Jonas

J'arrive à la maison exténué. J'ai terminé plus tard que d'habitude car nous avons entrepris la confection d'une nouvelle bière et il fallait s'assurer que tout se passe correctement. Il y a eu quelques petits ajustements à faire, mais le résultat est plus que satisfaisant.

J'ai envoyé un message à June pour l'avertir que je rentrerais plus tard, mais je n'ai eu aucune réponse. Elle doit dormir. Habituellement, elle vient toujours me saluer à la brasserie, mais ça n'a pas été le cas aujourd'hui. Il devait y avoir pas mal d'achalandage dans la boutique pour qu'elle n'en ait pas eu le temps. De mon côté, je n'ai pas eu une seule minute à moi.

J'ai hâte de la retrouver. Nous travaillons beaucoup, mais c'est toujours un plaisir de la serrer dans mes bras le soir venu. J'aime tellement cette meuf que j'ai l'impression de flotter sur un petit nuage depuis que nous avons officialisé notre relation.

J'entre silencieusement dans la chambre pour ne pas la déranger et m'approche du lit. Je m'immobilise sous le coup de la surprise. Le lit n'est pas défait et la housse de couette n'est pas froissée, signe que personne ne s'y est couché.

Étrange. Où June peut-elle bien être ?

Je fais le tour de la maison, vérifie dans la salle de bain, dans la cuisine, mais aucune trace d'elle. Ses effets sont tous là, excepté son téléphone. J'essaie alors de la contacter, mais aucune réponse.

Merde ! La panique s'empare de moi. Lui serait-il arrivé malheur ? Aurait-elle eu un accident sur le chemin du retour ?

Je décide d'appeler Judicaëlle. C'est sans doute la dernière personne qui l'a vue aujourd'hui. Peut-être June est-elle sortie se promener, quoique j'en doute puisque ce n'est pas dans ses habitudes. À moins qu'elle n'ait essayé les cours de danse dont je lui ai parlé l'autre jour.

Je vérifie ma montre. Vingt-deux heures. Habituellement, les cours se terminent avant, mais je sais que dans certaines écoles de danse, une soirée suit, alors peut-être est-elle restée. Elle travaille tellement depuis les derniers temps que ça lui ferait du bien de se changer les idées.

Judicaëlle répond enfin après cinq sonneries.

— Allô, fait-elle d'une voix endormie.

— Salut, Ju, c'est Jonas.

— Bonjour, ou plutôt bonne nuit. Je ne sais pas il est quelle heure.

J'entends Thor demander de l'autre côté qui est l'enfoiré qui a osé les réveiller.

— Tu salueras ton copain, lui dis-je, semi-amusé. Je vois bien que la bête mord lorsqu'on la réveille.

Judicaëlle pouffe et je reprends mon sérieux en lui demandant :

— Tu n'aurais pas une petite idée de l'endroit où se trouve June ?

— Euh...elle m'a dit qu'elle ne viendrait pas travailler aujourd'hui, alors je ne l'ai pas vue de la journée. J'ai cru qu'elle était malade.

— QUOI ?

June n'est pas allée travailler ? C'est quoi ce bordel ?

— Baisse d'un ton, Jonas, tu as failli me défoncer le tympan, grince la jeune femme.

— Désolé, mais elle n'est pas ici et aucun signe d'elle. J'ai peur qu'on l'ait kidnappée.

Silence à l'autre bout du fil. Puis, j'entends du bruit et Thor prend le téléphone.

— Jonas, tu es en train de faire paniquer ma copine et ce peut être dangereux pour le bébé, gronde mon pote S'il lui arrive quoi que ce soit...

— La ferme ! hurlé-je. C'est à ma copine qu'il est arrivé quelque chose, espèce d'égoïste. La tienne est avec toi et va bien, alors vas te faire voir.

Je raccroche, furieux. Thor ne m'aidera pas...parce que c'est Thor. Et qu'il n'apprécie pas June. Je décide donc de me tourner vers mon meilleur pote. Il comprendra, j'en suis sûr. J'appelle donc Gabin et lui explique la situation

— Rendez-vous au « Gates of Hell » me répond-il. Ce sera plus facile de faire notre réunion puisque la majorité des gars logent là-bas. Si certains l'on vus, ils pourront nous en informer.

Pendant un instant, je crains que June n'ait changé d'idée et ait à nouveau essayé de travailler au bar de danseuses, mais ça ne coïncide pas avec sa journée de congé à la brasserie. Quelque chose cloche, mais quoi ?

J'enfourche ma moto et arrive au bar en moins de dix minutes. Nous nous retrouvons tous entassés dans le grand salon du troisième étage.

— Qu'est-ce qui se passe ? demande Austin.

— Réunion urgente, le dis-je. Ma copine a disparu.

Mes potes froncent les sourcils.

— Elle a peut-être décidé de prendre le large, suggère Matt.

Je lui jette un regard menaçant, ce qui le fait taire.

— J'ai peur que les hommes à qui Dominique devaient de l'argent s'en soient pris à elle, leur révélé-je.

— On s'en est débarrassés, me dit Gabin. Ils ne nuiront plus.

— Et s'il y en avait d'autres ? suggéré-je.

Les mecs restent silencieux, songeurs.

— Ce n'est pas le cas, dit alors Dave.

Tous les regards convergent lui. Mon ami s'approche de moi.

— J'ai la réponse à ta question, me dit-il seulement en me tendant son téléphone.

Je reconnais immédiatement ma copine sur la photo qu'il me désigne. Elle est en train de serrer un homme dans ses bras. Et cet homme n'est nul autre que Nathan. Je serre les dents, hors de moi. Cet enfoiré a osé s'approcher d'elle.

— Je les ai surpris ensemble, m'explique Dave. Elle est partie avec lui, mec. Je suis désolé. Elle ne t'aimait pas.

Un lourd silence s'installe pendant que l'information chemine jusqu'à mon cerveau. C'est totalement absurde ! June ne jouait pas la comédie avec moi. Elle avait peut-être de l'affection pour Nathan, mais elle n'a jamais couché avec lui et ne lui a jamais envoyé de message. Elle ne l'avait même plus dans ses contacts.

J'aurais pu me taire et passer à autre chose, mais je fais confiance à June. C'est la seule femme qui soit parvenue à voir en moi, et je suis le seul à avoir une confiance absolue en elle.

Je me tourne vers Dave et plante mon regard dans le sien.

— Tu mens, lui dis-je. June ne communiquait pas avec lui.

— Pourtant, je les ai bel et bien vus ensemble, me répond-il. Je peux même t'assurer qu'elle est montée sur sa moto.

Je ne sais pas ce qu'il lui prend. Si j'avais été naïf, je l'aurais cru, mais je sais lorsque quelqu'un n'est pas honnête. Depuis la trahison de Nathan, j'ai commencé à analyser les gens, leurs mimiques et leurs réactions. Et celles de Dave ne riment pas avec son attitude. Il n'a pas l'air lui-même, et je sais de quoi je parle.

Je perds alors mon calme. D'un mouvement brusque, je le pousse contre le mur tandis que Gabin essaie de s'interposer.

— Du calme, Jonas, Dave n'a rien à voir avec...

— Tu mens ! répété-je. Dis-moi la vérité ou je te jure que notre amitié ne m'empêchera pas de te défoncer la tronche. Tu veux te venger pour ce qu'elle t'a fait.

Il ne le nie pas, le con !

— Elle ne te mérite pas, Jonas, me dit-il.

— Ce qu'elle ne mérite pas, c'est que vous vous acharniez tous sur elle, hurlé-je à l'adresse de mes potes. Elle a fait une erreur, mais c'est ce manipulateur de Nathan qui l'a poussée à nous faire du tort. June est une personne gentille et vous l'avez tous rejetée en vous fiant uniquement à votre première impression. Vous l'avez tout de suite catégorisée en une fille nuisible.

— Elle a essayé de te tuer, me rappelle Austin.

— Elle n'était pas elle-même. La vengeance l'a aveuglée. Je croyais que vous tous comprendriez. Je me suis trompé.

Je m'écarte de Dave. Celui-ci me fixe avec stupéfaction. Je ne suis pas violent, habituellement.

— J'ai trouvé en June la femme que je cherchais, annoncé-je. Si vous n'avez pas plus d'égards pour elle, alors c'est que vous n'en avez pas pour moi. Allez au diable, tous autant que vous êtes. Je me tire.

— Jonas, m'interpelle Gabin.

— Tais-toi. Je vous ai tous soutenus et vous n'êtes pas foutus de faire la même chose pour moi. Je quitte les Midnight Demons et je vais tout faire pour la retrouver. C'est la seule ici qui m'a aidée lors de ma dépression. Elle ne mérite pas que je la laisse tomber.

Tout le monde me fixe comme si j'étais un extra-terrestre. Ils ne sont pas habitués à me voir ainsi, c'est-à-dire hors de moi.

C'est Dave qui brise le silence.

— Je suis désolé, Jonas, dit-il alors. Je ne savais pas à quel point elle comptait autant pour toi. Nathan m'a manipulé.

— Qu'est-ce que tu as fait ? lui demandé-je, craignant le pire.

— C'est moi qui ai demandé à June de me joindre sur la terrasse du « Good Morning ». Nathan m'a contacté et m'a dit qu'il connaissait un spécialiste qui pourrait peut-être guérir mon œil.

Je sens que la suite ne va pas me plaire.

— Je...j'ai montré des photos à June de toi et...Tania.

— Tania ?

Tania est une brebis que je me tapais quelques années auparavant. Elle et moi nous entendions bien, mais elle a fini par se lasser de moi...comme toutes les autres.

— Quel est le rapport ? lui demandé-je.

— J'ai trafiqué la date sur la photo. J'y ai inscrit celle d'hier.

— Pardon ?

— Je suis désolé. Je ne pouvais passer à côté de la proposition de Nathan. Et en plus, c'est à cause d'elle que j'ai été blessé à l'œil.

Je prends une grande inspiration, car je suis sur le point de péter les plombs.

— J'espère que ça en valait la pleine, dans ce cas, lui dis-je seulement.

Il secoue la tête de gauche à droite.

— Il m'a manipulé, comme nous tous ici, répond-il.

— Ça t'apprendra à trahir notre amitié. Jamais je n'aurais cru cela possible venant de toi.

Il parait désolé, mais j'ai la rage. Je suis anéanti, surtout lorsque je comprends la raison du départ de June. Elle a cru que je l'avais trompée. Hors, la dernière fois que j'ai eu une relation avec Tania remonte à plus de trois ans.

Je suis sur le point de prendre congé, mais juste avant de la faire, j'envoie mon plus beau direct à Dave, qui le reçoit en plein sur le nez. Gregory le retient avant qu'il ne s'effondre par terre. Puis, je me retourne sans remord et sors de l'appartement. Il n'y a pas une seule minute à perdre si je veux reconquérir la femme que j'aime. J'ai surtout peur de ce que Nathan pourrait lui faire. Il nous a tous prouvé à quel point il pouvait être fourbe.

— Jonas ! Attends ! me crie Gabin en me rejoignant sur le trottoir.

Quelques bikers l'ont suivi, dont Thor, qui était resté en retrait.

— Écoute, poursuit-il. Je m'excuse de ne pas avoir cru en ton histoire d'amour. Pour moi, ce n'était qu'une idylle passagère, et j'ai même pensé que vous faisiez semblant, mais tu viens de me persuader du contraire.

— Il est trop tard pour les excuses, sifflé-je entre mes dents.

— Je n'ai pas été l'ami dont tu avais besoin, ajoute-t-il. Mais une chose est sûre. Tu m'as toujours soutenu. Tu étais là lorsque Nathan à kidnappé Maisie et tu m'as aidé à la récupérer. Même chose pour Judicaëlle lorsque Dominique l'a enlevée. Je veux t'accompagner comme tu l'as fait pour moi.

— Et pour moi, soutient Thor. Je suis peut-être un putain d'égoïste, mais tu es un vrai pote, Jonas, et je ne te laisserai pas tomber.

Je suis ému, mais encore très en colère.

— Nous la ramènerons, je te le promets, dit Gabin. Et lorsque ce sera le cas, plus jamais nous ne penserons du mal d'elle. Pas vrai, les gars ?

Tout le monde acquiesce.

— Alors, allons-y. Il n'y a pas une seule minute à perdre.

Je jure que je récupérerai le cœur et la confiance de June, peu importe ce que cela me coûtera.