II 2. LES NOUVEAUX ÉTUDIANTS
— Aujourd'hui, nous accueillons deux nouveaux étudiants dans notre conservatoire de musique Gelsomino.
— En fin d’année ? s’étonna le vieux professeur de technique vocale.
— C’est singulier, je vous l’accorde. Mais ils sont très brillants. Je les ai moi-même évalué. Voici tout d’abord Bridge Brightwood.
Un adolescent traversa la porte, et la respiration de Céleste se coupa. Ses cheveux blonds n’avaient plus la même longueur ; ses yeux n’étaient plus aussi bleus, et il n’avait plus d’ailes derrière le dos ; mais elle le reconnaissait. C’était l’ange de la veille. Celui qui l’avait suivi.
Il était tellement différent. Quand elle l’avait vu, elle ne savait même pas qu’il pouvait sourire. Et pourtant, là, il souriait bien à toute la classe.
— Monsieur Brightwood nous vient du conservatoire Blue Stakes de New-York. Son père a déménagé, et il est contraint de passer son Certificado di Studi Musicalis ici. Veuillez lui réserver le meilleur accueil possible. Et voici le second. Il s’appelle Mallory Darkwood. C’est le cousin de monsieur Brightwood. Il vient également du Blue Stakes de New-York. Soyez gentils avec les nouveaux, ils auront également beaucoup à vous apprendre. Sur ce, bonne journée.
Elle sortit de la classe, alors que les deux nouveaux rejoignaient les sièges à l’arrière de la salle. Céleste suivit Mallory des yeux. C’était sans nul doute le deuxième ange, celui aux ailes noires.
Il était ténébreux, c’était le moins qu’on pouvait dire. Ses cheveux noirs étaient figés par du gel coiffant, et ses yeux oscillaient entre le marron et le rouge ; singulier, songea-t-elle. Les deux premiers boutons de sa chemise bleue claire étaient ouverts, et il offrait une vue plongeante de son torse légèrement poilu. Céleste sentit une bouffée de chaleur frapper dans son ventre.
Mallory avait également un bandana rouge noué en foulard autour de son cou. Céleste songea qu’elle n’avait jamais vu d’homme aussi craquant depuis la nuit des temps. Tout en lui inspirait sexualité, alors que Bridge était plutôt l’incarnation de la sensualité.
Céleste en était sûre, ces deux là étaient les anges destructeurs de la veille. Ils étaient certes différents, mais elle les reconnaissaient. Et elle se promit d’aller les voir à la fin du cours.
Finalement, elle fut désignée par le professeur pour exécuter le curbing, et elle se planta. Sans surprise, Adryan se moqua d’elle et sa vanne amusa également Mallory. Céleste ne s’était jamais sentie aussi empotée qu’à cet instant. Elle n’avait qu’une envie, celle de disparaitre sous le plancher.
Quand la cloche sonna, elle fut la première à déguerpir de la salle de classe. Elle se réfugia dans les vestiaires, et s’appuya contre son casier. Elle respirait comme si elle avait couru un marathon.
Comment pouvaient-ils surgir ici, mettre tout en morceau, effacer la mémoire de Diégo, et revenir le lendemain en tant que nouveaux étudiants, comme si de rien n’était ? Mais enfin, c’était illogique, insensé… c’était absurde !
Des cousins. Ils disaient être des cousins. Non, des cousins ne se bagarraient pas avec autant de ferveur. On aurait plutôt dit des ennemis jurés la veille. Pourquoi étaient-ils là ? Que voulaient-ils ?
Céleste essaya de se rassurer qu’il n’y avait rien de grave. Bientôt, d’autres étudiantes entrèrent dans les vestiaires, et commencèrent à se maquiller en face des grands miroirs aux bordures revêtues de bois de noyer. Elle inspira, et sortit son gloss de son sac à dos. Elle en appliqua sur ses lèvres, et renforça son eye-liner. Elle ne devait plus penser à Bright et Mallory.
Qu’importe qui ils étaient, ça ne la regardait pas. Tout ce qui la regardait, c’était son CSM. Elle n’avait pas le droit à l’erreur. Elle avait quarante-cinq minutes de libre avant le cours de formation instrumentale. Elle devait en profiter pour reviser sa sonate.
Chaque semaine à Gelsomino, cinq représentations étaient offertes aux étudiants qui le méritaient. Celle de l’orphélinat, la prestation du vendredi soir à l’auditoire, le duo de l’hôpital, et le plus important, le concert du parc d’attraction. Ces représentations étaient comme le saint Graal du conservatoire, la chance de se produire devant un public.
Autant le dire la concurrence était rude parmi les troisième cycle, pour savoir qui ferait quelle représentation. Ce qui mettait Céleste en rogne, c’était que monsieur Pigrizia venait d’offrir le concert du parc à Adryan. Elle s’était tellement battue pour l’avoir, et l’avait perdu. Maintenant, il fallait à tout prix qu’elle obtienne une autre représentation, sur les deux qu’il manquait. On était déjà mercredi, et elle n’avait encore rien. C’était très décevant pour elle.
Elle se dirigea vers la salle des instruments, qui devait être vide à cette heure. Du moins, elle l’espérait. Chance pour elle, c’était le cas. Si elle voulait bluffer la signora Selvaggio, il ne devait avoir aucun faux pas dans sa prestation. et elle y comptait bien. même si la professeure de formation instrumentale était difficile à convaincre, il fallait qu’elle y arrive. Elle devait prouver à tout le monde qu’elle était la reine du violon, la virtuose la plus talentueuse de Gelsomino.
Elle posa le violon blanc sur son épaule, et arma l’archet dans sa main gauche. Lorsque la lame glissa sur les fils tendus, le son rauque qui s’en échappa lui arracha un soupir. Elle ferma les yeux, laissant la musique l’envelopper comme un châle précieux qu’elle avait elle-même tissée.
Elle laissa les notes danser autour d’elle. elle les voyait presque s’envoler, s’évanouir dans l’atmosphère automnale fraiche. Il n’y avait rien de plus beau, rien de plus exaltant que de jouer. Céleste s’était déjà décidée. Elle se spécialiserait dans le maniement du violon.
Même si à Gelsomino on était obligé de maitriser tous les instruments jusqu’à l’obtention de son CSM, Céleste avait déjà pris sa décision. Et ça n’avait rien à voir avec sa mère ; ou du moins pas totalement. Elle aimait le violon. Elle adulait cet instrument. Et jamais elle ne s’en séparerait. Non, elle ne pourrait pas.
— Tu es douée.
Céleste sursauta presque, et la lame grinça désagréablement sur les cordes du violon. Elle ouvrit les yeux, et se retourna. Elle reconnut instantanément la touffe blond d’or et les prunelles bleues du nouvel arrivant. Elle déglutit. Il était adossé sur le pas de la porte aux stries bronzées. Son uniforme lui allait magnifiquement bien. même étant humain en apparence, il restait un surhumain.
— Ça ne se fait pas de surprendre les gens comme ça, répliqua Céleste en baissant son archet.
— Bridge Brightwood, se présenta-t-il.
— Je sais, j’étais au cours de technique vocale. Tu m’as bien vu, je me suis plantée devant toute la classe.
— Je n’avais pas du tout remarqué, plaisanta-t-il en entrant dans la pièce.
Céleste ne put s’empêcher de la dévisager. Son visage était d’un blanc légèrement hâlé. Il n’y avait aucun défaut sur lui, personne de si parfait n’existait. Elle l’observa s’asseoir sur le tabouret garni de damas vert devant le piano. Il fit mine de se dégourdir les doigts.
— Qu’est ce que tu fais ?
— Tu ne m’as pas dit comment tu t’appelais, tonna-t-il en appuyant aléatoirement quelques touches du clavier musical.
— Céleste Pastorella, murmura-t-elle d’un air légèrement rêveur.
En effet, elle songeait que le profil gauche de Bridge était sans aucun doute son meilleur. La lumière du soleil donnait à son visage un aspect singulier, et renforçait le jaune blé de sa chevelure soyeuse.
— Puis-je t’accompagner au piano, Céleste Pastorella ?
— Je préfère jouer en solo, dit-elle du tac au tac.
Mais on aurait dit que Bridge ne l’écoutait plus. Déjà, ses doigts s’étaient mis à glisser sur les touches du piano, avec une aisance telle qu’on aurait dit qu’il avait fait cela toute sa vie. Céleste resta tout d’abord captivée par ce tableau pittoresque.
Si un étudiant du département des arts était là, il n’aurait pas hésité à capturer ce demi-Dieu sur une toile ; même s’il n’aurait sans doute jamais pu synthétiser ce blond particulier sur sa palette de couleurs.
— C’est toi que j’attends, Céleste.
Elle sembla se ressaisir, et posa son violon sur son épaule. Elle le coinça avec son menton, et ferma les yeux. Naturellement, l’archet trouva sa place sur les cordes, et la magie ne tarda pas à opérer. Ils jouèrent pendant un bon bout de temps, pendant lequel Céleste n’hésita pas à improviser, chose qu’elle n’osait jamais faire avec Diégo, de peur de l’embrouiller.
Mais Bridge s’était naturellement calé à sa fréquence. Quand elle accélérait, il le faisait également sans perdre le rythme. À eux deux, ils formaient un duo parfait.
Lorsque les dernières notes se dissipèrent, Céleste résista à l’envie vorace de bondir en l’air.
Elle se retourna vers le pianiste d’un air réjoui. Il leva son regard bleu d’océan sur elle, et lui sourit d’un air satisfait.
— C’était incroyable, s’écria-t-elle, surtout quand on a réussi le changement de clé et de rythme au même moment. Je l’ai senti dans mon cœur. Je n’avais jamais ressenti ça. C’était…incroyable…
— Parfait, sourit Bridge, heureux de t’avoir satisfait. Maintenant, à toi de me satisfaire, Céleste Pastorella…dis-moi comment ça se fait que tu te souviennes de tout ce qui s’est passé hier soir…
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