06 - Cécilia
Cécilia
Samedi 28 juin
Lincolnshire
Une semaine s'était écoulée depuis cette désastreuse conversation avec le prince hériter. Si j'avais pu échapper à ma mère ces derniers jours, pour cause d'examens finaux, je n'avais plus que quelques minutes de calme avant de la retrouver. J'aurais préféré rester dans mon appartement, à Oxford, durant tout l'été. Mais papa avait insisté pour que je fisse acte de présence ce week-end. Je m'étais donc résigné à faire mes bagages et à prendre mon train ce matin. La seule chose qui me mettait un peu de baume au cœur, c'était qu'Imogen serait là, nous traverserions ce mauvais moment ensemble, tout comme le dernier.
Et le dernier, j'essayais de l'oublier. Maman n'avait pas apprécié d'apprendre que cela ne s'était pas très bien passé entre le prince et moi. J'en avais pris l'entière responsabilité, car c'était la vérité. Et même si Imogen avait fait quelque chose de mal, j'aurais de toute manière pris la responsabilité de ses actes si cela pouvait éviter maman de lui faire de nouvelle réflexion. Imogen en souffrait beaucoup alors que, de mon côté, son avis sur mon comportement me passait au-dessus de la tête.
Quand bien même, je n'étais pas très heureuse à l'idée de me faire remonter les bretelles, une nouvelle fois. Évidemment, d'après elle, je n'aurais pas dû m'entêter à défendre mon université. Et bien que je fus d'accord au moment où elle qualifia le sujet de notre prise de tête comme « fortement ridicule », je refusai de perdre ma voix pour faire plaisir à ce protocole qu'elle respectait tant.
Pourquoi aurais-je dû m'excuser d'avoir raison ?
Ce n'était même pas moi qui avais créé ce foutu classement mondial des universités après tout !
Plus je me repassais le fil de la conversation avec le prince, ainsi que celle avec maman, plus je me disais que j'avais eu raison : jamais, ô grand jamais, je ne tairai mes opinions sur quoi que ce fut. Qu'importait si le sujet de la conversation était futile ou non. Maman ni personne d'autre ne me ferait taire.
Et, heureusement, je pouvais compter sur la liberté d'esprit d'Imogen pour avoir une alliée dans cette famille. Je ne pouvais décidément pas compter sur Rose qui avait toujours été du côté de maman. Quant à papa et Abigail, que j'aimais tous deux profondément, ils étaient trop neutres pour prendre parti — bien que je ne leur avais jamais demandé —.
Je levai la tête de mon téléphone et remarquai que nous n'étions plus qu'à deux minutes de la demeure familiale. Cela me fit soupirer, bien malgré moi.
Les deux minutes devinrent deux secondes : le château apparut, telle une prison où ma geôlière m'attendait... Elle se tenait d'ailleurs en haut des marches de l'entrée. À peine étais-je arrivée qu'elle était déjà là, prête à me rappeler ma « faute » de la semaine dernière. La voiture s'arrêta et j'en sortis sans attendre. Une hésitation de ma part lui aurait trop fait plaisir.
— Bonjour, maman, la saluai-je en enlevant mes lunettes de soleil.
— Bonjour Cécilia, dit-elle sans émotion. As-tu fait bon voyage ?
— Oui, malgré le retard de mon...
— Tes sœurs et tes beaux-frères sont dans le petit salon, me coupa-t-elle la parole. Ton père est dans son bureau. Nous prendrons le thé sur la terrasse dans une dizaine de minutes. Est-ce suffisant pour toi pour enfiler une tenue plus appropriée ?
Je baissai les yeux sur ma tenue si peu appropriée. Maman exécrait les shorts en jeans... ou les shorts en général. Une Lady, d'après elle, devait porter des jupes, des robes ou des pantalons en toile. Je n'étais donc pas habillée correctement pour elle. Lorsque je relevai la tête pour lui faire savoir que, oui, dix minutes suffiraient pour que je pusse me changer, elle avait déjà disparu.
Je serrai les dents alors que je grimpai les quelques marches de l'entrée, puis les marches de l'escalier qui menaient à l'étage des chambres. J'étais tellement dépitée que je n'avais même pas pris la peine d'aider l'un de nos employés à décharger mes valises qui étaient restées dans le coffre. Je faillis faire demi-tour, mais je n'avais pas envie de la recroiser elle ou n'importe qui d'autre avant de m'être changée. Autant éviter une autre remarque stupide et désobligeante.
Je regagnai ma chambre d'un pas rapide. Si je ne voulais absolument pas rejoindre maman, je refusai qu'Imogen passât une minute de plus sans moi. D'après son dernier message, elle était arrivée depuis une trentaine de minutes. Si maman l'avait également envoyé se changer, elle devait être en bas depuis une quinzaine de minutes. Quinze minutes de trop, c'était certain.
J'entrai dans ma chambre avant d'ouvrir ma garde-robe avec hâte. Je me saisis de ma robe fétiche, une robe bleue à la coupe simple, avec quelques fleurs pour égayer le tout. Je me dévêtis et m'habillai en quelques minutes à peine. Avant de descendre, je vérifiai mon maquillage, sûrement trop chargé pour maman, puis repris mon souffle avant de sortir de la chambre.
En regardant l'heure sur l'écran de mon téléphone, il ne s'était passé que six minutes précisément depuis mon arrivée. Au moins, maman ne pourrait rien dire sur ma rapidité.
Je rejoignis le petit salon où l'on devait m'attendre, mais fis face à une pièce vide. Apparemment la « dizaine » de minutes avant de prendre le thé sur la terrasse s'était transformée en cinq minutes. Je pris donc la direction du jardin et retrouvai ma famille assise autour de la table où le jus d'orange fraîchement pressé embaumait l'air aux alentours. Je saluai chacun d'eux tour à tour avant de m'installer à côté d'Imogen comme j'avais l'habitude le faire. Je suivis la conversation sans trop de difficulté, car c'était le sujet récurrent de ces derniers mois : le mariage d'Abigail et de James, prévu pour le dernier week-end de septembre.
Je tentai, du mieux que je le pus en tout cas, de m'intéresser à la discussion, mais aujourd'hui je trouvai peu d'intérêt pour les fleurs ou pour l'organisation des différentes tables. Lorsque je semblais être en train de m'endormir, je pouvais compter sur un petit coup de pied furtif de la part d'Imogen pour m'intéresser à nouveau à la discussion l'espace de quelques minutes, avant d'être déconnectée à nouveau.
J'aimais Abigail, j'adorais James, et j'avais même une partie de moi qui était irrémédiablement romantique, mais là je n'arrivais pas à m'investir ou à trouver le moindre intérêt. Mon esprit était endormi, probablement épuisé par cette période d'examen, et j'étais irrité d'être dans la même « pièce » que maman.
La seule chose qui arriva à happer quelque peu mon attention, ce fut l'arrivée d'Esther, l'intendante de la maison, pour qui j'avais beaucoup d'affection. Je fus d'ailleurs la première à remarquer qu'elle était, probablement due à ma position qui me donnait directement vue sur la porte d'entrée. Je fus aussi la première à remarquer le choc qui se dessinait sur son visage.
— Esther, est-ce que tout va bien ? l'interrogeai-je d'une voix inquiète.
Toutes les têtes se tournèrent vers la nouvelle arrivante qui, difficilement, hocha positivement la tête. Elle leva ensuite les mains, tremblotantes, et j'aperçus le plateau qu'elle tenait fébrilement. Deux lettres y étaient déposées.
— Cela vient d'arriver, madame, s'adressa-t-elle à maman. Cela vient de la famille royale.
Maman n'attendit pas une seconde de plus pour quitter sa chaise d'un bruit sourd et se ruer sur Esther. Elle se saisit ensuite de la première enveloppe, l'ouvrit, déplia la lettre et se mit à lire. Si les traits de son visage exprimaient une certaine appréhension, ils se détendirent à mesure qu'elle avançait dans sa lecture, jusqu'à créer un rictus de satisfaction.
— Qu'il y a-t-il maman ? s'impatienta Rose avec fébrilité. Dis-nous tout, cette attente va me tuer. De qui cela vient-il précisément ?
— Cela vient du secrétariat de la Reine Mère, nous apprit-elle lorsqu'elle eut fini sa lecture. Ma tendre Abigail, nous allons devoir réétudier notre plan de table.
« Tendre Abigail » ? Grand Dieu ! Par quelle étrange créature venait-elle de se faire piquer pour parler avec autant d'affection ?
— Est-ce bien ce que je crois, maman ? intervient Abigail d'une petite voix.
— La Reine Mère nous fait savoir qu'elle sera présente à ton mariage.
Abigail lâcha un cri de surprise avant de plaquer sa main devant sa bouche, comme pour contenir d'autres petits bruits de joie et d'excitation. Elle se tourna ensuite vers James qui, tout sourire, lui prit la main et l'embrassa sur le front.
— C'est une merveilleuse nouvelle, ajouta ce dernier.
— Il va falloir tout revoir, Abigail, l'avertit maman d'une voix à nouveau sévère. Ce mariage doit être parfait. Encore plus parfait que celui de Rose, qui n'avait pas d'invités aussi prestigieux au sien.
— Je n'ai effectivement pas eu cette chance, approuva cette dernière.
Je me tournai discrètement vers Rose qui souriait. Elle attrapa ensuite son verre de jus d'orange et, alors que tous se tournaient à nouveau vers maman, mon attention était toujours portée sur notre sœur aînée dont je vis la mâchoire se crisper. Il était rare que maman eût quelque chose à redire sur elle, sur sa vie, sur ses centres d'intérêt. C'était d'ailleurs la première fois qu'elle faisait remarquer une tache dans sa vie et plus les secondes passaient, plus je voyais que cela l'avait pas mal irrité, même si elle tentait toujours de cacher son sentiment derrière son sourire forcé. Elle qui avait l'habitude d'être toujours mise sur le devant de la scène, cela devait lui faire bizarre qu'une autre de ses sœurs la devança, surtout sur un tel domaine, et bien malgré Abigail qui n'avait rien fait de particulier pour que cela arrivât. À son mariage, Rose avait également envoyé des invitations à chacun des membres de la famille royale, par espoir et par obligation. Malheureusement pour elle, les quatre membres de la famille royale les plus importants — à savoir le couple royal, la Reine Mère et le Prince héritier — n'avaient pas donné de réponses favorables, prétextant d'autres engagements.
— Est-ce que la deuxième lettre vient également de la Reine Mère ? lui demanda papa qui s'était fait particulièrement discret jusqu'ici.
Maman déposa la lettre qu'elle tenait sur le plateau avant de se saisir de la seconde lettre. Esther avait de nouveau les traits détendus et le sourire aux lèvres, elle qui avait toujours tant apprécié Abigail se réjouissait désormais pour sa future réussite.
— Il ne s'agit pas du monogramme de la Reine Mère, le contredit-elle. C'est celui du prince hériter.
— Un deuxième invité royal à notre mariage ? supposa James avec espoir.
— Ne vendons pas la peau de l'ours avant de l'avoir tué, réagit papa d'une voix calme. Allons, chère comtesse, veuillez nous régaler de cette deuxième lettre, bien que la première ait déjà enveloppé cette journée d'une merveilleuse ambiance.
Papa était très discret, mais quand il prenait la parole, il y avait toujours cette douceur, cette délicatesse et cette profondeur dans chacun de ses mots. Comme s'il les sortait tout droit d'une pièce de Shakespeare lui-même.
Maman s'exécuta. Mais, cette fois-ci, ce ne fut pas de la satisfaction qui se dessina sur son visage, mais plutôt un mélange de surprise, à nouveau, et d'étonnement.
— Je crains que tu ne doives te contenter que d'un membre royal à ton mariage, ma chère sœur, commenta Rose avec ironie.
— Certes, approuva maman, le prince ne donne pas ses intentions concernant ton mariage dans cette lettre, et je pense que Rose a raison, il y aura un seul membre royal à ton mariage, ce qui est de toute façon bien assez, je pense que nous pouvons tous en convenir. Ne soyons pas trop gourmands et réjouissons-nous de cette nouvelle. Le Prince ne viendra sans doute pas, cependant... Eh bien, c'est une invitation, pour Imogen et Cécilia.
Cette fois, toutes les têtes se tournèrent vers nous, alors qu'Imogen et moi nous nous lancions un regard rempli d'incompréhension et d'appréhension. Je fronçai les sourcils, tandis qu'Imogen me jetait un regard interrogateur.
— Eh bien, c'est inattendu, admit maman sous le choc. Mais, par je ne sais que miracle, vous êtes toutes deux invitées à la fête d'anniversaire du Prince Edward, qui aura lieu dans deux semaines. Il va falloir que nous allions impérativement vous trouver des robes adéquates, dès lundi matin. Si vous avez des choses prévues la semaine prochaine, il va falloir les annuler, car nous allons devoir vérifier que vous connaissiez tout le protocole. Esther, dit-elle en se tournant vers cette dernière, usez de votre magie pour nous avoir la liste des invités, la plus exhaustive qu'il soit. Il faut que je les prépare, il faut qu'elle connaisse tous les invités sur le bout des doigts.
Je n'eus pas le temps de digérer cette invitation à sa fête d'anniversaire, car, désormais, j'allais devoir me préparer à devoir passer la majorité de ces prochains jours avec la personne qui m'insupportait le plus dans cette famille. À cet instant précis, la seule chose qui m'animait, c'était une haine incommensurable envers le prince et son cadeau empoisonné, qui venait de transformer ces deux prochaines semaines en un enfer sans nom.
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