III 3. PIANISTE ET ACCORDÉONISTE
— Et c’est quoi l’histoire avec Mallory ?
— Exactement la même. Alors qu’elle me promettait de me faire vivre une expérience inédite, elle disait la même chose à ce suppôt de Satan. Elle l’a également dupé, et il a mangé le fruit. Nous voilà mal barrés, raides dingues d’une femme que nous ne pouvions pas avoir. Et comme tu le sais, l’amour et la jalousie sont les revers d’une même pièce...
«Quand j’ai appris l’affection du démon pour Nora, j’ai pété un plomb. Lui et moi nous sommes livrés un combat sans merci, pour savoir qui gagnerait le cœur de Nora. Et nous avons été bannis. La Terre est notre prison. »
— Mais pourquoi cette Nora a-t-elle fait ça ?
— Elle disait qu’elle s’était entichée de nous deux, mais je crois plutôt que c’était de l’orgueil. Avoir un ange et un démon qui se frappent dessus pour elle, que rêver de mieux ? Elle a corrompu mon âme et volé ma candeur. Et je l’ai laissé faire…
— Tu ne pouvais pas savoir. C’est difficile de ne pas pouvoir aimer quelqu’un. C’est la pire malédiction sur Terre. Je comprends la haine entre Mallory et toi. Mais qu’est-ce que le conservatoire a à y voir ?
— Aux portes de Brightwood, exactement à la frontière entre les trois mondes, l’un des chérubins qui garde l’entrée nous l’a soufflé. Il a dit « la clé se trouve à Gelsomino ». Et Mallory et moi nous nous sommes retrouvés ici.
« Mais le conservatoire a été ensorcelé il y a très longtemps par les premiers directeurs. Pour rester ici, il faut avoir un lien avec la musique. Chanter ou enseigner…c’est la règle. Voilà pourquoi nous nous sommes glissés dans la peau d’étudiants. Et la directrice nous a envoyé en troisième année. Et au lieu de continuer à servir loyalement mon maitre, je me retrouve ici, à manger des yaourts glacés insipides. Humiliant…»
— Rien de tout ça n’est de ta faute, réitéra Céleste.
— Non, effectivement. La faute à l’amour…mais plus nous restons ici, et plus nous devenons humains.
Comme pour corroborer ses paroles, il prit la paume de main de la violoniste, et la posa sur sa poitrine. En se concentrant, Céleste put déceler un battement, assez lent et si faible qu’il était quasi-inexistant.
— Ma peau commence à se réchauffer, expliqua Bridge, et mon cœur bat déjà. Plus le temps passe, et plus je perds de mon essence divine. Il me faut rentrer au plus vite. Et ce n’est pas tout…la nouvelle est en train de se propager dans les trois mondes. Bientôt, des créatures viendront ici, dans l’optique de nous kidnapper Mallory ou moi.
— Et pourquoi ? s’inquiéta Céleste, qui engloutissait à présent une grappe de raisins verts.
— Parce que les larmes d’une créature divine sont la drogue la plus puissante qui puisse exister ; et son cœur rend immortel… notre chagrin rend euphorique et notre mort donne la vie éternelle. Voilà pourquoi.
— Alors, le temps presse. Vous devez à tout prix trouver un moyen de rentrer chez vous. Et je suis la seule à pouvoir vous aider…parce que je suis la seule à savoir ce que vous êtes.
— Je pense d’ailleurs qu’on a notre première piste, songea Bridge. Tu te souviens de nous, et je vais savoir pourquoi…
Bridge Brightwood avait raison, quand il faisait part du danger dans lequel lui et Mallory se trouvaient. Plusieurs créatures malfaisantes étaient déjà au courant de leur bannissement, et certains étaient effectivement prêts à tout pour les cœurs de cristal.
Parmi ces créatures, une sorcière qu’on connaissait dans les trois mondes sous le nom de Draconnia Falcon. Draconnia était un monstre, au sens littéral du terme. Elle ne connaissait pas la compassion. Le remords ne faisait pas partie de son vocabulaire. Elle était prête à tout pour arriver à ses fins.
Au fil des siècles, elle s’était forgée une réputation de danger public numéro un. Meurtres de sang froid, possessions démoniaques, magie noire, elle excellait dans tout. Grâce à sa férocité et sa puissance surhumaine, elle avait réussi à créer un sort qui lui avait permis de perdurer pendant près de sept cents ans, en gardant son corps de jeune fille splendide et candide.
Mais elle n’était pas dupe. Draconnia savait qu’elle n’était pas immortelle. Ou du moins, pas encore. Après sept cents ans à chercher comment faire, voilà que la réponse lui apparaissait sous un plateau d’argent. C’était décidé, les cœurs de cristaux lui appartenaient. Et quiconque essaierait de se mettre à travers de son chemin, il le paierait de sa vie…
***
Deux jours plus tard, Céleste était arrivée au conservatoire avec une demi-heure d’avance. La veille, elle n’avait pas eu de force pour s’entrainer, mais elle devait à tout prix se rattraper. Voilà pourquoi elle était là, dans la salle d’instrument, à élimer son violon grâce à la force de ses bras et sa volonté de fer.
Malgré tous les bouleversements qu’elle connaissait en ce moment, il était hors de question qu’elle relâche le rythme. Bridge et Mallory rentreraient chez eux un jour ou l’autre. Et elle, elle serait seule face à son CSM. Elle ne devait laisser aucune distraction entraver ses études. Sinon, elle le regretterait amèrement.
Après l’entrainement, elle fila dans les vestiaires et enfila son maillot de bain. Elle avait cours de sport avec la professeure Aya. Elle se souvint de sa prestation de vendredi dernier, qui n’était pas très fameuse. Dernière de la course.
Elle ne pouvait pas se permettre d’être dernière, ni en natation, ni aux CSM. Échouer était un luxe qu’elle ne pouvait se permettre. Lorsqu’elle arriva à la piscine du sous-sol, elle ajusta les plis de son maillot vert citron. Elle coiffa sa chevelure imposante dans son bonnet de natation, et enfila ses lunettes.
Le sous-sol était légèrement plus chaud que le reste du conservatoire, à cause du chauffage qui tournait à fond. Devant Céleste, l’eau bleu brillait d’une lueur réconfortante, en ce reflétant sur le plafond blanc. Il y avait un banc en noyer qui longeait la piscine sur toute sa longueur.
En plissant des yeux, Céleste remarqua que quelqu’un y était assis. Elle ôta ses lunettes, et découvrit Diégo à l’autre bout de la pièce. Elle alla à sa rencontre. Il était tout mouillé, uniquement vêtu d’un short de bain rouge qui moulait ses cuisses et dessinait son entre-jambe.
— Tu es arrivé il y a longtemps ? demanda-t-elle en s’asseyant près de lui.
— Mon père est reparti tôt ce matin, et je n’avais plus la tête à me rendormir, expliqua le blond avec une pointe de tristesse dans la voix.
— Ça va ?
— Non, Céleste ! hurla-t-il presque. Non, ça ne va pas. on est censé être meilleurs amis. Et toi, tu as passé toute la journée d’hier et d’avant-hier avec ce nouveau blond canon.
— Diégo…
— Tu es rentrée hier sans me dire au revoir, tu te rends compte ? C’est moi ton meilleur ami. Pas ce…Brice ou je ne sais quoi.
— Si tu étais venue vers moi à l’heure de rentrer, on serait rentré ensemble. Enfin, où il est le problème ? Ton chauffeur est bien venu, non ?
— Tu n’acceptes jamais tes torts, c’est ça le problème.
— Là, dans ce cas, je n’ai pas tort, s’énerva la noire. Et tu devrais te ressaisir, sinon je trouve une autre personne pour mon duo.
Sa menace ricocha en écho avant de se noyer dans l’eau. Diégo la regarda d’un air estomaqué. Elle soutint son regard, jusqu’à ce que les autres étudiants arrivent aussi dans la salle nautique, suivis de la directrice. Elle était comme d’habitude, perchée sur des hauts escarpins qui résonnaient dans l’immence pièce à chacun de ses pas.
Une jeune femme marchait sur ses pas, d’un air assuré. Elles se positionnèrent devant le peu d’élèves qui étaient déjà arrivés.
— Bien le bonjour, grogna-t-elle. si je suis ici, c’est pour vous annoncer un changement de dernier minute. Suite à un accident domestique, la signora Aya ne pourra plus vous suivre en sport.
Des murmures de joies et de tristesse s’emmêlèrent dans les airs.
—Mais ne vous inquiétez pas, continua madame Océano, j’ai eu une remplaçante in extremis. Par conséquent, le cours ne sera pas annulé. Permettez-moi de vous présenter la signora Falcon. Elle tiendra l’interim jusqu’au rétablissement de la signora Aya. Je vous laisse faire plus ample connaissance.
Elle sortit de la pièce sur le pas de course, sans avoir omis de dire quelques mots à la nouvelle enseignante. C’était une femme élancée aux cheveux noir corbeau avec une mèche blanche sur le côté. elle avait de petits yeux bridés marrons, et les lèvres grisâtres.
Quelques rides traversaient son visage, et elle avait porté une combinaison de natation bleu nuit, qui moulait entièrement son corps.
— Je suis la Signora Draconnia Falcon, tonna-t-elle d’un air souriant. Vous et moi, on va bien s’amuser. Mais premièrement, j’ai entendu dire qu’il y avait deux nouveaux étudiants. Est-ce que je peux les voir ?
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