer le prix du sang pour chaque épreuve que tu endures. Personne, absolument personne, n'a le droit de briser ton cœur sans que je ne fasse justice.
Une chaleur étrange envahit mon être, apaisant lentement la panique qui m'avait submergée. Malgré ses paroles réconfortantes, une part de moi restait méfiante, consciente de son instabilité.
Sans m'en rendre compte, je laisse tomber ma tête sur son épaule en douceur mais il ne me rejette pas.
— Parce qu'enfin de compte...je ne peux pas supporter de te voir dans des états pareils et me dire que j'aurai pu intervenir lorsque j'étais témoins tout gamin...
Je n'arrive pas à comprendre ce qu'il voulait dire par là....
Je suis fatigué de ma personne, fatigué d'être traumatiser pour des choses futiles. C'est de cette façon que nous restons silencieux. Le poids de ses promesses et de mes peurs suspendues dans l'aire.
Mais alors qu'un calme relatif s'installe, une nouvelle question se pose : est-ce que la promesse de Kyle sera suffisante pour me protéger de ce qui approche ? Le danger qui nous entoure semble toujours prêt à frapper, et je ne peux m'empêcher de me demander si cette promesse peut réellement défier cette obscurité qui augmente chaque jour.
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Kyle et ses promesses, ça ne rigole pas ! 🫠
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À SUIVRE...
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