CHAPITRE 10 : LEÇON DE VÉRITÉ
PENNSYLVANIE - Philadelphie
MANOIR OLSEN
11 H 00
— Tu es conscient que la nourriture doit être périmée depuis plus de dix ans ? À moins qu'Ana se soit bougée les fesses et ait décidé de faire les courses entre-temps, déclarai-je.
Cela fait une heure que Kyle ouvre et ferme les mêmes tiroirs, espérant que de la nourriture apparaisse miraculeusement.
— Alors ça va commander Uber.
Il soupira en sortant son téléphone de sa poche.
— Euh... tu veux quelque chose ?
Je fronçai les sourcils, surpris par sa demande. Je pensais vraiment qu'il m'oublierait.
— Ne me regarde pas comme ça, je n'aime pas partager d'habitude.
— Je veux une pizza au pepperoni.
Un air de dégoût se dessina sur son visage.
— De bon matin ?
— Je préfère le salé, rétorquai-je. Et tu devrais le savoir, vu que tu connais toute ma vie apparemment.
— Tu peux être sûr que je ne vais pas m'approcher de toi avec cette haleine-là.
— C'est tout ce que je demande.
Il quitta la cuisine, téléphone à l'oreille. J'en profitai pour revisiter mon chez-moi. Je me sentais beaucoup plus à l'aise maintenant, comme si j'avais repris mes marques. J'entrai dans le salon, baigné de lumière solaire. Cette pièce immense et conviviale me rappelait de bons souvenirs. Même si le sol grinçait partout dans le manoir, il était encore en bon état.
Une porte menant au jardin attira mon attention. Je sortis et fus aveuglé par le soleil. Je protégeai mes yeux avec mes mains, et peu à peu, je m'habituai à la lumière.
Rien n'avait changé ici non plus. Mon aire de jeu était toujours là. Je m'assis sur la balançoire et me laissai bercer doucement.
En tournant la tête, j'aperçus trois cibles accompagnées d'un arc. Les flèches étaient toujours plantées dedans.
Souvenir de mes 9 ans.
Le chauffeur me demanda alors qu'il me ramenait à la maison :
— Mademoiselle, comment s'est passée votre journée d'école aujourd'hui ?
— Comme tous les autres jours, répondis-je en soupirant.
Pourquoi les enfants me traitent comme une paria ? Déjà que j'avais du mal à m'exprimer, ils en profitaient pour se moquer de moi.
Il posa les yeux sur mon genou blessé. Je tirai immédiatement sur la jupe de mon uniforme pour le cacher.
— Nous sommes arrivés, reprit-il.
Un des gouvernants ouvrit la porte de la voiture et m'aida à en sortir. Il prit mon cartable pour le déposer dans ma chambre. En entrant dans la résidence, je vis les serviteurs courir de droite à gauche, portant différentes fleurs. Pas besoin de chercher longtemps pour comprendre : ils préparaient le mariage d'Ana et de William.
Je lâchai un soupir d'épuisement. Tout m'avait contrariée aujourd'hui, sans exception. Je montais les escaliers quand la voix de mon père m'arrêta :
— Mon ange ! Te voilà enfin, dit-il en me serrant fort dans ses bras.
C'était tout ce dont j'avais besoin... Du réconfort que seul lui pouvait me donner.
— Bonjour Papa, répondis-je d'une petite voix.
— Comment s'est passée ta journée ? demanda-t-il en posant sa main sur mon épaule tout en me conduisant dans le jardin.
— Ça va, répondis-je simplement, essayant de cacher les larmes qui allaient tomber.
Je savais que William pouvait deviner quand je mentais. Nous nous installâmes sur les chaises extérieures, admirant la beauté du jardin.
— Tu t'es blessée ? m'interrogea-t-il en pointant du menton la déchirure de mon collant.
— Non, j'ai trébuché.
— Dis-moi la vérité.
— Eh bien...Je jouais avec Fallon quand Anaïs et sa troupe sont venues m'insulter, disant que j'étais une enfant pourrie gâtée, que je ne méritais pas ce que j'avais, que j'étais une schizophrène qui devrait être à la morgue... Que j'aurais dû... Que j'aurais dû mourir brûlée vive comme maman...
Les larmes coulaient automatiquement. Je serrai les poings. Les gens ne se rendaient pas compte de l'impact de leurs mots. À mon âge, je prenais tout à cœur, chaque mot, chaque pensée martelant mon cerveau. Je voulais rejoindre ma maman, je ne voulais plus continuer...
— Ils se sont moqués de mes tâches de rousseurs, alors qu'Anaïs en a aussi. Mais quand c'est moi, ça en devient un problème...Quand Fallon a essayé de me défendre, Anaïs m'a attrapée par les cheveux et m'a fait tomber. Mon collant s'est déchiré.
— T'en as parlé à tes professeurs ?
Je fis non de la tête.
— Pourquoi on ne peut pas m'accepter, malgré ma différence mentale...Je reste humaine avant tout. J'ai des sentiments...Ca fait mal, papa. Je ne demande aucune haine, juste de l'aide...
— Les enfants sont cruelles, mais finissent par comprendre leurs erreurs.
— Je n'ai pas choisi de naître malade...
Je ressentais la douleur de mes mots en lui racontant mon harcèlement. Il essayait de m'aider, mais j'étais la cible, sans raison valable, et cela ne s'arrêterait pas de sitôt.
Il demanda à une servante de lui apporter une trousse médicale, mais je refusai :
— Je vais bien, papa.
— Non, tu saignes, fit-il remarquer.
La servante revint avec la trousse. William la prit et commença à jouer au docteur. Il mit du désinfectant sur ma plaie, me faisant grimacer de douleur. Ensuite, il plaça un pansement en forme de tête d'ours en peluche.
— Comme ça, monsieur Ours t'aidera à soulager la douleur.
— Merci, Papa.
Il me répondit avec un sourire tendre avant de me dire qu'il avait une surprise pour moi. Je n'aime pas les surprises ; elles pouvaient être bonnes ou mauvaises.
— Ferme les yeux, me dit-il.
Je m'exécutai. Je n'avais confiance qu'en Papa. Il prit ma main et m'emmena. Je sentais le vent souffler sur mon visage et faire bouger mes cheveux.
— Tu peux les ouvrir.
Quand j'ouvris les yeux, je découvris trois cibles de tir à l'arc. Il me donna ensuite l'arc et les flèches.
— Garde les épaules basses. Tire la corde dans l'alignement horizontal du bras d'arc, jusqu'au point d'ancrage.
J'écoutais attentivement ses conseils.
— Tire avec les muscles de ton dos pour rapprocher les omoplates. Reste droite et détendue.
Il tira la première flèche qui se planta dans le cercle jaune. Je pris une profonde respiration avant de tirer, mais ma flèche atterrit en dehors de la cible, au fond du jardin.
— Oh non...
— Ce n'est pas grave, princesse, me rassura-t-il en s'agenouillant pour être à ma hauteur. Va la chercher, d'accord ?
Je hochai la tête et courus chercher la flèche, plantée dans un tronc d'arbre. Je tirai de toutes mes forces mais tombai en arrière. La flèche était trop bien plantée. Une petite voix de vieux monsieur rigola en me voyant au sol.
— Il faut toujours demander de l'aide quand on n'y arrive pas, mademoiselle.
— Je sais, Wesley, mais je suis une femme forte !
— Une petite fille forte, alors.
Il me souriait tendrement, ce qui me réchauffait le cœur. Wesley était le bras droit de papa, un de ses meilleurs amis. Ils avaient vécu ensemble depuis longtemps, d'où leur amitié solide comme un roc. Wesley était plus âgé que Papa, dans la soixantaine. Je le considérais comme mon grand-père... Mais ça, il ne fallait pas lui dire. Je savais qu'il me voyait aussi comme sa fille.
— Tu as une petite mine, remarqua-t-il.
Je regardai derrière moi, constatant que les femmes qui travaillaient pour papa couraient partout pour préparer le mariage à la perfection.
— Je ne l'aime pas, avouai-je. Elle ne remplacera jamais maman.
— Personne ne remplacera Angelina, et surtout pas Ana.
Il me rendit la flèche.
— Merci.
Je rejoignis papa qui m'attendait avec un grand sourire. Je pris l'arc et inspirai profondément. La flèche se planta dans le cercle noir.
— Raté...
— Calme-toi, Tara. Il reste encore deux cibles.
Je me plaçai à quelques mètres de la deuxième cible et tirai. La flèche se planta dans le cercle bleu.
— Tu vois, plus tu es détendue, mieux tu réussiras.
Je fis de même pour la dernière cible. Avant de tirer, je fermai les yeux et pris une grande inspiration. Je tirai et...
La flèche se planta dans le cercle jaune, bien au milieu.
— J'ai réussi ! Papa, tu as vu ?!
— Oui, j'ai tout vu, mon ange, répondit-il en me prenant dans ses bras.
Je levai les bras en direction d'Anders qui dirigeait les serviteurs dans les préparatifs de la cérémonie.
— Tu as vu, Wesley ? criai-je.
— J'ai tout vu. Vous êtes une femme forte, ma chère, répondit-il en souriant.
— La plus forte, ajouta William fièrement.
Mais quelqu'un gâcha d'un coup tout mon enthousiasme, comme un aspirateur.
— C'est pas bientôt fini tout ce boucan ? Hurla Ana.
Elle portait un sac dont la lanière pendait à son bras. Des lunettes de soleil de marque et une robe qui semblait coûter une fortune complétaient son allure. La sorcière était de retour de sa virée shopping.
Fin du souvenir.
Ce souvenir...
Ana...
Si je la vois ce lézard périmé...
Le soir de ce souvenir, Ana m'avait giflée parce qu'elle m'avait interdit de jouer au tir à l'arc. William n'était même pas là pour voir son vrai visage. Mes yeux se posèrent sur un arc posé sur une table, avec les trois cibles toujours en place. J'avais continuer de pratiquer l'arc lorsque j'étais sur l'île.
Ana voulait que je fasse des activités plus "féminines", comme apprendre à jouer du piano ou faire de la danse classique.
— Donner tes chaussures aux chiens, c'est aussi quelque chose de féminin, connasse, crachai-je, encore pleine de haine.
Je pris l'arc dans mes mains et me plaçai en face de la première cible. Je décochai la flèche directement dans le cercle jaune. Je retrouvai le goût de la liberté, de mes marques. C'était comme si William était toujours là pour me guider. La deuxième cible subit le même sort. Chaque flèche décochée me rendait plus vivante. La troisième flèche brisa celle déjà plantée dans le cercle jaune, les fusionnant.
— Sacré coup de flèche, surgit Kyle de nulle part.
— Je suis sûre que tu ne manies pas aussi bien l'arc que moi, répondis-je en regardant les cibles, toutes frappées en plein cœur. Peut-être que mes années passées sur l'île m'ont donné cette force...
— Je t'avoue que les armes blanches et les armes à feu sont plus mon truc. D'ailleurs, ta bouffe t'attend dans le salon. Dépêche-toi de manger pour qu'on se tire de là.
En entrant dans la résidence, je n'avais plus d'appétit. Kyle allait me tuer si je ne mangeais pas, surtout qu'il avait payé. J'avais demandé une pizza juste pour l'embêter, mais manger une pizza alors que mon esprit essayait de digérer tous les souvenirs retrouvés ici était difficile.
Je m'assis sur le tabouret du piano poussiéreux. J'ouvris le couvercle et laissai mes doigts courir sur les touches. Je n'avais pas perdu mes années de pratique, malgré qu'Ana me forçait à jouer pour ses invités, m'empêchant d'aller faire du tir à l'arc ou dans la forêt avec les chiens. Elle me faisait jouer pendant des heures, mes doigts suppliant d'arrêter, et si je faisais une fausse note, elle fermait brutalement le couvercle sur mes doigts.
Et dire que l'asile me forçait à en jouer aussi...
Je pris une profonde inspiration et laissai mes doigts glisser sur les touches, la mélodie familière résonnant dans la pièce autrefois pleine de vie. Les notes exprimaient des émotions que je n'osais pas affronter. Les yeux fixés sur un point, je jouais, complètement noyée dans mes souvenirs. Pendant des minutes, la musique emportait mes pensées, chaque mélodie une histoire, chaque accord une émotion, trouvant un semblant de paix.
Je fermai les yeux un instant, puis les rouvris, embués de larmes. La respiration de Kyle me ramena à la réalité.
— Tu... Tu m'écoutais depuis combien de temps ? demandai-je.
— Depuis le début, répondit-il sèchement, toujours en me tenant.
Il fixait aussi un point, comme si le piano portait autant de douleur pour lui que pour moi.
— Tu veux t'asseoir ? demandai-je, évasif.
— Non.
Il retira ses mains de mes épaules avant de répondre à son téléphone. J'entendis la voix d'Eden.
— Quoi encore ? Attends, je change de pièce.
Je voulais de nouveau sentir le poids de ses mains sur moi...
Je restai assise, perplexe. Kyle était un paradoxe vivant : violent et protecteur à la fois. Pourquoi ressentais-je ce besoin de son contact alors qu'il avait montré tant d'agressivité ? Surtout qu'il y à quelques heures de ça, il avait coupé la langue de quelqu'un.
Je me relevai. On allait bientôt partir mais on avait encore aucun avancement à notre objectif. John m'a dit que c'était la clé de quelque choses, mais il ne semblait pas avoir envie de me dire à quoi cela correspondait.
Je marchai à nouveau jusqu'au bureau de William, refouillant son coffre en s'assurant qu'on avait tout vérifié. Mon regard s'arrêta au journal que j'avais posé sur son bureau. Le journal relatant la découverte de la statue attira ma curiosité. J'examinai attentivement la photo de la couverture, surtout les yeux de la statue. Ils étaient en cristal, mais pas n'importe lequel, un cristal d'émeraude.
— Pourquoi la statue la plus mal sculptée de la terre possède des cristaux de pouvoir énormes ? m'exclamai-je, abasourdie.
— Parce que ton père sait ce que tu es.
Je me retournai et fis face à Kyle, qui regardait le journal dans mes mains.
— J'ai trouvé ça dans ta chambre, dit-il en me montrant une petite caméra.
— Tu l'as trouvée où ?
— Dans ton ours en peluche, princesse. Une cachette plutôt glauque quand tu sais que ta fille se trimballe avec un doudou pour avoir de la compagnie... C'est triste.
J'essaie de comprendre ce qu'il est en train de dire. Bien qu'il se moquait ouvertement de moi pour avoir comme seul véritable ami un ours en peluche.
— Comment savait-il ? Et avant même que je le sache moi ? Imagine que ce soit Jadis, qu'elle soit venue tout lui raconter. Et il voulait en avoir la preuve, c'est pour ça qu'il a placé une caméra ! Il voulait vérifier si ma tante disait la vérité.
« Pourquoi t'essayes de l'excuser... »
« Il t'a surveillée durant toute ton enfance. »
« Non. »
— T'as fini ? m'interrompit Kyle.
— Non... NON. Si ma théorie est bonne, ça veut dire que Jadis aurait peut-être même placé les cristaux dans les yeux de la statue pour la donner à mon père ? Oui, c'est sûrement ça !
— Bon, ta gueule et regarde, éjecte-t-il à bout de nerfs.
Il connecta son téléphone à la caméra. La vidéo montrait ma vie avec la peluche, mes moments de joie et de tristesse.
— Monsieur Ours, je vous fais le serment que je me marierai avec vous quand je serai grande.
J'écarquillai les yeux de gêne. Je ne me souvenais plus avoir fait ce serment à mon ours en peluche.
— J'en suis limite jaloux, mais je me retiens, marmonna Kyle avec un sourire en coin.
Je roulai les yeux.
— Tu peux avancer la vidéo ?
— Étant donné que tu déclares ta flamme à un ourson en peluche, je n'ai aucun ordre à recevoir de toi.
— J'avais huit ou neuf ans.
— Honteux.
— Bon.
Je poussai Kyle pour prendre sa place et avoir le contrôle sur la caméra. J'arrêtai la vidéo lorsque je me vis, plongée dans mon aventure avec mon ours, mes yeux changeant de couleur, un vert émeraude, sans que je m'en rende compte.
— Alors... C'est là qu'il a tout vu.
— Tu ne t'en étais pas rendu compte ?
— Non, quand mes yeux changent de couleur, je ressens une force indescriptible. Je crois que je n'avais vraiment rien senti à ce moment-là.
— Donc ton père t'a espionnée jusqu'à sa mort... Quelle vie.
— Mais je ne comprends pas cette histoire de statue... Les cristaux dans ses yeux me semblent familiers, mais je ne comprends pas le lien. Et si la statue ne venait pas d'ici ? Ça veut dire que John l'a trouvée en Tyrie ? Mais comment y est-il allé ? Comment toi tu as pu y aller ? Il n'existe qu'un seul moyen...
— Je suis flatté que tu penses à moi à n'importe quel moment de ta vie.
Je le fusillai du regard.
— Bon, comme tu le vois. John connaît ton vrai prénom, et je sais qu'il s'est déjà aventuré en Tyrie plusieurs fois avant d'être expulsé pour escroquerie par Allan. William a trouvé cette statue chez John et l'a prise. Tout simplement.
Je ne croyais vraiment pas à son histoire. À mon avis, la statue et les dragons ancestraux sont liés.
Il y avait quelque chose de louche dans cette histoire et je devais en avoir le cœur net.
MANHATTAN
19H00
Nous sommes revenus du manoir depuis quelques heures. La première chose que je dois faire est de soulager Maddy après tous ces événements. Nous n'avons même pas eu l'occasion de parler. J'ouvre toutes les portes jusqu'à ma chambre, où je la trouve allongée sur le lit, contemplant le plafond avec ennui.
— Te voilà, enfin !
— Tu me cherchais ?
— Oui.
Je fermai la porte derrière moi.
— Tu dors ici ? Demandai-je.
— Eden m'a dit que je pouvais dormir dans ta chambre.
Je lui souris, ça ne me dérangeait certainement pas qu'elle dorme avec moi, tant qu'elle restait près de moi...
Dormir seul est vraiment difficile pour moi. En soit, la présence de Kyle dans la même pièce que moi la nuit dernière m'a apporté un certain réconfort. Je préfère avoir quelqu'un près de moi plutôt que d'être seul.
— Tout va bien, sinon ? Demandai-je.
— Oui...J'ai fait la connaissance d'Eden et Harvey. Ils sont très drôle.
J'ouvris la bouche pour y répondre mais elle me devança.
— Je ne comprends pas pourquoi je suis ici. Ma famille m'attend peut-être pour le week-end. Je ne sais pas combien de temps je vais être bloqué, ni pourquoi je suis impliquée dans tout ça.
Je m'assoie près d'elle dans le lit.
— J'ai mes examens de médecine à préparer ! Je dois y rester combien de temps ? On attend quoi de moi ?
— Kyle trouvera un moyen de justifier ta disparition, lançai-je. Malheureusement, il est très bon à ça.
Elle se releva.
— Mais ce n'est pas de ça que je parle réellement. J'ai fait quoi pour me retrouver dans cette histoire ? J'ai une vie ordinaire : je vais à la fac, je travaille entre-temps. Je n'ai rien fait de mal mais on me ôte ma liberté !
— Ce n'est pas par apport à toi qu'ils ont fait ça. C'est à cause de moi !
Son visage se décomposa sous le choc, et elle se laissa tomber de nouveau sur le lit, les yeux écarquillés.
— Mais pourquoi ?
— Je suis impliquée dans des affaires que je ne comprends même pas entièrement. Tu es ici à cause de ma propre situation.
— Mais alors, explique moi ?
Je me recroqueville, incapable de soutenir son regard. La confusion et la peur se mêlent dans mon esprit, me laissant désemparée face à l'incertitude de la situation.
— Si je te le dis, tu me verras plus de la même manière.
— Tara ?
— Mmh ?
— Il n'y a pas de meilleur moment que celui-ci pour tout me dire.
Je lève les yeux.
— Tu as raison.
Elle posa sa main sur mon bras pour m'encourager.
— Alors... Tu me connaissais sous le nom de Tara West. Mais c'est le nom de ma famille adoptive.
Dès le début, je vois la confusion dans son regard. Je poursuis :
— J'ai grandi en Pennsylvanie, dans le manoir où Kyle et moi avons dû aller. William, que je pensais être mon vrai père, était en fait mon beau-père. Ma véritable mère, Angelina, avait simulé sa mort pour retourner au Palais... À Émeraude, où j'aurais dû vivre avec mon frère et ma sœur, Aslan et Malyra. Mon vrai père vit aussi là-bas. Angelina a trompé William en lui faisant croire que j'étais sa fille, mais quand il est mort, d'une balle dans la tête, toutes les accusations se sont portées sur moi. J'ai été envoyée dans un asile psychiatrique, prétendument à cause de problèmes mentaux, selon ma belle-mère Ana, qui avait épousé William après la simulation d'Angelina.
Je sens qu'elle écoute attentivement, ne perdant aucun détail, mais je n'ai pas encore tout révélé.
— Une famille d'accueil en Russie a payé cher pour m'avoir. Ils m'ont transportée en bateau, mais le bateau a eu un problème technique et a coulé, emportant avec lui mes espoirs de retrouver une vie normale.
— Tu as été retrouvée ? me demande-t-elle, inquiète.
— Oui... mais par la mauvaise personne. Un homme à la tête d'une secte m'a recueillie, m'a transformée en chasseuse de proies pour ses besoins. Je devais tuer des familles entières et leur livrer les membres à Akira et ses hommes. L'île était un endroit terrible, sans vie ni espoir. J'ai été entraînée dans un monde criminel, perdant mon humanité.
— Tu... tu as tué ?
— Beaucoup. Hommes, femmes. Tout le monde était sur ma liste. Leurs cris de terreur résonnaient dans l'île. Akira m'a forcée à m'arracher la peau, à me faire des cicatrices. Et encore bien pire.
Ma voix tremble à mesure que je continue. C'est difficile à dire, mais je veux tout lui dévoiler. Je vois qu'elle est horrifiée par mes révélations. Je retire mon haut, lui montrant des cicatrices discrète sur mon dos, mes bras, mes jambes et mon ventre. Il y a aussi une cicatrice derrière ma nuque. Enfin, je lui montre le tatouage que m'a infligé Akira, gravé par du feu et du fer.
— Je ne pensais pas me reconstruire après ça. Un groupe de pêcheurs m'a trouvée et m'a prise avec eux. Je voulais me défendre, mais l'un d'eux m'a administré une flèche tranquillisant. C'est ainsi que je suis revenue en Pennsylvanie à l'asile jusqu'à ce qu'Iris et David m'en sortent. J'ai alors tout recommencé à zéro.
— Je... je ne sais pas quoi dire. C'est énorme tout ce que tu as vécu.
Je lâche un petit oui avant de répondre :
— Ensuite, mes pouvoirs se sont éveillés, et j'ai rencontré ma mère ainsi que le reste de ma famille au Palais.
— Je comprends pourquoi tu ne voulais pas me le dire...
Je n'osai pas la regarder, de peur de voir ses yeux me juger.
— Je te l'aurais dit, Maddy, mais je ne voulais pas me souvenir de tout ça. Je ne voulais pas que tu me vois comme un monstre.
— Un monstre ne reconnaîtrait pas qu'il est un monstre sans avoir de conscience. Beaucoup de gens ont fait des choses horribles en cherchant à trouver la rédemption. C'est ce que tu cherchais à faire.
— Pou-pourquoi tu me défends comme ça ? Je viens de t'avouer toute les choses horribles que j'ai fait !
— Tara, commence-t-elle doucement, j'étudie la médecine, y compris la psychologie. Ce que tu as vécu n'est pas seulement de la violence ou de la cruauté, c'est de la manipulation psychologique. Tu as été brisée et remodelée par des gens qui savaient exactement comment exploiter ta douleur et ta vulnérabilité. Ce que tu as fait, tu ne l'as pas fait de ton plein gré. C'était une question de survie.
Je baisse les yeux, mais elle continue, sa voix se faisant plus douce.
— Les cicatrices que tu portes, ce ne sont pas seulement des marques physiques. Elles racontent une histoire de souffrance, oui, mais aussi de résilience. Ce que tu as traversé est inimaginable, et pourtant, tu es encore là. Et tu es ici, devant moi, avec assez de conscience pour te sentir coupable, pour vouloir changer. Un monstre ne ressentirait pas ça, Tara.
Je reste silencieuse, les mots de Maddy me frappant plus profondément que je ne l'aurais imaginé.
— Les psychologues appellent ça le syndrome de Stockholm ou une dissociation. Des mécanismes de défense que ton esprit a mis en place pour te protéger. Ce que tu as fait ne définit pas qui tu es maintenant. C'est ce que tu fais à partir de maintenant qui compte.
Elle serre doucement mon bras, ses yeux cherchant les miens.
— Je ne te défends pas pour excuser ce qui s'est passé, dit-elle doucement. Je le fais parce que tu as besoin de comprendre que tu n'es pas condamnée à être définie par ce passé. Ce que tu as vécu ne te rend pas monstrueuse, ça fait de toi une survivante.
Un silence lourd s'installe entre nous, mais il est rempli d'une compréhension nouvelle. Les larmes que je retenais commencent à couler lentement, emportant avec elles un poids que j'avais porté trop longtemps.
— Je suis désolée que tu ne t'es pas senti en confiance pour m'avoir cacher tout cela.
Elle me prend dans ses bras, et je me laisse aller, enfouissant mon visage contre son épaule. Les larmes coulent librement maintenant, libérant un poids que je ne savais plus comment porter seule.
— J'ai fini de préparer à manger, les guuuuuuuuuurles ! Ce soir, c'est soirée mexica... euh, tout va bien ? s'exclame Eden en surgissant tout joyeux.
Je me racle la gorge, évitant le regard de Maddy qui sourit à Eden.
— Oui, tout va bien. On arrive, répond-elle.
Après les révélations que je venais de faire, je n'avais plus vraiment d'appétit. Mais Eden était tellement enthousiaste que je ne pouvais pas lui refuser sa soirée. Je pris sur moi, même si l'envie de manger m'avait complètement quittée.
Nous nous dirigeons vers la salle à manger. Eden avait sorti le grand jeu : la pièce est décorée aux couleurs du Mexique, avec des guirlandes colorées et des drapeaux. Le buffet, disposé sur la table, regorgeait de tacos, de tortas ahogadas, de chilaquiles, et bien d'autres plats délicieux.
Eden est au téléphone, tout en cuisinant.
— Sí? No sé, Harvey se ha ido a ver a Flore así que estoy sola con los invitados... estoy haciendo la cena. Claro, dile al hijo de puta que estoy deseando follármelo.
Maddy me regarde, la bouche grande ouverte, tandis que je ne comprends pas pourquoi.
Il raccroche.
— EDEN ! Tu ne m'avais pas dit que tu parlais espagnol ?
— Sí, mi amor, je suis mexicain de ma mère.
— QUOI ? JE SUIS MEXICAINE !
Elle saute de joie en répétant la phrase, et Eden la regarde, surpris mais amusé par son enthousiasme soudain.
— Attends, tu es vraiment mexicaine ? demande Eden, un sourire se dessinant sur son visage.
— Oui ! Je vais souvent voir ma famille qui vivent à Mexico.
— Alors si je te dis "Chinga tu madre" ?
Elle rigola avant de passer à une expression ferme, le fusillant du regard.
— Habla bien de mi madre si no quieres que te meta en el vientre de tu madre.
Je restai debout comme un playmobile, ne sachant pas si je dois rire avec ce qu'ils disent. Parmi toute les langues que je parle, l'espagnol n'y figure pas dedans.
Eden éclata de rire en levant les mains en signe de paix.
Maddy et moi nous installons à table et remplissons nos assiettes. Je dois admettre que la vue de tous ces plats m'a redonné l'appétit. Je me jette donc dans le repas avec enthousiasme. Après avoir pris plusieurs bouchées, je remarque à peine l'absence de Kyle.
— Où est Kyle ? Demandai-je en me tournant vers Eden, qui était en train de servir l'assiette de Maddy.
— Sûrement dans la cave.
— Et Harvey ? Demanda Maddy.
— Il est parti voir Flore.
Maddison et moi, nous nous lâchons un regard perdu.
— Oh ! Flore est la petite soeur d'Harvey. Elle est dans une famille d'accueil maintenant.
— C'est compliqué avec tout ça, ajoutai-je en posant ma fourchette. Mais ça me fait penser, Eden, comment est-ce que tu te retrouves ici ?
— Ici...genre ici ? Là ?
— Ou veux tu d'autres ?
Il se racla la gorge avant de prendre une gorgé de vin.
— J'ai simplement suivis les pas de Kyle.
— Vous avez quels liens vous deux ?
Je ne pouvais pas m'empêcher d'enquêter.
Il ricana.
— Kyle m'avait dit que tu étais une sacré curieuse. Une vrai enquêtrice.
— Je veux juste savoir, étant donné que je suis coincé ici pendant quelques semaines.
— Mmmh...je ne pense pas quelques semaines. John trouvera un moyen de te forcer à lui apporter quelques choses, mais il ne te tuera pas, ça j'en suis persuadé.
Il tente de changer de sujet, putain.
— Qui veut du poulet ? demande-t-il en montrant ses dents.
Je remarque que Maddy joue déjà avec ses cheveux, et je comprends immédiatement qu'elle commence à l'apprécier. Comme nous sommes meilleures amies, je sais reconnaître les signes de son intérêt.
Je lève la main pour avoir du poulet, histoire de goûter les talents culinaires d'Eden. À ma grande surprise, dès la première bouchée, une explosion de saveurs envahit mon palais. Le poulet est parfaitement épicé, tendre et juteux. C'est un régal !
Mais non, je devais avoir des réponses. Coûte que coûte !
— Tara ? M'appela Eden.
— Oui ?
— Kyle m'a dit que tu n'aimais pas en parler...Mais je t'avoue que ça m'intrigue beaucoup. C'est comment ton monde natale ? Je veux dire, ça existe vraiment ces...ces...dragons ?
Pourquoi moi je devrais te donner des réponses alors que toi tu ne m'en as pas donné ?
— Tu es curieux Eden, répondis-je avec un sourire.
— Tu ne répondras pas, c'est ça ? Lance-t-il en souriant.
— Je t'ai demandé qu'une simple chose. Kyle ne va pas te tuer pour ça tout de même.
— Non, il ne me tuera pas même s'il en meurt d'envie des fois.
Il soupira avant de reprendre.
— Kyle est mon cousin éloigné. Très éloigné même. Mais je veille sur lui comme un grand-frère, même si on a que quelques mois de différence. Ca reste mon petit bébé à moi.
— Donc, il est mexicain aussi ?
— Non, et pour être honnête, je ne connais même pas ses origines précises. Nous avons grandi séparément, et je n'ai découvert son existence il y a à peine quelques années. Dès que j'ai appris qu'il était sorti de prison, je me suis empressé de l'héberger. Mais Kyle, c'est Kyle : il ne veut aucune aide des autres. Si tu voyais son appartement à Manhattan, tu serais bouche bée. Je lui ai volé une cuillère en argent d'ailleurs ! Je l'ai accrocher au-dessus de mon lit !
Il sourit en évoquant ce détail, un sourire qui cache à peine la profondeur du mystère qui entoure Kyle.
— Et...il a quel âge du coup ?
— 25 ans, tout comme moi. J'essaie de rattraper le temps perdu avec lui, j'ai perdu ma famille lors d'un accident d'avion. Ils ont disparu lorsqu'il survolait le Triangle des Bermudes. Depuis, John m'a élevé.
— Il a élevé Kyle, aussi ?
Eden allait commencer à répondre, mais il s'interrompit en jetant un coup d'œil à l'horloge.
— MI TELENOVELA !
Il se leva précipitamment, sautant par-dessus le canapé pour s'installer confortablement.
— A moi, La Sombra del Pasado!
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ET C'EST FINIIIII 🤭
J'AI TELLEMENT D'IDEE QUE MON CRÂNE VA EXPLOSER !
KIIISSSS
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