Niveau 7
Nous empruntons un dédale de couloirs interminables, parfois sombres et peu avenants, parfois lumineux et verdoyants. A chaque virage, le paysage change. Nous passons entre des murs entièrement recouverts de végétaux. Des plantes grimpent et traversent même les baies vitrées. Libres. Nous tournons à gauche où des fleurs flamboyantes réveillent soudainement le chemin. Nous poursuivons par une voie d'abord exiguë et étouffante, puis vaste et rafraîchissante. Des pierres de tailles variées mais harmonieuses embellissent le passage dans une harmonie de couleurs douces et captivantes.
Nous débouchons alors sur une... gigantesque cascade ! Je n'en crois pas mes yeux. Des trombes d'eau sortent du plafond, coulent sur des rochers couverts de mousses et de fougères et tombent en un rideau sans fin. Mes pieds s'enfoncent dans la terre éparpillée sur le sol et des gouttelettes m'arrivent dessus.
— Vous voilà devant la Cascade des Siècles ! déclare fièrement Winter, en enfonçant un bouton rouge sur la droite.
L'eau se coupe. Le joueur se décale et la magie s'éteint aussitôt. Le panneau me donne la chair de poule et mes deux compatriotes se rapprochent un peu plus. J'étouffe.
— Ne traînez pas, mes adorables pions. Suivez-moi.
Nous traversons la roche à contre-cœur et débouchons sur une salle de classe datant de l'âge de pierre. Or, mes années lycée et collège ne m'ont pas laissé de très bons souvenirs. Et si ceux de l'école d'ingénieurs s'avéraient quelque peu meilleurs au début, j'ai vite compris que l'état d'esprit ne me correspondait pas. Je n'étais pas assez branchée. Ni suffisamment drôle, et bien trop peu libérée. Donc au final, incapable de m'adapter, impossible d'intégrer le moindre groupe.
Aussi, me retrouver forcée à entrer dans une salle de classe, abandonnée ou non, ne m'enchante pas. Surtout quand la verdure envahissant chaque recoin rend l'atmosphère encore plus pesante.
— Eh bien, vous êtes livides ! Ne me dites pas que vous avez peur ? Qu'est-ce qui vous effraie tant ? L'ambiance désolée ou peut-être le squelette ? Pas d'inquiétude Jean-Jean est très docile et vous ne ferez pas de vieux os ici. Il y a des endroits bien plus intéressants à visiter.
Bien plus déplaisants sans aucun doute. Bloquée sur le pas de la porte coulissante, je vogue à travers les dalles soulevées par la végétation, rampant et s'agitant dans tous les sens, comme mes neurones affolés rien qu'à l'idée des horreurs qui m'attendent. Mes iris tombent sur l'imposant squelette aux os dépoussiérés et à l'aspect terriblement humain, qui me fixe de ses orbites aussi vides que mon cœur à cet instant.
— Je ressens votre désarroi. Il est vrai que l'unicité de cette salle a de quoi rendre hésitant. Laissée à l'abandon, la nature a repris ses droits et tout un écosystème est né. Vous avez été rejetées par la société. Vous n'avez jamais réussi à vous intégrer, ni à trouver votre place. Jusqu'à aujourd'hui. Car The Virginity Game va changer votre vie, déclare-t-il solennellement, en entrant.
Un tourbillon violent me secoue. Mes émotions s'entremêlent autant que les tiges feuillues entourant le pied des chaises en bois et grimpant le long des bureaux individuels.
— Cette villa va vous ouvrir de nouveaux horizons, poursuit Winter, en écartant les bras. C'est une merveille architecturale qui regorge de secrets. Un terrain de jeu immense et sans égal où vous pourrez évoluer et vous découvrir. Cependant, si je vous laisse livrées à vous-même, vous n'en profiterez pas pleinement et il se trouve que c'est justement à l'école qu'on apprend les bases ! Vous n'avez sûrement jamais connu de salle de classe aussi simpliste et rudimentaire. Nous sommes à des lieux des écrans tactiles, des hologrammes animés et du mobilier flottant. Mais dans The Virginity Game, nous aimons le retour aux sources et l'authenticité des meubles d'époque. Comme vous le découvrirez par la suite, chaque détail a été pensé pour votre épanouissement et votre bonheur.
Si c'était réellement le cas, cette salle serait noyée de fleurs et de couleurs. Elle n'est pas l'aube d'un renouveau, mais une ode à la destruction. Elle illustre l'anéantissement de nos espoirs et la fin de notre vie.
— De plus, vous ne pouvez pas me dire qu'au fond de vous, vous ne souhaitez pas en savoir plus sur The Virginity Game, encore plus maintenant que vous faites officiellement partie du jeu ? Donc, je vous en prie, mes adorables pions, rejoignez-moi.
Un flot d'insultes m'inonde. Je lui lance mon regard le plus noir, à défaut de laisser se déchaîner le fond de mes pensées, et franchis le pas de la porte avec le reste de ma fierté.
— Attends ! s'écrie April, en s'agrippant à mon poignet. Ne me laisse pas, s'il te plaît. C'est trop dur. Cet endroit est horrible, on a même dû traverser une cascade et maintenant ça ! C'est au-dessus de mes forces.
— Pareil pour moi, geint la petite blonde, en s'accrochant au tee-shirt d'April. Je ne peux plus, je... je suis terrorisée, chuchote-t-elle.
Elles cherchent du réconfort. Je n'ai pas l'énergie de les rassurer, mais je ne peux pas les ignorer. Alors je tends une main à chacune et elles me prennent le bras. Nous entrons donc comme les meilleures amies au monde et Winter se mord la lèvre en nous observant.
— Félicitation pour ce premier pas ! Je vous laisse encore quelques minutes d'adaptation, le temps de fermer la porte.
Enlisée au milieu de la salle avec mes deux oppressants pots de colle, je me vois sortir ma machette. Sous le plafond criard aux lumières blafardes, je m'élance à travers la pièce, telle une naïade bien décidée à regagner son ruisseau par tous les moyens.
Néanmoins, je suis plutôt destinée à finir comme Jean-Jean. Et maintenant que je m'apprête à partager son sort, je ne le trouve plus aussi effrayant. Sa vue me rassure même un peu. Étrange de trouver du réconfort dans des os inanimés, mais le calme et l'apaisement qu'ils dégagent me font du bien et je ne dispose de rien de plus familier à quoi m'accrocher. Contrairement aux deux pleurnichardes pas décidées à me libérer.
Winter capte mon regard en revenant vers nous et il marmonne quelque chose. Seulement je ne sais pas lire sur les lèvres. Un clin d'œil plus tard, il tape dans ses mains et nous lance :
— Mes jolies statues, reprenez vie, encore une fois nous n'avons malheureusement pas toute la nuit ! Maintenant que vous vous êtes familiarisé avec le lieu, séchez vos larmes et installez-vous. Vous n'avez vraiment rien à craindre avec moi. Je vais prendre soin de vous.
Winter nous invite à rejoindre les chaises des trois bureaux situés devant l'imposant tableau en ardoise noire. Installée à gauche, de la mousse et des fougères chatouillent mes jambes et j'appuie mes pieds contre les racines rugueuses qui émergent à travers le carrelage fendu. Si elles pouvaient s'animer et semer le chaos...
Un bruit sourd me ramène à la réalité. Winter avance sur l'estrade que la nature n'a pas épargnée et revêt des lunettes de vues rondes comme des ballons qui lui donnent un air faussement espiègle. Car ce n'est ni un enfant innocent ni un ange séduisant. C'est un monstre répugnant. Il ne possède rien de plus que son corps, dont la perfection résonne à merveille avec la froideur qu'il dégage.
Une craie en main, Winter écrit son nom en lettres majuscules et un crissement saigne mes tympans quand il tire un trait en dessous.
— Ignorantes, je m'appelle Winter et je serai votre professeur pour cette heure. Pour la seconde étape de l'initiation, je vous expliquerai plus en détails en quoi consiste ce jeu. Soyez attentive et retenez bien ces informations. Croyez-moi, elles seront capitales pour votre futur dans The Virginity Game.
Cette comédie me laisse sans voix. Il se comporte comme s'il se tenait face à une audience. Tout ce cinéma pour trois Ignorantes paraît bien inutile et les reniflements d'April et de la jeune fille blonde reprennent de plus belle. Winter saute de l'estrade et tend à chacune un mouchoir brodé d'un W argenté. Elles échangent un regard et s'en saisissent.
— Mes adorables petits pions, ne pleurez pas. Vous n'avez pas idée de la peine que je ressens quand je vous vois ainsi. Ça me fend littéralement le cœur.
D'un revers de main, il effleure leurs joues mouillées et elles se figent. Toutefois, la douceur de son sourire les apaise et elles se détendent un peu.
— Je comprends parfaitement la difficulté de la situation. Prenez tout le temps qu'il vous faut. Ce jeu est loin d'être aussi terrible que vous le pensez. C'est une magnifique opportunité, pas une terrible peine. Et je vous accompagnerai à chaque étape.
— Merci pour ton soutien Winter, balbutie la petite blonde.
— Avec plaisir, répond-il. Je serais toujours là pour vous. Comptez sur moi ! Je ne laisserai rien ni personne vous faire du mal.
Il y a quelques minutes, il me suppliait de les faire taire. Maintenant, il prétend être à leur écoute. Sa fourberie ne connaît décidément aucune limite.
— C'est vraiment très gentil, renchérit April. Mais tu n'es pas obligé, nous avons bien conscience de toute la cruauté du jeu.
— Ne me croyez pas sur parole, laissez-moi vous le prouver. J'insiste, mais The Virginity Game va changer votre vie.
Winter sert leurs mains et le visage de mes deux compatriotes s'adoucit aussitôt. La tristesse ne les quitte pas, mais elles reprennent doucement vie, en se nourrissant de sa tendresse sans réfléchir à sa sincérité.
— Tout va bien se passer. Je suis là et je ne compte pas quitter le jeu de si tôt.
Sa pointe d'humour fonctionne et leurs lèvres s'étirent quelque peu. Satisfait, il remonte sur l'estrade et reprend son discours.
— Très bien, après cette délicate mise en bouche, nous pouvons entamer les festivités en toute sérénité. The Virginity Game, vous connaissez toutes ce nom. Il vous effraie. Il vous rebute. Il vous hante. Vous n'avez jamais regardé, pas même un épisode et c'est bien dommage ! Car vous ne saviez pas ce que vous ratiez jusqu'à aujourd'hui. Puisque, oui, vous avez été sélectionnées pour devenir les nouveaux pions du jeu. Et c'est une chance dont beaucoup rêvent.
April lève timidement la main et Winter l'invite à s'exprimer.
— Je... j'ai un peu de mal à comprendre pourquoi je suis là, bégaie-t-elle. Je n'ai jamais demandé à rejoindre le jeu et...
L'émotion l'empêche de continuer. Elle semble à deux doigts de pleurer à nouveau.
— April, j'ai bien conscience de votre incompréhension et de l'état de stress dans lequel vous êtes. Vous vous sentez déboussolées. C'est tout à fait normal. Mais vous n'êtes pas ici par hasard. Aucune de vous ne l'est. Vous avez été choisie avec la plus grande attention parmi des centaines de candidates.
— Mais...
— Arrêtes de torturer l'esprit ainsi, l'interrompt-il avec délicatesse. Parfois, il vaut mieux accepter la solution à un problème, au lieu de se tuer à comprendre son résonnement. Profite plutôt de cette expérience hors du commun. Tu ne le regretteras pas. Aucune ne le regrettera.
Le culot dont il continue de faire preuve me dégoûte. Il n'a vraiment aucun principe.
— Et pour cela, je dois d'abord m'assurer que nous soyons tous sur la même longueur d'onde. Évitons tout malentendu ! Laissez-moi donc vous rappeler le but de The Virginity Game. Les joueurs, dont je fais partie, doivent prendre la virginité du plus de pions possibles et vous pions, devez résister aussi longtemps que vous le pouvez.
Le concept ne possède rien de bien révolutionnaire. Vous vous demandez sûrement pourquoi certaines sont prêtes à tout pour jouer. Sur quoi se base Winter quand il assure que ce jeu changera notre vie. Moi aussi. Mais à présent, j'ai la réponse.
— Si l'une d'entre vous résiste et conserve sa virginité jusqu'à la fin du jeu, elle remportera un milliard de dollars. Non, vous ne rêvez pas, je ne me suis pas trompé dans le nombre de zéro. The Virginity Game n'est pas n'importe quel jeu, c'est le seul dans son genre et il surpasse tous les autres, qui ne font que pâle comparaison à côté. Vous voyez, je ne vous ai pas menti. Vous venez d'embarquer pour l'aventure la plus extraordinaire de votre vie et nous vous offrons la chance unique de changer le cours de votre existence. Êtes-vous prête à devenir milliardaire ? Imaginez un peu tout ce que vous pourrez accomplir avec autant d'argent !
Tout s'éclaire à présent. Je comprends mieux pourquoi les filles n'ont pas hésité à signer le contrat. Pourquoi tant désire participer. Ce n'est pas uniquement pour les joueurs ou la célébrité.
— C'est énorme, murmure la petite blonde.
Oui, le montant a de quoi faire tourner la tête. Mais médiatiser et instrumentaliser sa première fois en vaut-il le coup ? À quoi sommes-nous prêts pour autant d'argent ? Suis-je prête à jouer ?
— Bien sûr, pour espérer toucher cette récompense, il faut nous résister. Et nous sommes des tombeurs armés de bienveillance et de douceur. Ne pas nous succomber ne sera pas aisé. Nous serons toujours à l'écoute et disponibles pour vous aider à fleurir. A nos côtés, vous apprendrez à vous connaître. C'est pourquoi même si vous ne remportez pas le jeu, vous n'en ressortirez pas perdante. Bien au contraire. Vous serez libres. Et nous ne sommes pas à l'abri d'une surprise ! Peut-être que parmi vous se trouve la première gagnante de The Virginity Game !
Gagnante qui décrocherait non pas un millier, ni un million, mais bien un milliard de dollars. Une somme inaccessible. Démesurée. Mais pour l'empocher, il faut remporter le jeu. Et pour remporter le jeu, il faut jouer. Or ce jeu va à l'encontre de mes valeurs. Je ne souhaite pas m'enrichir de cette façon. Ce n'est pas sain. De plus, que représente ce milliard si je me retrouve seule et haïe par le monde entier ? Peut-être suis-je prude ou débile de rater une telle occasion. Je ne sais pas. Mais impossible de me résoudre à jouer, même simplement essayer. C'est au-dessus de mes forces. Et au vu de mon expérience inexistante, je ne gagnerai jamais. Si le contexte venait à changer, si la peur parvenait à dépasser ma raison... Il suffirait d'une fois, d'une simple erreur, de la moindre faiblesse et je serais finie. Éliminée. Sans le sous et dépourvue de dignité. Je perdrais tout. Ma gorge se noue alors que je me vois au fond du trou. Seule et abandonnée. Prisonnière à jamais.
Le jeu et ses joueurs sont aussi envahissants que le lierre et les lianes qui n'en finissent plus et musellent les fenêtres donnant sur le couloir et l'extérieur. Cependant, il existe forcément une issue. Respire, écoute, analyse, agit. Une illumination me frappe soudainement. Aucune règle ne m'interdit de fuir. Winter m'a garanti que jouer assurerait la sécurité de ma famille. En revanche, il n'a donné aucune durée limite de jeu. Si je trouve le moyen de confirmer ma théorie, à la première occasion où mes chances de succès dépassent les, disons, quatre-vingts pourcents, je n'hésiterai plus. Je tenterai une échappée. Même si je dois attendre des mois, je n'ai qu'à rester loin des joueurs et des pions. Impossible bien sûr d'éluder cent pour cent des intéractions, mais si je reste bien à l'abri dans ma bulle comme je l'ai toujours fait, je survivrai. Enfin, je l'espère. Car de cette façon, je ne gagnerai pas, mais je ne perdrai pas non plus. Le compromis parfait.
— Maintenant que vous connaissez la récompense, je vais vous parler de l'organisation et de la structure du jeu. Il y a quatre joueurs pour quatre saisons et douze pions pour douze mois. Les joueurs ont chacun une équipe de trois pions en fonction de leur saison. Je représente l'hiver et possède donc January, February et March. Chaque pion est identifié à l'aide d'un bracelet de la couleur correspondant à son joueur. C'est pourquoi, January, ton bracelet est argenté, le tien, April, est rosé comme tu appartiens à Spring, et toi, July, il est doré pour Summer.
La quatrième Ignorante s'appelle donc July.
— October n'est pas avec nous, mais elle possède toujours son bracelet cuivré puisqu'elle se trouve dans l'équipe d'Autumn. Sachez que vous ne garderez pas ces bracelets indéfiniment. Ils vous seront retirés après l'acte et collectés par le joueur victorieux comme preuve. En revanche, ils ne pourront pas l'être avant. Donc inutile d'essayer de les quitter !
Je regarde une nouvelle fois mon bracelet sans fermoir et me demande bien comment il se déverrouille. Je vois mal les joueurs sortir une pince et les couper. Il doit y avoir un mécanisme spécial. Je repense à mes travaux pratiques de mécanique et d'électronique, néanmoins rien ne me vient. Nous n'avons jamais travaillé sur un système similaire en cours. Comme l'a dit Winter, l'école donne les bases. Aucune innovation, rien de bien novateur et au final peu d'expérience. Or l'expérience fait toute la différence sur le terrain escarpé qu'est la vie.
— Les joueurs gagnent un point lorsqu'ils enlèvent la virginité d'un pion de leur équipe et trois points pour un pion d'une équipe adverse. Nous avons également l'obligation de gagner la virginité d'au moins un des pions nous appartenant sous peine d'élimination définitive du jeu. Jusqu'à présent nous avons toujours réussi avant la fin du temps imparti. Quand vous ne serez plus que quatre pions, une épreuve finale sera donnée. Elle marquera l'ultime épisode de la saison et testera les dernières volontés du quatuor aux portes de la victoire. Inutile de préciser que celle de cette année restera à jamais gravée dans l'histoire.
Je n'ose pas imaginer ce que les quatre derniers pions subiront. Pour qu'en quatre saisons aucune fille ne soit parvenu à garder sa virginité jusqu'au bout, la tentation doit être irrésistible et le combat des plus déloyal. Est-il vraiment possible de les battre à leur propre jeu ? Car si je n'arrive pas à m'échapper avant cette phase, je doute pouvoir résister à la confrontation finale. Car plus le temps avancera, moins il y aura de pions et plus il y aura d'intéractions, et donc de risques de perdre.
— Nous allons maintenant aborder les rangs et la hiérarchie. Quand vous avez pris connaissance des règles tout à l'heure, la numéro quatre vous a sûrement interpellé. Tout d'abord, il existe trois rangs parmi les pions. Les Ignorantes, comme vous, sont celles qui ne connaissent rien au jeu. Les Voyeuses sont celles qui regardent régulièrement le show et les Capitaines sont celles qui ont postulé pour en faire partie. Oui, July.
— Les Voyeuses n'ont pas postulé ?
— Non, comme vous, elles ont été choisies. Seules les Capitaines remplissent un dossier de participation. Le processus de sélection des Ignorantes et des Voyeuses est différent.
— Et...
— Malheureusement, je ne peux rien vous révéler de plus. Ce sont les règles. Vous êtes ici pour apprendre les bases, pas élucider les mystères de The Virginity Game. Aussi intriguant soient-ils.
July hoche la tête en bonne élève pendant qu'un déluge de questions me noie.
— Les rangs ne sont pas là juste pour faire joli. Ils instaurent une hiérarchie qui doit être respectée sous peine de sévères sanctions. Et elle est très simple. Toutes les Ignorantes obéissent à toutes les Voyeuses qui obéissent à toutes les Capitaines qui obéissent à tous les joueurs. Donc, par exemple, si une Capitaine vous ordonne expressément de faire quelque chose, vous vous exécutez sans protester.
— Et si c'est contraire aux règles ? lâché-je sous le choc.
— January, si je t'ordonne de sauter par une fenêtre, tu le fais ?
Je reste silencieuse. Au moins des limites existent. Même si leurs contours sont bien flous. Et j'ai à présent la confirmation que nous n'avons pas toutes été kidnappées. Nous ne sommes pas toutes dans la même galère. Certaines l'ont choisi, d'autres l'ont peut-être attendu sans se l'avouer et le reste a été forcé de participer.
Diviser pour mieux régner, en somme. Je n'ai pas la moindre envie de monter une alliance avec ces filles. Même celles à mes côtés. Car je serais obligée de prendre les devants. Ce que je hais le plus au monde. Donc comment des êtres avec des motivations et des caractères en totale opposition peuvent-ils se soutenir et se comprendre quand ils ne peuvent même pas parler d'eux ? Nous n'avons rien en commun et même si quelque chose nous rapprochait, ils se sont assurés qu'on ne puisse pas en discuter. La règle numéro une est la plus sinistre de toutes. Quoi de mieux pour nous isoler et nous encourager à nous reposer sur les joueurs. Heureusement, l'isolement me connaît.
— Tu ne sautes pas, c'est ce que je me disais aussi. Donc cette hiérarchie et les statuts qui l'accompagnent sont secrets et ne doivent pas être révélés au monde extérieur. Pour rappel, il s'agit de la règle numéro huit. Et parce qu'on ne le répète jamais assez chaque année, ancrez le bien dans votre tête, le refus d'un ordre entraîne une punition !
J'espère de tout mon cœur ne jamais avoir à les subir ou à en être la cause. Car même si je n'apprécie pas forcément les autres pions, je ne souhaite à personne de subir les horreurs que les joueurs et les producteurs gardent en réserve. Seulement, j'ai signé le contrat et je n'ai pas d'autre choix que d'obéir aux règles et me plier à la hiérarchie, qu'elle me plaise ou non. Du moins jusqu'à ce que je trouve le moyen de mettre les voiles. Et je n'ai pas intérêt à traîner, car cette nouvelle variable rend chaque interaction encore plus dangereuse.
— Pour terminer, je tiens à préciser qu'aucun ordre ne pourra être sexuel. Aucun rapport ne sera forcé et aucun viol ne sera toléré. J'insiste sur le fait que nous ne sommes ni des violeurs, ni des monstres sans cœur. Votre bien-être et votre plaisir sont nos priorités. Nous avons donc tous l'obligation de demander votre accord d'abord et nous le respecterons tous, affirme-t-il avec le plus grand sérieux. Un non de votre part entraînera notre arrêt immédiat. Des questions ?
Un tsunami, mais il y en a une que je me dois de poser maintenant, même s'il ne m'avouera probablement pas la vérité.
— Qu'est-ce que vous avez à gagner dans ce jeu ?
Il me fixe du regard, un peu surpris, puis les commissures de ses lèvres pleines se relèvent, laissant apparaître ses sournoises fossettes.
— Du plaisir, ma douce Jay, de l'excitation et de l'amusement. Un jeu c'est fait pour ça, non ?
Je déteste l'intonation que prend sa voix quand il me répond. Il a commencé à jouer depuis le premier soir où je l'ai vu et il vient de passer à la vitesse supérieure. Pour ne pas me faire écraser, je dois accélérer la cadence moi aussi et suivre son rythme.
— Oui, mais que remporte le joueur vainqueur ?
— Ça, c'est un autre des nombreux mystères de The Virginity Game, répond-il, en me m'offrant un clin d'œil écoeurant.
Mes veines ressortent et de nouveau envahie par une déferlante d'insultes, je me retiens de les déblatérer. Lui balancer les horreurs que je pense ne changera pas la situation. Cela l'envenimera et je n'ai absolument pas envie de provoquer une des punitions tant redoutées ou de subir ses commandements.
— Si vous n'avez pas d'autres questions, April, July, mon majordome va vous accompagner dans vos chambres respectives. L'étape finale de l'initiation aura lieu dimanche. Donc prenez tout le temps qu'il vous faut pour vous acclimater à votre rôle de pion. Vous pouvez dès à présent vous promener seule. Prenez juste garde à ne pas vous perdre. À très bientôt et j'espère vous revoir cette fois-ci avec votre magnifique et si charmant sourire !
Leurs lèvres s'étirent un peu plus et l'homme qui possédait le dossier sur ma famille les invite à l'accompagner. Elles se relèvent et April se jette dans mes bras.
— Jay, fais attention à toi, chuchote-t-elle. Winter est vraiment gentil et attentionné, malgré tout c'est un joueur. On... on se revoit sous peu. Je suis très heureuse de t'avoir rencontré.
Je lui offre un sourire, qui, je l'espère, ne paraît pas trop maladroit.
— J'en suis ravie également.
C'est une bonne chose qu'elles aient repris du poil de la bête. L'attitude de Winter, la récompense, qui sait ce qui leur a remonté le moral, tant qu'elles vont mieux. À moins que ce ne soit le fait de quitter cette salle...
July me prend à son tour dans les bras.
— Merci encore pour ton aide tout à l'heure. Merci de ne pas nous avoir abandonnées alors que nous étions paniquées.
Sauf que je n'ai rien fait à part me plaindre de leurs larmes et maintenant qu'elles s'en vont, je les regrette déjà.
— À la prochaine, Winter, lancent-elles à l'unisson avec encore un brin de timidité.
Leurs larmes taries et leurs batteries presque rechargées, elles prennent la suite du majordome et disparaissent. Me laissant seule avec notre immonde professeur.
Accoudé à mon bureau, il me dévisage intensément. Habituellement, j'aurais détourné le regard, mais je préfère soutenir le sien, à la recherche d'une émotion vraie. N'importe laquelle. Après tout, selon ses mots, les yeux sont le reflet de l'âme. Les siens ne laissent rien entrevoir et je ressens un profond soulagement. Ses iris ne renvoient que le néant. Un trou noir aussi infini que la galaxie elle-même. Exactement comme avec sa beauté. Elle concurrence celle de l'emballage du plus magnifique cadeau, sauf qu'une fois retiré, on se rend vite compte du mirage, il est vide. Winter est un joueur. Il est là pour jouer et rien d'autre.
— Tu as d'autres questions, Jay ?
Je déteste la façon dont il appuie sur ce surnom. Il ne devrait même pas l'utiliser.
— Je m'appelle January.
— Je suis heureux de voir que tu as si bien intégré ton nom. Mais tellement triste de que tu mettes autant de distance entre nous. Après tout ce qu'on a vécu...
Mes poings se serrent et j'agrippe les tiges zigzaguant sur mon bureau.
— Justement, après tout ce qu'on a vécu, comment peux-tu croire une seule seconde que je veux être proche de toi ?
Quand je pense que Winter m'a kidnappée pour que je participe à ce jeu. Qu'il a menacé ma famille pour me dissuader de refuser. Et pourquoi ? Pour me séduire et gagner un point. Un simple point. Ça me détruit. Voilà donc ma valeur.
— January, je ne suis pas un monstre. Je sais bien que nous avons mal commencé, mais ce n'est pas comme si j'étais content de t'avoir kidnappée. Je n'ai pas eu le choix. C'est pareil pour toutes les choses terribles que je t'ai dites. J'ai des lignes à respecter. Un rôle à jouer. Je ne suis pas aussi libre que tu le penses...
Il se relève et saisit mes mains. Je veux les retirer, mais quelque chose dans ses iris m'arrête. Une nanoparticule étincelle subitement et ma détermination vacille. Winter est un joueur. Un manipulateur. Rien de plus qu'un joli emballage. Dont je détourne les yeux à défaut d'avoir le courage de partir en courant.
— S'il te plait, regarde-moi. Tu fais partie du jeu à présent. Tu es mon pion, mais autant que je suis ton joueur. Pourquoi me rejettes-tu quand je peux devenir ton allié ? Sers-toi de moi. Je peux te protéger et t'aider à accomplir tout ce que tu désires.
Des frissons me parcourent. Il n'existe rien de plus dangereux que l'espoir. Ce n'est qu'un joueur, me répété-je. Mais je suis un pion. Sur l'échiquier, c'est toujours le joueur qui décide pour les pions. Il les contrôle et les déplace selon ses envies, alors pourquoi est-ce que je lutte ? Je n'arrive même pas à éviter son regard. Me laisser guider par ses mots me faciliterait la tâche et m'éviterait des tonnes de souffrances. Si j'acceptais le jeu, tout serait plus simple. Pourquoi donc chercher à conserver ma virginité quand tout peut s'arrêter si rapidement ?
— J'aimerais que nous repartions sur de bonnes bases. Je ne te demanderai pas de seconde chance aussi tôt, mais peut-être qu'en répondant à l'une de tes questions, nous pourrons faire un premier pas. Ensemble.
Il me suffit de céder. De tout oublier. De succomber à ses charmes. Au lieu de m'épuiser à lui résister. Je couche avec lui et ma famille se trouvera en sécurité. Le jeu prendra fin et je serai enfin débarrassée de ma virginité. De ce poids si pesant. Seulement si mon hymen se trouve encore là aujourd'hui ce n'est pas un hasard. Débloquer un blocage si profond là où l'alcool a toujours échoué ne s'avère pas si simple. J'ai eu beau me saouler dans ma jeunesse, cette inhibition n'a jamais disparu. En revanche, elle m'a conduite plusieurs fois dans de honteux comas éthyliques.
Incapable donc de perdre ma virginité avec un inconnu, j'ai pris la décision de la perdre avec quelqu'un que j'aime et dans l'idéal qui m'aime en retour. Peu importe le temps que cela prendra. Ce jeu chamboule donc tous mes plans. Si je couchais avec Winter, qui deviendrais-je ? Rien ne prouve la véracité de ses paroles. Je ne peux pas lui faire confiance. Il n'est pas là pour nous aider et nous soutenir. Peut-être que ces mots rassurants et réconfortants appartiennent justement à ses fameuses lignes dictées par les scénaristes...
— Tu sais, tu peux tout me demander, insiste-t-il. Je répondrai à n'importe laquelle de tes questions et je te promet d'être honnête. Je te le dois bien.
Il ne me doit rien. C'est moi qui me dois de vivre avec mes choix et je ne me pardonnerai jamais d'opter pour la facilité aujourd'hui. Impossible de bafouer tout ce en quoi je crois. Je ne céderai pas. Sauf s'ils menacent ta famille, réplique la voix de ma conscience. Oui, peut-être finirai-je par craquer, mais, au moins, je me serai battue. Sinon je ne pourrais plus jamais les regarder en face.
— Mais bien sûr, et tout ça, ce n'est rien qu'en échange de ma virginité, raillé-je.
— Jay, tu n'es pas mon seul pion et...
Winter parle, mais rien ne me force à l'écouter plus longtemps. Je me focalise sur les bourgeons en pleine croissance. Certes, je suis un pion sur l'échiquier, mais les pièces peuvent bouger d'elles-mêmes et changer le cours de leur destinée. Je n'ai qu'à, respirer, écouter, analyser, agir. C'est aussi simple que l'enchaînement de ces quatre mots. Je ne dois jamais abandonner et rester fidèle à moi-même. Tant que je respecte les règles, ma famille sera en sécurité. Et les règles ne m'obligent pas à entrer dans leur jeu.
Toutefois, il me reste une interrogation primordiale, aussi je me lance. Il n'est pas question de seconde chance ou de premier pas, mais de gain d'information. Il serait stupide de ne pas utiliser ce qu'il m'offre. Le tout sera de ne pas perdre de vue la limite entre mes choix et ceux qu'il veut que je fasse et de ne jamais oublier où je suis, qui il est et qui je suis.
— January, tu m'écoutes ?
— Très bien, le coupé-je. Explique-moi cette histoire de promesse.
Le grand sourire illuminant ses traits me donne froid dans le dos. Les mains plaquées sur mon bureau, son visage bien trop proche, la douceur de son regard qui ne lâche pas le mien ne pourrait me déstabiliser plus.
— January, merci du fond du cœur. Je suis tellement heureux de pouvoir te raconter notre aventure, répond-t-il des étoiles plein les yeux.
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