III 2. PIANISTE ET ACCORDÉONISTE
La tension était palpable dans la salle. Et seule la musique de Mallory pourrait la relâcher. Aussi, ses premières notes d’accordéon eurent l’effet d’un claquement d’élastique dans la salle d’instruments.
Alors que la main droite du démon dansait sur le clavier chant, la droite accompagnait la mélodie en domptant le clavier d’accompagnement. Le soufflet rouge quant à lui, se serpentait au gré de la musique envoûtante, comme une ballerine qui dansait sous le rythme de sa musique préférée.
Tout le monde était émerveillé, captivé par le son grave de l’accordéon. Et lorsque Mallory accéléra le rythme, Céleste sentit son cœur s’écraser dans sa poitrine, et ses tripes furent entièrement retournées. La magie de l’accordéon. Elle en avait souvent entendu parler. Mais c’était la première fois qu’elle assistait à ça.
Une musique aussi douce, aussi puissante qu’elle était capable de tordre le corps et de catapulter l’âme. Quand il termina sa prestation, la professeure fut la première à applaudir. Elle tapa des mains si fortement que tout le monde se demanda si elle n’avait pas mal. Elle fut bientôt suivie par les autres étudiants, et une explosion d’ovations se fit entendre.
— Quelle technique, quelle force ! s’exclama-t-elle. Époustouflant. Époustouflant ! Je noterais son nom sur le tableau, il vient d’obtenir la représentation à l’hôpital. c’est ton solo, Mallory. Tu es brillant. C’était brillant.
Le jeune homme rejoignit les rangs de son air insolent. Il n’avait même pas salué son public, remarqua Céleste. Quelle impudence !
En réalité, elle était énervée parce qu’il venait à son tour de lui piquer la représentation pour laquelle elle s’était entrainée. Il n’en manquait plus qu’une, et elle risquait de la perdre celle-là également. Elle voulut pleurer. Mallory jouait bien, ça c’était un fait.
Mais c’était un démon, une créature surnaturelle. Il faisait de tas de choses, sans se forcer. Il n’avait pas besoin de travailler, il ne méritait pas ce privilège.
Quand arriva l’heure de la pause, Céleste fonça à la cafétéria, se promettant de ne jamais adresser la parole à ce démon craquant du nom de Mallory. La cafétéria était une vaste pièce entièrement blanche, murs comme plafond.
Elle était parsemée de tables de bois entourées de chaises noires, de la même couleur que les luminaire qui pendaient au plafond. Les grandes fenêtres laissaient entrer une quantité phénoménale de lumière, tout en donnant une belle vue sur le parc du conservatoire, avec ses couleurs automnales chatoyantes, et sa fontaine centrale surmontée d’un cupidon de grès qui urinait.
Céleste croqua dans sa pomme, les nerf complètement en pelote. Autour d’elle, les autres étudiants discutaient joyeusement entre eux. Eux au moins, ils n’avaient aucun problème. Ils ne s’étaient pas faits piquer leur représentation sous le nez par un petit nouveau. Ils n’étaient pas en compétition avec leurs mères adoptives, eux.
— Tu fais toujours ça ? t’enfuir en courant de la salle de cours.
Céleste leva un regard vers celui qui venait de poser son plateau repas face à elle, et soupira d’exaspération.
— Il faut à tout prix que vous rentriez d’où vous venez.
— Je ne demande que ça, répliqua l’ange en avalant une cuillère de yaourt glacé.
— Non mais sérieux, Mallory vient de me piquer ma représentation. Il joue certes très bien à l’accordéon, mais ce n’est pas une raison. Cette représentation était la mienne.
— Techniquement, pas vraiment…
— La ferme, Bridge. Dit-moi plutôt ce que lui et toi avez pu faire, pour être bannis et vous retrouvez dans un conservatoire de musique.
— Bonne idée, plaisanta le blond. Il faut déjà que tu comprennes, que le cœur des anges est fait de cristal, et…
— Ça, tu me l’as déjà dit.
— Celui des démons est fait également de cristal, mais du cristal noir. De par notre configuration anatomique, il nous est impossible de tomber amoureux. Sauf si bien sûr, on mange le fruit de l’arbre de l’amour. Ce qui nous était interdit…
— Cette histoire m’est familière…
— J’ai rencontré une femme. La plus belle qui puisse exister par-delà le firmament. Elle s’appelait Nora. Elle et moi sommes devenus de bons amis. De très bons amis, même…
— Je vois le tableau, sourit Céleste en croquant la dernière bouchée de sa pomme verte. Bridge lui tendit généreusement la sienne.
— J’aurais dû me douter que Nora était un spectre. Les spectres sont des humains morts, mais qui ont échappé à l’emprise de Vanek, l’ange de la mort. Quand un esprit n’est pas conduit à son lieu de résidence définitif, il peut errer dans les trois mondes impunément. Sur Terre, à Brightwood et aussi à Darkwood.
« Je croyais que Nora était un ange comme moi, ou du moins une créature céleste. J’étais loin de me douter que c’était un maraudeur. Elle a réussi à corrompre mon esprit, jouant sur le point faible de toutes les créatures de Brightwood, les sentiments...»
«Nous ne pouvions éprouver aucun sentiment, sinon de l’adoration pour notre créateur. Nora m’a fait croire en un amour que je ne pouvais ni voir, ni ressentir. Et j’ai mangé le fruit…»
— Et...c’est quoi l’histoire avec Mallory ?
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