Le silence qui avait suivi les mots du démon fantôme ne s'était toujours pas dissipé. Yuri ne disait rien. Wei Wuxian non plus. Il fixait la jeune femme, les pensées en désordre.

Lan Wangji n'avait pas détourné son regard perçant. Même Jiang Cheng, d'ordinaire si incisif, semblait troublé après avoir entendu les aveux de Wen Ning, qu'il venait de lui répéter. 

Le feu crépitait doucement, projetant des ombres vacillantes autour d'eux.

— Elle n'a pas d'âme, insistait Wen Ning.

Ce n'étaient que quelques mots. Mais ils avaient suffi à faire vaciller leurs certitudes. Wei Wuxian sentait son cœur battre fort dans sa poitrine. Il voulait dire quelque chose. Quelque chose qui pourrait ramener Yuri à eux. Mais aucun mot ne venait.

Yuri, elle, ne paraissait pas affectée. Elle ne fuyait pas leur regard. Mais elle ne les affrontait pas non plus. Elle attendait. Puis, lentement, elle tourna les talons.

— Je veux être seule.

Sa voix résonna calmement, coupant court à la discussion.

— Non.

La réponse de Jiang Cheng claqua sans hésitation.

— Tu ne pars pas seule.

Lan Wangji, lui, ne dit rien, mais il acquiesça doucement. Wei Wuxian, qui comprenait mieux que quiconque ce qu'elle ressentait, s'avança légèrement.

— Yuri, tu...

— Laissez-moi seule, répéta-t-elle.

Son ton était froid, détaché. Et pourtant, dans ses yeux, quelque chose de plus profond se jouait. Mais personne ne voulait la laisser partir.

— Alors il faudra m'arrêter.

Avant que qui que ce soit ne réagisse, elle dégaina son arme. Ses mouvements étaient rapides, calculés. Lan Wangji fut le premier à bouger.

— Ne fais pas ça.

Il ne brandit pas son épée. Pas encore.

— Je ne veux pas te faire de mal, Yuri.

Un rictus étrange se dessina sur les lèvres de la jeune femme.

— Alors tu devras te battre sérieusement.

Et elle attaqua. Les lames s'entrechoquèrent. Lan Wangji bloquait chaque coup, esquivait, parait... mais ne ripostait pas. Chaque mouvement de Yuri était plus agressif que le précédent. Plus provocateur.

— Tu hésites, Lan Wangji.

Elle pivota brusquement, feinta une attaque pour contourner sa défense... Et avant qu'il ne réagisse, elle leva sa propre lame et la posa sous sa gorge. Le campement se figea. Wei Wuxian, immobile, la fixait avec horreur.

— Yuri !

Lan Wangji serra les dents, tendit la main.

— Arrête.

Mais elle appuya légèrement. Une fine ligne de sang perla. Elle leva lentement les yeux vers Wei Wuxian. Ses doigts se crispèrent sur la lame, la pression laissant une ligne rouge sur sa gorge. Puis, elle parla. D'une voix si calme, si détachée, qu'elle en fut plus glaçante qu'un cri.

— Peut-être que si je n'avais pas existé...

Un silence tomba, lourd, pesant. Le vent semblait lui-même s'être figé. Wei Wuxian ne bougeait plus. Jiang Cheng serra la mâchoire. Lan Wangji, lui, eut une infime crispation des doigts. Comme s'il anticipait un coup fatal invisible. Elle poursuivit.

— Si je n'existais pas... votre foi n'aurait pas vacillé.

Wei Wuxian fronça imperceptiblement les sourcils. Mais il ne parla pas.

— Le monde ne serait pas devenu égoïste.

Sa voix se fit plus basse. Plus tranchante.

— Mais surtout...

Elle abaissa légèrement la lame, fixant Wei Wuxian avec un regard insondable.

— Le tally du tigre yin n'aurait jamais refait surface.

L'air manqua à Wei Wuxian. Personne ne parla. Jiang Cheng tressaillit. Lan Wangji se tendit davantage, son regard durcissant. Même Wen Ning, habituellement stoïque, sembla vaciller.

Elle venait d'énoncer une vérité qu'aucun d'eux n'avait osé formuler. Wei Wuxian le savait. Son monde s'écroulait. Mais Yuri ne s'attarda pas sur leurs réactions. Elle tourna doucement la lame dans sa main, puis...

— Wei Wuxian...

Son souffle était imperceptible. Un silence étouffant s'abattit sur le campement. Les flammes dansaient toujours, projetant des ombres tremblantes sur leurs visages. Et Yuri, pour la première fois, sembla ébranlée. Mais ce fut bref, car son regard s'assombrit rapidement. Puis, elle lâcha la dernière sentence.

— Je romps notre promesse... et te rends ta liberté.

Wei Wuxian sursauta.

— Quoi ?

Il tendit la main pour la retenir, mais une ombre surgit entre eux. Wen Ning. Le démon fantôme posa une main sur son torse, l'empêchant d'avancer.

— Non, souffla-t-il.

Wei Wuxian lutta, mais Wen Ning ne bougea pas. Yuri se détourna, s'éloignant sans un mot. Lan Wangji, les sourcils froncés, fit un pas en avant... mais s'arrêta presque aussitôt. Personne ne comprenait ce qui venait de se passer. Mais tout le monde savait une chose. Elle venait de briser quelque chose de précieux.

Après son départ, Yuri marcha longtemps. Seule. Ses pas s'enfonçaient dans la terre humide, sans destination précise. Puis, les souvenirs commencèrent à défiler.

Un enfant rieur qui lui tendait la main. Un jeune garçon lui criant de courir sous la pluie. Des rires. Des pleurs. Des batailles perdues et gagnées. Wei Wuxian. Tout cela lui revenait.

Comme des images brisées projetées devant ses yeux. Mais elle ne ressentait toujours rien. Et, c'était peut-être ça, le pire.