04 - Cécilia
Cécilia
Samedi 21 juin
Ascot
Je manquai de m'étouffer face à la question plus qu'inattendue du prince hériter. Si le fait d'être présentée au prince héritier, qui plus est par la Reine Mère, était déjà gênant et stressant, savoir qu'il avait entendu ma petite discussion avec Imogen ne faisait qu'ajouter une couche d'angoisse à la situation. Mon dieu, que pouvais-je répondre à cela ?
D'abord, il fallait arriver à reprendre ma respiration. Excuse imparable pour gagner quelques secondes et trouver, je l'espérais, une réponse adéquate.
— Cécy, est-ce que ça va ? me demanda Imogen en tapotant doucement dans mon dos.
— Ça va, crachotai-je avant de me tourner vers le prince. Je vous prie de m'excuser, Votre Altesse.
— Vous excuser ? Eh bien, c'est moi qui vous ai surprise, c'est donc à moi de m'excuser. Hormis si vous me présentez vos excuses pour une autre raison ?
Je croisai enfin son visage après l'avoir évité suite à ce petit incident. J'avais déjà aperçu le prince de loin, à l'un ou l'autre événement. Mais c'était la première fois que je le voyais d'aussi près. Si près que je pouvais déterminer la couleur de ses yeux avec exactitude : un bleu qui tirait vers le gris. Certaines de mes rares amies, au sein de la noblesse anglaise, avaient déjà été présentées au prince et ne tarissaient pas d'éloges quant à sa beauté. Je devais avouer qu'il avait un certain charme. Charme qu'il avait déjà utilisé un bon nombre de fois pour charmer plusieurs de mes connaissances. Et c'est cette dernière pensée qui eut l'effet d'une douche froide. Ça... et son titre.
— Je parlais de la conversation, monsieur.
— Pas de « monsieur », s'il vous plaît. Nous avons tous deux le même âge après tout. Et pourquoi vous excusez-vous pour la conversation ?
— Je... Car je ne voulais pas manquer de respect à votre famille en m'esquivant... En nous esquivant, me corrigeai-je en jetant un regard inquiet à Imogen.
C'était surtout un regard d'appel à l'aide, car Imogen était restée muette depuis le début de la conversation.
— Croyez-moi, vous n'avez pas à vous excuser. Pas auprès de moi du moins, ce serait bien hypocrite de ma part.
— Pourquoi donc ?
J'avais laissé tomber les « monsieur » comme demandé. C'était bien l'une des choses qui m'exaspéraient le plus dans le protocole. Devoir utiliser ce mot pour discuter avec une personne du même âge que moi, juste parce qu'il possédait un titre supérieur à celui de ma famille.
— Eh bien, parce que moi aussi je prévoyais de prendre la fuite. Hélas, je pense que cela n'est pas une possibilité pour moi. Alors, dites-moi, vous ne m'avez pas répondu. Laquelle des deux jouera au malade imaginaire ?
— Moi, émit enfin Imogen avec un certain amusement. Je suis bien meilleure actrice que ma sœur.
Je levai le sourcil et lui jetai un regard d'incompréhension. Elle qui était restée muette jusque-là, elle prenait enfin la parole pour se jeter des fleurs. Sacrée Imogen !
— Et pour quel symptôme avez-vous opté ?
— C'est encore en cours de réflexion, lui fit-elle savoir. Auriez-vous un conseil ?
— La migraine, sans aucune hésitation. Jouez sur le fait qu'il fait chaud et que vous avez dû trop boire de verres de champagne. Cela marchera beaucoup mieux qu'une indigestion ou tout autre symptôme qui impliquerait l'estomac. Cela pourrait être mal pris si on venait à penser que la nourriture est responsable de votre état.
— Excellente réflexion, conclut-elle en hochant la tête.
— Était-ce ce que vous prévoyiez de faire ? ne pus-je m'empêcher de le questionner.
— Je l'avoue, je l'avoue, dit-elle en riant. Mais comme je ne peux faire cela à ma famille, autant que mon intense réflexion puisse servir à quelqu'un d'autre. Mais, dites-moi, à qui devez-vous jouer la comédie ? Ne pouvez-vous pas, tout simplement, dire que vous voulez partir ?
— Oh non, notre mère nous tuerait !
— Imogen ! réprimandai-je ma sœur.
Imogen m'adressa un sourire gêné, se rendant bien compte de la bombe qu'elle venait de lâcher, probablement sans y réfléchir.
— Ne vous en faites pas, je ne dirai rien à Lady d'Ancaster... Si vous ne dites pas à grand-mère que j'avais les mêmes aspirations que vous. Mais, j'aimerais savoir, qu'est-ce qui vous donne envie de partir ? Les petits fours sont succulents, vous êtes dans la loge royale, ce qui est un honneur. Et je ne dis pas ça pour moi, bien évidemment, ajouta-t-il d'un air amusé. C'est un fait, beaucoup tueraient pour être invités par la Reine.
Imogen et moi, nous nous lançâmes un regard. Cette fois-ci, sa spontanéité fut retenue et j'en fus heureuse. Je n'étais pas sûre qu'il serait sage de lui expliquer, bien que poliment, que je me fichais pas mal d'être invitée par la Reine. Évidemment, je n'avais rien contre elle, car je ne la connaissais pas. Je n'avais même rien contre la monarchie, et comprenait l'intérêt qu'elle avait dans notre si beau pays. Je n'avais juste pas l'impression d'appartenir à ce mode de vie. Mais comment lui dire sans le vexer lui, son titre, et l'histoire de sa famille qui remonte à des siècles ?
— Je suis plutôt casanière, lui fis-je savoir.
Oui, c'était plus correct comme réponse. J'évitais ainsi de lui expliquer le véritable problème et faisait en sorte d'être la source de cedit problème. J'étais sûre que c'était la meilleure solution... Du moins, cela aurait pu fonctionner, si ma sœur n'avait pas éclaté de rire.
Je lui lançai un regard, cette fois-ci furieux.
— Je vous prie de m'excuser, je ne sais pas ce qui m'a pris, dit-elle aussitôt avec le teint rouge.
— Je crois que tu as bu un peu trop de champagne, lui fis-je remarquer d'une voix ferme et légèrement mal à l'aise.
— Je crois que vous devriez jouer la malade imaginaire, m'adressa le Prince Edward d'un air suspicieux. Je pense que vous êtes meilleure actrice que votre sœur. J'étais à deux doigts de vous croire. Allons, voyons, dites-moi réellement la raison de cette envie. Vous ennuyez-vous ? Si c'est le cas, je pourrais remédier à cela.
J'ignorai ce qui me mettait le plus hors de moi : son insistance pour savoir ce qu'il se tramait dans ma tête ou bien son sourire en coin qui était apparu sur son visage en nous « proposant » son aide. Désormais, c'était à moi de vouloir savoir quelles étaient les pensées qui l'avaient animé. Mais il avait toujours son sourire, et je finis par me dire que je ne préférais pas savoir.
Un prince ne devait-il pas être un gentleman ? J'aurais aimé qu'il fût plus fidèle à son alter ego des contes de fées plutôt que de pousser la conversation dans une direction que je ne voulais pas emprunter. Et il le savait, sinon il se serait contenté de hocher la tête après ma première réponse et d'ignorer le rire d'Imogen.
Comment me sortir de là maintenant ? Je ne pouvais pas mettre fin à la conversation. Je savais que le radar de maman avait dû se mettre en alerte lorsqu'elle nous avait vues en compagnie de la Reine Mère et du prince héritier. Je n'étais pas autorisée à mettre fin à la discussion, c'était le protocole. Si je partais la première, et que maman le voyait — et elle le verrait sans l'ombre d'un doute —, j'aurais droit à une engueulade beaucoup plus importante que le simple fait de ne pas être restée toute la journée.
Je soutenais le regard du prince, qui se faisait plus insistant..., et également plus perplexe. J'avais l'impression qu'il essayait de s'immiscer en moi, de soutirer la moindre pensée, et je n'aimais pas ça. Je n'aimais pas être regardée, être scrutée de cette façon.
— C'est moi qui déteste être en société, lâcha Imogen.
Je me tournai vers elle, d'un air surpris. Imogen adorait être entourée, tout comme moi. Cela dépendait juste du type de personnes. La noblesse n'en faisait juste pas partie. Si Rose s'amusait à recevoir et à se faire apprécier, ou qu'Abigail n'avait aucun problème avec ce genre de festivités, Imogen et moi étions différentes d'elles. Très tôt dans notre adolescence, nous nous étions tournées vers d'autres cercles sociaux, jugés avec un certain mépris par notre mère. Nous traînions dans les bars à tout juste dix-huit ans, faisions partie de différents groupes d'amis dont nous étions les seules à être issues de ce « rang social ». Nous nous étions trouvés dans ce style de vie, dans ces cercles, et nous prenions beaucoup de plaisir à confronter nos idées avec les autres. J'avais toujours trouvé les conversations avec mes amis bien plus intéressantes que les banalités échangées à chaque fois que j'accompagnais nos parents quelque part.
Ces moments manquaient, en quelque sorte, d'une certaine saveur. Seule la présence d'Imogen à mes côtés donnait plus de goût à ces événements. Abigail et papa aussi y contribuaient. Mais depuis qu'Abigail était fiancée, elle avait moins de temps à m'accorder. Quant à papa... Disons que maman n'était jamais bien loin.
Imogen était ma bouffée d'air frais, et j'étais la sienne.
— Et Cécilia doit réviser pour ses examens de fin d'années, ajouta ma sœur avec franchise. Nous nous sommes donc entendues pour mettre fin à ces festivités, d'un commun accord, afin que je puisse retourner dans ma grotte et qu'elle puisse aller réviser.
Je reportai mon attention sur le prince. Celui-ci fronça légèrement les sourcils avant d'acquiescer d'un signe de tête.
— Je comprends très bien. Dites-moi, dans quelle université êtes-vous ?
— Dans la meilleure université d'Angleterre, répondis-je du tac au tac.
— Oh, vous êtes à Cambridge aussi ? m'interrogea-t-il avec un sourire.
— Non, je suis à Oxford.
— Vous avez dit la meilleure université d'Angleterre.
— Oxford est la meilleure université d'Angleterre.
— Je crains de vous contredire, mais il s'agit de Cambridge.
Il avait dit ça avec une certaine fermeté dans sa voix. C'était comme s'il pensait mieux savoir que moi... et c'était bien une chose que je ne supportais pas, surtout de la part d'un homme. Je ne pus donc pas m'empêcher de reprendre ma parole, sur le même ton que lui.
— Je vous invite à faire vos recherches dans ce cas, Oxford est la meilleure d'Angleterre, et elle fait partie du top cinq mondial. Cambridge est à la sixième position, et ce depuis des années.
Le prince resta là, bouche bée. Le silence s'installa tant entre nous trois que je finis par entendre Imogen siroter son champagne comme s'il s'agissait d'un cocktail. Je pouvais presque percevoir la fumée qui sortait des oreilles de mon interlocuteur. Il semblerait qu'il n'avait pas l'habitude de se faire contredire. Mais qu'attendait-il de moi ? Je n'allais pas hocher la tête juste pour aller dans son sens, je m'en refusais ! C'était bien l'une des choses qui me désespérait ici aussi : devoir restreindre mon opinion... et, encore une fois, me contenter des banalités.
Non, je n'allais pas rebrousser chemin ni même m'excuser. Après tout, ce n'était même pas moi qui clamais qu'Oxford était la meilleure université du monde, c'était un classement mondial qui était établi grâce à des recherches et un calcul bien précis.
— Je devrais rejoindre ma sœur, je crois.
Pourtant, il n'en fit rien. Il attendit là, m'observant, attendant... Mais attendait quoi exactement ? Pensait-il réellement que j'allais m'excuser ? Que j'allais le retenir ? Peut-être que toutes les filles à qui sa grand-mère l'avait présenté devaient agir de la sorte avec lui, mais ce n'était pas mon cas. Je n'étais ni attirée par lui ni par son titre.
— Lady Imogen, Lady Cécilia, nous adressa-t-il avec une certaine gêne, je vous souhaite une bonne journée. J'espère que vous serez libérées suffisamment tôt.
— Merci...
Le mot d'Imogen était sorti d'une petite voix, mais le prince avait déjà tourné les talons et rejoignait sa place. Je sentis ensuite le regard pesant de ma sœur se poser sur moi.
— Tu viens de rembarrer le prince hériter.
— Oui, je crois que je l'avais remarqué...
Une partie de moi s'en voulait... Non, une partie de moi avait peur de la réaction de maman si elle apprenait ou comprenait ce qui venait de se passer. Et si notre échange avait des répercussions sur toute la famille ? Et si le prince était rancunier ?
— Il était sympa au début... Mais dès que vous vous êtes mis à parler des universités, il a eu un petit air suffisant, presque arrogant même. Je crois qu'il n'a pas l'habitude qu'on lui tienne tête.
Les mots d'Imogen furent un réel réconfort pour mon cœur. Je n'avais donc pas été la seule à remarquer son changement de comportement de par sa manière de me parler ou même de me regarder.
— C'est dommage, c'est vrai qu'il est plutôt mignon. Et il a un assez joli cul.
Je clignai plusieurs fois des yeux avant de poser mon regard sur Imogen. Avais-je bien entendu ou avais-je imaginé ces derniers mots ? À en croire son sourire amusé, elle venait bien de complimenter les fesses les plus convoitées du royaume. Sans attendre, nous échangeâmes un rire, ce qui me permit de me détendre... Jusqu'à croiser le regard de maman, à quelques mètres de là, qui se dirigea vers nous sans attendre, visiblement remontée.
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