« Eita, tu peux me rendre un service ? »

Le prince ralluma la lampe de chevet qu'il venait d'éteindre. Emi lui lança un sourire dans la faible luminosité, puis se dépêcha de le rejoindre sur le lit moelleux. Il lui tendit une vieille brosse.

« Tu peux me brosser les cheveux ?

— Pardon ?

— Quand est-ce que t'es devenu sourd ? »

Le prince soupira doucement pour la forme et commença à brosser ses doux cheveux bouclés. Emi n'arrêtait pas de balancer sa tête d'avant en arrière ; Eita ne put rester calme que très peu de temps.

« Arrête de bouger s'il te plait.

— Si j'arrête pas, tu fais quoi ?

— Pas grand-chose... »

Dehors, quelques criquets stridulaient dans l'herbe fraichement coupée, et la lune était mordillée en croissant.

« Tu sais, lança Emi après un long silence, c'était mes sœurs qui me brossaient tout le temps les cheveux. »

Eita mourrait d'envie de lui poser des questions, mais il était aussi terrifié à l'idée de le mettre mal à l'aise.

« Et Akari passait son temps à me donner des coups de brosse dans la tête parce que je bougeais. Kei disait que c'était pour ça que j'ai le crâne déformé.

— Tu n'as pas le crâne déformé.

— Non, mais jusqu'à mes dix ans, j'étais persuadé que si. Ça la faisait marrer, mais Ayaka était vraiment pas contente quand elle faisait ce genre de blague.

— Tu parles tout le temps de tes sœurs mais...tu en as combien ? »

Un petit rire s'échappa des lèvres d'Emi.

« J'en ai quinze.

— Quoi ?

— Du coup, elles m'appellent toutes le seizième.

— Attends, tu as quinze sœurs plus âgées que toi ?

— Bien sûr que non. Je suis pas le plus jeune, quand même ! Sinon, elles seraient toutes des vieilles croulantes. Elles m'appellent le seizième parce que comme j'étais le seul garçon, j'étais placé en seizième sur la liste des réservations. Rina disait que... »

Emi poussa soudainement un cri de douleur ; Eita lâcha la brosse comme s'il venait de s'enflammer entre ses doigts.

« Ça va ?

— Mes précieux petits cheveux...Tu pourrais faire attention à leur immense beauté !

— D'accord...Désolé..., marmonna-t-il en le coiffant avec plus de douceur.

— Tu te fais vraiment victimiser toi.

— Hé !

— Bref, on s'en fou ! Où est-ce que j'en étais ?

— Tu parlais de Rina... »

Le visage d'Emi se décomposa lentement. Il attrapa le poignet d'Eita, le forçant à arrêter de brosser ses cheveux.

« Je n'ai pas de sœur qui s'appelle Rina.

— Oh, j'ai dû mal entendre le prénom...

— Et aucune qui a un prénom semblable.

— Je suis désolé Emi...

— C'est ma faute. J'ai parlé beaucoup trop vite. Tu n'as pas à t'excuser pour ça, n'est-ce pas ? »

Le prince tendit ses bras ; Emi vint se réfugier à l'intérieur. Ses paupières commençaient déjà à se fermer avec délicatesse.

« On peut continuer de parler ?

— Tu es sûr que... ?

— Je te le proposerais pas si ça allait pas ! Et puis, j'ai bien vu que t'avais des trucs à dire tout à l'heure. Vas-y.

— Tu as quel âge pour dire que tes sœurs seraient vieilles si elles étaient toutes plus âgées que toi ? »

L'autre releva la tête pour planter ses yeux dans ceux d'Eita.

« C'est maintenant que tu te poses la question ?

— Eh bien...Oui ?

— Je pourrais être mineur.

— Tu ne l'es pas. »

Un lourd silence tomba.

« Pas vrai ?

— T'inquiète pas, je suis majeur. Je parie même que je suis plus âgé que toi.

— J'ai vingt-trois ans. »

Une légère moue passa sur le visage d'Emi.

« Tu vois, je t'avais dit.

— Tu as donc... ?

— Vingt-cinq.

— Et ton vrai âge, maintenant ? »

Le roux soupira lourdement, avant de plonger sa tête dans le torse du prince. Celui-ci passa sa main dans ses cheveux d'un air distrait.

« Vingt-et-un...

— Oh, ce n'est pas un si grand écart que ça.

— Tu pensais que j'avais quel âge ?

— Je n'en avais aucune idée. Je suis nul pour deviner les âges, tu sais...Et toi, tu pensais que j'avais quel âge ?

— Comment te dire sans te vexer...Dix-neuf ? »

Eita lâcha les cheveux d'Emi.

« Tu as rajouté combien d'années pour me faire plaisir ?

— Qu'une seule, promis.

— Tu pensais que j'avais dix-huit ans ? Cinq ans de moins que ce que j'ai réellement ?

— Si c'était pour être vexé, fallait pas demander tu sais. »

La moue sur le visage d'Eita réussit à faire sourire le roux.

« Aw, t'es vraiment trop adorable. Je t'aime.

— Quoi ?

— Oui, je t'aime. T'es vraiment une super personne Eita. Ne change jamais, d'accord ?

— Mais...Qu'est-ce que tu... »

Emi éclata d'un petit rire devant les joues brûlées du prince.

« Pas besoin de rougir autant. Personne ne t'a dit je t'aime avant moi ?

— Bien sûr que non !

— T'es sérieux ?

— Oui ! Tu es le seul... »

Le roux le serra plus fort entre ses bras fins.

« Sois content, je vais pas arrêter de le dire maintenant. Ça peut faire que du bien !

— Mais...A quoi ça te sert ?

— De te dire je t'aime ? Eh bah...A pas grand-chose, je suppose. Mais est-ce que c'est vraiment grave ? J'ai envie de te rendre toute l'affection que tu me donnes, tu vois. J'ai juste envie que ça te fasse sourire, tu comprends ?

— Tu m'aimes...vraiment ? »

Emi hocha doucement la tête.

« T'es un peu long à la détente, toi. Je me suis toujours demandé d'où elle venait, cette expression. Tu penses que ça vient des fusils ?

— Tu devrais aller te coucher, Emi.

— Mais ! Pourquoi ?

— Ça fait dix minutes que tes yeux se ferment tous seuls.

— C'est faux. C'est moi qui fait ça tout seul.

— Va te coucher, Emi.

— Pas marrant... »

Le roux enlaça une dernière fois Eita avec force, puis récupéra sa brosse. Il passa rapidement une main sur ses paupières.

« Bonne nuit Eita...

— Bonne nuit Emi. Fais de beaux rêves. »

Le prince s'endormit avant même qu'Emi quitte la pièce.