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Niveau 11


Habituée au clapotis des gouttes de pluie, rebondissant sur la coupole de verre, leur douce mélodie me berce. Depuis des jours, des trombes d'eau s'abattent sur la villa et les nuages gris, parfois si sombres et menaçants, encombrent le ciel. Malgré tout, des éclaircies parviennent à se frayer un chemin de temps à autre. Et il n'existe rien de plus beau qu'un rayon de soleil après une averse torrentielle. Quelquefois même, un arc-en-ciel naît. Mais, éphémère, jamais il ne s'éternise. Contrairement à The Virginity Game qui persiste saison après saison sans faiblir. Sans offrir la moindre issue.

Car mon enlèvement remonte à mardi dernier et je suis toujours là. Nous sommes aujourd'hui le dimanche 12 juin et ce soir, l'initiation se terminera dans la grisaille et l'humidité autour d'une table de poker. Rien de plus attrayant. Rien de plus effrayant.

Un soupir m'échappe et je souffle sur les mèches échouées devant mes yeux. Mais rien à faire, elles ne bougent pas. Je me risque donc à lâcher l'échelle sur laquelle je me trouve et mes jambes se mettent à trembler dangereusement. Je remets mes cheveux rebels derrière mes oreilles. Cependant, je ne me raccroche pas tout de suite à mon barreau. Le vide m'appelle.

Mes iris descendent le long de l'immense étagère en bois. Alors que je sais pertinemment qu'il ne faut jamais regarder en bas. Et pourtant, l'éclair d'adrénaline qui me traverse ne pourrait me rendre plus vivante. Aussi, je m'ancre dans le sol duveteux, dans cet océan rouge vin, jusqu'à ce que l'élan s'essouffle. Mon rythme cardiaque de retour à la normale, je me stabilise et me perd un instant au milieu des centaines de livres de toute époque qui m'encerclent, mais ne m'accablent pas. L'hétéroclisme harmonieux qui règne m'apaise.

Auteur après auteur, je parcours les couvertures du rayon « essais et réflexion de vie » du bout des doigts et déniche enfin l'ouvrage souhaité. Les pieds de nouveau sur terre, je lève les yeux vers la gigantesque coupole habitée par d'étranges créatures ailées mi-ange, mi-démon. J'ai trouvé en ce lieu, un endroit sûr et absolument fascinant. C'est mon éclaircie, mon rayon de soleil, mon magnifique arc-en-ciel, le temps de quelques heures. Aucune règle perverse ne fait loi, en revanche, les horaires m'empêchent de m'installer définitivement et les majordomes veillent au grain. Ce qui s'avère bien dommage, car aucun joueur ne s'aventure dans la bibliothèque et un seul pion me rend visite quotidiennement, August. Que je me suis surprise à apprécier de plus en plus.

Elle a ce don pour surgir de nulle part et discuter d'absolument tout et n'importe quoi sans jamais enfreindre la règle numéro une. Ainsi, j'ai appris à mieux la connaître. Chaque jour, nous choisissons un thème et débattons. Nos opinions divergent souvent, mais là se trouve toute la richesse. August me fait voir les choses d'une autre manière. Comme lorsque nous avons longuement discuté de la série Westworld et de la place de plus en plus importante de la robotique dans notre vie.

— Jay, et si les robots venaient à remplacer les êtres humains ? C'est peut-être même déjà le cas. Après tout, j'ai lu des articles absolument passionnants sur le développement d'animaux cyborg. Imagine que les joueurs ne soient que des machines ou pire, qu'ils abritent une machine qui guide leurs pas, leurs gestes, leurs pensées. Que tout The Virginity Game ne soit qu'une énorme escroquerie. Une gigantesque étude ayant pour but de développer et perfectionner les hommes-robots du futur. Et si nous étions dans une sorte de parc inspiré par Westworld dans le but d'atteindre la prochaine évolution, d'obtenir la vie éternelle, de décrocher une obéissance infaillible ? Pas avec des clones, mais avec des organes artificiels, des systèmes d'exploitation intelligents, des neurones synthétiques ! Et si nous devenions tous des cyborgs dans le futur comme nos chers et tendres joueurs ?

Quand August m'a soumis l'idée, j'ai d'abord douté. C'était bien trop farfelu. Puis, j'ai poussé la réflexion. Une apparence inégalable. Un corps trop beau pour être vrai. Des yeux magnifiquement vides. Les joueurs sont des fantasmes vivants. Mais sont-ils vraiment vivants ? Qu'est-ce qui les anime ? Du sang ou de l'huile ? Des veines ou des fils électriques ? Un cœur ou une batterie ? Des organes ou des rouages ? Peut-être est-ce un mélange complexe, intriqué et imbriqué, indissociable et inséparable, entre machine et humanité. Une osmose complète. Une osmose parfaite.

Nous sommes ensuite parties loin. Très loin. Dans l'exosphère de notre imagination, à dix mille kilomètres de notre cerveau.

— Et si une intelligence artificielle se trouvait derrière notre participation ? ai-je suggéré. Créée par Bella Ivy, qui s'ennuyait beaucoup dans ses dernières années.

— Oh, j'adore cette femme ! Quelle ingénieure de génie. Elle s'est tant battue pour ses rêves. C'est mon modèle depuis que je suis enfant ! s'est exclamée August, des étoiles plein les yeux.

— Moi aussi ! Je l'admire tellement. Elle a vraiment changé le monde.

Cette femme forte, brillante et belle, dirigeait d'une main de maître le plus grand empire sur cette Terre. Toutes les technologies les plus folles et innovantes passaient et passent encore par son entreprise. Elle a révolutionné le monde en accélérant les lancements, en bousculant les codes de la société. Elle était la définition même de disruptive. C'était une perturbatrice, un ouragan d'ingéniosité.

Nous avons passé des heures à parler de Bella avec August. Elle connaît toute sa vie, toutes les dates clés qui ont marqué son existence, toutes les personnes qui ont croisé sa route. Une vraie encyclopédie. Et c'est après cette conversation que je me suis rendue compte de la différence de passion et d'investissement entre nous.

Je n'avais jamais poussé mes recherches à ce point alors que durant mon enfance, mon adolescence et même après, à chaque fois que l'on me demandait qui était la personne que j'admirais le plus, je la citais. Mais je m'émerveillais de son succès sans réellement connaître son parcours. Je ne me suis jamais intéressée aux moyens, aveuglée uniquement par la fin. C'est assez ironique maintenant que j'y pense. Je suis bien plus prévisible et basique que j'aimerais le croire. Contrairement à August qui brille par son énergie, son enthousiasme et son intelligence.

— Mery ! a-t-elle hurlé soudainement. Jay, comme son labrador, ça serait franchement parfait pour notre intelligence artificielle. Imagine : le dernier vestige laissé par Bella qui porte le nom de son plus fidèle compagnon.

— Mais oui, August, excellente idée. Bella a créé Mery... Mais pas The Virginity Game !

Le sourire d'August s'est agrandi à mes mots et l'alchimie de nos deux cerveaux s'est activée.

— Des investisseurs mafieux ont pris le pouvoir après le départ inexpliqué de Bella et ont corrompu Mery, a-t-elle enchaîné.

— Ils sont à l'origine du jeu et se servent de Mery pour sélectionner les pions et réaliser la mise en scène...

— Seulement il existe un moyen d'échapper à leur contrôle et de mettre un terme à The Virginity Game...

— Soigner Mery ! Et à la clé, se trouve une récompense dépassant l'entendement, qui ne se compte pas en nombre de zéro.

Cet échange m'a perturbée pendant quelques jours surtout avec tous les mystères entourant la mort de Bella Ivy et le jeu. Puis, je suis tombée par malchance sur Winter dans la cuisine. Pourtant, à part March et February, qui m'envoyaient chaque soir leur préparer à manger, mon chemin ne croisait jamais celui d'autres pions, ni des joueurs. April et July se portaient étrangement disparu depuis l'incident des pancakes. Cependant, si elles avaient pris la fuite, nous le saurions. Et les autres ne donnaient pas non plus signe de vie. C'était à croire que les couloirs, devenus amovibles, faisaient tout pour nous isoler.

Jusqu'à ce que je trouve Winter en train de préparer son petit-déjeuner aux aurores, alors que toutes les cases s'avéraient vides. Croyez-moi, ma mâchoire s'en est déboîtée. Et quand il s'est coupé avec son couteau, j'ai observé son doigt, puis mes pupilles ont dévié jusqu'au reste de son corps pratiquement nu. Et ma mâchoire ne s'est pas remboîtée.

— Tu ne peux pas t'en empêcher, n'est-ce pas ? a-t-il soulevé, en léchant son doigt. Profite de la vue autant que tu veux, ce corps t'appartient.

Mes yeux en ont parcouru l'ensemble et je me sens encore coupable de ce simple regard. J'aimerais affirmer que sa vue ne m'a pas perturbé, mais ce serait un très vilain mensonge. Car, malgré toute l'horreur qu'il représente, malgré toute la haine qui me crève le cœur simplement en pensant à lui, son corps ne me laisse pas indifférente. Et je me dégoûte un peu plus à cause de cette sensation infâme, de ce sentiment répugnant, de cette faiblesse affolante. Si seulement j'avais couché avec un homme, je ne serais pas aussi naïve. Je ne serais même pas là.

— Tu peux le réclamer à tout heure de la journée ou de la nuit, a-t-il ajouté, en passant son doigt sous l'eau. Je comptais te laisser encore un peu respirer, mais si l'attente est insoutenable, on peut y remédier dès maintenant.

Son clin d'œil, son sourire, son regard, m'ont ramené à la réalité dans un fracas inaudible et pourtant si violent. Car Winter n'est pas mon bourreau. Ni mon sauveur. Je suis la seule et l'unique capable de changer ma destinée.

— Merde, il faut que j'y aille, a-t-il jetté, en regardant sa montre, que je n'avais pas repéré jusqu'à présent. Quel dommage ! Mais, ne t'inquiète pas, ma belle, on se revoit bientôt. Je n'ai pas oublié ma mission.

Winter a quitté la cuisine sans même que je ne l'aperçoive, trop prise dans mes pensées. Je revois encore sa montre comme si c'était hier. Était-elle un équivalent de nos bracelets ? Même si je ne comprends pas pourquoi un joueur aurait besoin d'être gardé en laisse comme nous le sommes. Je ne connais pas tous les tenants et aboutissants de The Virginity Game. Bref, je m'égare, le plus important, c'est que du sang coulait de sa coupure et non de l'huile. Bien que je ne sois pas sûre de ce qu'il en est pour le reste de ses organes.

Après avoir parler de cette entrevue indésirable à August, nous avons divagué jusqu'à l'effet que provoque la vue du sang chez certaines personnes.

— Tu penses que tu pourrais t'habituer à quelque chose qui te répugne ? lui ai-je demandé. Si tu détestais la vue du sang, mais que tu en voyais tous les jours, que tu le sentais, le touchais, finirais-tu par l'accepter ?

— Jay, tu me demandes ça à cause du jeu, n'est-ce pas ? Est-ce qu'avec le temps, il deviendra plus supportable ? Est-ce qu'il sera normal pour toi de participer ? Est-ce que tu finiras par prendre du plaisir à jouer ?

— Eh bien...

— Je sais que c'est très difficile pour toi. Tu te caches dans la bibliothèque pour éviter les joueurs et les pions.

Face à mon sourire crispé, elle a serré ma main et répondu avec tant de tendresse que mon cœur a littéralement fondu.

— Tu ne pourras pas te cacher éternellement, mais tant que tu le pourras, je serai là chaque jour pour te tenir compagnie et te distraire. Tu sais, je t'aime bien, petite Ignorante.

Rien n'aurait pu plus me toucher. Et j'ai ri. Je n'avais pas ris depuis si longtemps. C'était tellement libérateur. Une vraie délivrance.

— Je t'aime bien aussi, petite Voyeuse.

August a alors levé les bras au ciel en guise de victoire et son rire s'est mêlé au mien. Je me rappelle encore de cette mélodie flamboyante. Incandescente. Iridescente. Elle restera gravée à jamais dans ma mémoire. Ma première amie.

— Pour en revenir à notre sujet, sache que je ne supporte pas la vue du sang. Je te jure, je m'évanouis à la moindre goutte. Je... je ne sais pas si je m'y habituerai un jour, mais je pense qu'il me faudrait des années, minimum, pour y arriver. Impossible que ça se fasse en quelques jours ou mois.

Aussitôt, un poid s'est soulevé de ma poitrine. Car il est difficile de changer en si peu de temps et The Virginity Game ne durera jamais plusieurs années. Cette première semaine me semble interminable. J'ai l'impression d'être ici depuis des mois déjà. Mais je n'accepterai jamais le jeu, ni les joueurs. Et pourtant n'as-tu pas accepté un de ses pions ? m'interroge la voix de ma conscience.

Installée dans l'un des massifs fauteuils en velours dont il est difficile de se défaire, mes pieds s'enfoncent dans le tapis central où se dessine une carte du monde dans une tentative ratée de taire la voix de ma conscience. Car la fourbe vient de soulever un problème auquel je n'avais pas encore penser et que je refuse de seulement considérer pour le moment. Alors je me convaincs qu'August est une exception. Après tout, toute règle comporte des exceptions. Espérons maintenant qu'elle sera la seule.

J'allume la lampe au pied vert sapin et à l'abat-jour doré, en tirant sur une cordelette comme dans les vieux films et ouvre mon livre. Mes coudes se frottent contre les petites perles qui habillent les coutures des accoudoirs et je démarre ma lecture quand un frappement m'arrache un sursaut. Je découvre August les mains plaquées sur la table basse sculptée avec des motifs de lauriers à quelques centimètres du jeune ficus tout aussi renversé.

— Mince, pauvre petit ! s'attriste-t-elle, en le rempotant. Désolée de t'avoir bousculé !

— Tu t'excuses auprès d'une plante ? la charrié-je.

— Les plantes sont des êtres vivants, comme nous. Elles ne méritent pas moins de respect que l'espèce humaine.

— J'aime tellement ton ouverture d'esprit et tes idées non conventionnelles.

— Je te retourne le compliment. Oh, tu as commencé un nouveau livre ?

Encore une fois, je ne l'ai pas senti approcher. L'expression « à pas de velours » prend tout son sens avec elle. Je lui tends l'ouvrage et un sourire illumine son visage.

— Excellent choix, j'adore cet auteur. Attends, il faut que je te lise mon passage préféré.

August tourne les pages à tout allure jusqu'à trouver la bonne et lit à voix haute :

— « Imaginez une planète qui serait complètement recouverte par la forêt, sans océan, sans nulle trouée. Maintenant, supposez qu'un voyageur se trouve transporté sur une telle planète. S'il est cartésien, que fera-t-il ? Il marchera toujours droit devant lui. Avec un peu de chance, au bout d'une épuisante randonnée qui durera des mois, voire des années, il reviendra à son point de départ (et si, par miracle, il le reconnaît, il comprendra qu'il lui faut changer de méthode). Mais le plus probable est qu'il meure avant d'avoir décrit une seule fois la circonférence de ce globe. »

Je m'imagine au milieu d'arbres de toutes espèces, si hauts et denses que les rayons du soleil peineraient à les percer. Mon premier réflexe serait de suivre le chemin en face de moi. Le plus sûr aux premiers abords, mais en réalité aussi illusoire qu'une chimère.

— « Dans une forêt sans dehors, dans un milieu plein et entier, comme l'est notre vie, il n'est qu'une seule stratégie adaptée. Il faut d'abord prospecter, pour trouver un endroit idoine où établir un campement – de préférence une grotte ou un abri naturel, situé non loin d'un point d'eau et légèrement en hauteur afin de voir arriver d'éventuels ennemis. »

Ses paroles me frappent de plein fouet. Ceci aurait dû être mon premier réflexe. Car comme dis plus tôt, et s'il était impossible de quitter cette forêt ? Et si cette marche durait des heures ? Et si de sombres créatures rodaient dans l'ombre ? Tant de possibilités... Sans une stratégie définie, impossible de s'en sortir indemne. Et la bibliothèque n'est pas le campement idéal puisque je ne peux même pas y passer la nuit à l'abri.

— « Une fois qu'on a trouvé le lieu parfait pour installer le bivouac, il convient de rayonner dans toutes les directions, afin d'explorer le milieu, d'en repérer les dangers mais aussi les ressources, les mares poissonneuses, les taillis giboyeux, les arbres fruitiers. La vie bonne, en d'autres termes, ne saurait consister en une marche forcée en ligne droite, mais en une exploration en étoile. » Alors, qu'en penses-tu ?

— C'est intéressant et la conclusion me plaît.

Ces mots s'appliquent étrangement bien à ma situation. Pour survivre dans ce jeu, je dois en explorer les moindres recoins et comprendre son fonctionnement. Or, depuis que j'ai découvert la bibliothèque par hasard, je me terre ici sans oser une seule expédition. Sans une base solide et les bonnes provisions, je ne trouverai jamais un moyen de m'échapper sans enfreindre la moindre règle.

— J'étais sûre que tu apprécierais ! Comme tu es quelqu'un de cartésien, je me suis sentie obligée de partager ce passage avec toi.

Notre différence m'explose au visage et la détonation m'étourdit. August incarne la spontanéité et la créativité, son esprit ne possède pas de barrière quand je suis beaucoup plus réservée et réfléchie, facilement prisonnière de paradigmes.

— Eh bien, heureusement que les branches des étoiles sont droites !

Pliée en deux, August essuie les perles au coin de ses yeux ronds.

— Me voilà rassurée ! J'ai cru un instant que tu avais donné ta langue au chat ?

— Jamais ! Tu sais bien que je préfère les chiens, gloussé-je.

Nos rires se confondent dans un joyeux chahut quand les vibrations de nos bracelets aux sept leds clignotantes nous interrompent. August tire une moue boudeuse et repose l'ouvrage « Comment vivre lorsqu'on ne croit en rien » d'Alexandre LaCroix.

— Le temps passe trop vite.

— Oui, je serais bien restée plus.

Toutefois, dans à peine quinze minutes, dix-huit heures sonneront et nous sommes attendues.

— Allez, courage, Jay. N'oublie pas, c'est juste un jeu. Et tu n'auras peut-être même pas besoin de mes conseils. Il te faut juste un peu de chance.

— C'est bien ça le problème. Je n'ai jamais de chance au jeu et tu as bien vu, je suis incapable de bluffer. S'il n'y a pas de limite...

— Ne baisse pas les bras. Tout va bien se passer, crois-en toi ! Tu ne pars de zéro. Tu t'es préparé ces derniers jours. Ce n'est pas pour rien.

Malgré ses encouragements, impossible laisser place à l'optimisme. Car je ne sais que trop bien que le travail ne suffit pas.

— Oui, tu as raison, concédé-je tout de même. Merci, August. Je suis désolée.

Elle me prend dans ses bras et me souffle :

— Ne sois pas désolée. Tu ne termineras pas dernière, j'en suis sûre. Alors ne pars pas vaincue !

Je hoche la tête et nous nous séparons.

— Bonne chance, August.

— Merci, toi aussi ! On se voit demain ! crie-t-elle, avant de disparaître dans un couloir inconnu.

Seule face à la baie vitrée donnant sur un jardin de courge à poids, j'hésite un instant à ne pas regagner la suite. Mais impossible d'ignorer la sanction en cas de non participation. Entre jouer au poker et passer trois jours dans la Cage de Verre, prendre le risque de devenir la maid de Winter pour quelques heures me paraît moins périlleux. Et August m'a expliqué les bases. Si je ne crois pas en moi, peut-être puis-je croire en elle. Bien qu'au final, tout repose entre les mains du destin et mes lamentations n'y changeront rien.

Incapable donc de prendre la fuite, je déambule dans les couloirs tel un fantôme mourant. Arrivée dans celui des miroirs, mon reflet m'assaille de toute part. Torture quotidienne, mais tolérable pour gagner mon refuge. Intolérable, en revanche, quand il est question de le quitter. Et encore plus pour se jeter dans la gueule du grand méchant loup.

J'atteins les nuages comestibles de plus en plus envahissants et me demande soudain si un morceau me rendrait malade et m'éviterait de participer à l'étape finale de l'initiation. J'arrache un bout cotonneux et le contemple longuement. Toutefois, sans l'assurance de ne pas terminer prisonnière de la Cage de Verre, je ne peux me résoudre à l'ingérer.

Les nuages laissent place à la blancheur infinie et j'entre dans la suite, le cœur proche de l'implosion. Je scrute les moindres recoins du salon et constate que Winter n'est pas encore là. Et si le destin avait enfin décidé de me faire une fleur ? Sans plus attendre, je fonce dans ma chambre et me change. Après trois robes, trois paires de chaussettes, deux paires de collants, deux tee-shirts, deux pulls, et une paire de basket, je suis presque prête. J'enroule le foulard en soie autour de mon cou déjà bien encombré et ajuste mes gants dentelés.

Sans plus tarder, la chaleur étouffante m'oppresse et de grosses gouttes ruissellent de sous mes bras. Cependant, à défaut de pouvoir obliger la chance à me sourire, je peux peut-être l'encourager. Quitte à ressembler à un sapin de noël mal décoré devant les yeux du monde entier. Sapin qui se déplace tout en maladresse et manque de plonger dans le bassin central transpercé par un rayon de soleil. Une éclaircie ! Un signe, j'espère. Comme la brise à l'odeur salée caressant mes cheveux et titillant mes narines. Brise qui ne provient pas du plafond ouvert, mais de la baie vitrée déverrouillée.

Un courant électrique me foudroie alors que March et February s'installent sur la terrasse. Dehors. A l'air libre. Je me précipite sur les planches en bois lustré et mes pupilles se perdent dans l'océan agité au loin. J'inspire à plein poumons. Me voilà enfin à l'extérieur. Le destin a peut-être finalement décidé de m'offrir une chance. Et j'esquisse presque un sourire. Presque. Car ce n'est pas encore terminé. Le jeu n'a même pas commencé.

Je bloque quelques instants sur la ravissante robe en dentelle blanche de March qui descend jusqu'à ses pieds nus enfoncés dans les galets. La transparence révèle l'absence de ses sous-vêtements. Elle n'a décidément pas froid aux yeux. February non plus. Pas avec la combi-short pourpre aux broderies d'hellébores dorés et argentés qui fait ressortir la pointe de doré dans ses yeux noisettes. Ni avec ses cheveux blonds relevés dans un chignon tressé qui lui donnent un air sophistiqué. Je suis la seule ne ressemblant à rien.

— Notre ignorante serait-elle nulle au poker ? m'accueille March le ton empreint d'ironie.

C'est un euphémisme. Mais je me garde bien de répondre. Si j'ai compris une chose sur March ces derniers jours, c'est qu'elle déteste quand je rebondis sur ses mots. Je ne l'ai fait que quelque fois et c'était amplement suffisant. Car si son regard pouvait tuer, je serais déjà morte. De plus, elle n'accorde aucune valeur à mes réponses, ni à ma présence. Elle me considère comme une moins que rien. Comme une Ignorante. Au début, son attitude me frustrait, mais je me suis habituée à ses piques régulières. Peut-être teste-t-elle ma patience, mes limites, mes réactions ou tout à la fois. Peut-être souhaite-t-elle simplement confirmer ce qu'elle pense de moi ou tout ceci n'est qu'un jeu qui l'amuse. Je ne sais pas.

March est aussi indéchiffrable que les joueurs. Parfois, elle se montre chaleureuse. Un jour, elle m'a tenu la porte. Un autre, elle m'a offert un verre pendant que je me baignais dans notre bassin. En revanche, quand elle donne des ordres, son côté glacial et menaçant domine. Elle ne manque jamais de me rappeler ce que je risque si je ne lui obéis pas et ses changements d'humeur me rendent confuse.

Assise sur l'un des sièges entourant la table basse en bois flotté, je me focalise sur les oursins, les coquillages et les algues reposant sur les galets. De tailles, de formes et de couleurs différentes, leur agencement aléatoire me rappelle les bordures de plage. Changeant en fonction des vents et des courants qui soufflent avec rage sur la côte. Le tonnerre gronde avec férocité. Les rafales déplacent les carcasses et la scène change. Mais un fait subsiste. Winter est toujours absent. Et il n'est pas pressé. Plus les minutes s'égrènent, plus la tension dans mon ventre s'intensifie. Je lève les yeux vers l'horizon et un éclair foudroyant pourfend le ciel. L'orage approche et avec lui, Winter, dans un costume fait sur-mesure qui accentue sa carrure.

Sans un mot, monsieur s'installe confortablement sur le dernier siège en face de March et de la baie vitrée. Le monde s'arrête alors brutalement de tourner. Secouée, comme après un brusque coup de frein, je n'en reviens pas. Mon adorable Capitaine ne quitte pas une seule seconde des yeux mon charmant joueur. Elle croise les jambes tout en sensualité et effleure sa cuisse du bout des doigts. Sa langue passe sur ses lèvres roses, elle entrouvre la bouche et murmure des paroles inaudibles. En somme, elle l'allume. À moins que ses lèvres ne soient sèches et qu'elle se parle à elle-même. Néanmoins, je ne sais pas pourquoi, je pencherais plutôt pour la première option.

March poursuit ses appels et pourtant, Winter l'ignore. Rien de plus étrange. Car ne devrait-il pas profiter de toute cette attention ? Au lieu d'en tirer parti, il ouvre la mallette en argent, déposée sur le plateau de verre fissuré un peu plus tôt. Il déroule le tapis de jeu, sort les cartes et distribue les jetons. Le tout sans nous prêter un regard. Et une fois l'ensemble installé, il nous dévisage avec February avant de lancer :

— Bonsoir, mes jolies ! Avant de commencer la dernière étape de l'Initiation, Jay, Feb, je vais vous donner les règles du jeu.

March fronce les sourcils et renâcle bruyamment. Elle n'apprécie pas ces surnoms. Nous sommes deux dans ce cas. Et vu la tension maintenant February aussi droite qu'un pylône, peut-être même trois. A moins que ce ne soit juste l'ignorance de Winter qui agace notre Capitaine. Quoi qu'il en soit, cela a au moins le mérite de lui retirer son sourire narquois. Et de me transformer en une cible encore plus évidente. Car contrairement à February, elle ne me le pardonnera pas.

— Dans cette partie de strip poker, je suis le dealer et vous, les joueurs. Vous quittez donc votre position de pion pendant tout le jeu ! N'hésitez pas à faire durer le plaisir aussi longtemps que vous le désirez. Je me chargerai de la distribution pour éviter la moindre tricherie, nous informe Winter, en mélangeant les cartes avec habilité. Car vous êtes aussi sur un pied d'égalité.

March attrape l'un des jetons et le fait passer entre ses doigts à toute vitesse. Mais Winter ne croise pas une seule fois ses iris émeraudes. Pourtant, elle se tient juste en face de lui et le regarde fixement. C'est assez impressionnant. Et pendant qu'ils s'adonnent à cette guerre silencieuse, j'écoute la suite, la gorge nouée.

— Les pions disposent du même nombre de jetons au départ, l'équivalent de mille dollars. Les quatre jetons violets avec des rayures blanches correspondent à une mise de vingt-cinq dollars. Les quatre jetons rose, à une mise de cent dollars. Et le jeton violet avec les rayures jaunes implique une mise de cinq cent dollars. Il n'y a pas de limite de mise et de relance. Vous pouvez donc vous en donner à cœur joie.

Cependant, ce n'est pas la joie qui submerge mon cœur palpitant. Car avec seulement neuf jetons, sans limite de jeu, je ne ferai pas long feu. Surtout quand j'apprends la suite des règles du Strip Poker de The Virginity Game, qui n'a rien d'un Strip Poker classique.

— Chaque manche se déroule en trois tours. Vous pouvez soit passer, soit suivre, soit relancer, toujours en doublant au minimum la mise. Le tour se termine lorsque tous les joueurs encore en jeu ont engagés le même montant. La première à parler est celle à ma gauche, puis on fera chacune son tour pour éviter toute jalousie. Donc, Feb, tu commenceras avec une mise de vingt-cinq dollars et March suivra avec cinquante dollars. Enfin, Jay, ce sera à ton tour.

Un grondement retentit de nouveau dans le ciel et fait écho à la tourmente qui me bouleverse. August m'avait déjà expliqué les règles et ce rappel confirme bien à quel point je suis foutue. Mes fonds s'épuiseront à la vitesse de la lumière.

— Lorsque vous perdez une manche, soit vous retirez un de vos vêtements, soit vous donnez deux cent cinquante dollars au dealer, moi. Si tous vos fonds sont épuisés, vous misez vos vêtements. Et je vois, ma belle Jay, que tu as décidé de miser gros ce soir, s'esclaffe Winter. Rien ne pourrait plus me ravir que de te voir autant investi dans le jeu.

Le teint de March devient livide et son regard aiguisé me lacère de toute part. Winter l'ignore toujours et ne compte pas me laisser respirer une seule seconde. Déjà que ma Capitaine ne m'apprécie pas, mais alors là, je peux foncer acheter un cercueil. Car seul mon enterrement m'attend.

— Dernière règle, vous pouvez échanger de l'argent réel contre des jetons avant chaque début de manche si vous le souhaitez. Il suffit de me donner le montant et de plaquer votre bracelet contre le boitier noir au centre du plateau et la transaction s'effectue.

Je comprends maintenant pourquoi March et February ne portent quasiment rien et se montrent si sûres d'elles, elles doivent être aisées. Ce n'est pas mon cas. Et vu le montant sur mon compte en banque, je vais perdre cette partie malgré la couche de vêtements que je porte. Nous ne sommes pas sur un pied d'égalité, nous ne l'avons jamais été et ne le serons jamais. Voilà la vérité.

— Le premier nu perd le jeu ! Des questions ?

Il ne laisse le temps à aucune de nous de se manifester et enchaîne :

— Non, dans ce cas, commençons !

Deux cartes s'abattent devant moi et une plainte imperceptible m'échappe. Respire, écoute, analyse, agit. C'est aussi compliqué que l'enchaînement de ces quatre mots. Comment suis-je censée ne pas perdre dans ces conditions ? Je n'ai aucune chance malgré mes préparations. Si elles sont riches, je perdrai dans tous les cas.

Winter dépose trois cartes sur la table, un roi de pique, un neuf de cœur, un neuf de trèfle et les enchères débutent. Avec deux rois en main, je tiens une full-house. La chance a peut-être décidé de récompenser mes efforts. Alors je suis.

— All-in, déclare March, après la relance de February.

Mes neurones ratent une connexion nerveuse. Si je ne suis pas, je passe et si je passe, je devrais sacrifier un de mes précieux vêtements ou céder deux cents cinquante dollars à Winter. Un quart de mes fonds. Heureusement, avec vingt-un vêtements à ma disposition, rien n'est encore perdu. Nous venons tout juste de commencer. Pas besoin de me précipiter.

— Je passe.

— Moi aussi, annonce February, sans grande surprise.

Marche retourne ses cartes. Un trois de carreaux, un six de pique et un huit de trèfle. February l'imite et je déglutis. Je n'ai pas su saisir ma chance alors qu'elle me souriait enfin.

— Tu ne nous montres pas tes cartes, Jay ?

Mon surnom dans sa bouche s'avère un poison tout aussi mortel que dans celle des joueurs. Mes mains tremblent et je lâche mes cartes. Son sourire narquois retrouvé, le rire mesquin de March tonne en divine harmonie avec le tonnerre éclatant avec fracas. Winter me prend la main et je l'arrache vivement alors que la foudre s'abat sur l'île. Mes poings se rejoignent et se serrent. Respire, écoute, analyse, agit. Respire. C'est le minimum vital.

— Ce n'était que la première manche et il te reste encore pas mal de couches. Même si je t'avoue que j'adorerais les voir tomber les unes après les autres...

— Winter, épargne-nous tes tirades à mourir d'ennui. Ne devrions-nous pas continuer ? lâche March sur un ton tranchant.

Les yeux dans le vide, j'aimerais me les arracher et broyer mes orbites jusqu'à ce qu'elles dégoulinent le long de mes doigts. August m'avait mise en garde contre March. Elle m'avait prévenu que c'était la reine du bluff et je ne suis qu'une bouffonne. Ne pas me précipiter. Je me suis précipitée et plantée en beauté. Malgré mon entraînement, malgré l'investissement d'August, j'ai échoué. Comme toujours. Les tours s'enchaînent et mes vêtements disparaissent les uns après les autres. La chance m'a délaissé pour ma Capitaine qui enchaîne les mains. Flushs, fulls, carrés, couleurs, en veux-tu, en voilà. Elle remporte tout.

Prisonnière de ce tsunami brutal et inéluctable, je peine à respirer. Incapable de reprendre pied, je joue, sans vraiment jouer. Mes neurones ont déserté et je m'enferme dans ma bulle telle la plus solide carapace. Je ne prête plus attention aux rires incessants de March et February, ni aux piques et à la haine maladive de ma Capitaine, ni aux mots trompeurs de Winter, ni aux gestes mal intentionnés de mon joueur. Focalisée sur ma respiration, les manches se succèdent, sans sembler jamais cesser. Car je suis mon bourreau et je me suis condamnée seule à une torture lente et agonisante, en enfilant tous ses vêtements suffocants. L'inexorable finit par se produire. Je perds. La honte m'étrangle. Et ce n'est que le début d'une longue et pénible descente aux enfers.

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