Niveau 5
La fille aux longs cheveux noirs, droits comme des baguettes et tombant jusque dans le bas de son dos, me tend la main et je la saisis. Ses doigts manucurés englobent les miens et elle manque de me broyer les os.
— Salut, la nouvelle, moi c'est August ! se présente-t-elle, en secouant ma main.
Une mèche glisse devant ses yeux bruns, presque noirs, soulignés par un trait d'eyeliner rose fushia, qui réveille son regard. Elle remet ses cheveux rebels derrière ses oreilles percées par de multiples boucles dorées et m'offre un sourire si chaleureux que j'en oublie mes doigts douloureux.
— Je m'appelle January... Enchantée, ajouté-je, en détaillant l'anneau enrobant sa narine gauche et relié à son oreille par une chaîne en or.
Mes yeux descendent le long de ses bras, recouverts de magnifiques fleurs dessinées au henné et de bracelets dorés aux tailles et designs différents. Je bloque sur celui entourant son poignet droit. Sans motifs et à la texture lisse, il ressemble étrangement au mien. À la différence près du métal et des deux leds brillant au lieu d'une seule.
— Oh, tu es donc le fameux premier mois. J'avais hâte de te rencontrer !
La politesse voudrait m'entendre lui répondre que moi aussi j'avais hâte de rencontrer les autres sélectionnées, ou plutôt kidnappées, à The Virginity Game. Mais je reste bouché bée, captivée par l'aura qui émane de cette fille éblouissante. Car, malgré la quantité impressionnante de bijoux qu'elle porte, et qui alourdirait n'importe qui, elle conserve toute sa légèreté. Ils s'accordent même à la perfection avec sa tenue très colorée. Le rose, l'orange, le jaune et les coutures d'or font ressortir son teint basané. Le sari brodé lui arrive à mi-cuisse et dévoile ses jambes galbées. En comparaison, mes vêtements sont affreux et pas du tout avantageux. Terne, fade et insipide. Trois mots souvent utilisés pour me décrire. Trois mots qui me hantent.
— Alors, contente d'être dans l'équipe du merveilleux, de l'irrésistible, Winter ?
— Qui ?
— Winter, l'un des quatre joueurs, répète-t-elle, toujours aussi souriante. C'est l'homme qui t'a accompagnée jusqu'ici.
Je pensais avoir mal compris, mais non. Wint est bien le diminutif de Winter. Il n'a même pas pris la peine de cacher son identité. Les pions sont donc les mois et les joueurs les saisons. C'est plutôt logique. Si j'avais fait le lien quand Lise m'a montré l'émission, je ne serais pas là aujourd'hui. August me tape amicalement l'épaule.
— Tu es la troisième Ignorante à nous rejoindre.
— Ignorante ? laissé-je échapper.
— Ah, oui, évidemment, tu ne peux pas savoir ce que ça veut dire...
Une grande brune, à la silhouette élancée et aux cheveux lisses s'arrêtant au niveau de sa mâchoire, s'interpose entre August et moi. Ses yeux émeraudes me dévisagent de haut en bas, puis de bas en haut.
— August, tu es toujours obligée de t'occuper des causes perdues, soupire-t-elle, en me tournant le dos, les mains sur les hanches.
Prise au dépourvu, je ne sais plus où me mettre et fixe les fils d'argent qui tissent une toile le long de sa colonne vertébrale et de ses côtes saillantes.
— Et toi, de te comporter comme une garce, rétorque August.
Son répondant face à cette fille aux gestes francs et à la posture imposante, me sonne. August l'attrape par les bras et la décale sur le côté.
— Je ne comprends pas pourquoi tu t'intéresses à elle.
— March, si tu t'ouvrais un peu plus aux autres...
— Je ne serais plus là pour t'arrêter avant que tu n'en dises trop, tranche-t-elle. Laisse-là donc découvrir le fonctionnement par elle-même, au lieu de la noyer d'informations. Elle ne retiendra rien et tu ne feras que la paniquer d'avantage. Tu vois bien qu'elle n'est pas très résistante ! Et je te rappelle que c'est une compétition, pas une colonie de vacances.
Je me prends un coup de massue tandis que les mots de Lise refont surface. Des milliers de filles postulent, prêtes à jouer. Je pensais tous les pions dans la même galère. Je n'ai pas envisagé que certains s'avéreraient contents d'être forcés à participer. À moins que nous n'ayons pas toutes été kidnappées. Certaines, comme March, l'ont peut-être choisi.
— Tu ne pouvais pas donner pire première impression, grommelle August.
— Je ne cherche jamais à donner bonne impression, réplique March.
— Tu devrais essayer au moins une fois pour voir. Ce n'est pas si terrible que ça.
— Mais je n'en ai pas besoin. Je suis déjà impressionnante.
Sur ces mots emplis d'humilité, March s'en va comme une fleur, bien que sa longue robe moulante, incrustée de micro-nacres argentées dessinant des milliers de branches, n'en comporte pas une seule.
— Je suis tellement désolée, j'aurais vraiment aimé que votre première rencontre se passe mieux. Surtout que vous êtes dans la même équipe.
— Oh, génial.
Je ne sais pas ce qu'appartenir à la même équipe signifie, mais l'idée de devoir supporter cette fille m'agace au plus haut point. J'aurais de loin préféré August, elle au moins répond à mes questions et ne m'insulte pas en guise de salut. C'est une véritable mine d'or et elle paraît être une bonne personne. À la façon dont elle accentue les R, elle semble venir d'Inde.
— Elle n'est pas si terrible que ça, murmure-t-elle, d'un sourire qui se veut rassurant. Je suis sûre que vous parviendrez à vous entendre ! C'est juste que c'est une des quatre Capitaines...
Elle s'interrompt aussitôt, les mains sur la bouche.
— Oups, je n'ai pas le droit de t'en dire plus ! Par contre, je peux faire quelque chose pour ta tête. Winter aurait quand même pu te laisser faire une toilette avant de te jeter dans le grand bain.
— C'est si terrible que ça ?
— Eh bien, ton mascara a beaucoup coulé, autant que tes larmes, je suppose ?
Larmes que je retiens depuis mon réveil et qui me font honte même quand elles ne se déversent pas. Mais à quoi bon expliquer que mon mascara a coulé pendant la nuit ? Ma réputation de pleurnicheuse fragile est déjà ancrée.
August déroule une serviette en coton qu'elle trempe dans une carafe d'eau et tamponne le mascara de la veille avec délicatesse. Elle me regarde un instant, fait tourner mon visage de gauche à droite et décide de s'occuper de l'ensemble.
— Voilà c'est beaucoup mieux et tu es si belle sans maquillage. Tu as beaucoup de chance, tu as une super jolie peau et tes cils sont immenses, lance-t-elle, avant de dérober mon bras et de m'entraîner vers le buffet.
— Merci, c'est très gentil, murmuré-je, même si ce n'est pas vrai.
Ma peau... Un toast débordant de petites billes noires s'enfonce subitement dans ma bouche.
— Goûte ça, c'est dé-li-cieux.
Les petites billes explosent, du caviar. J'en mange pour la première fois et le goût salé effacerait presque toute l'amertume et l'acidité noyant mes papilles. Presque.
— Tu es là depuis longtemps ? l'interrogé-je, la bouche encore un peu pleine, peinant à tout mâcher.
— Hum, je suis arrivée hier soir.
J'attends la suite, mais ses lèvres restent closes. À la place, elle trempe une énorme fraise dans la fontaine de chocolat, puis la plonge dans un bol rempli d'amandes grillées concassées et me la tend, tout sourire. Incapable de lui refuser, je l'attrappe et croque. Du jus coule le long de mon menton et je me jette sur une serviette avant de tâcher mon tee-shirt blanc.
August ne remarque rien ou en tout cas prétend ne rien voir. Elle profite du buffet en toute insouciance et propreté. Ses ongles colorés et peints de fleurs n'affichent ni craquelure, ni le moindre signe d'effritement. Elle mange de façon distinguée sans en mettre partout. Je regarde le pique au bout duquel se trouve la fraise, dont le goût n'égale en rien son odeur prononcée de cacao, et grimace. Pour éviter un nouvel incident, je dois la finir en une fois. Hors de question de gaspiller et les poubelles semblent cruellement manquer. Je me lance et, submergée par la quantité à avaler, me retiens de tout recracher.
Derrière moi, une asiatique, parée d'un kimono court de soie noire, dénote au milieu des autres par les tons sombres l'habillant. Des fleurs de cerisier rose foncé ornent le tissu et ses manches traînent contre le parquet en bois massif. Je scanne la salle et note que nous sommes seulement trois à porter des vêtements trop larges en haut et trop moulants en bas. Toutes les autres filles sont habillées, coiffées et maquillées sans faute. Quand ont-elles eu le temps de se préparer ainsi ? Nous échangeons des regards et des sourires de soutien avec mes deux compatriotes, discutant à l'autre bout de la pièce, seules. Je doute de plus en plus que nous ayons toutes été enlevées.
— N'oublie pas de t'hydrater, me lance August, en me servant un verre d'eau.
— Est-ce que tu sais quand aura lieu cette initiation ? demandé-je entre deux gorgées.
— Quand nous serons toutes réunies, répond-elle mystérieusement, en avalant une coupe de champagne d'une traite. Et je n'en peux plus d'attendre, j'ai hâte de retrouver un vrai lit.
Elle ne s'épanche pas plus sur la fameuse initiation et je n'insiste pas. Impossible de vider une mine de son or dès le premier jour, il faut s'armer de patience et persévérer. J'espère juste que cet événement ne sera pas une sorte de bizutage mesquin et pervers. Et quand je vois August, les lèvres plongées dans sa seconde coupe, qui montre un calme exceptionnel face à la situation et qui n'est pas la seule d'ailleurs, j'ai un peu d'espoir.
Car à part mes deux compatriotes, les autres filles ne laissent rien transparaître. Seuls des sourires s'esquissent et l'ambiance s'avère détendue. Jamais on ne penserait que la vie de nos familles se trouve en jeu, ni que nous venons d'être kidnappées dans ce paradis doré. Mais encore une fois, ce n'est certainement pas le cas pour tout le monde ou une autre atmosphère régnerait.
— Finis-moi ce verre d'eau et prends une coupe. C'est l'un des meilleurs champagnes sur Terre, autant en profiter ! s'exclame August, d'un clin d'œil complice.
Soigner le mal par le mal me semble tout à coup une excellente idée. J'attrape une coupe et succombe aux bulles explosant au contact de ma langue. Je m'autorise un deuxième verre. Si seulement le courage se trouvait en bouteille, je serais armée jusqu'aux dents. Mais même s'il ne s'y trouve pas, il n'existe rien de mieux que de se noyer dans l'alcool pour anesthésier son cerveau et remplir son ventre mécontent. Qui sait, peut-être me réveillerai-je de ce cauchemar après une bonne gueule de bois. Troisième verre me voilà.
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Les rayons du soleil tapent contre les fins rideaux masquant la baie vitrée et l'intensité de la chaleur mélangée à un parfum de rose suffocant réveille mon mal de crâne. J'ai une fois de plus abusé de la boisson et surtout du champagne. Cependant, j'en avais besoin après les événements de la veille. J'espérais me téléporter dans mon lit ou à défaut, gagner en courage et affronter cette nouvelle journée avec dignité, mais j'ai juste obtenu une bouche bien pâteuse et un joli trou noir. En prime, j'ai beau me masser le front, la douleur persiste. Rien d'étonnant, me direz-vous, car ce n'est pas faute de savoir qu'alcool, ventre vide et déshydratation ne font pas bon ménage. Mais l'espoir fait vivre, non ?
À mes côtés, August, allongée sur le même fauteuil en cuir noir, baissé au maximum, dort paisiblement. Je me lève et replie la couverture qu'une âme généreuse m'a laissée, en prenant soin de ne pas faire le moindre bruit. Réveiller un dragon sommeillant au passage ne me tente pas.
Après un indispensable verre d'eau, j'analyse les buffets regorgeant de mets et de boissons fumantes. Le choix est vaste, bien trop vaste et ma migraine refait surface. Tout me donne envie et me dégoûte en même temps. Je ne suis pourtant jamais nauséeuse surtout quand il s'agit de nourriture. Peut-être qu'en mangeant un bout, mon appétit reviendra.
Les yeux fermés, je pointe du doigt mon petit-déjeuner, un muffin aux myrtilles. Le premier croc se trouve décisif et victoire, mon appétit revient au galop. J'enchaîne avec un cookie chocolat noisette absolument divin, un croissant aux amandes encore chaud, une brioche aux pralines fondante à souhait et me stoppe juste avant de me jeter sur une gaufre quand mon regard croise celui de mes deux compatriotes.
Discutant à l'angle de la salle le plus éloigné des filles encore endormies, elles me font signe. Je regarde à nouveau la gaufre qui à l'air parfaite, croustillante à l'extérieur, fondante à l'intérieur, exactement comme j'aime. Mais je les rejoins finalement, le cœur battant. La première, une rousse à la chevelure frisée et sauvage, mesure à peu près ma taille à quelques centimètres près, je la dépasse légèrement. Des taches de rousseur recouvrent son visage, elle s'appelle October. La seconde arbore un carré court bleu ciel, de la même couleur que ses iris, c'est assez perturbant, mais cette coupe lui va bien. Très blanche de peau et pas très grande, quelques rondeurs lui donnent de belles formes. Sa frange tombe sur ses yeux, elle s'appelle April.
— January, on peut t'appeler Jay ? me demande October. C'est vachement plus facile !
Mon sourire se crispe. Jay. Le surnom que seule ma petite sœur utilise depuis notre enfance. En lien, selon elle, avec ma voix stridente, mon débit de parole alarmant et mes yeux turquoise qui rappellent les touches bleu-vert de ces beaux oiseaux disparus. Qu'est-ce qu'elle me manque.
— Si tu ne veux pas qu'on t'appelle comme ça, on garde January, hein ? Je trouvais Jay plus court et plus cool, mais si ça te dérange, on oublie. Pas besoin de se braquer pour si peu.
L'envie de lui répondre me saisit. Toutefois, entrer en conflit avec une fille dès le premier jour et pour un surnom ne me semble pas la stratégie la plus adaptée. Surtout que nous avons besoin de nous soutenir face à cette épreuve. Et il est encore trop tôt pour savoir si elles se trouvent du côté de The Virginity Game, comme March, ou des pions.
— Non, non, c'est bon, la rassuré-je.
— Merveilleux ! s'exclame October en claquant dans ses mains. On peut avancer.
Elle jette un regard encourageant à April qui se lance d'une voix timide.
— En fait, on se demandait comment tu t'es retrouvée ici ?
— Parce qu'hier on a voulu te saluer, comme tu n'avais pas l'air adepte du jeu, mais une de ces filles s'est jetée sur toi et vous avez passé la soirée ensemble à vous amuser, à danser et rire, donc on ne savait plus.
Soirée, dont les souvenirs, surtout de la fin, manque de clarté. Toutefois, les quelques flashs restants étaient plutôt amusants. August m'a fait oublier le jeu le temps de quelques heures et si j'avais un peu moins forcé sur le champagne, j'aurais presque pu me réveiller avec le sourire. Presque.
— Eh bien, c'est vrai que j'ai passé un bon moment avec August. Je ne m'y attendais vraiment pas. C'était la première fois que l'on se rencontrait, mais je ne sais pas comment l'expliquer...
— Tu devrais faire attention, m'interrompt October. Elle est aussi fourbe que ses congénères. Tu es arrivée après donc tu ne les as pas encore vues à l'œuvre, mais crois-moi, toutes les filles, sans exception, sont de véritables requins prêts à s'entretuer pour ce jeu. Coup-bas, mensonges et trahisons sont tout ce qui t'attend en les côtoyant. Après si tu aimes le drama et que tu as envie de participer à cette farce, on ne te retient pas.
— Quoi ? Non, je ne veux pas être associée à ce jeu et je n'ai pas du tout envie d'en faire partie ! Je n'ai jamais regardé, enfin, ma colocataire...
Je m'arrête brusquement en pensant à Lise, et surtout à la règle numéro une du jeu. Interdiction de révéler son identité. La journée commence à peine et je suis déjà incapable de tenir ma langue. Sans connaître les limites de cette règle, ni à qui je peux faire confiance, je dois taire toute information me concernant, même les plus anodines. Surtout au vu de leur animosité envers August, si October et April décidaient de se retourner contre moi...
— Nous n'avons rien entendu, me rassure October.
J'esquisse un sourire gêné, je n'ai qu'un mot : merci.
— Bref, quelqu'un m'a montré un extrait de cette émission, mais je n'ai jamais regardé un épisode entier. À part le nom, le principe et quelques rumeurs, je ne connais rien de plus.
Au vu de leur regard compatissant, elles ne peuvent que partager ma situation et je me sens tout de suite moins seule. Savoir que des filles ont vécu la même chose me réconforte. Bien sûr, je ne souhaite à personne de vivre ce qui m'arrive, mais je ne peux m'empêcher d'être heureuse que d'autres soient dans le même cas. Ne pas être confrontée à la solitude en plus de tout le reste est une libération.
— C'est pareil pour nous, confirme April tristement. On n'a jamais regardé l'émission et maintenant, se retrouver dans cette position... C'est tellement...
Sa voix se brise et October lui serre la main.
— On ne va pas laisser cette injustice passer, on va se sortir de là et rentrer chez nous ! Qu'ils se servent plutôt parmi ces pimbêches demeurées prêtes à tout pour jouer. Elles sauteraient même d'un pont si un joueur leur demandait, crache-t-elle avec virulence. Vraiment, je ne comprends pas ce qu'on fout là. Quand je pense à la façon dont ils nous traitent, pas de douche, pas de lit, pas d'intimité, on n'est pas des animaux ! Merde, ça me fout hors de moi. En plus, on nous a expliqué que dalle.
Ses épais sourcils froncés, des rides se dessinent sur son large front où quelques frisettes se baladent au milieu de taches de rousseur de couleurs et de tailles différentes. Une vraie mosaïque anarchique. Après un long moment d'hésitation, je partage avec elles les informations apprises hier soir par August, dont je ne sais plus quoi penser. Elle me semblait différente, mais...
Bref, prisonnières du même bateau, sans gouvernail, nous voguons aveuglément au milieu d'un océan sans fin et secouées de toutes parts par des vagues plus grandes les unes que les autres, nous luttons pour rester à flots. Autant s'entraider, surtout si aucune règle n'est brisée. L'union fait la force et j'en ai cruellement besoin.
J'effectue un pas en avant et chuchote avec le plus de discrétion possible :
— Ce n'est pas grand-chose, mais à priori nous sommes des Ignorantes et il y a aussi des Capitaines.
Leurs yeux s'écarquillent et le ton d'October monte d'un cran.
— Des Ignorantes ! Et puis quoi encore ? Des Retardées ? Non mais ils se foutent de ma gueule là. Tout ça parce qu'on n'a jamais vu leur putain de jeu merdique... Je vais leur montrer, moi, qui sont les ignorants ici ! S'ils pensent que je vais obéir à toutes leurs règles stupides, que je vais me plier à des sois-disantes Capitaines rivalisant de bêtises et de superficialité, ils se trompent monumentalement. Ils peuvent me menacer autant qu'ils veulent, leurs paroles ne me font pas peur. Jamais ils ne me museleront !
Comment peut-elle hurler ces mots ? Moi, leurs paroles me tétanisent. Certes, je ne veux pas me laisser manipuler par ce jeu pourri jusqu'à la moelle. Je ne me suis pas engagée à participer et je ne souhaite pas être contrainte à jouer ou suivre leurs règles. Mais les risques sont trop grands, les paroles de Winter encore trop fraîches. Je ne dispose pas des informations suffisantes pour lancer une rébellion sans mettre en danger mes proches, si l'on admet que je puisse le faire.
Ce serait mentir de ne pas avouer préférer quelqu'un comme October pour leader le mouvement et nous permette de nous échapper. Surtout quand elle paraît si déterminée à y parvenir. Je ne suis pas une meneuse et je ne l'ai jamais été. Observatrice me correspond mieux. Je suis les autres si le chemin qu'ils arpentent me permet d'atteindre mon but, mais en aucun cas, je ne marche en tête. Car c'est cette personne qui la perd en premier et j'aimerais la garder.
Respire, écoute, analyse et ensuite seulement agit. Ses mots me guident au quotidien. Je ne fonce jam–, très rarement, tête baissée. Pour l'instant, je ne crains rien, ma famille non plus. Je n'ai pas enfreint de règle à ma connaissance, je compte donc patienter et voir ce qui se passera. J'aviserai en conséquence.
— Hum, les filles, c'est bien beau toute cette énergie révolutionnaire, mais essayez d'être un peu plus discrètes et polies. Il ne faudrait pas que ces paroles, assez offensantes, tombent dans les mauvaises oreilles, intervient August, en baillant encore à demi-réveillée.
Des frissons nous parcourent toutes les trois. Elle nous a entendues. Mon visage se crispe malgré moi et je me réfugie dans mon verre de jus de pomme à moitié vide. Si elle révèle les envies de révolte d'October, comment réagira la production ?
— Relax, January, me tranquillise-t-elle, en posant sa main contre mon bras. Je ne dirais rien, vous pouvez me faire confiance, mais à l'avenir faites plus attention si vous voulez éviter une punition inutile. Vous ne connaissez pas encore l'ensemble des règles, donc vous ne risquez rien, sauf si vous êtes reportées. Enfin, sachez que nous sommes surveillées en permanence et les insultes à l'encontre du jeu ne sont pas tolérées.
Elle nous offre un grand sourire et je me décompose. Nous sommes filmées depuis le début. Et si des caméras se trouvaient dans toute la villa ?
— De toute façon, je ne participerai jamais à ce jeu, déclare October, en croisant les bras. Ça vous amuse peut-être de jouer les pions, ce n'est pas mon cas. Je ne m'abaisserai jamais à ça.
August soupire et lève les yeux au ciel, puis s'éloigne en direction des gaufres et des crêpes à l'autre bout de la table. Je ne la retiens pas. Je ne veux pas non plus prendre part à ce jeu sordide. Si une échappatoire qui ne condamne pas ma famille se présente, je la saisirai. Hors de question d'être forcée à devenir un pion au service de ce show où le respect de l'intimité et de la vie privée n'existe pas. Et j'aimerais épargner à ma famille l'humiliation de me voir participer. Le monde entier n'a pas besoin de savoir que je suis toujours vierge. October, j'espère que tu vas nous sortir de là. Je compte sur toi pour trouver la solution. Me reposer sur elle ainsi alors que je ne compte pas l'aider s'avère égoïste et faible, mais c'est ce que je suis.
Les portes coulissantes s'ouvrent brusquement et un garçon, aussi blond qu'un champ de blé, entre dans la salle en véritable conquérant, accompagné par une jeune fille tout aussi blonde, les cheveux en pagaille et les traits défigurés par la peur. Le jour où Lise m'a montré The Virginity Game pour la première fois me revient. Summer, le type au teint hâlé et aux yeux azur qui a embrassé langoureusement la petite brune dont je ne me rappelle pas le nom. Ou plutôt le mois de naissance.
La fille semble particulièrement jeune. Est-elle seulement majeure ? Vêtue d'une robe trop large en haut et trop courte en bas, ressemblant plutôt à un tee-shirt, ses doigts tirent sur le tissu pour qu'il la couvre un peu plus. Au vu de cet accoutrement misérable, je suppose qu'il s'agit de la quatrième Ignorante. Le blond la prend à pleine fesse et lui mord l'oreille agressivement. L'envie d'intervenir me démange, toutefois, je reste statufiée, le souffle bloqué. Tandis qu'October n'hésite pas une seconde et avance d'un pas déterminé. April la retient, en secouant la tête.
— Lâche-moi, April, exige-t-elle, en se dégageant d'un mouvement sec.
October s'élance en direction des nouveaux venus. April suit ses traces et moi aussi, bien qu'en maintenant une distance de sécurité. Le temps de traverser la salle, Summer a déjà disparu et October, qui semble n'avoir qu'une envie : le poursuivre et l'incendier, se retient en posant les yeux sur la quatrième Ignorante au bord des larmes.
J'aperçois August du coin de l'œil, une tasse en main et une gaufre au chocolat en bouche. Elle ne prête aucune attention à la nouvelle. Son arrivée la désintéresse, alors pourquoi est-elle venue m'accueillir ? Je ne suis pas différente de cette fille.
October lui prend la main et la salue de façon chaleureuse :
— Hey ! Comme le con de tout à l'heure a dû te le dire, on se fait appeler par nos mois de naissance. C'est totalement absurde, mais du coup ici je suis October. Tu dois être toute chamboulée, mais ne t'inquiète pas, nous sommes là. Ça va aller. Je ne les laisserai pas nous faire de mal.
Les mots d'October la revigorent quelque peu. Elle sèche les larmes coulant abondamment sur ses pommettes rosies et regagne déjà des couleurs. April se présente d'une petite voix et j'enchaîne le plus calmement possible.
— Merci beaucoup, les filles, pour cet accueil.
La faiblesse de son ton me brise le cœur.
— Vous n'auriez pas un élastique en plus par hasard ? C'est la pagaille là-haut.
Elle montre sa tignasse dorée, le démêlage risque d'être douloureux. Enfin pas autant que ce jeu.
— Malheureusement, non. Personne n'a dû juger utile de nous en laisser. Mais bon, ce n'est pas comme s'ils avaient jugé utile de nous laisser quoi que ce soit, on a même pas quoi se laver les dents, déploré-je.
La mine de la nouvelle s'attriste de nouveau et je me mords la lèvre. Je suis incorrigible... Mais oui !
— Attends-moi là, je sais ce qui te fera du bien !
J'accours vers les buffets et m'empare d'un chocolat tout chaud auquel je rajoute des guimauves qui fondent rapidement et retourne auprès de mes compatriotes. La nouvelle récupère la tasse d'un maigre sourire et boit une gorgée. Le même bracelet qu'August glisse le long de son frêle poignet, la quatrième Ignorante appartient donc à son équipe.
— Au fait, tu t'appelles comment ?
Au moment où elle ouvre la bouche, quatre hommes, épouvantablement magnifiques, entrent sur la scène à droite de l'entrée et notre conversation prend fin. J'ai pleinement conscience de ma situation, toutefois, aucun autre adjectif ne s'avère capable de les décrire, surtout quand ils se pavanent côte à côte. Un corps de rêve, un visage à jalouser la perfection, une aura et un charme meurtrier. Sont-ils seulement humains ?
Nous ne sommes pas au sein d'une fiction, mais d'un jeu télévisé, non, d'un vrai show. Comme dans toute bonne émission, disposer de mecs canon s'avère indispensable. Pas suffisant. Certes les joueurs sont d'un autre niveau comparé aux téléréalités lambda envahissant la toile, néanmoins ils ne sont pas le seul facteur du succès de The Virginity Game. Pour une recette réussie, de l'action se trouve primordial. Et rien que de penser à ce que les scénaristes nous réservent, j'en ai la boule au ventre. October, s'il te plaît, deviens mon héroïne. Sauve-moi, je t'en supplie, je crois en toi.
Les quatre joueurs en costume s'avancent sur l'estrade et nous déshabillent du regard. J'en connais déjà deux, Winter, mon kidnappeur et le blond de tout à l'heure, Summer. Ils s'attardent sur chacune de nous et impossible de ne pas les fixer, pas quand ils semblent tout droit sortis d'un monde imaginaire. Et peut-être que ce surréalisme me sauvera. Quoi que, leur attitude exécrable risque de bien aider. L'empressement qui se trahit à travers leurs yeux désireux de commencer le jeu me débecte. Comment peuvent-ils prendre autant de plaisir dans cette situation et le montrer aussi ouvertement ?
Une main dans la poche, le roux aux cheveux courts et aux iris vert forêt avance d'un pas et lance avec un entrain non dissimulé et délibéré :
— Ignorantes, Voyeuses et Capitaines, bienvenue dans The Virginity Game !
Les filles applaudissent, visiblement heureuses de participer à cette émission. Même August les accompagne avec enthousiasme. Cette profusion de joie m'échappe. La position dans laquelle nous nous trouvons s'avère des plus terribles. Pourquoi ne s'en rendent-elles pas compte ? Est-ce qu'elles aussi prennent du plaisir à cette situation comme l'a dit October ?
— Merci, mes beautés ! clame le roux, en calmant les applaudissements. Vous ne pouvez pas imaginer à quel point nous sommes excités de commencer cette nouvelle saison à vos côtés. C'est toujours un régal de découvrir les nouveaux pions et la sélection de cette année promet. Vous êtes toutes divinement belles et je n'ai aucun doute : plus vous vous révélerez au cours du jeu, plus vous étincèlerez. De nombreuses surprises vous attendent et vous permettront de vous épanouir. Croyez-moi, elles valent le détour. Enfin, chaque chose en son temps. Commençons déjà par l'événement que vous attendez tous avec impatience. Je déclare dès à présent l'Initiation lancée !
Il lève son micro au ciel et les acclamations reprennent vie. L'initiation débute et peut-être qu'une révolution l'accompagnera. October possède toutes les cartes en main, j'espère qu'elle jouera les bonnes.
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