Chapitre 55 : Le Dernier Royaume
" Par où commencer ? Mon vieil ami, il n'y a pas un jour sans que je ne pense à toi. J'ai été grandement occupée ces derniers temps, je n'ai guère pu te rendre visite. Je le regrette. Mais il s'est passé de grandes choses. Eadith est morte de la maladie, elle l'a attrapée en soignant d'autres malades. Elle repose sur les terres de sa naissance. Elle n'a pas reçu le même accueil endeuillé que lorsque dame Aelswith a trouvé la mort, prise par la vieillesse, elle s'est éteinte à Bebbanburg. Tous les Saxons l'ont pleurés. Mais personne ne semblait connaître Eadith. Du moins, c'est ce que m'a rapporté mon frère, Sihtric, dans l'une de ses lettres. Je n'ai guère put assister aux funérailles. Tu sais bien qu'il y a des choses qui me retiennent à Winchester. Stiorra n'est pas rentrée du Danemark où elle continue d'explorer la culture des Danois. Or, dans son dernier message, elle se porte bien. Uhtred le Jeune est devenu un homme important à Rome. C'est une fierté. Il se fait nommer Oswald désormais, c'est davantage chrétien. Finan et Ingrith vivent toujours l'amour, mais ne parviennent à avoir une descendance. Quant à Sihtric, presque tous ses enfants sont adultes maintenant, et plusieurs d'entre eux ont eut des enfants à leur tour. Il ne s'est pas remarié après la mort de Sig. C'était le grand amour de sa vie. Peu après cette perte, il est venu me rendre visite afin de respirer un air différent, et de trouver le réconfort de sa sœur. J'ai beaucoup aimé l'avoir auprès de moi, malgré les circonstances. Oh, et Uhtred non plus ne s'est pas marié. Il a eu un amour pour Eadith, mais celle-ci s'est bien vite laissé reprendre par sa liberté qu'elle aimait tant. Quant à Osbert, le plus jeune de mes frères, l'on m'a rapporté qu'il s'était endurcit et devenait chaque jour un grand guerrier comme Uhtred. Et puis, Edward est malade, chaque souffle peut désormais être son dernier. Dame Eadgifu se prépare au pire, de même que leur fils, Edmund. Je crains que le trouble n'arrive. Mais cela ne me concerne plus. J'ignore pourquoi je te raconte tout cela, tu dois bien te rire de nous là où tu es. Tu nous vois vieillir tandis que toi, tu seras jeune à jamais. Tout comme tu seras à jamais dans mon cœur. Je t'aime, sincèrement. Et je reviendrai dés que je le pourrai. Je ne dois pas trop m'absenter. J'ai été heureuse de te sentir auprès de moi durant ces quelques minutes. Continues de te reposer dans la paix."
A genoux à coté d'une tombe de pierres empilées maladroitement et poussiéreuses, une croix Chrétienne la surplombant de son ombre, la femme qui parlait se courba et embrassa l'un de ces bouts de roche. Ses longs cheveux blancs et bouclés, qui s'échappaient de son capuchon noir, raclèrent le sol terreux. Décollant ses lèvres de la sépulture, tout en redressant l'échine. Elle posa ses mains abimées par de nombreuses cicatrices sur ses cuisses. Tout comme son capuchon, une robe ébène la parait. Simple, sans artifice, nul bijoux ou richesse. Son unique parure étaient les entailles vieilles de plusieurs années qui marquaient son visage. Un visage qui, malgré les cicatrices, restait l'un des plus beaux des royaumes de la future Angleterre. Des chants avaient même été écrit en son honneur pour louer sa beauté et ses victoires. La femme qui avait parlé, était une femme à la grande Destinée.
" Tu me manques Osferth, te savoir en paix me réconforte. Mais les années passent, et ton absence me pèse toujours. J'espère que tu n'oublies pas mon nom, que tu n'oublies pas celle que je suis et que je serai toujours, ton amie, Daegan."
Le bout de ses doigts vint caresser quelques pierres poussiéreuses, dessinant malgré elle des formes aléatoires. Cette poussière venait autant de la terre que d'Osferth. Le petit moine, le bâtard du Roi Alfred, l'ami le plus loyal. Son visage n'avait jamais été flou dans la mémoire de Daegan. Elle se rappelait de chacun de ses traits, du son de sa voix, de l'odeur de ses vêtements, du touché de sa peau. Laissant un soupire lui échapper, la fille d'Uhtred seigneur de Bebbanburg, se redressa sur ses deux pieds. Après un dernier regard silencieux sur la tombe de son ami, la femme se dirigea auprès de son cheval à la robe blanche et aux sabots velu. Leofric. Malgré les douze années qui s'étaient écoulées, sa monture gardait une grande robustesse, tandis que Daegan sentait qu'elle n'était plus la fougueuse jeune fille d'autrefois. D'autant plus, que sa vie avait grandement changée. Rabattant davantage son capuchon noir pour se protéger du froid, la sœur de Sihtric talonna son cheval et s'éloigna dans les grandes plaines qui accueilleraient bientôt l'hiver.
* * *
Ses mains pétrissaient ardument la pâte. La farine lui tapissait sa robe et ses paumes. D'un coup sec, elle fit sauter la petite boule qu'avait formé l'objet de sa besogne. Un nuage de poudre blanche s'éparpilla autour d'elle. Délaissant cet ouvrage, elle reprit ses pommes qu'elle coupa par petits morceaux, fins mais généreux. Le couteau entre les doigts, elle leva brusquement le bras et fit un pas en arrière.
" Ne venez pas auprès de moi lorsque j'ai une lame entre les mains les enfants, je vous l'ai déjà dit !
- Pardonnes-nous, mère !"
Daegan soupira en rejetant un boucle blanche en arrière. Cette dernière vint se fondre dans son épaisse chevelure laiteuse. Plus une seule mèche noire ne figurait sur son crâne, et cela depuis plusieurs années. Passant le dos de sa main sur son front, la femme reprit son travail avant de jeter ses pommes dans un mortier et de les écraser pour en faire de bouillie. Derrière elle, un véritable raffut se déroulait. Un son bruyant qui résonnait sans cesse. Tels les vagues se jetant sur le sable, ou les gouttes de pluies claquant les armures des soldats. C'était un son désagréable dont la fille d'Uhtred s'était accommodée depuis longtemps. Elle avait même commencé à l'apprécier.
" Nous avions dit que nous ne frappions pas le visage ! Cela fait mal ! geignit la voix fine et aigu d'une jeune fille.
- C'est toi qui a essayé de me blesser la première, je n'ai fait que me défendre ! répliqua le timbre légèrement plus grave d'un garçon.
- Et comment feras-tu sur le champ de bataille lorsque tu seras attaqué ?
- Et toi ? Vas-tu geindre comme tu le fais à l'instant ?"
Déposant ses outils de cuisine, Daegan fit volte-face. Les mains sur les hanches, elle observa durant un court instant les deux bagarreurs. Deux enfants qui se plaisaient à s'imaginer dans un mur de boucliers alors qu'ils n'avaient que des couvercles de tonneaux d'ale, ainsi que deux branches de bois ramassées en forêt.
" Lagertha, Björn ! Cessez de vous dresser l'un contre l'autre, ce n'est pas ainsi que l'on fait, rappelez-vous que c'est l'unité qui forge les grandes choses de ce monde.
- Mais, mère ! Ce n'est pas juste ! Björn a une branche plus grande que la mienne, il a plus d'aisance à me toucher.
- La taille d'une arme n'est jamais signe de dangerosité, c'est ta ruse qui te fera gagner Lagertha. Sois intelligente, réfléchis à comment atteindre ton frère sans qu'il ne s'en aperçoive.
- Serais-je mort parce que mon arme est plus grande ?
- Non Björn, comme je l'ai dit à ta sœur, c'est ta ruse qui te fera gagner. Il faut toujours amener l'ennemi là où il ne s'y attend guère. Pensez-y mes enfants.
- C'est ainsi que tu as gagné tant de batailles ? s'enquit Lagertha."
Cette dernière, avait de longues mèches de cheveux brun et raides qui lui tombaient sur les épaules. Elle était vêtu d'une robe aux manches remontées qui lui permettait d'être plus concentré sur son duel avec son frère, Björn. Celui-ci, avait de court cheveux noirs et bouclés, il ressemblait grandement à Daegan lorsqu'elle était enfant. A peine plus grand que sa sœur, il n'avait qu'une chemise sur le dos, et un pantalon qui s'enfonçait dans des petites bottes. Ils ressemblaient à la fois à des Danois et à des Saxons. Et atteindraient bientôt leur douzième année, cela durant le printemps.
" Ton grand-père a toujours été plus doué que moi pour tromper l'ennemi, répondit Daegan. Mais c'est en l'observant lui, ainsi que tous les guerriers que j'ai rencontrés que j'ai pu apprendre l'art de l'épée, et devenir plus forte. Ne sous-estimez jamais vos capacités, et ne vous tournez jamais le dos. Vous êtes unis par le sang, vous devez-vous protéger l'un et l'autre. Dans la bataille, comme dans la vie. Mais vous devez également être de sages enfants, et m'aidez à préparer le repas.
- Mais nous venons seulement de commencer à nous entrainer, mère, grogna Björn.
- Un guerrier ne sera jamais bon à rien si il ne mange pas. Et si tu veux manger, mon garçon, il faut m'aider."
Capitulant, les deux enfants posèrent leurs branches ainsi que leurs couvercles de tonneaux d'ale. Les pieds trainants, ils emboitèrent le pas à leur mère et entreprirent de l'aider à dépecer le lièvre qui trônait sur la table. Or, des bruits de pas s'approchant soudainement de leur demeure détournèrent leur attention. Le son des semelles frappants le sol cessèrent un instant. Le silence était complet. Daegan, son couteau dans la main, coupait quelques légumes et c'était là la seule mélodie qui résonnait sous le foyer dont un feu réconfortant brûlait dans l'âtre. Lorsque les gons de la porte grincèrent dans un effroyable bruit à tordre plus d'un boyaux de peur, Björn et Lagertha ne s'occupèrent plus guère du lièvre à dépecer. Mais davantage de la grande silhouette qui pénétrait sous leur toit. Un son de botte contre le planché fit valser le calme. Daegan n'avait cessé de couper ses légumes. Les gons grincèrent de nouveau, refermant la porte et chassant le froid que son ouverture avait amené. Aucun mot n'avait été prononcé. Seul le silence interrompu par la lame de la sœur de Sihtric frappant une carotte était installé. Adrénaline ou peur, qu'importe, les estomacs des enfants s'étaient teint d'un nouveau sentiment. S'avançant dans la lumière de la pièce, la silhouette dévoila son visage à tous. Sur ses épaules trônait une épaisse cape pour se protéger du froid, tandis que ses doigts étaient emmitouflés dans des gants de cuir.
" Père ! s'exclama Lagertha en sautant d'un bond en bas du banc de la table où elle s'était installée plus tôt pour aider à dépecer le lièvre."
Elle engloutit rapidement la distance qui la séparait du nouveau venu. Ce dernier avait mit un genou à terre et laissa la jeune fille se fondre dans ses bras. Björn suivit les pas de sa sœur et vint s'adonner à une chaleureuse accolade.
" En voilà un accueil, je ne me suis absenté que deux jours durant !
- Nous ne savons jamais quand tu vas revenir, justifia le garçon.
- Je ne suis guère partit à la bataille, et je reviendrai toujours mon grand. Maintenant, j'aimerais que vous alliez jouer dehors, le soleil vous réchauffera malgré le froid. J'ai à parler à votre mère."
Opinant de la tête, cachant leur intense joie de ne point devoir dépecer le lièvre, le frère et la sœur reprirent branches et couvercles de tonneaux avant de s'empresser auprès de l'extérieur.
" Pensez à mettre vos capes ! cria Daegan."
Or, il était déjà trop tard. Les enfants avaient refermés la porte et ne se préoccupaient plus de rien, si ce n'était que d'être de grands guerriers comme le reste de leur famille. La femme laissa un soupire lui échapper tandis qu'elle attrapa une autre carotte à couper. Deux chaleureux bras se glissant autour de sa taille ne manquèrent cependant pas de la faire sourire. Un frisson la parcouru lorsqu'elle sentit des lèvres froides déposer des baisers sur son cou.
" Tu m'as manqué.
- Tu n'es partit que deux jours, tu l'as dit toi-même.
- Qu'importe, ton odeur, tes cheveux, ton visage, tout m'a manqué."
Abandonnant son ouvrage, la fille d'Uhtred ricana en se retournant pour faire face à son époux. Malgré les années, il n'avait que peu changé. Quelques poils blanc dans la barbe, ou des cheveux argenté parsemant son crâne ainsi que des yeux plus creusés et quelques rides. Or, Aldhelm restait le même. Plus de douze ans de mariage, et leur amour n'avait jamais cessé d'être plus vif chaque jour. Le cœur battant de joie de revoir son mari, Daegan posa ses mains sur les joues de l'homme. Elles étaient fraiches et rougie par le froid. Tendrement, ils s'embrassèrent comme lorsqu'ils étaient jeunes mariés. Se muèrent dans les bras de l'un et de l'autre durant plusieurs minutes, profitant du contact, de la chaleur de leur corps, de leur touché et de la douce mélodie des battements du sang dans leurs veines.
" Je connais assez ton visage pour savoir lorsque tu vas m'annoncer une nouvelle qui va me déplaire, dit-elle. Pars-tu en campagne ? Ou en Mercie ?
- Non, rien de tout cela, répondit Aldhelm en prenant les mains de son épouse dans les siennes. Daegan, je me suis dit qu'il valait mieux que je te l'annonce avant que tous le sachent.
- Parles, tu me rends inquiète.
- Edward est mort, Daegan. Je sais que votre amitié a été tumultueuse, mais je sais que tu tenais beaucoup à lui."
Malgré elle, la sœur de Sihtric laissa ses pupilles se baisser pour se perdre dans le vide. Elle ne fixait rien, mais voyait très clairement le visage d'Edward lorsqu'il était jeune homme. Lorsqu'elle était tombée amoureuse de lui, alors qu'elle aussi n'était que jeune fille. Un prince plein de fougue et d'envie qui peinait à apprendre mais désirait rendre fière son père, et tenter de l'égaler une fois Roi. Retirant ses mains de celles d'Aldhelm, la femme fit quelques pas en portant ses doigts sur sa bouche. Ses yeux se posèrent sur la petite fenêtre qui offrait une vue sur la rue extérieur. Elle vit ses enfants se battres amicalement, bien qu'elle ne leur prêtait guère réellement une pleine attention.
" Il est vrai que notre relation n'a jamais été aisée. Nous nous sommes détestés, nous avons eut de la rancœur l'un pour l'autre. Et lorsque mon père a reprit Bebbanburg et que le Roi m'a libéré de ma tutelle en m'offrant la place qu'occupait jadis Leofric, je savais qu'une nouvelle amitié commençait. Puis j'ai donnée naissance à nos jumeaux, Lagertha et Björn, nous avons résidés quelques mois à Bebbanburg, et nous sommes venus ici, à Winchester, où j'ai prit les fonctions de capitaine de la garde royale. J'ai bataillé pour Edward durant de longues années, je rentrais auprès de mes enfants alors que le sang de mes ennemis me couvrait encore. Mais c'est grâce à cela qu'Edward et moi avons trouvés la paix et l'amitié. Il ne m'a fait aucun reproche lorsque j'ai décidé de cesser de me battre il y a trois ans. Lorsque je savais que j'étais trop fatiguée, que je ne désirais plus cette vie là. Que je voulais simplement être auprès de ma famille, avoir un quotidien simple. Je ne suis plus une guerrière depuis longtemps, mais le Roi n'a jamais insulté mon nom pour autant, et les hommes que j'avais sous ma garde continuaient à m'offrir un grand respect. Je songeais lui rendre visite avant qu'il ne soit trop tard. Je voulais lui rappeler qu'il était le premier homme que j'ai aimé dans ma vie.
- Je suis sincèrement désolé de cette perte, je partage ton chagrin.
- Je le sais, car bien qu'Edward était le premier homme que j'ai aimé, il n'était pas celui qui m'était destiné, il n'était pas toi. Mais toi qui était redevenu son conseillé, l'as-tu vu avant qu'il ne rende son dernier souffle ?
- Malheureusement non, dame Eadgifu a insisté pour que personne n'entre dans les quartiers du Roi, hormis sa famille. Les cloches ne vont pas tarder à sonner pour annoncer la nouvelle, bien que le peuple le redoute depuis quelques temps désormais, dit Aldhelm avant de poser ses mains sur les épaules de son épouse. Daegan nous avons un autre problème.
- Qu'est-ce ? Parles !
- Un homme, un marchand, m'a rapporté qu'il avait aperçu, venant des montagnes, une cavalerie se dirigeant sur Winchester.
- Des Danois qui viendraient tirer profit de la mort du Roi pour s'emparer de ces terres à nouveau ?
- D'après ses dires, ils sont Saxons.
- Sans doute une avant-garde qui s'en revient en ville.
- Non Dagean, la bannière d'Aelfweard était levée. Il a envoyé des hommes pour prendre dame Eadgifu et son enfant afin de poursuivre sa quête d'héritage au trône. Depuis qu'Edward l'a fait libéré des prisons royales pour avoir suivit le seigneur Aethelelm, Aelfweard s'active à être unique héritier pour reprendre ses biens et honorer sa mère.
- Aethelstan doit sans doute avoir un œil sur lui, il a déjà dû envoyer des hommes.
- Non, aucun ordre n'a été donné d'Aethelstan. Il a ordonné à ses soldats de ne point intervenir dans le Wessex, et que tous ses hommes devaient rester sur les terres de Mercie.
- C'est impossible, mon fils n'abandonnerait pas ainsi le royaume au chao.
- Il ne l'abandonne pas au chao, il fait simplement en sorte d'écarter le prince Edmund. Du moins j'en ai l'impression.
- Je n'ai guère vu Aethelstan depuis de nombreuses années, mais il me parait impossible qu'il laisse dame Eadgifu aux griffes d'Aelfweard, il n'y a nulle logique.
- Sauf si il désire proclamer Aelfweard ennemi du royaume, en espérant qu'il ne laissera guère vivre le jeune Edmund. Cela lui ferait un prétexte pour faire décapiter son frère et devenir unique héritier.
- Mais il ne laisserait pas Edmund dans un tel danger, ce garçon à le même âge que nos jumeaux. Lagertha et Björn sont tels sa sœur et son frère. Tu l'as bien vu lorsqu'il était venu nous rendre visite, il s'était comporté tel un grand frère aimant. Je ne peux guère croire cela d'Aethelstan, ce n'est pas le fils que j'ai adopté. Il doit y avoir un malentendu.
- Je sais qu'il est difficile de croire cela d'Aethelstan, il a toujours été un garçon avisé. Mais ce que j'observe désormais, c'est que les hommes d'Aelfweard s'en viennent pour prendre dame Eadgifu ainsi que son fils. Et que les hommes d'Aethelstan ne sont pas là."
Dans un soupire de fatigue, Daegan frotta son visage de ses mains avant de se mordre le bout des ongles. Elle réfléchissait. Il lui était difficile de s'imaginer que Aethelstan, le si gentil garçon qu'elle aimait, qu'elle avait élevé, qui l'avait appelé mère et qu'elle avait appelé fils, tourne le dos au Wessex. Elle se souvenait encore lors du siège de Winchester par le regretté Sigtryggr, le courage qu'avait fait preuve le bâtard du Roi pour protéger son jeune frère, Aelfweard, lorsqu'il s'était porté volontaire pour aller avec le Danois. Et lorsqu'il avait grandit, malgré sa fougue, il était resté un jeune homme avisé qui ne désirait point propager la haine et le sang, mais tout au contraire, protéger.
" Je croyais que cette vie était derrière nous, que nous n'aurions que des jours paisibles, dit-elle d'un ton pensif avant de reprendre contenance et de planter un dur regard dans celui de son époux. Nous devons aider dame Eadgifu et le jeune Edmund à fuir Winchester et les terres Saxonnes, et cela au plus vite. Je vais préparer ce qu'il nous faut pour le voyage, des vivres, des gourdes d'eau, les enfants m'aideront à seller les chevaux. Ils ne poseront guère de questions, ils savent lorsque la situation est urgente. Nous serons prêt à la sortie Est de la ville, lorsque tu nous rejoindras, et nous partirons au plus vite.
- C'est ce que je songeais te suggérer, et je penses avoir l'idée de notre destination.
- Nous savons tous les deux qu'il n'y a que là-bas que dame Eadgifu et le prince Edmund seront en sécurités.
- Je me hâte d'aller les chercher, le temps nous presse.
- Fais attention à toi, je t'en pries.
- N'aies crainte, je reviens toujours, et je penses que tu devrais la ressortir, nous en aurions sans doute besoin et il y a fort longtemps qu'elle prend la poussière, clama Aldhelm en embrassant furtivement Daegan avant de disparaître à l'extérieur de leur demeure."
La fille d'Uhtred laissa un instant son regard s'attarder sur la silhouette de son époux qui s'éloignait dans la rue en rabattant son capuchon sur sa tête. L'estomac noué de faire face à une nouvelle menace dont elle ignorait tout, la femme fit quelques pas jusqu'à la porte qu'elle ouvrit d'un geste sec.
"Björn, Lagertha ! appela t-elle d'une forte voix. Lâchez dont vos armes de fortune et venez me voir, nous sommes pressés."
Interloqués, les deux enfants lâchèrent leurs misérables jouets de bois à même le sol. (Ils tombèrent sans un bruit dans la terre mouillée.) Puis, s'approchèrent de leur mère dont l'expression grave de son visage ne laissait nulle place au doute de l'urgence.
" Que se passe t-il mère ? questionna Björn en fronçant les sourcils. Père est déjà repartit et voila que tu nous interpelles !
- Il se passe quelque chose, n'est-ce pas ? s'enquit Lagertha.
- Nous quittons Winchester, nous voyagerons avec dame Eadgifu et le prince Edmund. Nous n'aurons nullement le temps de geindre ou de se plaindre, il faut les éloigner au plus vite des terres Saxonnes. Des hommes viennent les chercher, ils sont en danger.
- Mais, Aethelstan s'est engagé à protéger le Roi ainsi que son épouse, pourquoi la tâche nous reviens ? Tu n'es même plus au service du Roi ! A t-il demander cela à père ?
- Mes enfants, le Roi Edward est mort, il a rendu son dernier souffle, c'est pour cette raison que sa femme et son enfant sont en dangers. Le prince banni, Aelfweard vient pour s'emparer d'eux.
- Et qu'en est-il d'Aethelstan et de ses hommes ? demanda la jeune fille.
- Votre frère ne viendra pas prêter main forte, il semblerait qu'il ait abandonné sa parole de protéger la famille royale. Pour quelles raisons ? Cela je l'ignore, mais cela ne doit pas changer votre relation. Il reste votre frère, qu'importe ce qu'il a en tête. Est-ce compris ?
- Oui mère.
- Bien, hâtez-vous de prendre quelques vêtements chaud, et prenez-en davantage pour le jeune prince. Lagertha, tu iras voir dans ma malle, prend la plus chaude de mes robes afin que dame Eadgifu puisse se revêtir si la chose est nécessaire. Björn, lorsque tu auras terminé, je veux que tu ailles seller tous nos chevaux.
- Leofric également ?
- Oui, cette fois, tu as le droit de le seller. Et les enfants, prenez vos ceinturons et vos dagues. On ne sait guère de quoi notre route sera faite."
D'un hochement de tête commun, les jumeaux déguerpirent à grande vitesse, ne laissant derrière eux que l'écho de leurs pas. Ceux-ci résonnèrent dans le cœur de Daegan tandis qu'elle se précipita non loin de la table de la demeure. De ses deux mains, elle prit l'un des bouts du banc qui figurait du coté gauche, et l'écarta dans un crissement infernal, puis se laissa tomber à genoux. Ses doigts tremblant s'approchèrent de l'une de planches du sol. Mais brusquement elle la retira avant de porter son regard au ciel, (bien qu'elle ne voyait que le plafond de son foyer).
" Que vous tous, les Dieux, me pardonnent car je vais faillir à ma parole. J'avais jurée de ne plus me battre si vous protégiez mon fils, Aethelstan de cette bataille qu'il a dû mener il y a trois ans, et si vous guérissiez ma fille, Lagertha, de la fièvre qui l'emportait chaque jour davantage. J'avais jurée de laisser le temps faire son œuvre et ne plus intervenir dans la Destinée que vous réserviez à chacun, pour qu'en retour je jouisse de la paix et d'une vie simple comme le faisait, jadis, ma mère Gisela. Vous avez respecté votre parole, mais je me dois de briser la mienne. J'ignore si cela est votre œuvre, ou celle du Dieu Chrétien. Je sais que vous aimez la guerre, et que le Dieu Chrétien agit pour la paix et l'unité. Si l'un de vous, mes Dieux, devez me punir alors ne punissez que moi mais gardez ma famille dans vos bonnes grâces."
A nouveau, Daegan approcha sa main de la planche du sol. De ses ongles, elle la fit trembler puis tira lentement en sentant les échardes lui griffer la peau des doigts. Une multitude de toiles d'araignées accompagna le bois qu'elle venait de retirer. L'on entendait même quelques couinement de rats s'affoler. Or, cela dévoila un trou creusé dans la terre. Le cœur lourd, la sœur de Sihtric plongea sa main dans la crevasse et en retira un objet long, entouré d'un linceul. La chose était semblable à un cadavre qui dormait. La femme ne prit guère la peine de reboucher le trou du plancher avec le bois qu'elle venait de déplacer. Car, la chose qu'elle venait de retirer prenait toute son attention. D'un grand geste, Daegan tira sur le linceul. Un nuage de poussières lui fouetta le visage tandis qu'il l'entoura comme une neige tombante. Dans le creux de sa paume reposait un pommeau. D'un coté était logé un marteau de Thor. De l'autre, une croix Chrétienne.
" Dent-De-Loup, nous voilà à nouveau ensemble ma vieille amie. Je ne songes pas t'utiliser, mais je ne peux guère prévoir les embûches qui se trouveront sur notre long chemin. Le Destin est tout, et il a choisit aujourd'hui que nous allions partir pour une nouvelle chevauchée. Je pense qu'elle sera la dernière, je doute que l'ennemi soit trop menaçant. Aethelstan a sans doute une explication, et Aelfweard n'est entouré que de vauriens. Cela ne durera guère longtemps, bientôt tu pourras de nouveau retrouver le repos. "
* * *
Une main accrochée à son ceinturon de cuir râpé par le temps et l'usure, Aldhelm pénétrait dans la chapelle du palais de Winchester. Le souffle court et le nez rougit par le froid de l'extérieur, l'homme inclina avec respect la tête auprès du cercueil où le Roi Edward reposait, avant de se glisser auprès de la Reine nouvellement veuve. Elle était vêtu d'un grand voile noir qui ne cachait point ses larmes tandis que sa couronne, ternit par sa tristesse, reposait sur son crâne.
" Dame Eadgifu, le traitre Aelfweard a envoyé des hommes pour vous enfermer, le prince et vous, murmura t-il.
- Je ne serai pas prisonnière, répliqua t-elle d'un sec et emplit d'assurance. Peut-on les combattre ?
- Pas sans Aethelstan.
- Mes gardes...
- Les loyautés vacillent, des factions se forment, on ne sait pas à qui se fier, grogna Aldhelm en craignant que l'ennemi ne pénètre les portes d'un instant à l'autre. Fuyons tant que nous le pouvons encore, ma femme et quelques uns de mes plus fidèles hommes nous attendent à la portes Est de la ville."
Déglutissant péniblement, la Reine hocha la tête. Le cœur emplit de deuil, elle posa une dernière fois sa main sur le cercueil où reposait l'homme qu'elle avait tant aimé, où reposait son Roi. Ils avaient connus un amour des plus solide et des plus acclamé depuis le mariage d'Alfred le Grand et de dame Aelswith. Le peuple les aimait, et ils aimaient le peuple. Mais ce temps était désormais révolu. L'avenir devenait incertain, et truffé de craintes. Prenant une inspiration avant de sécher ses yeux mouillés, dame Eadgifu emboita le pas à Aldhelm tandis qu'ils s'en retiraient dans l'un des grand et froid couloir du palais de Winchester.
Le pas rapide et hâtif, l'époux de Daegan et la Reine traversaient le château en quête du prince. Ce dernier, depuis la mort de son père, s'était replié dans la lecture et la solitude. Il peinait à accepter et faire face à son deuil. Aussi appréciait-il le réconfort des vieux manuscrits.
" Je m'en souviendrai, siffla la veuve d'Edward. Aethelstan nous a laissés vulnérable, maudite soit son absence. Votre femme, dame Daegan, n'est-elle pas la mère adoptive de ce garçon ?
- Elle l'est, mais elle n'a guère de nouvelles depuis quelques temps déjà. Sinon, croyez bien que Aethelstan serait présent pour nous porter soutien si il avait demandé la parole de mon épouse."
La femme poussa un grognement de frustration avant de violement pousser une épaisse et lourde porte qui fit crisser ses gons jusqu'à l'autre bout du palais. Là se trouvait le jeune prince Edmund dont les mains tenaient un épais ouvrage jaunis de vieillesse.
" Edmund, on s'en va, ordonna sèchement Eadgifu tandis qu'Aldhelm portait son regard autour d'eux pour être certain que l'ennemi n'approchait guère.
- Pourquoi donc ? bafouilla le garçon.
- Nous répondrons à vos questions sur le chemin, dit l'homme. Il faut nous hâter plus que cela, j'entends déjà les armures des soldats s'approcher."
Le prince ne posa guère plus de questions et abandonna son livre avant de se mettre debout d'un bond. Le cœur battant d'inquiétude quant au visage décomposé de sa mère, le dernier fils d'Edward savait que la situation n'était guère légère et qu'une chose grave s'annonçait.
L'instant qui suivit, les trois fuyards arpentaient les couloirs pour atteindre la porte de sortie la plus proche. L'époux de Daegan était en tête afin de s'assurer que nul ne les verrait s'échapper, tandis que l'on entendait résonner contre les murs les voix hargneuses des assaillants qui recherchaient la Reine et son fils.
" Mère, qu'est-ce qui... tenta malgré tout Edmund dont les interrogations brulaient les lèvres.
- Silence, répliqua Eadgifu avant d'agripper le bras de son fils pour le faire cesser d'avancer."
Des pas résonnaient, des pas qui s'approchaient d'eux, des pas qui venaient du couloir qu'ils désiraient emprunter et dont ils ne pouvaient se passer. Les sourcils froncés et la main sur la garde de son épée, Aldhelm s'apprêtait à dégainer malgré que cela faisait fort longtemps qu'il n'avait guère combattu. Or, ses années de guerriers étaient encore encrées dans son esprit, et les réflexes lui reviendraient vite. Une ombre sur le mur montrait la progression de l'ennemi. Il se faisait plus près, plus menaçant. Les gorges de la Reine et de son fils se firent sèchent d'angoisse. L'ombre devint silhouette et tous eurent soudainement un soupire de soulagement en voyant le visage familier qui venait d'apparaitre devant eux.
" Pyrlig, souffla la veuve d'Edward.
- J'ai des nouvelles, Aethelstan est parti prier pour son père, dit le religieux.
- Trouvez-le et dites-lui qu'il est mort. Puis giflez le de ma part, il avait juré de nous protéger, grogna Eadgifu."
Des claquements d'armures et des cottes de mailles se mirent à chanter non loin d'eux. Alerté, Aldhelm accouru à une porte et l'ouvrit, en invitant le prince et sa mère à le suivre.
" Venez, le temps presse, dit-il.
- Où irez-vous ? s'enquit Pyrlig."
Or, il n'eut guère droit à une réponse. Deux soldats d'Aelfweard venaient de les repérer et courraient droit sur eux. Le prêtre leur ordonna de fuir tandis qu'il fit glisser une grande épée hors de son fourreau ( car même moine, il portait l'arme constamment) pour tenir à distance l'ennemi. La vieillesse commençait à le prendre dans ses filets, cependant il restait encore hardis et plein de fougue quant au maniement de le lame. Les trois fuyards ne se firent pas prier et se glissèrent par une autre porte (plus petite) qui les conduit directement sur l'extérieur.
Le froid les happa de son tranchant, tandis qu'ils courraient dans la boue pour engloutir la distance qui les séparait de la famille et des hommes d'Aldhelm qui les attendaient. Enveloppée d'une épaisse peau de poils blancs, Daegan se tenait droite sur sa monture, Leofric, tandis qu'elle tenait les rênes du cheval de son époux. Quant aux jumeaux, ils avaient dû se partager une jument afin que chacun ait un destrier pour le voyage. Björn se tenait à l'avant, tandis que Lagertha l'entourait de ses bras.
" Dame Eadgifu, prince Edmund, salua Daegan lorsque les fuyards furent proche.
- Où comptez-vous nous emmener ? Il n'y a nulle place où nous serons en sécurité ! dit la Reine.
- Il y en a une, chez mon père, Uhtred.
- Le Païen ? s'enquit le dernier fils d'Edward avec confusion.
- Uhtred a trahit mon mari, est-ce bien sage ?
- Mais il est mon père et il est fiable, n'ayez crainte. Mettez ces peaux de bêtes, prenez vos montures, un long chemin nous attend, nous chevauchons jusqu'au dernier royaume !"
The Next Is Coming...
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Salutations Danois.es et Saxon.nes !
Eh oui ! Les Dieux ont bénis Daegan et Aldhelm, non pas d'un enfant, mais de jumeaux ! Et pour ceux qui connaissent la série "VIKINGS", vous aurez aisément remarqué que les prénoms des jumeaux viennent de cette série. (Enfin, Lagertha et Björn ont réellement existés dans l'histoire, mais c'est la série "VIKINGS" qui m'a donné l'idée de les appeler comme ça.)
J'espère que ce chapitre vous a plût, c'est tellement dur de se dire que ce film est la dernière aventure de Daegan. Je suis tellement pas prête pour lui dire au revoir !
Mais il nous reste encore un peu de chemin avant de quitter Daegan, et pour le moment ce chemin va nous conduire à Bebbanburg !
Je vous salue des deux mains !
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