Niveau 8
Mon cœur s'affole. Pourquoi Winter s'enflamme-t-il aussi brutalement ? Son regard ne pouvait pas rester vide ? À présent, ses yeux étincellent autant qu'un brasier inarrêtable.
— Dès que je suis entré dans le bar, je suis tombé sous le charme d'une jeune fille absolument magnifique. Elle dansait seule. Ses reflets cuivrés sous la douce lumière tamisée illuminaient toute la piste. Je me rappelle m'être perdu dans son déhanché gracieux. M'être demandé comment elle pouvait danser seule. Pourquoi personne ne se jetait sur elle... Elle, qui était entourée d'hommes et pourtant, aucun ne semblait la remarquer. Étaient-ils aveugles ? Moi, ce que je me disais à ce moment, c'est qu'une beauté pareille, je m'en empare immédiatement et je la capture éternellement.
Mon cœur rate un battement. Winter maîtrise l'art des mots. Et les mots sont l'une de mes cordes sensibles. Que ce soit en bien ou en mal, ils m'atteignent et me procurent des sensations fortes. Positives ou négatives. Il ne faut jamais sous-estimer la puissance de paroles, car elles peuvent autant charmer que blesser. Et les siennes ne pourraient me laisser plus confuses. Il décrit la scène avec tant de détails...
Fais attention. Ne te laisse pas berner. C'est un séducteur. Un joli emballage. Un joueur, me remémoré-je. Il ne peut pas être sincère. Pourtant, impossible d'empêcher l'accélération de mon rythme cardiaque. De taire l'espoir que je ne suis pas aussi laide que cela. Que je peux plaire. Que Winter n'est pas le diable incarné. Que tout arrive pour une raison. Qu'il est capable de me sauver. Aussi, je ferme les yeux un instant et me réfugie dans ma bulle.
— Viens en aux faits, lâché-je sèchement, mes murailles redressées. Nous n'avons pas toute la nuit, non ?
— Oh, ma belle January, pour toi, j'ai toute la nuit et celles d'après. Tu vois, j'aime prendre mon temps dans tout ce que j'entreprends. Jamais je ne bâclerai une histoire, surtout une aussi passionnante. Je te laisse donc le choix. Soit je continue. Soit je m'arrête. Cependant, tu n'en sauras pas plus. À toi de voir.
Mon regard se pose sur Jean-Jean, qui nous surveille du coin de la salle. J'ai besoin de réponses. De comprendre comment je me suis retrouvée ici. Ou je ne survivrai pas. J'inspire profondément et l'invite à continuer.
— Très bien, reprenons. Face à une beauté pareille, j'ai évidemment décidé de l'approcher. Quelque peu maladroitement, je l'admets. Je me suis avancé vers elle et j'ai renversé mon cocktail sur sa délicieuse robe noire, qui dévoilait sa poitrine généreuse et faisait ressortir ses superbes hanches. Le citron s'est coincé au niveau de la fente de son décolleté. Il m'appelait et j'hésitais un instant à le retirer avec mes dents comme elle n'entendait pas mes excuses. Mais je ne voulais surtout pas l'effrayer. Aussi, je me ravisais et l'emmenais à l'extérieur. Nous sommes arrivés dans une petite cour décorée avec goût et passion. Nous étions seuls pour mon plus grand plaisir et le sien, vu la brillance qu'émettaient ses yeux. Sous les guirlandes lumineuses, elle m'est apparue encore plus séduisante. Son sourire était divin et son regard perçant semblait sonder mon âme. Je tombais encore un peu plus sous le charme.
Les traits de mon visage tentent de rester impassibles, mais ses mots me perturbent profondément. Car étrangement notre « aventure » sonne beaucoup plus belle dans sa bouche. Encore une fois, il me dit tout ce que j'ai toujours voulu entendre et c'est dangereux. Je suis dans The Virginity Game. Winter est un joueur, qui ne joue que pour le plaisir du jeu, et mon kidnappeur. Même s'il n'est peut-être pas réellement responsable de mon enlèvement. Il l'a tout de même perpétré. Donc, terminé les excuses et enterré ce foutu espoir trompeur.
Winter ne me sauvera pas. Je suis, certes une cause perdue, mais certainement pas un jouet. Non, je suis un pion. Je ne sais pas ce qui est pire. Je ne sais même pas s'il y a une différence. Je me perds. Ce n'est pas le sujet. Je suis moi et je ne couche pas avec le premier venu. Peut-être que j'aurais dû plus me forcer. Au moins, je ne me serais pas retrouvée dans ce jeu. Non, arrête, ce qui est fait est fait. Ne ressasse pas, me sommé-je. Respire, écoute, analyse et agit, seulement si tu le peux. Je regagne un peu de prestance et écoute la suite.
— Je me suis approché d'elle pour lui présenter mes excuses une nouvelle fois et j'ai eu une envie irrésistible de la dévorer. Le mélange de l'odeur du cocktail à son parfum était magique. Plus elle rougissait, plus mon cœur se réchauffait. Elle m'a attrapé par le col et attiré contre elle. Je la voulais. Nos visages se touchaient presque et je me contrôlais au mieux pour résister à la tentation de ses lèvres rouge sang qui m'attiraient tel un aimant. Elle s'amusait avec moi et je me suis dit qu'elle serait parfaite pour le jeu. Je voulais qu'elle joue avec moi. Je voulais lui faire perdre la tête. Je voulais qu'elle soit mienne.
Voilà, le joueur révèle ses vraies couleurs. Dès notre première rencontre, ce type m'a prise pour un bout de chair. Un morceau de viande alléchante. Un objet. Un pion. C'est ce dernier que je suis devenue en signant le contrat et je n'ai pas la moindre idée dans quoi je me suis encore embarquée. Je ne pourrais peut-être jamais m'évader. Aurais-je dû suivre October et choisir la cage ?
— Je suis parti lui chercher de l'eau, enfin c'est ce qu'elle croyait. En réalité, je soudoyais le barman pour qu'il la drogue. Je lui ai demandé de vider le bar et il s'est exécuté après de dures négociations. Il a été plutôt coriace, mais personne n'est incorruptible. Les clients ont quitté les lieux les uns après les autres, sauf une fille qui refusait encore de partir. En un coup d'œil, j'ai su qu'elle risquait de me prendre la tête. Surtout quand son charmant cavalier avait beau l'encourager à l'accompagner, elle s'entêtait à rester. Je devais donc trouver un moyen de la faire partir si elle insistait encore et j'avais déjà une petite idée. Elle était mignonne, mais pas mon style. En revanche, je savais qu'elle plairait à Summer avec ses cheveux blonds-cendrés et ses yeux bleu clair. Et il fallait avouer qu'elle était vraiment bien roulée. J'ai donc d'abord congédier son cavalier, reluctant au début, mais loin de tout risquer pour la sauver. Puis, je me suis approché d'elle pour la sommer une dernière fois de partir, puisque le barman n'arrivait toujours pas à l'en convaincre. Et elle a insisté qu'elle ne partirait pas sans son amie.
Mon cœur fond. Je n'en reviens pas. Lise ne m'a pas abandonnée. Elle n'est pas partie sans me prévenir. Mais dans ce cas-là, où était-elle ? Est-ce que Winter l'a menacé ? S'il lui a fait du mal...
— Jusqu'à ce qu'elle me reconnaisse. Son regard a immédiatement changé. J'ai lu l'envie dans ses yeux. Il suffisait d'observer la façon provocatrice dont elle mordait ses lèvres. Dont elle me déshabillait du regard. Elle me désirait. J'avais l'habitude de ce genre de fille et je savais parfaitement comment les gérer. Alors je lui ai annoncé que sa copine avait été choisie pour The Virginity Game et elle a explosé de rire. Elle m'a répondu que c'était impossible parce qu'elle n'était pas vierge. Je lui ai affirmé le contraire, puisque ce n'était que la stricte vérité et January, je me souviens encore parfaitement de l'état de choc dans lequel ça l'a mise. Son regard s'est assombri et elle a demandé à te voir. Je lui ai expliqué que tu avais déjà signé la promesse de jeu et donc, que tu ne pouvais plus entrer en contact avec le monde extérieur. C'était un mensonge, bien évidemment, mais ça elle ne pouvait pas le savoir. Elle a ensuite froncé les sourcils et essayé de me dépasser, mais je lui ai attrapé les poignets et murmuré une seule phrase qui lui a fait changer d'avis et abandonner son amie, toi.
Winter attrape mes poignets et ses lèvres s'approchent de mon oreille. D'une voix des plus sensuelles, il murmure :
— Summer veut passer la nuit avec toi.
Mon cœur se brise en mille morceaux et il en rajoute une couche pour enfoncer le pieu encore plus profondément.
— Je lui ai fait un discret signe et Summer est sorti de derrière les longs rideaux de velours rouges. Le visage de la fille s'est décomposé, c'était tellement drôle à voir. Tu as vraiment raté quelque chose parce que je t'assure qu'au moment où ses yeux se sont posés sur lui, elle a tout oublié, et sa chère amie n'était plus qu'un lointain souvenir. Quand il lui a pris la main, elle n'a eu d'yeux que pour lui et l'a suivi docilement. Elle ne s'est pas retournée une seule fois vers moi et a abandonné sa fameuse amie sans plus aucune hésitation.
Incapable de le retenir plus longtemps, un rideau d'eau tombe sur mes joues et brouille ma vision. Les mots charment. Les mots blessent. Les mots détruisent. Les mots dépriment. Les mots achèvent et sèment la zizanie dans l'esprit. Comment Lise a-t-elle pu m'abandonner pour un homme ? Comment a-t-elle pu me laisser participer à ce jeu ? Pourquoi ne s'est-elle pas battu pour moi ?
Winter se tait un moment. Il s'assoit sur mon bureau et essuie mes larmes avec sa main. J'étouffe. Je n'ai pas la force de le repousser et n'ose pas le regarder. Je me sens si stupide, si... Calme-toi et arrête de pleurer comme une gamine ! hurle la voix de ma conscience. Ne lui montre pas tes faiblesses ou il pourra les exploiter.
— Hé, je ne pensais pas que ça te bouleverserait autant. Je ne savais pas que tu tenais à elle à ce point. Mais au moins maintenant, tu sais à quoi t'en tenir. Ce n'était pas une vraie amie. Tu ne signifiais pas grand-chose pour elle. Lise t'a délaissée comme les autres. Tu es si seule, January. Personne ne te comprendra jamais. Personne ne t'aimera jamais. Je suis le seul sur qui tu peux compter.
Je manque de m'étouffer de rire. Incapable de me contrôler. Je ris. De moi. De lui. Du ridicule de cette histoire. Je prends une profonde inspiration. Sans aucune preuve de la véracité de ce qu'il raconte, je ne dois pas me fier à tout ce qui sort de sa bouche. J'essuie mes yeux. Winter ment comme il respire, c'est son métier. Je le sais bien. Malgré tout, le doute s'est installé et il commence à me ronger.
Ma crédulité m'a toujours fait défaut. C'est pourquoi je me répète souvent de tout remettre en question. Encore plus quand la fiabilité de la source laisse à désirer et que je ne possède aucune donnée factuelle. Donc, je ne le laisserai pas m'atteindre ! Je connais Lise depuis des années, lui depuis quelques heures.
— Lise n'aurait jamais fait ça. J'ai une totale confiance en elle.
— Quelle fidèle amie es tu. Tu es libre de ne pas me croire. Mais souviens-toi qu'il n'y a que la vérité qui blesse. Et si tu penses que je mens, je peux m'arrêter. Ça ne sert à rien de te forcer, surtout si tu n'es pas prête à accepter la vérité. Je vois bien que tu es à bout et honnêtement, je ne pense pas que tu sois capable de supporter la suite...
Je secoue la tête aussitôt et il m'offre un sourire qui n'a rien de compatissant. L'envie de prendre mes jambes à mon cou me saisit, mais je tiens bon. C'est à moi de déceler le vrai du faux et de tirer un maximum profit de cette interaction.
Winter se rapproche de mon oreille qu'il ne compte décidément pas laisser tranquille et son souffle me répugne.
— J'adore la détermination qui transparaît dans tes iris en ce moment, chuchote-t-il. Tu me rends tellement heureux. Tu n'as pas idée. Ça me donne envie de voir jusqu'où tu peux aller. Si tu es capable de me surprendre. J'espère que tu es prête parce que maintenant j'irai au bout. Je te laisse tout de même une dernière chance de renoncer. Je veux que tu sois sûre de toi.
— Je suis sûre de moi.
— Tu n'en as pas l'air.
Ma respiration difficile ne lui échappe pas. Je recule ma chaise pour retrouver une distance satisfaisante quand l'un des pieds butte contre une racine. Je bascule en arrière, toutefois, Winter me rattrape avant que je ne m'écrase.
— Attention, ma belle Jay ! Le jeu vient à peine de commencer, tu ne voudrais pas te faire mal aussitôt. Qu'est-ce que tu ferais sans moi franchement, s'esclaffe-t-il, son air de joueur parfait collé au visage.
J'aimerais lui faire ravaler son impertinence révulsante. Le voir enseveli sous des montagnes de ronces. Entendre ses os se briser un à un alors qu'elles le compressent et qu'il hurle à la mort. Mais à quoi bon répondre à ses bêtises. Mieux vaut me concentrer sur mon souffle bien trop saccadé.
— Poursuis, le pressé-je.
— January, January, January, nous avons tout notre temps. Donc, une fois le dernier obstacle éliminé, ma princesse à la peau hivernale était de retour dans un timing parfait. Je me suis glissé derrière les rideaux alors qu'elle s'asseyait au bar. Toujours ivre, elle cherchait son portable. Mais elle ne le trouverait pas car je lui avais pris quand je l'enlaçais. Je me suis approché d'elle discrètement pour ne pas l'alarmer. Elle ne me remarquait pas et engloutissait en un éclair le cocktail préparé juste pour elle. L'effet n'a pas tardé à se faire sentir, elle s'est mise à tanguer et a basculé du tabouret. Tu es vraiment trop renversante pour ton corps ! Heureusement, j'étais là et serai toujours là pour te rattraper à temps. Je ne te laisserai jamais tomber. Puisque que je ne pense pas que tu me contredises, January, mais personne ne veut abîmer son jouet. Plus encore sans avoir pu s'amuser avec. Et surtout un si beau jouet, n'est-ce pas ?
Il attend un moment. Cependant, je ne peux rien dire. Rien faire. Rien exprimer. Trop d'émotions se mélangent en moi et atomisent mes neurones. Alors je reste là, pétrifiée par le torrent de paroles toujours plus impudentes dégoulinant de sa bouche.
— Tu sais ce qu'on dit, qui ne dit mot consent ! Et je suis ravi que tu sois d'accord avec moi. Nous pouvons à présent terminer. Même si ce n'est pas vraiment la fin mais plutôt le commencement. Enfin, avançons. Avant donc que ma beauté ne sombre dans un sommeil profond, elle devait signer la promesse de jeu. Je la voulais dans mon équipe à tout prix. Je lui ai tendu le papier. Elle l'a observé quelques instants et l'a signé par pur réflexe. Elle ne s'est posée aucune question. En même temps, vu le taux d'alcool qui circulait dans son sang et la drogue de plus en plus efficace, cela n'avait rien d'étonnant. Et je savais pertinemment qu'elle oublierait tout à son réveil. Ses paupières se sont fermées et dans un murmure presque inaudible je lui souhaitais de faire de beaux rêves. Je l'ai porté jusqu'au van qui nous attendait pour nous conduire à l'aéroport, avec une seule hâte : que le jeu démarre.
Bouche bée, je n'en reviens toujours pas. Après tout ce qu'il m'a dit plus tôt... Comment ose-t-il me mentir de la sorte et jouer à la victime ? Winter ne m'a pas seulement kidnappée, mais aussi volée et droguée. Et qu'il arrête de me laisser croire que ce n'est pas de sa faute, en prétendant de ne pas être libre, avoir des scripts... Nous avons toujours le choix. Il a fait le sien et je mettrai tout en œuvre qu'il le paye quand l'occasion se présentera. Je ne suis pas qu'un simple pion. Je suis dotée de raison et je compte bien m'en servir. J'en suis capable.
D'un bond, je me lève, bien décidée à quitter cette pièce me donnant la nausée. Je l'ai suffisamment écouté et j'ai bien fait. Maintenant, je ne me laisserai plus attendrir par cet ignoble personnage. Je me dirige vers la sortie. Je peux aller n'importe où. Même si je me perds, je m'en moque. Je veux juste être seule. Seulement, je glisse lamentablement sur une nouvelle racine. Ma cheville se tord et deux bras puissants me tirent en arrière. Mon cœur aussi maladroit que le reste de mon corps manque de chavirer.
— Pas si vite, ma douce January, susurre-t-il au creux de mon cou. Je te l'ai dit. Je n'en ai pas fini avec toi. Ce n'est que le commencement.
Un millier d'épines percent ma peau alors que Winter contourne mon corps. La porte disparaît de mon champ de vision, remplacée par son immonde image. À chacun de ses pas, je recule en prenant garde de bien soulever mes pieds et je bute contre l'estrade. Déséquilibrée, je parviens tout de même à rester sur pieds.
— Ta maladresse est charmante.
Je parviens à gravir l'estrade et mes fesses tapent le bureau. Je n'irai pas plus loin. Je suis piégée. C'est le cas depuis le premier soir. Ses iris se vissent aux miens. Il se penche en avant et incapable de me sauver, mon dos se cambre et son aura m'écrase.
— January, je t'ordonne de t'assoir sur le bureau, déclare-t-il, avec le plus grand sérieux.
Accrochés aux rebords, mes doigts s'enfoncent dans le bois. Je pensais échapper à ses ordres, je me suis trompée. Il n'a jamais eu l'intention de me ménager. Tout n'était que dans le but de m'embrouiller et de baisser ma garde. Je sens qu'un très mauvais quart d'heure m'attend, si ce n'est plus. Car, d'après la règle numéro quatre, la hiérarchie doit être respectée et cela signifie que les Ignorantes doivent obéir aux ordres de tous les autres. C'est la première punition pour ne jamais s'être intéressé à The Virginity Game et elle est bien sévère.
Aussi, sans rien dire, je m'exécute. Risquer d'enfreindre une règle quand Winter m'a juste demandé de m'assoir sur le bureau se trouve idiot et mon manque d'opposition l'ennuiera. Du moins, je l'espère, car je n'ose pas imaginer ses prochaines demandes. Seulement, j'ai signé le contrat... et les producteurs possèdent les moyens de s'en prendre à ma famille. Une variable oubliée à tort.
J'en viens à regretter de ne pas avoir choisi la cage. Si j'avais sacrifié ma liberté, si je m'étais fait enfermée, mes proches ne seraient pas en danger. Et qu'est-ce qui te l'aurait garanti ? m'interroge la voix de ma conscience. Rien, mais une chose est sûre, j'aurais eu encore moins de chance de m'échapper qu'aujourd'hui.
Mes yeux se lèvent vers ceux de Winter, mon obéissance le satisfait. Je ne l'ai pas agacé et je ne sais pas comment le déstabiliser. En même temps, quelles seraient les conséquences de cet affrontement indirect ? Je doute qu'il soit aveugle et ne remarque pas ce à quoi je joue. Non, ce n'est pas le bon mot. Je hais ce mot. Ce que je tente d'accomplir et... peut-être cela l'amuse-t-il encore plus. Ne m'a-t-il pas dit qu'il voulait que je le surprenne ? Impossible de le déchiffrer. Et s'il va trop loin... Respire, écoute, analyse, agit. Reste calme, ne le laisse pas voir ta panique, m'encouragé-je.
— Excellent, et si on corsait un peu les choses. Voyons voir... Ah, je sais ! January, écarte les jambes.
Mon circuit neuronal rate une connexion nerveuse. Plaît-il ? Il ne vient pas de me demander ce que je crois ? Mes cuisses se resserrent et mon front se plisse. Aucun ordre n'est censé être à caractère sexuel. Mais encore une fois, cette information ne m'indique pas jusqu'où ils peuvent aller et les contours s'avèrent toujours plus flous.
Je ne sais pas quoi faire. Je respire, j'écoute et j'analyse, mais impossible d'agir sans solution. Je ne veux pas réaliser sa demande, c'est humiliant. Mais si je désobéis, me punira-t-il ? C'est son droit, j'ai signé. Bordel, pourquoi ai-je signé ?
— Jay, ne m'oblige pas à les écarter moi-même, gronde-t-il.
Mon souffle se bloque dans ma gorge et l'air ne circule plus. Si je ne le fais pas, il le fera. À moins que je ne me lève et ne m'enfuis en courant. Oui, cours et tu iras où ? Tu vas peut-être traverser la mer à la nage ? Tu as envie de te suicider ? Tu veux emmener ta famille avec toi ? me balance la voix de ma conscience.
Soudain, ma sœur, mon père et ma mère s'enfoncent dans les profondeurs abyssales de l'océan. Un poids accroché à la cheville, ils se débattent rageusement. Leurs hurlements silencieux me noient de l'intérieur. Épuisés par leurs mouvements désordonnés, la surface s'éloigne au lieu de se rapprocher. J'aimerais plonger à leur secours, mais je ne peux que regarder impuissante les bulles de moins en moins nombreuses s'espacer de plus en plus. Leurs bras tombent. Leurs jambes cessent tout mouvement. Leurs cheveux flottent vers des hauteurs inatteignables. Leur poitrine ne se soulève plus. Seul leur corps immobile demeure, tombant toujours plus bas sous mes yeux éteints.
C'est ça que tu veux ? Juste parce que tu n'es pas assez forte pour écarter tes jambes ? Réveille-toi, princesse ! C'est quoi la règle ? Respire, écoute, analyse, agit. Alors tu attends quoi ? Écarte les jambes ! Il ne faut pas être Einstein pour savoir que c'est la meilleure solution. Incapable d'ignorer la voix de ma conscience plus longtemps, j'écarte les jambes, mais le moins possible.
— Je préfère ça, approuve-t-il d'un léger hochement de tête. À présent, allonge-toi.
Ne m'oblige pas à me répéter, obéis-lui. Si quelqu'un entendait mes pensées, il me prendrait pour une folle et me conseillerait sûrement de consulter un psychologue. Mais je répondrais que je suis justement ma propre psychologue. Si efficace que je me trouve encore vierge et à deux doigts d'avoir un dédoublement de la personnalité.
Allongée sur le bureau recouvert de verdure, les jambes écartées, la tension de chacun de mes membres écartèle mon corps. Je ne sais pas ce qu'il compte faire, mais j'espère de tout cœur que ce ne sera rien qui me pousserait à le frapper. Car la règle numéro cinq me l'interdit.
Son corps frôle le mien et mes muscles se déchirent. Ne pas le voir m'est insupportable. Je relève la tête et une seconde dans son regard suffit à m'arrêter. Respire, respire, respire.
— Jay, détends-toi, s'il te plaît. Je ne vais pas te faire de mal. Comme je te l'ai déjà dit, jamais je ne te forcerai à faire quoi que ce soit que tu ne veux pas, affirme-t-il sur un ton tendre totalement inadapté à la situation. Même si j'ai des obligations à respecter, je serai toujours là pour toi. Tu peux me parler et me faire confiance. Nous pouvons traverser cela ensemble. Je suis ton joueur, ne l'oublie pas.
Et je suis son pion. Un des points nécessaires pour éviter son élimination. Ses tibias entrent en contact avec mes cuisses et mon alarme interne sonne. Je saute l'étape d'analyse et agis. Mon buste se relève brusquement et mon nez s'écrase contre son torse. Je ne frappe pas de la chair, mais du muscle et ce n'est pas agréable du tout.
Son rire perfide tonne et assis entre mes jambes, ses cuisses remplacent maintenant ses tibias. Clouée au bureau, je ne suis pas prête de me faire la malle. Mais encore une fois, où irais-je ?
— Purée, tu as vraiment le don pour ruiner un moment, toi ! s'exclame-t-il.
Espérons ce « moment » complètement ruiné dans ce cas. S'il pouvait se relever et me laisser partir, ce serait merveilleux. Cependant, je doute que ce soit dans ses plans, au vu de son féroce sourire.
— Ça me rassure de voir que tu es encore pleine d'énergie. Mais allez, rallonge-toi, ordonne-t-il, en reprenant son sérieux, toujours cet air espiègle ancré au visage.
Heureusement, les racines n'escaladent pas le bureau ou mon inconfort dépasserait des sommets. Je prends donc sur moi et me rallonge. Faire une scène maintenant ne m'apportera rien et je me vois mal lui déballer mes sentiments.
Ses mains s'appuient contre le bureau à la hauteur de ma taille. Il me fixe droit dans les yeux. Opprimée, je soutiens son regard à peine dix secondes, puis mes pupilles s'affolent dans tous les sens.
— Jay, que se serait-il passé si nous avions échangé nos numéros dans ce bar ? Si nous nous étions revus ? Tu sais, tu dégages quelque chose de vraiment attirant, mais tu ne t'en rends pas compte. C'est comme quand tu dansais dans le bar. Les hommes ne te voyaient pas parce que tu te cachais. Moi je te vois et ce depuis la première fois. Tu es sublime et j'aimerais t'aider à le réaliser à travers ce jeu. Car tu peux t'en servir comme tu peux te servir de moi. Je ne te dirai jamais non. Je ne me moquerai jamais de toi. Je te respecterai toujours. Je peux t'apporter beaucoup si tu m'en donnes l'occasion. N'as-tu pas envie de vaincre tes peurs et de croquer la vie à pleine dent ? De ne pas te limiter au regard des autres et de resplendir ? Ne veux-tu pas être libre ?
Mon cœur se morcelle, tiraillé entre un élan de terreur et une pointe de désir bien plus complexes qu'au premier abord. L'offre de Winter est tout ce dont j'ai toujours rêvé et ma résolution s'ébranle en un souffle. J'ai beau lutter, rien ne pourrait plus m'effrayer que l'espoir qu'il me promet et que je meurs d'envie d'accepter. Je suis dérangée, c'est officiel.
Personne ne prendrait sa proposition au sérieux. Personne ne se laisserait duper aussi facilement. Non, attend, combien aspireraient à se trouver à ma place ? Mais c'est justement parce que ce ne sont pas elles coincées sous Winter qu'elles en rêvent. Elles ne le veulent que pour fantasmer, pas pour le vivre.
Car la différence entre un fantasme et la réalité s'avère aussi grande que la surface de la planète Terre, soit cinq-cents-dix millions et soixante-cinq mille sept-cent kilomètres carrés. Ne me demandez pas pourquoi je me souviens de ce chiffre, je serais inapte à vous répondre. J'ai toujours eu un don pour me rappeler de choses inutiles.
Bref, cela ne change pas le constat qui me broie de l'intérieur : un mélange de peur et de désir m'habite. Cela ne me plaît pas, mais en même temps, la partie sombre de mon cerveau en a décidé autrement et la voix de ma conscience ne parvient pas à l'arrêter.
Winter se hisse sur mon bassin et déboutonne sa chemise. Sa musculature athlétique se dévoile lentement et je comprends pourquoi mon nez est encore douloureux. Ses mains se plaquent juste à côté de ma nuque et il me scrute sous toutes les coutures.
— J'aimerais tant te libérer des chaînes qui t'emprisonnent, susurre-t-il. Jay, regarde-moi.
L'air me manque. Mes iris s'agitent et retombent sur son torse. Loin de moi l'idée de le revoir, pourtant impossible d'en nier la beauté, parce qu'elle est vraie. Son corps s'avère absolument parfait. Contrairement à sa personnalité et son caractère. Mais ce serait malhonnête de ne pas reconnaître le bel emballage qu'il fait.
Nos regards s'accrochent et j'imagine ses pensées, dessine ses sentiments. Les coups de pinceaux s'enchaînent et la toile prend vie, explosion de couleurs sur fond blanc embrumé de noir. Une maigre étincelle scintille au cœur de l'éruption, la même qui anime mon désir et réveille ma terreur. Celle engendrée par une imagination trop fiévreuse et pernicieuse. À moins qu'elle ne soit bien réelle et que Winter soit sincèrement prêt à m'aider... Je ne sais plus. Je suis perdue.
Des fourmis envahissent mes jambes, mon dos me lance et la réalité me rattrape. Ne supportant plus l'engourdissement, je me tortille et dans un soupir, Winter me libère de son poids. Il saute du bureau. Je revis. Il en a enfin fini avec moi. Je me redresse et m'étire. Ma vigilance se relâche une seconde, une simple seconde, et ses lèvres s'abattent sur ma nuque. Le court-circuit se révèle immédiat. Winter mordille ma peau, l'aspire et la relâche. Ma respiration s'accélère, mes yeux me piquent et mon souffle s'intensifie. Je ne le repousse pas, du tout, et ne reprends mes esprits que lorsqu'il s'arrête, un sourire satisfait plaqué sur son visage ineffable.
La haine gorge mes veines. Non seulement je l'ai laissé approcher, mais en plus il a obtenu ce qu'il cherchait tout du long et je ne vois pas comment répliquer. La pique que je comptais lui lancer avant de le quitter est morte sous ses lèvres. Si le moindre son sort de ma bouche, ce ne sera pas des mots, mais des sanglots et il en est hors de question. Je ne lui en ferai pas cadeau une seconde fois.
— Oh, Jay, ne fais pas cette tête. C'est un jeu et tu dois apprendre à jouer. Première leçon : la création de contenu. On ne peut pas laisser les téléspectateurs sur leur faim. Et ça tombe bien nous avons tant de choses à découvrir et explorer ensemble ! C'est tout un monde de sensations qui t'attend et tu n'as pas à t'inquiéter, je ne précipiterai rien. Nous allons y aller en douceur. Mais il faut bien commencer quelque part. Et maintenant que nous sommes lancés, hors de question de s'arrêter ni de faire marche arrière. C'est pour ton bien. Donc prépare-toi, parce que je ne compte pas te lâcher jusqu'à ce que tu sois capable de voler de tes propres ailes.
Une promesse dont les mots m'enchaînent et m'oppressent. Winter ne cherche pas à me libérer, mais bien à m'emprisonner. Il n'est pas mon salut comme le prétend l'espoir qui me pousse à l'abandon, mais mon bourreau. Et armé de son corps et de ses belles paroles, il déchiquète mes ailes, plume après plume.
Winter regarde sa montre au moment exact où une sonnerie assourdissante retentit et s'exclame :
— Il est déjà l'heure ! Le cours est terminé.
Les mains encore sur les oreilles, je reste paralysée.
— Si tu veux une retenue, on peut s'arranger, ricane-t-il.
Je saute vivement du bureau et Winter m'accompagne jusqu'à la porte où son majordome nous attend.
— Paul, si tu veux bien raccompagner cette charmante demoiselle, s'il te plaît.
Le majordome acquiesce et me fait signe de le suivre. Je m'exécute docilement, aussi inanimée que les os de Jean-Jean. Un unique besoin me meut : m'éloigner à tout prix de cet endroit maudit.
— January, à bientôt ! Je veux te revoir en forme, donc ne perds pas trop le sommeil à cause de moi. Surtout quand je suis prêt à te rejoindre pour réaliser tes rêves les plus fous et le moindre de tes désirs. À n'importe quel moment du jour ou de la nuit.
Son ultime tirade m'arrache mes dernières forces et je ne prête aucune attention au trajet. Plongée dans une tornade ténébreuse, plus rien ne fonctionne, plus rien n'a de sens. Depuis le commencement de son jeu, je ne lui ai pas adressé une seule fois la parole, persuadée que mon silence, à défaut de mon obéissance, le rebuterait. Je me suis encore trompée et je ne peux pas répéter mes erreurs. Elles doivent me servir de leçon.
La prochaine fois, j'adopterai une nouvelle stratégie. Je parlerai et ne m'arrêterai plus. Impossible que ma voix criarde ne le repousse pas et grâce à elle, je gagnerai du temps. Même une seule heure de sursis me soulagerait. Seulement, difficile de l'obtenir quand je ne sais pas comment le gérer, ni lui, ni aucun homme.
En effet, me voiler la face ne me conduira nulle part. C'est bien beau de vouloir apprendre de ses erreurs, ce n'est pas aussi simple. Dépourvue non seulement des bases, mais également de la moindre expérience en la matière, la gente masculine est un complet mystère. Et je suis la seule fautive pour n'avoir jamais rien tenté. Je ne peux en vouloir qu'à moi-même et à ma bizarrerie.
Winter n'est pas mon bourreau, je me suis condamnée seule. Si j'avais couché avec un garçon plus jeune, comme toutes mes amies, je ne me serais jamais retrouvée là. J'ai pourtant eu des occasions, mais je ne les ai jamais saisies, trop effrayée. Dans l'attente de tomber amoureuse, les années ont fini par passer sans que jamais je ne ressente d'amour pour une autre personne en dehors de ma famille.
Ma famille... Je fais tout pour ne pas penser à eux, mais ils me hantent. Les larmes montent et je les refoule. Ce n'est pas le moment de craquer au milieu d'un satané couloir ! Le majordome s'arrête soudainement devant une porte close et mes dents claquent. J'espère de tout mon cœur qu'elle ne cache pas encore plus de malheur. Car, la froideur qui règne dans cet abîme de blancheur me donne la chair de poule. Et les poules se trouvent vouées, soit à pondre des œufs, soit à être dévorées. Ni l'un ni l'autre ne me tente. Toutefois, la destinée aime se montrer cruelle, et encore plus avec ceux qu'elles détestent.
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