Chapitre 54 : Bebbanburg - PART II -
" Le Roi t'accorde enfin du repos ? dit Daegan. Voila qui n'est pas trop tôt, j'ai cru que jamais je ne reverrais mon époux."
Allongée dans le couchage de fortune la fille d'Uhtred observait Aldhelm retirer ses armes, son pourpoint et ses bottes, avant de venir se glisser auprès d'elle. Avec douceur il enlaça la femme, et laissa sa tête reposer sur sa poitrine. La sœur de Sihtric quant à elle, passait ses doigts dans les cheveux de l'homme dont elle sentait les muscles se détendre.
" Il aimerait que le Général de l'armée Mercienne soit reposé pour la bataille qui s'en vient, bien que j'ignores quand le Roi l'ordonnera.
- Quoi que nous fassions la bataille viendra. Un jour ou un autre, qu'est-ce que cela change?
- Ton père n'a pas encore donné de signal.
- J'ai confiance en lui, je sais qu'il en donnera un bientôt.
- Alors espérons qu'Edward ne se mette pas en tête d'aller batailler avant cela.
- Edward est butté, quoi que tu lui diras il ne renoncera pas à ses idées. J'ai déjà essayé, pendant de nombreuses années.
- Je comprends pourquoi tu l'aimais, vous êtes aussi butté l'un que l'autre, ricana Aldhelm."
Daegan donna une légère tape sur le tête de l'homme. Ce dernier en profita pour attraper la fille d'Uhtred dans ses bras afin de la basculer en dessous de lui. La surplombant de son corps, les yeux des jeunes mariés se croisèrent dans un regard emplit d'intensité. Or, les pupilles du Général Mercien dériva durant un instant sur la poitrine de la sœur de Sihtric. Un détail lui fit froncer les yeux.
" Depuis quand portes-tu cette croix Chrétienne ?
- Dame Aelswith m'en a fait cadeau lorsque j'étais souffrante cet après-midi.
- Voila qui est généreux, et peu habituel venant de la veuve d'Alfred.
- C'est une bonne personne, elle a beaucoup souffert, et je la connais depuis plus longtemps que toi. Je me souviens que lorsque j'étais enfant et que nous avions dû fuir dans les marais, elle me lisait des passages de la bible, à moi ainsi qu'à Aethelflaed. C'était lorsque Leofric ne pouvait guère s'occuper de moi car il planifiait la bataille avec le Roi. Dame Aelswith a toujours œuvré pour le bien des siens, bien que parfois sa foi l'aveuglait. Désormais, elle y voit clair.
- C'est un beau souvenir d'enfance, j'aurais aimé connaître Leofric. D'ailleurs comment te sens-tu ? J'ai désiré aller voir Eadith tout à l'heure, mais elle n'étais pas dans sa tente, de même que dame Aelswith. Toutes deux étaient introuvables.
- Elles avaient sans doute une bonne raison.
- Certes, mais je n'ai pas pu demander à Eadith ce qu'il t'était arrivé, et comme je croyais que tu dormais, je ne désirais guère revenir dans notre tente et risquer de te réveiller.
- Je ne dormais pas, et n'aies crainte ce n'était qu'un vilain mal d'estomac, sans doute dû à la peur que j'éprouve pour mes proches. Rien de plus.
- Me voila rassuré, j'ai l'esprit plus léger. Et j'ai confiance en Uhtred et ses hommes, ils reviendront vivant.
- Que tous les Dieux entendent ta parole, souffla Daegan avant de poser ses mains sur les joues barbues d'Aldhelm. Comptes-tu restés penché au dessus de moi pour les quelques heures qui restent avant le levé du jour, ou attends-tu que je te renverse à mon tour. N'oublies pas que tu as marié une guerrière, je pourrais t'abattre en un rien de temps.
- Alors mieux vaut que je suive les pensées d'Edward et que j'attaque au plus vite, rit l'homme en embrassant les lèvres de son épouse."
Leurs mains glissèrent sous leurs vêtements, leurs peaux se frottèrent l'une contre l'autre. Les longs cheveux de Daegan s'emmêlèrent, Et le temps semblait s'arrêter. La femme désirait profiter plus que tout des derniers jours qu'elle passait avec celui qu'elle aimait. Il l'ignorait, mais bientôt, Aldhelm serait veuf. La fille d'Uhtred songeait déjà à léguer certaine chose. Durant l'après-midi, elle avait rédigé une lettre afin que ses volontés soient honorées. Bientôt, l'anneau de Leofric serait au doigt d'Uhtred, Dent-De-Loup serait brandit par Aethelstan, son bouclier protégerait Aldhelm, l'une de ses mèches de cheveux irait à son frère Sihtric afin qu'il la lit avec les siens comme l'ancienne tradition, et la croix données par Aelswith serait offerte à Finan. Quant à Stiorra, une autre lettre l'attendait, lui pardonnant les rancœurs et les querelles. Et posée à coté, une vieille bible qui venait de la bibliothèque du Roi Alfred et dont Uhtred le Jeune hériterait. Une note y était glissée lui demandant de prendre soin des Chroniques du Grand Roi. Tout était prêt. Seule la bataille qui l'achèverait manquait. Cependant, d'après les mots de son époux, celle-ci n'allait guère tarder.
* * *
Le soleil était d'ores et déjà levé depuis longtemps. Enlacés, nus, dans leur couchage de fortune, Daegan et Aldhelm étaient blottit l'un contre l'autre, profitant de leur contact mutuel. Leurs yeux clos, ils savouraient ces instants de repos. Or, un vif éclat de lumière vint les réveiller en sursaut de leur sommeil. Peinant à ouvrir les yeux, ils tentèrent de distinguer dans les rayons du soleil de l'extérieur qui était la silhouette qui pénétrait dans leur demeure en toile.
" Aethelstan ? dit la femme d'une voix encore enrouée.
- Pardonnez-moi, je vous pensais réveillé depuis longtemps tous les deux, s'empressa de dire le jeune homme en se retournant afin de leur laisser l'intimité nécessaire pour s'habiller."
La fille d'Uhtred fut la première à mettre les pieds hors du lit. Rapidement, elle attrapa sa chemise et son pantalon, tandis qu'Aldhelm (submergé par la fatigue de ces derniers jours) peinait à se réveiller, et restait donc allongé sous leur couverture.
" Tu peux te retourner, prononça Daegan en passant une main dans sa chevelure afin de tenter d'enlever les premiers nœuds. Tu es bien matinal, qu'est-ce qui t'amène dans notre tente ?
- Daegan, le soleil est levé depuis longtemps. Personne n'est venu vous réveiller ? Le Roi n'a pas fait prévenir le seigneur Aldhelm ?"
A l'entente de son prénom, celui-ci se redressa sur son couchage en se frottant le visage pour émerger pleinement de son sommeil.
" Me prévenir de quoi ? demanda t-il.
- Depuis l'aurore les troupes ont reçues l'ordre de se préparer à marcher sur Bebbanburg. Je croyais que le Roi vous avait prévenu tous les deux, voilà une heure que j'essaie de vous trouver dans le campement. Mais je n'y parvenais guère. Alors je suis venu voir dans votre tente, je pensais que vous vous prépariez pour la bataille.
- Edward veut partir à la bataille maintenant ? questionna la femme.
- L'armée est presque prête, de nombreux rangs sont déjà formés.
- Il semblerait qu'Edward ait tenté de nous éloigner de la bataille, grogna Aldhelm en quittant son lit pour enfiler son habit.
- Merci de nous avoir prévenu, Aethelstan, tu peux repartir, nous allons nous préparer et nous arrivons."
Hochant la tête, le jeune homme tourna les talons et sortit de la tente laissant derrière lui les deux jeunes époux grandement interloqués. Edward avait été vivement prit de folie, ou bien se sentait t-il bien trop guidé par une divine force. Rien n'aurait put l'expliquer en cet instant. Mais ce qui était certain, c'était qu'il avait désiré évincé une guerrière et le Général des armées Mercienne, car il savait que sa décision serait discutée.
" Il ne veut pas même attendre un signe de mon père, cela me révolte, maugréait la femme en serrant son pourpoint avant de glisser le pendentif d'Aelswith dans son décolleté afin de ne donner nul espoir à l'ennemi de l'étrangler grâce à la chaine d'argent.
- Nous pourrons peut-être lui faire entendre raison, je vais m'y atteler tout de suite, assura l'homme en faisant un pas pour sortir de la tente.
- Tu n'as pas de bottes, Aldhelm, rappela la sœur de Sihtric."
Secouant sa tête, celui-ci fit demi-tour pour lacer les bottes qu'il avait omis de glisser à ses pieds. Sa femme ne put, malgré la situation urgente, s'empêcher de laisser un rire lui échapper. Aldhelm se fit la réflexion que ce rire était sous doute la plus belle mélodie qu'il lui eut été donné d'entendre. Le cœur gonflé d'amour, jamais il n'aurait songé trouver une épouse qu'il aimait véritablement lorsque, jadis, ses sentiments étaient pour la Dame de Mercie. Pourtant, sa future femme marchait à ses cotés depuis de longues années, sans même qu'il ne la voit.
* * *
Aethelstan avait dit vrai. Les légions se regroupaient et formaient une longue ligne digne d'une vipère qui se glisserait entre les roches jusqu'à la forteresse de Bebbanburg. C'était effrayant qu'Edward ait prit une telle décision sans consulter autrui. Il avait pourtant offert sa confiance à Uhtred, mais il n'en attendait guère les signes de retour. Le fils d'Alfred semblait n'en faire qu'à sa tête. Et bien qu'il était stratégique, il ne semblait guère prendre en compte toutes les considérations. La main sur l'épée, Aldhelm accourait derrière le souverain. Il s'était éveillé tard et avait peiné à sortir du sommeil, mais désormais, il avait les yeux et l'esprit bien vif.
"Sire, attendons le signal d'Uhtred ! dit-il en omettant le fait que le Roi ait tenté de l'écarter de la bataille.
- Nous avons attendu et rien ne se passe je ne veux pas laisser filer notre avantage."
Remuant la langue dans sa bouche l'époux de Daegan voyait que ses mots n'atteignaient guère Edward. Ce dernier se dirigeait vers son cheval, en tête de cortège, tandis qu'Aldhelm cessa ses pas non loin d'Aethelstan qui tenait les brides de son cheval. Le Jeune homme était prêt à suivre son père, malgré la précipitation de cette bataille.
"Et que faites-vous d'Uhtred et D'Aelfwynn ? Ils seront tués ! tenta en dernier recours l'homme."
Cependant, le souverain du Wessex ne l'écoutait plus et se contentait de se jucher sur sa monture pour en prendre les rênes. Il avait un objectif en tête, et rien ne l'arrêterait.
" C'est de la folie, siffla Aldhelm.
- En effet, approuva Aethelstan, mais nous devons le suivre."
Le garçon se hissa sur sa selle, au coté de Cynlaef, et les premiers rangs de l'armée se mirent en marche. Les sourcils froncés, l'homme n'aimait guère l'idée de ce combat. Ils détenaient trop peu d'information, d'autant plus que le Roi Constantin avait finalement rejoint la forteresse de Bebbanburg, et cela n'annonçait rien de bon. Mais Aldhelm craignait davantage de ne point tenir sa promesse à Aethelflaed, celle de protéger Aelfwynn qu'importe les obstacles. Or, les dés étaient lancés, et tout était déjà trop tard. Tournant les talons, l'époux de Daegan remonta l'allée pour rejoindre son cheval qu'un soldat lui tenait. Sa femme était debout au coté de sa monture blanche. Elle l'attendait, parée de son pourpoint, de ses armes et ses cheveux rapidement tressés sur le haut de son crâne, imitant quelques coiffures Danoise, la fille d'Uhtred avait l'allure d'une guerrière.
" Si tu songes que cela est trop de folie, et que tu me demandes de ne pas y aller, alors nous n'irons pas combattre, dit Aldhelm en s'approchant de la sœur de Sihtric.
- Les fileuses l'ont décidées, les Dieux l'ordonnent, allons reprendre Bebbanburg, allons reprendre la forteresse de mon père qu'importe le risque. Je n'abandonnerai pas Aethelstan, Cynlaef et Uhtred le jeune sur le champ de bataille. Et peu m'importe de mourir, je sais que je suis unie à l'homme que j'aime."
Hochant la tête pour approuver ces mots, Aldhelm enjamba son cheval au même instant que sa femme. Ils se tinrent la main une dernière fois, avant de talonner leurs chevaux pour rejoindre l'avant du cortège, proche du Roi. Dans la terre, comme dans le ciel, les échos d'une rude bataille grondait.
Deux lieues (environ) n'étaient guère une longue chevauchée. Bien vite, l'armée entendit les vagues se jeter sur la roche qui constituait le point haut de Bebbanburg. C'était là tout l'intérêt de cette forteresse et de sa résistance. Elle était perchée de façon à voir l'ennemi de la terre, et celui de la mer. Daegan inspira profondément l'air salée qui lui rentrait dans les narines. C'était l'air de son pays. Celui auquel elle avait toujours été destiné. Même lorsqu'elle était la petite voleuse des rues de Winchester, les Dieux savaient que son chemin s'arrêteraient à Bebbanburg. Même si cela devait être devant les portes de la forteresse, la femme mourrait sur la terre de sa famille. Et c'était là tout ce qui la réconfortait. Au fond d'elle, la fille d'Uhtred savait qu'elle ne verrait guère le couchée du soleil. Elle se battrait, pour sûr, mais seulement pour ses proches et non pour sa propre vie. Car elle était déjà condamnée. Et elle n'avait guère le désir de mourir lentement et dans la souffrance de la maladie comme l'avait fait Aethelflaed. Daegan voulait la gloire. Et ce fut en apercevant les murs de Bebbanburg se dresser non loin d'elle, qu'elle sût qu'il n'y avait pas meilleur endroit pour mourir.
Les villageois qui avaient leurs demeures à l'extérieur de l'enceinte de la forteresse se hâtèrent à rentrer entre les murs pour se protéger tandis que la cloche d'alerte sonnait et que l'armée d'Edward se déployait à une centaine de pas des portes de la cité. Nombres de cris de peur résonnèrent mais cela n'atteint guère le Roi qui se mit droit devant l'ennemi. A sa gauche le Général des armées Mercienne, Aldhelm, et à sa droite, Aethelstan ainsi que Daegan. Derrière eux, les soldats formaient les longs rangs qui montraient leur puissance militaire. Le souverain du Wessex fit signe à son fils d'aller porter sa parole auprès du rival, comme il le lui avait demandé de faire lors de leur chevauchée jusqu'à Bebbanburg. La constante douleur que la fille d'Uhtred ressentait dans son ventre et sa poitrine ne fit que s'accroitre par l'angoisse. Elle craignait qu'une flèche ne soit lancée à l'encontre du garçon et que cela le tue. Aussi, le regardait-elle s'approcher des portes de la forteresse avec le regard emplit d'inquiétude.
" N'approchez pas plus ! beugla une voix sur les remparts."
Aethelstan s'exécuta.
" Parlez !
- Je me fais la voix d'Edward, Roi de tous les Saxons ici comme sur les terres du sud, remettez-nous le seigneur Aethelelm ainsi que dame Aelfwynn et nous n'attaquerons pas ! Si vous refusez, alors nous vous assiégerons et nous vous tuerons tous ! Il n'y aura aucun survivant !"
Daegan porta ses doigts à l'anneau de Leofric qui pendait à son cou. Ainsi, était le commencement de la fin.
Saison 5 - Episode 10
Le soleil qui s'était réchauffé brulait la peau sous les lourdes cottes de mailles. Les fronts étaient luisant de sueur, mais l'air de la mer rafraichissait de temps à autre. Une flèche déchira le paysage en deux, le griffant de sa longueur et sifflant d'un son aigu dans le vent. Le cœur de Daegan sursauta dans sa poitrine. Or, la pointe du trait vint se planter devant les sabots du cheval d'Aethelstan qui se tenait toujours à proximité des portes de Bebbanburg. Il avait attendu une réponse, et il venait de la recevoir.
" C'est un avertissement j'imagine ?"
Tournant les rênes de sa monture, le jeune homme fit demi-tour et rebroussa chemin pour rejoindre le coté de son père. Dans le silence absolu, l'armée attendait. Uhtred le Jeune (qui ne combattrait pas, et agissait seulement en homme de Dieu) se tenait à leur coté afin d'offrir une dernière prière pour les soldats et les guerriers qui se jetteraient sur les lances ennemis. Lui, avait déjà pénétré dans la forteresse, et il y avait vu périr le père Beocca. Aussi, s'était-il abstenu de tout combat depuis.
" Ils ne comptent pas obtempérer, déclara le garçon en s'en revenant auprès du Roi.
- Avez-vous vu notre père ? questionna le jeune Uhtred.
- Non."
Daegan entendit son frère cadet pousser un soupire de désespoir tandis qu'elle échangeait un regard grave avec son époux. Bien qu'elle avait grandement confiance dans les capacités du guerrier, tout homme avait une faille. Peut-être que celle d'Uhtred avait été découverte en ce jour. Peut-être que les espoirs de la femme étaient vains, car celui qui avait fait d'elle son enfant n'était plus. Et cela depuis plusieurs jours.
Le calme qui s'était réinstallé pour laisser Edward réfléchir à quand donner l'attaque et comment la mener, fut de courte durée. Car bientôt, deux ombres se montrèrent sur les remparts de la forteresse. Ce n'était guère Uhtred, Finan ou Sihtric. Ni même le père Pyrlig. Il y avait là un homme, tenant fermement une lame posée sur la gorge d'une jeune fille à la chevelure blonde qui criait pour qu'on lui vienne en aide. Aelfwynn. Le guerrier ne l'avait donc point libéré, les chances de le retrouver en vie s'amenuisaient donc davantage.
" Vite, nous devons négocier sur le champ ! clama Aldhelm en s'apprêtant à talonner son cheval.
- Non ! s'opposa le Roi avant de se tourner auprès d'Aethelstan. Ne dites rien."
Puis, il y eut grand mouvement sur les remparts de Bebbanburg. Les deux silhouettes disparurent, plusieurs soldats passèrent et tout redevint sans mouvement.
" Peu de soldats surveillent les remparts désormais, observa Uhtred le Jeune.
- Préparez le bélier, qu'une quinzaine de soldats avancent pour enfoncer les portes de la forteresse, proclama Edward.
- Ce n'est pas normal, ils ne nous auraient guère provoqués avec Aelwynn pour disparaître ensuite. Quelque chose s'est passé, ou bien c'est un piège Sire ! Attendez encore quelques instants ! supplia Daegan.
- Que l'on prépare le bélier au plus vite, insista le Roi sans prendre compte des paroles de la femme. Aethelstan, vous mènerez cette attaque."
Le fille d'Uhtred serra les dents et contracta sa mâchoire. Ses mots n'avaient guère eu de valeurs. Le fils d'Edward hurla à former un mur de boucliers, tandis qu'il prit lui-même un écu pour se protéger. Ensemble, d'un pas commun, la quinzaine de soldats avançaient auprès des portes de Bebbanburg, portant cet énorme bois qui leur servirait à forcer l'entrée. Le premier coup de bélier résonna contre les portes comme un lourd tambour qui fit valser le cœur de tous. Il fit grand bruit, et attira nombre de soldats ennemis qui reprirent leurs postes, les criblant de flèches. Celles-ci n'étaient non pas tirées avec des arcs, mais avec d'autres instruments qui étaient inconnus aux Saxons et aux Merciens, et qui faisaient plus de ravage. Déstabilisant le mur de boucliers, l'unissons se perdit bien vite. Et les premiers hommes tombèrent. Beaucoup, qui n'étaient que blessés au départ, vinrent trouver la mort en s'empalant sur des bois aiguisés en pointe qui se trouvaient dans la fosse faisant le tour de Bebbanburg. Aethelstan, qui se tenait hors de porté de l'adversaire, tentait malgré tout de faire entendre sa voix tandis qu'Edward envoyait une seconde légion pour leur venir en aide. Quant au bélier, il continuait de résonner.
" Qu'est-ce donc que ces armes qu'ils utilisent ? s'enquit Edward en fronçant les sourcils.
- Le cousin de mon père était un voyageur, il aurait rapporté cela d'autres contrées. Et c'est bien plus meurtrier qu'un simple arc, dit Daegan.
- C'est avec cette arme qu'il a tué son propre père, Aelfric, ainsi que le Père Beocca, ajouta le jeune Uhtred."
La pluie de traits sanguinaire ne semblait guère s'arrêter. Or, le Roi n'était pas décidé à envoyer une autre légion pour porter de l'aide. Cela même si tous les hommes qui avaient été lancés sur le champ de bataille y laissaient leurs vies. Et ces derniers avaient grand courage. Car malgré la rudesse de l'ennemi, et le mur de boucliers défait, le bélier continuait de frapper les portes. Mais il frappait mal, et de plus en plus désaccordé. Des hurlements d'agonie brisèrent le bruit de la bataille. De la fumée s'échappa de l'armure des soldats Saxons qui criaient à la mort. Depuis les remparts l'adversaire versait une substance qui brûlait le corps comme un vif feu, consumant la chair jusqu'à l'os. Les supplications, et l'horreur de la vision était si rebutante qu'Aldhelm tourna le regard et Daegan se pencha subitement par dessus son cheval pour dégobiller. Son estomac était déjà douloureux, et le spectacle ne l'aidait guère. C'était une torture de subir et de voir un tel châtiment. Une immonde odeur s'en dégageait, provoquant un second vomissement de la part de la femme. Le reste de l'armée qui se trouvait derrière eux, quant à elle, commençait à trembler de frayeur en voyant leurs camarades mourir dans d'atroces souffrances.
" Si votre estomac ne peut supporter cela, repartez donc au campement, dame Daegan, dit Edward sans lui offrir un regard.
- Je vais bien, ce n'est que l'odeur, siffla t-elle en retour."
Aethelstan hurlait de sa vive voix pour diriger les hommes, mais ceux-ci étaient dispersés et peinaient à se concentrer sur l'objectif alors que leurs frères d'armes tombaient et hurlaient à leur coté. Le Roi daigna offrir une troisième légion pour apporter davantage de soldat. Bien qu'il ne devait pas trop en gaspiller non plus. Mais les morts s'enchainaient. Car après l'étrange substance qui avait dégagée la plus immonde des senteurs, ce furent des boules de graisses enflammées qui vinrent heurter les Saxons et les Merciens. Les boucliers prenaient les flammes, et les soldats blessés par la substance se mettaient à vivement flamber. Pour la première fois, le visage impassible d'Edward montra quelques traits de frayeurs. Le cœur battant, la fille d'Uhtred porta la main à la croix que dame Aelswith lui avait offert. L'héritage de la famille d'Alfred pendait à son cou. Alfred qui lui avait apprit à lire, qui lui avait partagé sa bibliothèque et parfois son amitié. Ressentant la douleur dans son ventre et sa poitrine, elle songea qu'elle ne verrait sans doute pas le prochain hiver. Mourir sur le champ de bataille pour défendre la famille et l'héritage d'un grand Roi tel qu'Alfred était un honneur. C'était probablement sa dernière bataille, et elle n'en avait cure de vivre ou mourir à contrario d'Aethelstan qui était un jeune homme au grand Destin. Son père, Uhtred, avait dit que sa Destinée serait de reprendre Bebbanburg, dans ce cas elle en enfoncerait les portes.
" Aethelstan n'y parviendra pas, dit Daegan en se tournant vers le Roi. J'ai entrainée plusieurs de ces hommes lorsque nous étions au camp, je les reconnais, je sais comment les diriger et je sais qu'ils m'écouteront. Laissez-moi prendre la place d'Aethelstan, laissez-moi prendre la place de votre héritier. Je vous le renverrai et je mènerai les hommes à l'avant, là où le trouble se fait, je reformerai le mur de boucliers et nous enfoncerons la porte avec le bélier !
- Non, tu n'iras pas à l'avant du combat, les hommes y meurent, nous entendons leurs cris. Sire, n'autorisez guère cela ! s'opposa Aldhelm."
Le Roi ne regardait aucun des époux qui se querellaient, il gardait son regard fixe sur la silhouette de son fils qui avait grand mal à informer les ordres. Mais qui ne se décourageait pas.
"Mon Roi ! claqua la femme. Pensez à votre hériter ! Vous savez que j'ai été dans de nombreuses batailles, je sais me faire respecter. Donnez-moi votre accord.
- Je ne laisserai pas faire une chose pareille, c'est du suicide. En tant qu'époux je n'autorise guère cela, tu n'iras pas !"
La sœur de Sihtric ignorait les mots d'Adhelm et gardait ses pupilles sur Edward. Ce dernier, après un instant de silence, se tourna auprès de Daegan. Fébrile, il hocha la tête en lui donnant l'accord de prendre l'avant du combat. Pour la première fois dans l'histoire du peuple Saxon et du peuple Chrétien, une femme allait mener des hommes au combat. La femme avait réussi sa promesse de jeunesse. Celle d'être une guerrière, comme son père. Prenant son bouclier accroché à sa selle, la fille d'Uhtred le passa à son bras avant de glisser Dent-De-Loup dans son fourreau. Son époux suppliait le Roi de la retenir, or ce dernier clama que son ordre était donné et serait respecté. Daegan prenait le commandement des troupes.
Sous le regard soucieux de son époux, la sœur de Sihtric talonna Leofric et s'approcha du champ de bataille. Elle hurla à Aethelstan de retourner auprès de son père. Celui-ci le lui en demanda la raison, elle répondit simplement que c'était là l'ordre du Roi, et qu'elle prenait désormais le commandement des troupes. Le garçon voulu s'opposer en voyant la femme s'enfoncer parmi les combattants et lutter contre les flèches qui venaient heurter son bouclier levé. Or, en tant que soldat, il se devait d'écouter les ordres de son souverain. Aussi détourna t-il sa trajectoire pour retourner auprès de l'armée immobile.
Les sabots de son cheval écrasait parfois des corps, faisant craquer leurs os, mais ces malheureux ne ressentiraient nulles douleur car ils étaient bel et bien mort. Evitant les pièges, se protégeant derrière son écu de la pluie de traits qui s'abattait sur les légions, faisant le tour des Saxons et des Merciens, Daegan parvint à rassembler plusieurs archers en un même lieu. Elle leur ordonna de former un mur de boucliers qui se lèverait telle une forteresse afin de se protéger de l'ennemi.
" Etes-vous à la bonne portée pour tirer vos flèches ? s'enquit t-elle en élevant le ton de sa voix pour se faire parfaitement entendre.
- Oui, ma dame ! D'ici, nous pourrons même atteindre l'adversaire qui se trouve dans la forteresse.
- Alors ne vous dissipez pas ! Qu'importe ce qu'il adviendra, restez collé les un aux autres et tirez vos flèches !"
D'un mouvement de têtes communs, les soldats acquiescèrent les ordres et ainsi ils purent répondre à part égale à la menace ennemie. La fille d'Uhtred agrippa ses rênes et se mit à galoper de part et d'autre du champ de bataille. Elle tentait de rassembler autant de soldats possible pour former un long mur de boucliers devant les archers, afin de protéger les avants et les arrières. Sur son cheval blanc, Daegan se courba juste à temps pour éviter un trait qui aurait pu lui être meurtrier ou bien lui couter un œil. Ce dont elle n'avait guère besoin pour l'instant. Ce simple mouvement lui tordu le ventre et lui pressa la poitrine réveillant une vive douleur. Se forçant à garder son bouclier levé pour se protéger, la sœur de Sihtric eut un instant d'absence. Un instant de souffrance qui lui fit serrer les dents. Reprenant son souffle court, elle se redressa et décida de continuer malgré tout. Ses archers étaient en place, et ils parvenaient à réduire la menace, un long mur de boucliers s'était formé au centre comme elle l'avait dictée. Il ne restait plus que le bélier.
Sautant à bas de Leofric, Daegan lui donna un vive tape à l'arrière pour l'intimer à quitter le champ de bataille. Le cheval émit un hennissement et galopa au loin. Quant à la femme, elle prit son écu à deux mains et avança en courant et en poussant un cri de rage pour se frayer un chemin jusqu'au devant de la grande porte de Bebbanburg. Les hommes qui tentaient d'enfoncer la porte étaient à bout de souffle, et la sœur de Sihtric se rendit compte qu'elle connaissait chacun d'eux, car tous étaient parmi la légion qu'elle avait entrainée. C'était des Merciens. Au premier rang du bélier, l'un des soldats reçu une flèche dans la gorge, traversant celle-ci, faisant gicler le sang, il tomba dans la fosse où il s'embrocha sur l'un des nombreux piques de bois. La fille d'Uhted en profita pour aller prendre sa place. Elle agrippa l'épais et lourd bois qui pouvait leur ouvrir l'entrée de la forteresse et leva son bouclier au dessus de sa tête.
" Dame Daegan, que faites-vous là ? Vous n'auriez pas dû quitter les cotés du Roi, c'est la mort assurée en ce lieu.
- Je suis venue prendre la tête de cette attaque. Vous tous ! Ecoutez-moi ! Si nous n'enfonçons pas ces portes nous ne vaincrons guère, et ne rentrerons jamais chez nous. Alors en cet instant, je ne vous demande pas de vous battre pour le Roi, pour le seigneur Aldhelm, pour la Mercie ou le Wessex, ni même pour moi ! Mais pour vous-même ! Pour vos familles, vos femmes, vos enfants. Vous vous battez parce que c'est dans votre cœur et votre sang. Vous n'êtes pas des soldats, vous êtes des géants, et des guerriers ! Nous avons chacun une main sur ce bélier, nous ne faisons qu'un, alors agissons comme tel ! Cessez de vous disperser, lorsque nous reculons, nous reculons ensemble ! Lorsque nous avançons, nous avançons ensemble. Tous d'un même pas !"
Ses hommes lui offrir un cri victorieux tandis qu'ils calaient leurs pas sur ceux de la femme. Lorsqu'elle reculait de deux pas, ils faisaient de même. Lorsqu'elle enfonçait ses pieds dans le sol, ils faisaient de même. Lorsqu'elle prenait son élan, ils faisaient de même. Et lorsqu'elle donnait toute sa force pour que le bélier frappe la grande porte d'un coup vif et lourd, ils faisaient de même. Tout cela dans des hurlements qui donnaient le rythme de leurs actions. Les soldats qui l'entouraient n'étaient plus des hommes, mais des ours. A chacun de leur coup, ils entendaient les gons des portes de Bebbanburg grincer davantage. Cela leur donna l'espoir qu'ils avaient perdu.
Plusieurs pas en arrière, Edward voyait les progrès de son armée. Les rangs qui s'étaient créés, les murs de boucliers qui tenaient malgré les assauts ennemis. L'amélioration se faisait vivement ressentir et derrière lui l'armée qui ne bougeait guère put reprendre un nouveau souffle.
" Ils cessent le combat, dit le Roi en voyant plusieurs hommes se retirer des remparts.
- Sire ! interpella t-on."
Sur sa gauche, le seigneur Aldhelm s'en revenait de ses observations. Il avait été envoyé afin de tenter de savoir ce qu'il se tramait autour de la forteresse, et si une autre entrée que celle-ci était envisageable. Cependant, l'époux de Daegan revenait avec bien d'autres nouvelles.
" Des soldats s'enfuient par la mer à l'arrière, les embarcations sont prises d'assauts. Ils quittent Bebbanburg en grand nombres.
- Que s'est-il donc passé ?
- On l'ignore, toujours pas de nouvelles.
- Uhtred s'est rendu maître des lieux, songea Aethelstan.
- Non, répliqua Uhtred le Jeune. Il n'aurait pas prit la forteresse avec trois hommes, nous avons échoués lorsque nous étions une douzaine.
- Cependant il est clair qu'il s'est passé quelque chose, il se pourrait bien que Daegan ait réussi à effrayer l'ennemi en prenant la tête du commandement. C'est depuis qu'elle a instauré ses ordres que les hommes quittent Bebbanburg, dit le Roi avant de clamer, qu'on emmène les chevaux ! Je marche en tête vers la forteresse. Il est temps d'en finir."
Mettant pied à terre de son cheval, le Roi se tourna auprès de son armée et hurla pour attirer leur attention.
" Tous avec le Roi ! ordonna Aldhelm aux soldats de Mercie tandis qu'il était fort pressé de retrouver son épouse sauve."
Glissant des gants à ses mains pour que le maniement de l'épée ne soit pas douloureux, Edward se fit alpaguer par le fils d'Uhtred qui semblait fort soucieux de la décision prise.
" Sire, les Ecossais pourraient être plus près qu'on ne le croit, ce lieu ne se prête pas à une bataille !
- D'où l'idée d'agir avant qu'ils n'arrivent, de prendre place dans la forteresse et de les combattre depuis cette position. Dieu nous offrira la victoire !
- Sire, non ! implora Uhtred le Jeune.
- Vous n'êtes pas un guerrier alors gardez vos conseils. Quittez le champ de bataille, je veux des hommes qui croient en moi."
Cessant ses mots, le frère de Stiorra se retira de l'armée afin de quitter le champ de bataille et de se mettre à l'abris plus à l'arrière. Ainsi, il aurait un regard sur le déroulement sans être blessé, et aurait le temps de fuir si nécessaire. Bien qu'il n'hésiterait guère à prier pour les âmes qui allaient être perdues, et celles qui l'étaient déjà.
" Guerriers du Wessex ! Guerriers de Mercie ! Aujourd'hui la Northumbrie devient Anglaise ! tonna Edward avant de lever haut son épée pointant le ciel. A l'attaque ! "
Au devant des portes de Bebbanburg, Daegan essuyait son front luisant de sueur dans le creux de son bras qui tenait son bouclier. Elle sentait sa main agrippant le bélier devenir faible, tout autant qu'elle. Elle combattait à la fois l'ennemi humain, et la maladie qui la rongeait. Sa gorge se faisait douloureuse à force de compter les pas et d'ordonner l'assaut du bois lourd. Sa vue se troublait par instant. Mais elle ne désirait guère lâcher. La forteresse était à son père, elle se devait de l'aider à reprendre cet héritage, d'autant plus que Aethelelm, le maitre du meurtre d'Osferth se trouvait à l'intérieur. Dans la chaleur, la souffrance et l'inconfort, Daegan fronça les sourcils. Il lui semblait entendre au loin une voix s'élever. Une voix familière tandis qu'elle sentait certains de ses hommes perdre de leur efficacité.
" N'avancez pas ! Reculez ! hurlait-on."
C'était la voix d'Uhtred, la voix de son père. La femme écarta un instant son bouclier, levant le regard vers les remparts, et aperçu dans un éclat de soleil les bras du guerrier s'agiter tandis que des flèches lui répondaient. Personne ne l'avait reconnu hormis elle. Et il lui ne semblait pas qu'il l'ait vu parmi les soldats qui tenaient le bélier, cacher derrière son écu, la chose était impossible. Cependant, si le frère de Ragnar hurlait pour que l'on approche guère des portes de Bebbanburg, c'était qu'il y avait une grande raison. Vivement, la sœur de Sihtric jeta un coup d'œil à l'arrière. Entre des bras agités et des murs de boucliers, elle put apercevoir l'armée d'Edward se faire attaquer par les Ecossais. Elle réalisa soudain que si l'ennemi avait attaqué le Roi par l'arrière, alors sans doute Constantin (enfermé dans la forteresse) attaquerait le Roi par l'avant.
" Reculez ! Reculez ! tonna t-elle à ses hommes."
Les portes de Bebbanburg s'ouvrirent soudain à la volée. Sans réaliser ce qu'il se passait, Daegan reçu un vif coup de bouclier dans le visage. Cela la déstabilisa, elle lâcha son écu et tomba en arrière, dans la fosse emplit de piques meurtriers et de cadavres. Une vive douleur lui écorcha la joue avant que son corps ne se heurte à celui d'un soldat mort, il avait l'œil transpercé d'une flèche. La fille d'Uhtred n'eut guère le temps de se relever que l'un de ses hommes lui tomba dessus. Les yeux révulsés, il avait rejoint son Dieu. Mais son poids écrasait la femme qui désirait s'extirper de cette fosse au plus vite. Cependant, d'autres cadavres tombèrent auprès d'elle ou sur elle. Bloquée, suffoquant, elle ne voyait même plus la lueur du soleil. La chaleur ressentit dans cet amas de morts, lui donnait la nausée et lui faisait tourner la tête. De ses bras, elle tenta de repousser les corps. Sans succès. Ses membres s'étaient affaiblit à cause du bélier et du port constant de son bouclier au dessus de son crâne.
" Ne me laissez pas mourir là, je vous en prie, je ne veux pas mourir là. Je ne veux pas mourir ici, ce n'est pas ma place ! Je n'ai pas fait tout ce chemin pour mourir étouffée sous les cadavres. Dieu ou les Dieux donnez moi la force qui me manque."
Une violente douleur à la poitrine la prit, de même que son estomac qui se retournait par l'horrible situation. Des larmes s'échappèrent de ses yeux tandis qu'elle se servait de ses bras et de ses jambes pour tenter de se dégager. Toujours sans succès. Abandonnant, elle décontracta ses muscles et se demanda ce que la petite voleuse qu'elle était jadis aurait fait. Comment se serait elle sortit d'une pareille situation. Elle, une enfant, dans un champ de bataille. Comment aurait elle survécu ? Fermant les yeux, elle se concentra et revit tous ses combats. Celui où Leofric avait trouvé la mort, la prise de la forteresse de Dunholm, le combat contre Haesten où elle n'avait point d'arme, celui contre Ivar. Ré-ouvrant les paupières elle sût quoi faire. La force d'un enfant ne pouvait pousser un corps, mais elle pouvait l'aider à ramper. Se tortillant comme une proie prise en cage, Daegan parvint à se retourner pour se mettre ventre contre sol (ce qui n'arrangeait guère sa douleur). Les mains dans la terre, le sang, ou sur les morts, elle s'agrippait et trainait son corps hors de sa cellule de chair. Elle se glissa, rampant, se blessa sur des lames échouées, mais après maints efforts, la fille d'Uhtred vaincue. Elle était parvenu à sortir à l'air libre. Difficilement, elle se hissa sur le ponton qui donnait accès à Bebbanburg, dont les portes étaient grande ouverte. Elle n'y jeta pas un regard, ce n'était pas l'instant de contempler l'héritage de sa famille. Reprenant son souffle, elle remarqua qu'Edward et son armée avaient été piégés auprès de la falaise qui prenait place au coté de la forteresse. Les Ecossais tentaient de les pousser au bas de la roche pour qu'ils meurent le corps brisé sur les pierres de la paroi. Daegan se devait d'apporter son aide malgré ses intenses douleurs. Cela la condamnerait sans doute, mais au moins elle serait morte dans la bataille et non piégée sous les cadavres. La femme n'eut guère besoin de siffler pour avoir son cheval. Leofric galopait déjà auprès d'elle. Durant un instant, elle posa son front sur le museau de l'animal afin de reprendre un dernier souffle avant de se jeter à plein corps dans le combat.
"Notre dernière chevauchée, bientôt je viendrai te retrouver Leofric. Nous serons ensemble à nouveau, j'ai hâte d'entendre tes histoires de guerres et j'en aurai tant à te raconter, soupira t-elle."
Se décollant de sa monture, elle l'enfourcha en se hissant sur la selle. D'un vif talonnage, Daegan fit galoper le destrier à travers le paysage. Elle sentait ses longues boucles noirs lui fouetter le dos. Dans sa chevauchée, la sœur de Sihtric se pencha un instant pour attraper une lance qui était enfoncée dans le corps d'un soldat. L'arme en main, elle ordonna à son cheval de décupler sa vitesse. Malgré les à-coups, la fille d'Uhtred parvint à se mettre accroupit sur le dos de sa monture (bien qu'elle craignait de tomber à chaque instant). Et lorsqu'elle fut assez proche de l'armée Ecossaise, la femme poussa sur ses jambes et sauta par dessus les boucliers de l'ennemi. Lance brandit, elle l'abattu dans le dos d'un assaillant, le couchant au sol et s'en servant pour amortir son atterrissage.
Piégée au milieu de l'ennemi, la fille d'Uhtred n'en avait cure et planta son hallebarde dans les corps aux alentours. Ne s'occupant guère de qui sa pointe en faisait sa victime car elle savait que tous ceux autour d'elle étaient des Ecossais. Son épieu fit plusieurs morts ou blessés avant que le manche en bois ne craque sous la résistance d'un bouclier. Grognant entre ses dents, Daegan dégaina Dent-De-Loup et donna un vif et puissant coup de pied dans l'écu qui avait brisé sa lance. L'adversaire s'en retrouva déstabilisé, ne s'attendant guère à ce qu'une femme mette autant de force dans son attaque, aussi vacilla t-il. La sœur de Sihtric en profita pour lui trancher la gorge en glissant sa lame sur sa peau. Le sang lui gicla à la figure, lui donnant un air bestiale. Tirant sa dague qui était glissée à son ceinturon, l'épouse d'Aldhelm planta (sans compter les coups) ses fers dans les chairs ennemies. Pivotant sur elle-même, elle tranchait, éventrait, égorgeait sans le moindre répit. S'accroupissant pour éviter de justesse un mauvais coup, Daegan fendit l'arrière des genoux de l'Ecossais qui l'avait prise pour cible. Une cascade rougeâtre dégoulina sur les mains de la fille d'Uhtred avant qu'elle ne saute sur l'homme pour l'achever d'un coup de dague dans l'œil. Ce mouvement si brusque lui tordu le ventre de douleur. Elle sentit une goutte de sueur rouler le long de son front tandis que sa maladie la blessait de l'intérieur. Ce court moment de relâchement fit rétrécir le cercle qu'elle s'était crée autour d'elle en sautant dans l'armée Ecossaise. Daegan se retrouva soudain poussée par des boucliers. Elle n'était même plus certaines que ses pieds ne touchent le sol, sa vision était restreinte et elle sentait ses muscles lutter pour ne point que l'ennemi ne brise ses os sous la pression de leurs écus. Elle avait perdue tout contrôle sur la situation et ne parvenait à lever son épée pour se défendre. Tout ce qu'elle savait c'est qu'on la repoussait auprès des Saxons pour la faire chuter de la falaise.
Cependant, le poids qu'exerçaient les boucliers sur son corps se fit moins fort. Sa poitrine, déjà douloureuse, qui s'était retrouvée compressé à lui en couper le souffle, fut dégagée. Daegan put inspirer pleinement une bouffée d'air et redresser Dent-De-Loup. Quant à sa dague, elle l'avait perdue dans l'assaut qu'elle avait subit. La femme ne savait ce qui s'était passé. Etait-ce les Saxons qui étaient parvenu à reprendre le dessus ? Ou bien les Ecossais avaient-ils reçu des ordres ? Elle doutait de cette dernière option car elle n'avait entendu nul cor résonner dans le paysage pour rappeler les troupes. Or, son sourire grandit sur ses lèvres lorsqu'elle aperçue, entre deux ennemis, Uhtred se battre aux cotés de ses hommes. Mais ils n'étaient pas seuls. Ce n'était pas eux qui avait fait basculé la balance. Mais bien Stiorra et son armée de Danois qui avaient rejoint la bataille. Désormais, toute la famille était sur le champ de bataille pour reprendre Bebbanburg.
Reprenant de la force, la sœur de Sihtric donna un vif coup de coude dans un assaillant, lui brisant les dents avant d'abattre son d'épée le long de son buste. Evitant le choc d'une lance la femme se laissa tomber au sol sur le dos, avant de rouler pour éviter la seconde attaque. Le soldat qui l'avait prit en chasse, venait de coincer son arme par maladresse. D'un coup des hanches, la fille d'Uhtred se remit sur ses pieds et glissa sa lame dans le dos de l'homme. Ce dernier s'écroula en s'empalant sur sa propre lance. Un cri de stupeur l'alarma soudainement. Faisant volte-face, Daegan vit Stiorra poser une main sur l'épaule de Wolland (le plus fidèle guerrier de Sigtryggr). Ce dernier venait d'être mortellement blessé et mit sa main en retour sur celle de la jeune femme. L'épouse d'Aldhelm n'eut guère le temps de s'attrister pour le guerrier tomber au combat, car un Ecossais s'approchait dangereusement de sa sœur cadette, prêt à lui donner un vif coup d'épée. Attrapant la dague au ceinturon de l'ennemi qui s'était empalé sur sa propre lance, Daegan visa et lança. La petite lame vint se loger dans la gorge de celui qui menaçait Stiorra. La fille ainée d'Uhtred aurait aimé s'approcher de la veuve de Sigtryggr, or un vif choc de bouclier dans son visage la fit chuter violement au sol.
Ses oreilles bourdonnaient, n'offrant que des bruits sourd. Sa vue était trouble. Sa tête douloureuse. Le ventre contre le sol, la sœur de Sihtric se releva péniblement en s'aidant de ses coudes. Il n'y avait que des visages flou autour d'elle, et la bataille semblait s'être ralentit. Dans ses tympans, elle entendait son cœur battre à tout rompre, accompagné d'un sifflement aigu qui lui donnait mal à la tête. A genoux sur le sol, les tresses sur le haut de son crâne s'étaient défaites. Ses longues boucles ébène et sale, lui tombaient le long du visage. Le souffle court, Daegan sentait qu'elle avait encore Dent-De-Loup dans le creux de sa paume. Son regard se fit plus nette, elle put distinguer l'herbe souillée de sang qui l'entourait. Poursuivant sa contemplation, ses pupilles rencontrèrent des bottes qui étaient devant elle et ne bougeaient guère. Relevant les yeux, la fille d'Uhtred fut au départ éblouie par la lumière du soleil avant qu'un nuage ne l'absorbe et qu'elle ne distingue les traits du Roi Ecossais, Constantin. Elle ne l'avait jamais vu, mais la couronne posée sur sa tête en disait beaucoup sur lui. Dans un geste désespéré, la femme leva difficilement son épée et tenta de se remettre debout pour asséner un coup. Or, les douleurs de son crâne ainsi que celle de son estomac, de sa poitrine et de la bataille, l'avaient grandement affaibli. Elle retomba sur ses genoux sans même être parvenu à se lever sur ses pieds, et dû s'appuyer sur Dent-De-Loup pour ne point s'écrouler en avant. Misérable, elle sentait un flot de saignement s'écouler de son nez, tandis que de sa bouche entre-ouverte par sa respiration difficile, de la bave mêlé à du sang (qui lui donnait un affreux gout de fer dans la gorge) s'écoulait le long de son menton pour aller s'échouer sur ses cuisses. Daegan était vaincue.
"Je n'ai jamais vu de femme Saxonne se mêler aux murs de boucliers, dit Constantin."
Retirant l'appuie que la sœur de Sihtric avait sur son épée, sans pour autant la lâcher, elle fit un dernier effort et ouvrit grand les bras.
" Je ne crains pas la mort, dit-elle en invitant le Roi Ecossais à lui donner le dernier coup."
Laissant ses bras lui retomber le long du corps, la femme serra fort Dent-De-Loup dans sa paume tout en fermant les yeux. Elle n'avait plus la force de combattre, plus en cet instant. Son corps la faisait souffrir, elle était à bout de souffle et à la merci d'un ennemi. Plus jeune elle se serait battu, or elle se savait déjà mourante. Au moins, elle aurait eut l'honneur de mourir sur le champ de bataille. Constantin haussa les épaules, et dégaina son épée avant de la lever vers le ciel pour trancher la tête de la femme. Il avait pour envie de la garder avec lui pour présenter à tous le visage de la première femme Saxonne qu'il avait vu combattre dans une rude bataille. Les paupières closes, Daegan attendait et inspira une dernière fois. Elle était prête. Le Roi Ecossais abaissa sa lame, or il se fit violemment bousculer, le déstabilisant et le jetant dans une troupe ennemi. Eloignée de la guerrière, et à nouveau prit dans la bataille, il ne décida guère de rebrousser chemin pour terminer son travail.
" Ne touchez pas à ma mère ! siffla une voix hargneuse."
Ne sentant guère le froid de l'épée lui trancher la chair, mais deux mains se poser sur ses épaules, la sœur de Sihtric ouvrit les yeux pour rencontrer l'agréable visage d'Aethelstan. Le jeune homme avait posé un genou à terre devant-elle et la scrutait de son regard après avoir bousculé Constantin pour sauver la vie de Daegan. Laissant, malgré elle, un soupire de soulagement lui échapper, la femme se laissa tomber dans les bras du garçon.
" Viens-tu de m'appeler mère ? s'enquit t-elle le timbre tremblant.
- Oui, c'est ce que tu es, tu l'as toujours été, depuis que tu as décidé de m'élever tu es devenue ma mère, et je suis là désormais, je vais te protéger.
- As-tu vu Aldhelm ? As-tu vu mon époux ?
- Non, je regrette."
Voyant que les Ecossais se faisaient de moins en moins nombreux, Aethelstan en profita pour passer l'un des bras de Daegan autour de ses épaules pour l'aider à se relever. Il avait pour projet de l'éloigner jusqu'à la fin de la bataille. Ils firent quelques pas, où la fille d'Uhtred put reprendre son souffle et calmer quelque peu ses douleurs par l'apaisement que lui procurait le garçon, et remarquèrent bien vite que l'ennemi s'enfuyait.
" Ils battent en retraite ! Ils battent en retraite, on a gagné mère !
- Tous les Dieux étaient avec nous, souffla t-elle en souriant avant de tourner son regard sur Bebbanburg."
L'air serein de l'épouse d'Aldhelm s'évapora comme un mirage lorsqu'elle aperçu son père courir à l'intérieur de la forteresse. Nul doute qu'il allait crier vengeance. Mais aucun des hommes de Wihtgar n'avaient prit part à la bataille, tous étaient restés cachés derrières les murs. Uhtred ne pouvait y faire face seul. C'était de la folie. Aethelstan avait suivit le regard de Daegan et avait comprit.
" Je dois aller l'aider, qu'importe les forces qui me restent, je me dois de les mettre au service de mon père, dit-elle.
- Je vais y aller, reposes-toi.
- Non ! Je serai sans doute moins rapide que toi, mais je ne resterai pas les bras croisés.
- Dans ce cas je pars devant.
- Je te rejoindrai au plus vite, fais attention, mon fils."
Aethelstan sourit quant à cette appellation, retira le bras de la femme qu'il avait autour des épaules et lui donna un baiser sur la main avant de courir en direction de Bebbanburg. La sœur de Sihtric quant à elle, rangea son épée dans son fourreau, et trottina difficilement. Une main sur son estomac douloureux, elle se devait de faire au plus vite. Bien qu'elle ressemblait davantage à une louve blessée qu'à une guerrière.
L'instant qui suivit, le bout de l'une des bottes trainant dans la poussière, ses doigts cramponnées à sa cotte de maille tant sa poitrine la faisait souffrir, et le souffle sec, Daegan pénétrait à l'intérieur de la cour de Bebbanburg. Elle s'arrêta. Levant les yeux pour contempler autour d'elle, la femme ne put empêcher sa bouche de s'entre-ouvrir et ses yeux de se mouiller de larmes. La forteresse, aussi belle que son père la lui avait décrite, était à eux. Ils avaient gagnés et avaient reprit l'héritage de leur famille. La chaleur gagna son ventre qui gargouillait de plénitude. Elle se sentait à sa place dans cette cité. Elle avait l'impression d'y avoir toujours habité. Mourir dans la bataille pour reprendre Bebbanburg aurait été glorieux, certes, mais mourir entre les murs qui avaient connus la naissance de son père, Uhtred, était un bien plus fabuleux Destin. Et c'était cela que les Dieux avaient choisi pour elle. Autrement, elle n'aurait guère survécu au combat, malgré ses nombreuses chutes et difficultés. Passant ses doigts enduit de sang séché sur ses yeux pour s'en retirer les larmes, la sœur de Sihtric se reprit en prenant une grande inspiration d'aise. Ses blessures étaient encore vives, mais être au sein de la forteresse lui donnait un nouveau souffle. Même les symptômes de sa maladie semblaient s'être atténués. Bien qu'elle en ressentait toujours l'inconfort.
" Aethelstan ! cria t-elle pour connaître la position du jeune homme."
Nulle réponse. Rabattant ses boucles ébènes en arrière, Daegan trottina à nouveau dans une direction hasardeuse. Entrant par la porte la plus proche, la fille d'Uhtred put contempler la pierre qui avait connue les nombreux passages de Beocca (Du moins, elle se plaisait à se l'imaginer). Son père lui avait raconté tant d'histoires sur cette forteresse, mais aucune n'était assez précise pour décrire la beauté de cet endroit. Fermant les yeux, la femme passa ses doigts sur les murs froids du couloir. C'était agréable, et un étrange sentiment de familiarité la prit. Après son cagibi au dessus de la taverne, Coccham et Rumcofa, elle était chez elle. Comme Leofric aurait aimé cet endroit !
" Il n'y a rien de vrai là dedans, rien du tout ? résonna une voix de jeune homme.
- Non, non, rien du tout, répondit un vieillard."
Le sang de Daegan ne fit qu'un tour. Ses dents se serrèrent, ses poings se crispèrent à en faire pénétrer ses ongles dans sa chair. Son regard s'assombrit de colère, tandis qu'elle avait reconnue là le timbre si familier de ce serpent d'Aethelelm. Ses sentiments étaient tant en ébullition, qu'elle en oublia la douleur de ses blessures, de son estomac et de sa poitrine. Le pas lourd, le souffle saccadé d'agressivité, elle se dirigea auprès de l'endroit d'où les voix sortaient. La sœur de Sihtric n'en était guère loin, et lorsqu'elle arriva à proximité d'une petite pièce où se trouvait de nombreux tonneaux d'ale, elle aperçue Aethelstan se tenant à quelques pas en arrière, Aelfweard qui portait du bout des doigt une épée guère levée et ce traitre, ce diable ! L'odieux Aethelelm. Se glissant contre le mur, la femme patienta un instant pour connaître les dires de la conversation.
" Je peux vous expliquez, dit le père de la Reine morte d'un ton brisé. La cible ce n'était pas votre mère, c'était quelqu'un d'autre.
- Elle a été tué par vos hommes ? demanda dans une presque confirmation Aelfweard avant de lever la voix dans la colère. Vous avez osez me dire que vous soupçonniez mon père de ce crime ignoble !
- Tout ça est entièrement de sa faute, il la rejetait, voila pourquoi elle a suivit les Pèlerins. J'ignorais qu'elle était avec eux, si je l'avais sû, jamais je n'aurais...Jamais, non..."
Le bruit d'une épée tombant au sol claqua dans les murs de Bebbanburg.
" Faites de lui ce qu'il vous plaira.
- Aelfweard...non...implora Aethelelm en voyant son petit fils quitter la pièce."
En vain, il disparu dans le couloir sans même se retourner auprès de son grand-père.
" Je vous ai promis la vie sauve si vous disiez la vérité, et vous l'avez dite.
- Mais moi je ne lui ai pas fait une telle promesse, siffla avec haine la voix de Daegan qui entrait à son tour dans l'endroit."
Les yeux injectés de sang par la colère, la femme avait un air bestial qui donnait des frissons sur le chair. Elle avançait d'un pas lent et lourd, tandis que tous ses muscles étaient contractés par l'agressivité.
" Par votre faute une personne que je chérissais plus que moi-même a été tué, c'était un homme bon, un homme qui donnait de l'espoir et de l'amour, il s'appelait Osferth et il est mort ! Par votre faute, l'époux de ma sœur a été exécuté après avoir été injustement accusé, le Roi Danois Sigtryggr. Et vous avez semé la discorde entre le Roi Edward et moi-même alors que nous étions jeune. Vous avez profité de bien trop de privilèges pour vos manigances, c'est fini Aethelelm. Je vous tiens entre mes griffes et je ne vous laisserai pas en échapper.
- Me voilà piégé, alors dites à mon petit fils que je n'étais pas un homme sans honneur, déclara le vieillard."
D'un vif geste, il attrapa une dague qu'il gardait caché à son ceinturon et s'apprêta à enfoncer la lame de sa gorge, jusque dans son crâne. Or, son but fut vain et sa tentative d'échapper à la cruauté avec elle. Avec rapidité, Daegan s'était emparée de l'arme. Le fer lui avait glissé le long de la paume, la coupant vivement et faisait saigner son sang par grande coulure le long de son poignet. Mais Aethelelm n'était pas parvenu à fuir par la mort.
" Je me suis promise que je les vengerais tous les deux, et en particulier Osferth. Il était mon ami, mon frère, et vous me l'avez retiré. Alors je ne vous laisserai pas la facilité du suicide pour fuir votre châtiment, cracha la femme avec haine."
Brusquement, elle retira la dague des doigts du vieillard et sans crier gare, glissa la lame le long des pupilles de celui-ci. Une flopée de sang s'échappa de ses yeux comme des larmes rouge. Aveugle, il tomba à genoux en gémissant de douleur, avant que la fille d'Uhtred ne vienne trancher la fine peau de son cou. Là où le sang s'écoulait en quantité, mais où la mort venait lentement et dans une atroce souffrance. La sœur de Sihtric attrapa dans sa paume le visage d'Aethelelm et lui pressa les joues avec fermeté.
" Je vais planter la dague non loin de vous, à vous de la trouver dans la pénombre de vos yeux aveugles pour abréger vos souffrances. Ceci sera ma seule clémence. Et si vous ne trouvez point la dague alors c'est la torture de la douleur qui vous fera mourir tant vous ne tiendrez plus."
Avec rudesse, elle relâcha l'emprise qu'elle avait sur la mâchoire du vieillard. Tournant les talons, Daegan planta la dague dans le bois du sol. Puis sans mot dire, elle quitta la pièce où seuls les gémissements de torture d'Aethlelm résonnait avec grand bruit. Aethelstan emboita le pas à la femme. Il n'approuvait pas son geste, mais en comprenait la raison. Cependant, il n'en ferait pas la réflexion à celle qu'il voyait comme sa mère, car cela n'en valait pas la peine. Ce qui était fait, était fait. D'autant plus qu'une suffocante odeur de fumée s'engouffrait dans les couloirs.
Lorsque Daegan et Aethelstan atteignirent la cour extérieur de la forteresse, ce fut avec choc qu'ils découvrirent Bebbanburg en proie aux grandes flammes dévastatrices. Il n'y avait nul espoir d'éteindre l'incendie et de sauver la structure de l'endroit. La cité était perdue. Au centre de ce feu grandissant, la silhouette d'Uhtred se dressait debout sans bouger. Wihtgar était probablement mort ou le guerrier ne se tiendrait pas là à contempler les flammes prendre son héritage le plus cher.
" Ne restons pas là ! Uhtred ! Vite ! alerta le jeune homme en accourant auprès du frère de Ragnar."
La femme le suivit d'une petite trottée car elle n'avait pas encore la force de courir comme le garçon le faisait. Celui-ci tentait par ailleurs de pousser Uhtred à sortir de l'enceinte de Bebbanburg avant qu'ils ne soient tous brûler jusqu'à la mort. Il le tirait par le bras, le bousculait, tout en lui criant qu'il fallait quitter les lieux.
" Non, je ne fuirai pas pendant qu'elle brûle, s'opposa le guerrier.
- Les fumées sont dangereuses, plus encore que les flammes, je t'en pries.
- Je m'en remet aux Dieux, peu m'importe.
- Alors fais-le pour moi, pour Daegan, je t'en pries il faut sortir, insista Aethelstan en bousculant Uhtred.
- Non ! s'opposa t-il en repoussant fermement le garçon. Ma Destinée est de mourir à Bebbanburg !"
Une main se glissa alors dans la paume d'Uhtred. Un touché doux, chaleureux, malgré des doigts rugueux et poisseux de sang encore frais. Le frère de Ragnar tourna son regard sur la personne qui lui prenait la main. Il rencontra le visage souriant de sa fille ainée, de la petite voleuse des rues, de Daegan.
" Si tu brûles avec Bebbanburg, je brûlerai avec toi, dit-elle sans hésitation et d'un ton serein.
- Non, va t-en, implora le guerrier.
- En tant que ta fille, j'ai autant le droit que toi de mourir à Bebbanburg."
Les regards du père et de la fille ne se quittèrent plus jusqu'alors. Les yeux rougis par le chagrin et la fumée, Uhtred serra la main de son enfant, et l'enferma dans sa seconde paume avant de poser son front sur celui de Daegan. Les yeux clos, ils savaient qu'ils se reverraient au Valhalla. Cependant, tombant du ciel une goutte d'eau vint s'écraser sur le crâne aux boucles ébène de la femme, elle la sentit faire son chemin jusqu'au dessus de son visage avant de rouler le long de celui-ci. Puis une deuxième suivit le même chemin, et une troisième. Le guerrier ainsi qu'Aethelstan n'en furent pas épargnés. Le tonnerre gronda. D'épais nuages avaient trouvés leur place au dessus de Bebbanburg déversant un torrent de pluie sur la forteresse. Les gouttes étaient si épaisses, si denses, si nombreuses qu'elles vinrent éteindre l'incendie qui consumait les murs de la forteresse. Dans des pleurs de soulagement, d'émotion qui annonçait la fin du combat d'une vie, Uhtred s'écroula à genoux sur le sol boueux. Daegan s'accroupit à coté de lui. Ne pouvant, elle aussi, contenir ses larmes, la femme attira son père contre elle pour l'enlacer de ses bras.
" Les Dieux sont avec toi, ils l'ont toujours été, c'était ta Destinée père ! Tu as réussi, tu as reprit ce qui te revenait de droit, Bebbanburg est à toi."
Le guerrier se laissa aller à de nombreux sanglots dans les bras de sa fille qui le serrait avec autant d'amour qu'elle le pouvait. Il était désormais seigneur des terres de son enfance.
* * *
La pluie s'était calmée, le soleil avait reprit ses droit lorsque les flammes s'étaient éteintes. Le peuple de Bebbanburg était revenu entre les murs, ainsi que plusieurs hommes de l'armée Mercienne ou Saxonne, non sans oublier les fidèles compagnons d'Uhtred, hormis Finan. Sur les marches du parvis qui menaient à la grande salle, le frère de Ragnar se tenait droit et fière, à ses cotés se trouvait Daegan. Ils observaient Constantin s'en venir négocier, tandis que le bâtard de Kjartan trainait derrière lui l'otage qu'il avait prit sur le champ de bataille. (Car chaque camp avait prit des otages en quête de négocier si la bataille se perdait) Le Roi Ecossais avait un air misérable, et depuis le violent coup de bouclier qu'elle avait reçu, la sœur de Sihtric ne le tenait pas en grande estime. Cependant, le teint fière qu'elle arborait se décomposa en voyant les otages qu'avaient prit l'ennemi en retour.
" Aldhelm, soupira t-elle d'inquiétude en voyant son époux enchainé et blessé."
Or, il n'était pas le seul qui servirait de monnaie d'échange. Uhtred le Jeune et Cynlaef étaient avec lui. Tous avaient des airs misérables.
" Sire, bienvenue à Bebbanburg, clama Uhtred. Je suis Uhtred fils d'Uhtred, héritier de cette forteresse et des terres qui l'entourent.
- Je reconnais votre autorité sur ces lieux, sur cette forteresse ainsi que sur les terres qui l'entourent.
- Un échange d'otages ?
- Est-il le même qu'au moment de sa capture ? questionna Constantin en observant l'Ecossais que Sihtric tenait fermement.
- Bien sûr, nous ne sommes pas des sauvages, je vous le rends si vous nous rendez nos hommes.
- Trois hommes contre un seul, même pour mon neveu, ce n'est pas une affaire. Je demande que vous fassiez allégeance à l'Ecosse.
- Non, n'y comptez pas, ricana Uhtred. Ces terres sont Saxonnes et les Danois y sont bienvenus.
- Elles sont fort disputées. Je ne cesserai pas de les revendiquer.
- Si vous insistez de la sorte, je peux trancher les bourses de votre neveu, peut-être que cela vous fera changer d'avis, dit Daegan en s'approchant.
- La Femme Au Bouclier, vous auriez été un grand trophée de guerre car comme je l'ai dis, jamais je n'en ai vu chez les Saxons.
- Car il n'y en a pas, ma fille est la première à revendiquer ce titre, et je puis vous assurez que vous ne souhaitez pas faire d'elle votre ennemie.
- Bien que je la tenais au bout de ma lame durant la bataille, j'admire le courage de votre fille, et accepte de procéder à l'échange, dit le Roi Ecossais en donnant un ordre silencieux à ses hommes pour détacher les otages. La sagesse devrait vous dicter de négocier pour assurer une paix durable.
- Un Roi vaincu n'est pas en position de négocier.
- Je rassemblerai plus d'hommes, je viens de perdre une bataille pas la guerre.
- Nous ne craignons pas de vous combattre, répliqua Uhtred en souriant avec assurance."
Le regard du guerrier se porta alors sur Daegan qui avait accouru auprès d'Aldhelm lorsque les otages avaient été détachés. Avec empressement, elle l'avait invité à s'appuyer sur elle tandis qu'elle s'assurait en même temps que Uhtred le Jeune et Cynalef aillent bien. Lorsque ce fut chose faite, le Général Mercien et son épouse échangèrent un bref baiser avant que l'homme ne gémisse de douleur. Cela fit réfléchir Uhtred qui songea qu'il était préférable d'offrir un avenir plus serein à ses enfants.
" Mais nous pouvons tout de même parler de la paix, déclara t-il."
* * *
Constantin avait quitté Bebbanburg avec le reste de son armée. Il avait été déclaré que la Northumbrie n'appartiendrait guère à l'Ecosse, et guère au Wessex non plus. Ce serait une terre libre, mais qui reconnaitrait tout de même la Royauté d'Edward. Cependant, seul le guerrier le savait, et il en informerait le Roi lorsque celui-ci se montrerait.
Assit sur un tonneau, Aldhelm poussa un grognement lorsque Daegan passa un torchon humide sur l'une des plaies qu'il avait au visage. Elle rit de son comportement, tandis qu'Aethelstan et Sihtric leur tenait compagnie.
" Mère n'a jamais eu la main douce, ricana le jeune homme.
- Mère ? s'enquit le bâtard de Kjartan.
- Daegan m'a élevé depuis que je suis enfant, elle est ma mère, non pas par le sang, mais elle reste ma mère et je la reconnais comme telle.
- Tant que cela ne fait pas de moi ton oncle, car je ne parviendrai guère à supporter ton mauvais caractère, pouffa Sihtric en ébouriffant les cheveux de l'hériter d'Edward."
Le garçon et la femme s'échangèrent un tendre sourire avant que celle-ci ne dépose un baiser sur le front de son époux. Elle avait fini de nettoyer le plus voyant des blessures. Le reste n'était que des os cassés qui se remettraient avec le temps. Cependant, les joies qui émanaient de partout dans la cour de Bebbanburg furent interrompues lorsqu'un irlandais frappa de son épée sur une structure de fer.
" Hé ! Que tout le monde fasse honneur au Roi ! hurla t-il."
Les conversations se turent, tandis qu'un cercle se formait autour d'Edward (il était accompagné de dame Aelswith ainsi que d'Eadith et bien évidemment de Finan qui avait alpagué l'attention de tous). Le souverain avait été sauvagement attaqué durant le combat et avait dû être extirpé avant que la mort ne le prenne. Difficilement, pour honorer le Roi, Aldhelm (en s'appuyant sur un bout de bois) se mit debout, et il reçu l'aide de son épouse lorsqu'il vacilla légèrement. Il se sentit heureux d'avoir trouvé une femme qui prenait tant de précaution à son égare.
" Mon fils qui nous a conduit à cette grande victoire ! clama la veuve d'Alfred."
Or, il n'y eut nul cri de réjouissance. Au contraire le calme se fit plus dense, alors qu'Edward s'approchait d'un pas titubant auprès d'Uhtred.
" Votre courage sur le champ de bataille sera dument vanté dans les Chroniques, c'est à vous que nous devons la vie.
- Ainsi qu'aux Danois, sire.
- Ainsi qu'aux Danois, en effet. Ils méritent de trouver la paix ici, approuva le fils d'Alfred avant de lever un ton solennel. Seigneur Uhtred de Northumbrie, je vous félicite d'avoir recouvré votre héritage. Vous avez honorez vos enfants et restauré leur avenir. Puisses ces terres se transmettre à vos descendants pour l'éternité. Que les fils de vos fils règnent et prospèrent, génération après génération !"
Les hurlements de victoire résonnèrent cette fois-ci. Tous étaient heureux de vivre, d'avoir accomplit cette grande bataille et d'avoir contribué à reprendre la forteresse de Bebbanburg. Pour beaucoup c'était un honneur.
Daegan quant à elle, abandonna un instant le coté de son époux pour se précipiter auprès de Finan. Elle plongea dans les bras de l'irlandais qu'elle avait cru mort dans la bataille. Ce dernier l'accueilli en la serrant fort contre lui, non sans lui déposer un baiser sur la chevelure. C'était agréable de retrouver les bras de cet ami qui lui était si cher.
" Je l'ai vengé, Finan, j'ai vengé Osferth, déclara t-elle.
- Alors je suis en paix grâce à toi, petite voleuse des rues de Winchester, et Osferth va pouvoir se reposer."
Les deux amis s'adonnèrent à une autre accolade avant que la femme ne quitte le coté de Finan pour se diriger auprès d'Aelswith. Cette dernière l'accueillit également dans ses bras avec une étrange familiarité.
" Vous savoir en vie me remplit le cœur de joie, dit le veuve d'Alfred.
- Mais pour combien de temps serai-je encore en vie ? Je ne suis pas morte sur le champ de bataille comme je l'avais songé. Et je n'ai guère la force d'avouer à tous que ma mort approche alors que la joie d'avoir reprit Bebbanburg est plus grande que jamais.
- Pardonnez-moi d'avance de vous demander cela, et imaginez bien que cela ne me met guère à l'aise, mais puis-je toucher votre poitrine ?"
Haussant les sourcils, Daegan ne s'attendait guère à une telle demande. Cependant, sans mot dire, elle hocha la tête en donnant son accord. Avec discrétion après avoir soigneusement regardé autour d'elle, dame Aelswith porta sa main à l'un des seins de la femme, et toucha quelques endroits avec douceur. Puis, rapidement, retira ses doigts avec un air quelque peu mal à l'aise.
" Je m'en doutais, il y a des signes qui ne trompent guère.
- Etes-vous en train de me confirmer que j'ai la même maladie qu'Aethelflaed.
- Oh non, ce n'est rien de cela, j'ai eu votre maladie lorsque j'étais plus jeune. Je l'ai même eu deux fois. J'ai passé des mois atroces !
- Je ne comprends pas, dit la fille d'Uhtred en fronçant les sourcils.
- Vous attendez un enfant, ma chère.
- Un enfant ? Mais c'est impossible, Aldhelm et moi ne sommes mariés que depuis à peine plus d'un mois, et lorsque j'ai porté l'enfant d'Ivar je n'ai guère ressentit ces symptômes. Vous devez vous tromper, ma dame.
- Je ne me tromperais jamais sur une telle chose, chaque enfantement est différent. Les symptômes peuvent être tenaces ou inexistants. Avez-vous eut vos sang récemment ?
- Non, je dois avouer qu'avec l'inquiétude de la bataille, et la prise de Bebbanburg, cela m'était sortit de la tête. Mais mes sangs n'ont pas été ce mois-ci.
- Dans ce cas, je suis grandement heureuse de savoir que vous allez être mère, Daegan, dit la veuve d'Alfred en posant une main réconfortante sur la joue de la sœur de Sihtric."
Prenant la paume d'Aelswith, Daegan y déposa un baiser en la remerciant avant de rebrousser chemin auprès d'Aldhelm avec le cœur allégé et gonflé d'un nouvel espoir. Elle attendait l'enfant de l'homme qu'elle aimait, l'homme qu'elle avait décidé de marié. On ne l'avait point forcé à s'unir à lui, c'était elle qui avait fait ce propre choix. Elle sentit sa gorge se serrer d'émotion à l'idée de se savoir bientôt mère. La famille pour laquelle elle avait prier tous les Dieux, s'en venait à elle. La petite voleuse des rues de Winchester, l'orpheline, l'enfant perdue de Leofric, la fille d'Uhtred de Bebbanburg, tous ces titres qu'elle avait porté et qui l'avait mené à cet instant. Cet instant où ses ambitions les plus chers se réalisaient. Femme Au Bouclier et mère. La Destinée était une bien étrange toile divinement ficelée par les fileuses.
Aldhelm était toujours assit sur un tonneau car il peinait à se tenir debout. Finan ainsi que Sihtric et Aethelstan étaient en sa compagnie. Tous, étaient bien heureux d'avoir survécu à la bataille. Le ventre réchauffé de joie, d'angoisse et d'émotion Daegan s'approcha et vint poser ses doigts tremblant sur les joues de son époux.
" J'ai une chose à te dire, dit-elle la voix brisée par la grandiose nouvelle.
- Qu'est-ce ? s'enquit le Général Mercien en fronçant les sourcils d'un air craintif.
- Je suis malade, et je le serai pour plusieurs mois.
- Je ne comprends pas, quel mal te ronge ? Je croyais qu'Eadith t'avait procuré les soins nécessaires, dit-il en se contractant d'angoisse.
- Ce ne sera seulement que pour quelques mois, Aldhelm, juste quelques mois, souffla t-elle en posant son front sur celui de son époux."
L'irlandais fronçait les traits d'incompréhension, tandis que la bouche du bâtard de Kjartan s'ouvrit d'elle-même et qu'une chaleur d'enthousiasme s'empara de lui. Lui, qui avait tant d'enfant, savait de quoi sa sœur cadette parlait. Et il n'y avait pas meilleure réjouissance que celle-ci. Même la victoire de Bebbanburg semblait futile désormais.
" Nous allons être définitivement lié, seigneur Aldhelm, ricana Sihtric.
- Que veut-il dire Daegan ?
- Je porte ton enfant, Aldhelm, déclara la fille d'Uhtred dans un presque murmure.
- Nous allons avoir un enfant ? questionna l'homme en se levant d'un geste trop vif ce qui le fit serrer les dents. Je vais être père, nous allons avoir une descendance ! C'est arrivé si vite.
- Je le sais, il faut croire que les Dieux me destinent à enfanter, j'ai espoir que celui-ci ne meurt pas dans le sang.
- Non, petite sœur, tu le verras naître, assura Sihtric en déposant un baiser sur le front de la femme.
- La petite fille que j'ai rencontré sur la plage va avoir un enfant, je ne peux y croire. Je n'ai guère vu les années passer, mais je suis si heureux de te voir sourire si sincèrement, ces petites marques sur tes joues lorsque tu souris m'avaient manquées, soupira Finan en posant ses grande mains sur les joues de son amie. Bien que j'espère qu'il n'aura pas le mauvais caractère de sa mère.
- Ni celui de son oncle, répliqua t-elle."
Les deux amis rirent tandis qu'Aethelstan s'approcha à son tour, félicitant Daegan avant de plonger dans ses bras comme lorsqu'il était un jeune garçon effrayé par le vent de la nuit. La fille d'Uhtred sourit en lui caressant ses boucles brune.
" Cet enfant sera ton frère, ou ta sœur, il faudra que tu le protèges lorsque Aldhelm ou moi nous ne pourront plus, souffla t-elle.
- Je les protégerai, je le promet.
- Vous faites partie de la famille, Aethelstan, approuva Aldhelm en posant une main sur l'épaule du jeune homme. Nous devrions avertir le seigneur Uhtred de cette nouvelle.
- Je suis d'accord, mais es-tu sûr que tu peux marcher ?
- Avec toi à mes cotés, je pourrais même courir."
Souriant, Daegan prit l'un des bras de son époux pour l'aider à poser un pas devant l'autre, quittant la compagnie d'Aethelstan, Finan et Sihtric. Le Général Mercien ne s'appuyait guère trop sur sa femme. Il craignait que son poids ne lui provoque une douleur, cependant, à certains instant, il n'en eut guère le choix. Lentement, ils avancèrent jusqu'à Uhtred qui échangeait avec Eadith. Cette dernière s'occupait des vivants aux plaies béantes qui avaient besoin du plus grand soin.
"Comment vont les blessés ? demanda le seigneur de Bebbanburg.
- Certains auront besoin de temps pour se remettre, répondit t-elle.
- Peut-être que vous pourriez rester vous occupez d'eux, ici, à Bebbanburg.
- Oui, peut-être bien.
- Alors cela je trouve que c'est une excellente idée, approuva la voix d'Aelswith qui s'approchait d'eux. Il est notoire que l'air de la mer est bénéfique au maux de toute sorte. Naturellement mes quartiers devront être situés coté mer.
Sur ces derniers mots, la veuve d'Alfred (qui semblait désiré rester à la forteresse) s'en retira de leur compagnie tandis qu'Uhtred fronçait les sourcils en songeant qu'il allait devoir accueillir la mère du Roi. Jamais il ne l'aurait songé, et la situation était plus qu'incongru. Cependant, il n'eut guère à penser longtemps, car bientôt Daegan accompagné d'Aldhelm s'approchaient.
" Comment allez-vous tous les deux ? questionna le guerrier en lançant un regard apaisé.
- Nous allons bien, mes blessures se remettront vite, il le faudra bien car bientôt j'aurai besoin de tout mon être.
- Vous comptez continuer de combattre pour Edward ?
- C'est un tout autre combat qui l'attend, père.
- Que veux-tu dire Daegan ?"
Lançant un bref regard à Aldhelm, la femme lui lacha le bras pour venir prendre les mains de son père. Ce dernier était surpris de ce geste, et n'en comprenait la démarche, tout comme il ne comprenait l'étrange expression que sa fille arborait sur son visage.
"Je porte l'enfant d'Aldhelm, père.
- Comment ? Je vais être grand-père ? bafouilla le frère de Ragnar.
- Mais oui, c'est logique, souffla Eadith. Pardonnez-moi Daegan, je n'ai guère envisagé cette possibilité lorsque je vous ai soignée la dernière fois. Je ne pensais pas qu'une grossesse arriverait si vite, il faut croire que vous êtes grandement fertile.
- Les Dieux m'ont fait un grand cadeau après la perte de mon premier enfant."
Uhtred serra davantage les mains de sa fille dans les siennes, et regarda cette dernière avec grand amour. Il replaça une boucle noire derrière son oreille et soupira d'aise.
" Je suis le plus heureux des pères, et je veux que tu restes à Bebbanburg jusqu'à la naissance de ton enfant. Je veux te surveiller, je veux être là lorsqu'il viendra au monde car je n'ai guère pu l'être pour ta mère, Gisela, jadis. Je veux prendre soin de toi. "
Tournant son regard sur son époux, la femme reçu un hochement positif de la tête de la part de celui-ci.
" Nous resterons, promis."
Avec amour, Uhtred déposa un baiser sur le front de la petite voleuse qui l'avait bousculé autrefois. Les Dieux le bénissaient de toutes parts. Or, les joies de cette annonce furent de courte durée car Edward s'avançait auprès d'eux. Il avait toujours son air grave et sérieux qui ne le quittait point. Le dos droit, la main appuyée sur le pommeau de épée dont la pointe dormait dans le fourreau, il ne pouvait malgré tout cacher son visage montrant les blessures de la rude bataille qui l'avait mit à terre.
" Dame Daegan, interpella t-il.
- Sire ?
- Je ne doute guère que vous comptez sans doute rester auprès de votre père à Bebbanburg durant un temps, et profiter également de votre époux. Mais je me devais de vous annoncer que j'ai décidé de mettre un terme à votre tutelle. Vous servez vaillamment le Wessex et la Mercie, vous avez élevé mon fils comme si il était votre. Vous vous êtes consacré à la paix et la bataille. Alors il est tout naturel que cette punition soit levée. Vous êtes une femme libre.
- Merci, sire.
- Cependant, j'aimerais vous demander une chose. Je sais que d'antan vous étiez proche d'un homme nommé Leofric, un grand guerrier dont mon père me parlait souvent. L'oncle d'Osferth me semble t-il. Je sais également que votre père vous avait, durant un temps, promise à Steapa. Tous deux ont malheureusement trouvés la mort, et après la trahison d'Aethelelm, je peine à donner ma confiance. Je sais que vous êtes une personne d'honneur, Daegan. J'aimerais, si vous le souhaitez, que vous preniez ce poste qu'occupait, jadis, le guerrier Leofric. Vous seriez commandante de mes armées, et la première Femme Au Bouclier du peuple Saxon et du peuple Chrétien.
- C'est un honneur, sire, je réfléchirai à cette proposition, mais je puis vous assurer que je ne serai guère disponible pour l'année qui va suivre. Aldhelm et moi attendons un enfant, et j'aimerais profiter de ma famille, surtout maintenant que je suis une femme libre.
- Un enfant ? Je suis heureux pour toi...pour vous Daegan ainsi que pour vous seigneur Aldhelm, dit le Roi interloqué de la nouvelle. Profitez de cette naissance, vous serez la bienvenue à Winchester si vous souhaitez prendre vos fonctions.
- Je ne manquerai pas de vous faire parvenir ma réponse, sire."
Et sans autre mot, Edward tourna les talons et quitta leur compagnie, bien qu'il déclara à Uhtred qu'il avait un besoin de s'entretenir avec lui d'ici peu. Le guerrier n'avait écouté que la moitié de ces mots, il était bien trop heureux d'avoir reprit son héritage et qu'un futur héritier voit le jour dans les prochains mois.
Daegan avait suivit le Roi d'un bref regard, avant de porter ce dernier sur toute l'assemblée. Même les soldats blessés souriaient et ne semblaient guère se soucier de leur mal ou de la gravité. C'était une grande victoire. Pourtant, la femme savait qu'elle avait encore une bataille à mener. Elle se nommait Stiorra. Leur dernier échange avait été plus que terrible, et l'ainée des enfants d'Uhtred désirait réparer cette chaine brisée afin que la paix repose entièrement dans son cœur. Se tournant auprès d'Aldhelm, elle l'informa qu'elle devait parler à une personne et qu'elle le rejoindrait peu après. L'homme n'émit aucun refus, et se dirigea auprès de Sihtric et Finan tandis que le seigneur de Bebbanburg avait été prit dans une grande conversation avec Pyrlig.
D'un pas lent, et sertit d'angoisse, Daegan s'approchait de Stiorra. Cette dernière, lui tournant le dos, fut informée par l'un de ses soldats Danois que sa sœur s'en venait à elle. La veuve de Sigtryggr délaissa ses hommes pour aller à la rencontre de son ainée.
" La bataille ne t'a pas épargnée, dit la cadette sans montrer signe de sentiment.
- La bataille n'épargne personne. Je suis désolé pour Wolland, mais il est mort en guerrier.
- Oui, c'est cela qui me conforte, il siège au Valhalla avec Sigtryggr. Désirais-tu me dire quelques mots ?
- Je tenais à te dire que je comprends la douleur qui te brise, je l'ai ressentit maintes fois, or elle n'était sans doute pas aussi forte que la tienne. Mais je suis heureuse que les Danois aient enfin trouvé une terre de paix. C'était ce pour quoi Sigtryggr s'était toujours battu. Il est fière de toi, j'en suis persuadée.
- Hmm...Il parait que tu t'aies mariée ?
- Oui, avec le seigneur Aldhelm il y a plusieurs semaines déjà. Nous attendons un enfant, dit Daegan pleine d'enthousiasme.
- Je le sais, les hommes de notre père n'ont de cesses d'en parler. La nouvelle se propage plus vite que la maladie.
- Je tenais tout de même à te le dire de vive voix. Car tu es ma sœur, nous sommes liés par les Dieux. Et saches que je regrette notre querelle."
Timidement, Daegan lança un sourire à sa cadette avant de prendre une inspiration et de tourner les talons, or la voix de Stiorra l'arrêta brusquement, la forçant à faire volte-face.
" Pardonnes-moi, dit la veuve de Sigtryggr. Je n'aurais jamais dû te parler avec une telle hargne. D'autant plus que tu as fait un grand sacrifice pour me maintenir en sécurité. Je te remercie, Daegan. Saches que j'aimerais me réjouir pour ton enfant, mais mon deuil me fait encore souffrir.
- Et c'est tout a fait normal. Je ne t'en veux pas, et puis je vais rester à Bebbanburg durant un moment. Sans doute aurons-nous d'autres occasions de recoudre les mailles brisées."
La jeune femme émit un bref sourire avant de s'en retourner auprès des Danois, laissant l'épouse d'Aldhelm seule. Or, elle ne le fut pas pour longtemps, car déjà une voix l'interpellait. Il y avait tant de monde qu'elle aimait réunit en un seul endroit, qu'à aucun moment elle n'avait un instant de calme. Ce qui lui plaisait. Car elle aimait voir ses proches auprès d'elle.
" Je suis heureux que Stiorra et toi parliez de nouveau."
Daegan sourit à pleine dent en voyant son frère cadet faire quelques pas vers elle pour engloutir la distance qui les séparait. Avec douceur, elle posa la main sur la joue du jeune homme. Il avait les yeux de leur père, mais le chaleureux sourire de leur mère.
" Nous ne sommes pas encore réconciliées entièrement, mais nous sommes sur le bon chemin.
- Dieu t'a montré la voie.
- Ou les Dieux, tu sais bien que je crois autant aux deux religions.
- Un mystère que je n'ai jamais comprit, je l'avoue.
- Il n'y a aucun mystère, l'on peut croire en ce que l'on veux, car à la fin ce sont tous les Dieux qui décident. Je doute que là haut, ils se querelles autant que nous autres sur terre. L'unité est la force, et cela le Roi Alfred l'avait comprit, d'où son désir de forger l'Angleterre.
- Mais il a mené des batailles parce que des peuples étaient Païens.
- Il a aussi donné un grande confiance en notre père, un Païen.
- Il est vrai que tu as connue tant de grand moments.
- Et je suis heureuse de les avoir connu, d'en avoir ressentit la joie, la peur, la douleur, c'est grâce à cela que je suis celle que je suis aujourd'hui. La première Femme Au Bouclier Saxonne.
- La première à donner un futur héritier à Bebbanburg."
Poussant un rire franc, la femme approcha son frère cadet d'elle pour l'attirer dans ses bras. Elle lui murmura à l'oreille à quel point elle l'aimait, et leur compagnie se termina ainsi.
Les fût d'ale furent ouvert et les chopes se passèrent de mains en mains. Soldats, guerriers, femmes, jeunes hommes, qu'importe tous buvaient à la grande victoire de la prise de Bebbanburg. Il y eut des rires, des cris d'enthousiasme. Chacun racontait comment il avait combattu, ou s'imaginait déjà sa future vie sur ces terres. Beaucoup désiraient rester en Northumbrie et y vivre d'heureux jours. La tête contre le torse de son époux, un bock d'ale dans la main, Daegan observait la cour de la forteresse. Finan, Sihtric racontaient à Pyrlig les passages les plus rude de la bataille. Aethelstan les écoutait en riant comme l'enfant innocent qu'il était autrefois. Dame Aelswith et Eadith bavardaient vivement sans cesser de sourire, toutes deux s'étaient liées d'une belle amitié après leurs nombreuses épreuves, car c'était elles qui avaient fuit le campement Saxon pour aller quérir les hommes de Stiorra afin d'aider Edward dans la bataille. Cynlaef avait retrouvé sa bien aimée Aelfwynn, tous deux ne se lâchaient point et seraient bientôt mariés. Stiorra se réjouissait auprès des Danois. Tandis que le Roi traversait la foule (qui s'écartait devant lui, en levant parfois des chopes à son honneur) afin de monter les quelques marches qui conduisaient au porche où se trouvait Uhtred qui tapotait chaleureusement l'épaule de son fils, Uhtred le Jeune. La femme aux boucles ébènes soupira d'aise, elle était heureuse et apaisée. Après bien des années de questionnements, d'aventures, de deuils et de joies, Daegan était comblée.
Soudainement, les mots se turent tandis qu'Uhtred avançait dans la lumière du soleil, tout en restant dressé au dessus des marches. Les regards se tournèrent auprès de lui. Le guerrier leva sa chope emplit d'ale qui pointa auprès du ciel, remerciant tous ceux qu'il avait connu et qui avait donné leur vie pour lui. Le cœur battant de fierté, les traits du visage soulagés, il clama.
" A Bebbanburg ! "
Les hurlements d'enthousiasme lui répondirent avec entrain, tandis que le seigneur de la forteresse buvait une gorgée de sa chope. Il avait reprit son héritage, comme il l'avait promis devant les grande portes de la forteresse, jadis lorsqu'il n'était qu'un jeune homme plein de fougue. Son esprit s'était assagi, mais il restait le même garçon que Ragnar le Valeureux avait décidé de prendre pour fils.
" A Uhtred de Bebbanburg, hurla Daegan en levant à son tour son bock."
Les soldats, les guerriers, ses proches, les femmes, les enfants, tous crièrent le nom du guerrier. Ils l'honoraient comme l'on honorait Odin. Dans les terres aux alentours, l'on entendait seulement résonner le nom de "Uhtred" qui claquait sur les roches, la mer, la terre. Le véritable seigneur de Bebbanburg était de retour. Or, dans l'ombre, Edward ne clamait guère cette victoire.
* * *
La Northumbrie était neutre. Ni Ecossaise, ni Saxonne ou Mercienne, mais Northumbrienne. Des terres coupés de toutes alliances, mais reconnaissantes Edward comme le Roi légitime. Tel avait été le marché qu'avait passé Uhtred avec Constantin, le Roi d'Ecosse. Le fils d'Alfred n'avait guère apprécié apprendre une telle nouvelle, car cela signifiait qu'il n'avait aucune emprise sur la Northumbrie et donc qu'il ne ferait guère honneur à son père en forgeant l'Angleterre. Or, les mois étaient passés, la rancœur avait trouvée un apaisement. Bebbanburg coulait d'heureux jours, et le peuple de Northumbrie également. Les Danois avaient construit de nouveaux villages ou s'étaient mélangés à ceux qui se dressaient déjà. La forteresse n'avait jamais été aussi florissante.
" Tu n'aurais pas dû jouer aux dés hier soir, dit Sihtric.
- Pourquoi donc ? J'ai gagné !
- Tu as trichée Daegan.
- Je n'ai pas trichée, j'ai tourné le jeu à mon avantage et j'ai gagné."
Assise à la table, dans la grande salle de la demeure d'Uhtred de Bebbanburg, frère et sœur mangeaient un peu de viande tandis qu'Aldhelm buvait un bock d'ale. Tout était calme et reposant, s'en était agréable.
" Je suis d'accord avec votre frère, engrossée telle que vous l'êtes, jouer est néfaste, dit une voix qui se tenait à quelques pas d'eux.
- Aelswith, je porte un enfant, je ne suis pas malade. Voyez comme je suis en pleine santé.
- Certes, mais jamais je n'ai vu de ventre aussi gros.
- Fort bien, Sihtric tu peux terminer la viande, quant à vous Aelswith replongez donc dans votre lecture et cessez de regarder mes moindres faits et gestes."
Posant le plat de ses mains sur la table, la femme se mit doucement sur ses jambes. Aldhelm s'empressa de l'aider à se lever. Car il était vrai que son ventre était des plus gros. L'enfant était sans doute déjà adulte pour lui étirer la chair ainsi. Aussi quelques uns de ses mouvements étaient moins aisés à réaliser. Daegan se sentait fatiguée bien plus vite, s'essoufflait en ne faisant que quelques efforts, et avait parfois le besoin d'un soutien pour faire quelques activités. Dent-De-Loup n'avait guère été dégainée depuis des mois, à la place, la fille d'Uhtred s'était trouvée une grande passion pour les jeux de pari et de dés dont elle se savaient douées, car la tricherie était facile.
" J'ai besoin de marcher un peu, mon dos est douloureux à trop rester assise ainsi, dit Daegan.
- Désires-tu que je t'accompagnes ? s'enquit son époux.
- Non, je vais bien, ne t'inquiète guère, je vais aller trouver mon père.
- N'ayez crainte Aldhelm, vous saurez lorsque ma sœur ira mal et que l'enfant naîtra, car elle se mettra sans doute à vous crier dessus sans la moindre raison, à vous frapper et probablement maudire votre nom.
- Voila qui me rassure."
Un rictus naquit sur les lèvres de la femme tandis qu'elle échangea un bref baiser avec son époux. Leur mariage était une grande réussite, car l'amour qu'ils avaient l'un pour l'autre était des plus rare. Beaucoup de jeunes filles jalousaient de cela et se mettaient à rêver de trouver un homme aussi bon et guerrier que pouvait l'être Aldhelm. De plus, bien des lieux de la Northumbrie attendaient avec impatience la naissance du futur hériter de Bebbanburg. Tous espéraient qu'il soit garçon, mais pour les futurs parents, cela leur importait peu. Ils ne désiraient qu'avoir un enfant fort et doté d'une bonne santé. A l'exemple du dernier né du Roi Edward. Un fils qu'il avait nommé Edmund.
Le sourire aux lèvres, l'esprit quelque peu rêveur, Daegan sortit de la grande demeure de la forteresse et descendit les escaliers pour arriver dans la cour. L'air du printemps se faisait sentir, et cela réchauffait le cœur après le rude hiver. Repoussant une mèche blanche dans ses boucles noires, la femme caressait son ventre avec l'impatience de connaître son enfant. Son miracle, comme elle aimait l'appeler. Jamais, lorsqu'elle était une petite voleuse de rues logeant au dessus de la taverne, elle n'aurait songée avoir une telle vie. Elle avait tant vécue, connue et perdue. De Leofric à Osferth, en songeant à Erik et Gisela, Ragnar, Thyra et Beocca, sans oublier Aethelflaed et Sigtryggr, ainsi que le souvenir de Clapa, Halig et du grand Roi Alfred. Qu'importe qui ils étaient, aucun n'avait quitté sa mémoire ou ses souvenirs. Des souvenirs qui remontaient à si loin. Elle avait encore en bouche le gout amère du jour où sa lame avait tué un Danois, alors qu'elle n'avait que huit ans. Ses joues gardaient la sensation des larmes salées qui avaient coulées pour les morts. L'enthousiasme d'avoir une famille aimante. La frayeur d'être découverte lorsqu'elle se faisait appeler garçon. L'angoisse de la bataille, en particulier celle contre les hommes d'Haesten lorsque celui-ci détenait Skade. Ce jour où elle avait supplié son frère de sang, Sihtric de l'envoyer au Valhalla car elle ne voyait pas d'autres solutions. Or, la fureur des lames et de la guerre n'avait jamais quitté le sang pulsant dans ses veines. C'était une Femme Au Bouclier. La première Saxonne à être reconnue comme guerrière, auprès de laquelle le Roi, lui-même, avait demandé service. Bien que bientôt mère, ce n'était que le début de sa vie de Skjaldmö, et elle saurait se montrer digne de ce titre.
Prise dans ses songes et ses souvenirs, Daegan ne prêta guère attention à son entourage. Ce ne fut que lorsque deux bras fort la soulevèrent du sol pour l'écarter qu'elle laissa son esprit regagner la terre.
" A l'avenir, Osbert, essaies de ne pas blesser ta sœur."
La sœur de Sihtric réalisa qu'elle s'était avancée dans le cercle d'un combat d'entrainement. Finan transmettait ses connaissances à Aethelstan, ainsi qu'à Osbert, le dernier né de Gisela. L'enfant qu'Uhtred avait refusé plusieurs années auparavant, et qui avait vécu sa vie dans un lieu religieux que Hild dirigeait. Cependant, lorsqu'Uhtred avait reprit son héritage, l'Abbesse avait jugée qu'il était temps qu'Osbert rencontre sa famille. Le guerrier avait eut grand mal au départ, mais leur lien commençait lentement à se resserrer. Bien que ce n'était que le début de leur chemin tumultueux. Or, le frère de Ragnar n'avait guère réfuté l'idée que son dernier fils vive à Bebbanburg, car il était de son sang et ne pouvait nier que c'était également son héritage.
" Ce n'est pas sa faute, je ne faisais guère attention où je m'avançais, rétorqua Daegan."
C'était une vérité, certes, et Finan avait eut bon réflexe de s'empresser de l'écarter du duel qui se déroulait entre Aethelstan et Osbert. Tous deux étaient fougueux par la jeunesse et la soif d'apprendre. D'autant plus que le fils d'Edward était revenu depuis peu à Bebbanburg, après des mois au service de son père, pour être présent à la naissance de l'enfant de sa mère adoptive.
" Qu'importe, que l'on ne fasse pas de mal à mon futur neveu, dit l'irlandais.
- Ou ta future nièce, répliqua la femme.
- Tant que cet enfant à la sagesse de son père et non l'hardiesse de sa mère, cela me convient.
- Ne me provoques pas l'irlandais, je pourrais encore te faire manger du pain brûler ! ricana t-elle avant de reprendre quelque peu son sérieux. Savez-vous où se trouve Uhtred ?
- Je l'ai vu monter sur les remparts, mère, répondit Aethelstan.
- Cela n'a rien d'étonnant, il y passe tout son temps, dit Finan. Veux-tu de l'aide Daegan pour monter les marches jusqu'aux remparts ?
- Je veux bien."
Accrochant le bras de son amie la plus chère, l'irlandais beugla à ses apprentis de s'exercer jusqu'à ce qu'il revienne, et les deux compagnons se dirigèrent d'un pas plus lent jusqu'aux grandes marches des remparts. Des marches de bois si courtes qu'elles en devenaient bien vite un supplice. Plus les escaliers se dérobaient sous leurs pieds, plus Daegan s'affalait sur l'irlandais. Elle fatiguait de plus en plus, et devait souvent se reposer. Sa grossesse n'était aucunement aisée, tout au contraire. Elle avait eut maintes douleurs, et son ventre avait tant grossit qu'elle craignait que cela soit mauvais signe.
" Il est là-bas, dit Finan en pointant une silhouette sur les remparts, je peux t'accompagner jusqu'à lui si tu le souhaites.
- Non, Finan, je te remercie mais ça va aller."
L'irlandais opina d'un mouvement de tête, passa sa main dans les boucles ébènes de la femme et s'en retira en riant. Le sourire aux lèvres, celle-ci ne put s'empêcher de rouler des yeux en songeant que jamais son ami ne cesserait ce geste. Puis, la paume sur son ventre et une autre glissant sur le bois des remparts, Daegan engloutissait lentement la distance qui la séparait de son père. Ce dernier, le regard sur les eaux lointaines ne prêtait guère attention à autre chose que les flots venant s'écraser sur les roches de la falaise où se juchait Bebbanburg.
" A quoi songes-tu père ?"
Le guerrier ne sursauta guère, et se contenta de passer un bras autour des épaules de sa fille avant de l'attirer plus à lui afin de déposer un baiser sur son front.
" Je pensais à Beocca qui m'a baptisé au milieu de cette cour. A mon père de sang, Uhtred le seigneur de Bebbanburg, que j'ai vu mourir d'une lame traversant la gorge alors que je n'étais qu'un enfant. A Ragnar le Valeureux qui m'a aimé et élevé comme son fils. A ma jeunesse, à l'incendie qui a tué ma famille Danoise..."
Ces derniers mots se brisèrent comme les flots contre la roche tandis que les larmes montaient aux yeux d'Uhtred.
" Je songeais à Iseult. A Leofric qui a été le premier à croire en moi et en toi. A mon premier fils, mort, alors que je n'étais pas là pour soutenir Mildrith, continuait le guerrier en tentant de ravaler ses pleurs. Je pensais...Je pensais à Gisela que j'ai tant aimé et que je retrouves parfois dans mon sommeil. A Alfred qui, malgré nos rancœurs, était un grand Roi. A Halig qui a trouvé une mort injuste. A ma rencontre avec Finan sur ce bateau d'esclaves, aux épreuves que nous avons traversées."
Daegan sentit son père se crisper de tristesse. Avec bienveillance, elle se serra encore plus contre lui.
" Et puis à Hild, à Ragnar mon frère et Thyra ma sœur que je n'ai pu protéger. A vous, mes enfants, dit-il dans un rire bref entre ses larmes. Au visage d'Aethelflaed, à notre amour que nous n'avons jamais pu vivre pleinement. Au sacrifice de Beocca entre ces murs et à son corps que nous avons dû laisser derrière nous. A Brida, celle que j'aimerai toujours. A tous ces moments qui ont forgés ma Destinée et qui m'ont fait seigneur de Bebbanburg en ce jour.
- La Destinée est tout, c'est toi qui me l'a dit un jour, souffla Daegan en portant à son tour son regard sur l'océan sans fond qui se dressait devant la forteresse. Tu as parcouru un grand chemin, et je suis fière d'être ta fille, jamais je ne pourrai assez te remercier de m'avoir prit pour enfant jadis. Tout cela c'est grâce à toi. Les Dieux t'ont fort justement recomposés, et ils le feront encore j'en suis persuadée."
La femme inspira une bouffée de cet air salé avant de violemment pousser un gémissement de douleur et de se courber en avant. N'ayant guère le temps de sécher les larmes de sa nostalgie, Uhtred laissa son enfant se fondre dans ses bras tandis qu'elle haletait de souffrance. Remontant les pans de sa robe, Daegan posa une main auprès de son entre-jambe. Lorsqu'elle s'en retira, ses doigts étaient quelque peu ensanglantés.
" Il est temps, père, je le sens l'enfant va naître, dit-elle entre deux geignements de mal."
Ce n'était guère uniquement le sang sur ses doigts ou son instinct qui lui criait à la naissance, mais également les gouttes mouillées qui ruisselaient sur ses jambes. Dame Aelswith lui avait expliquée maintes choses sur la venue au monde d'un enfant afin que la fille d'Uhtred n'ait aucune peur le moment venu. Et ce moment était celui-ci. Avec empressement, le guerrier prit le corps de sa fille dans ses bras et se mit à hurler dans tous Bebbanburg.
" Que l'on aille quérir dame Eadith, ma fille est sur le point de mettre au monde son enfant ! Que l'on se hâte, ou je vous briserai les os moi-même !"
Uhtred craignait que le sort de Gisela soit le même pour Daegan. Il craignait de perdre l'ainée de ses enfants. De voir mourir la petite voleuse qu'il avait prit au départ pour fils, avant de connaître la vérité et d'avoir la fille la plus vaillante qu'un père puisse espérer. Il avait peur, mais il était à Bebbanburg et tous les Dieux veillaient sur lui. L'enfant héritier de la forteresse était sur le point de naître. Et il n'y avait pas plus important que l'héritage...
...Car Sept Rois Doivent Mourir
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