vers la fin de l'océan, ou l'attirance
Milan, face à l'océan. La nuit enlace et brise la lumière qui s'étale en éclats sur la pointe des vagues. Le ciel est noir, roulé de nuages ténébreux qui rappellent les mouvements de l'eau sous leur ventre. Milan, face à l'océan, et moi, à côté.
Je palpite de l'intérieur. Je maudis l'obscurité qui m'empêche de déceler et de comprendre ses expressions. Je me maudis de ne pas comprendre. Comprendre les mouvements à l'intérieur de moi.
Je me maudis de ne rien trouver à répondre. Je me tais. Je suis difficilement gêné, mais je me sens troublé et une impression désagréable de culpabilité, de trop laisser traîner le vide, m'enserre.
L'air teinté de sel de l'Atlantique gonfle mes poumons et pénètre mes veines, et pourtant c'est comme si j'étouffais. J'ai envie de me jeter dans l'eau, pour voir.
-Bon !
La voix de Milan me fait trembler.
-On rentre ? Il est un peu tard.
Enfin, oui. Retour aux bases, à la zone de confort. Retour à la paix. Fin aux vibrations trop incontrôlables pour être vivables.
Je me retourne et, dos à l'océan, je marche vers la ville. J'entends les pas de Milan derrière moi. Je perçois moins les mouvements de l'eau, je perçois mieux les mouvements habituels de ma pensée. En silence, on marche vers l'appartement.
Je suppose que j'ai déçu Milan. Qu'il attendait une réponse. Il s'est ouvert en deux pour moi, je me suis recroquevillé comme un colporte.
Tiens, une colonie de colporte. On se ressemble bien eux et moi. Pathétiques. Roulés en boule à la moindre inquiétude, trop peureux, trop couard, pour oser affronter le monde en face.
Les clefs tournent dans la serrure, la porte s'ouvre. La sensation n'est pas la même que rentrer chez soi. Ce n'est pas encore chez moi. Ça ne le sera probablement jamais.
Milan reste sur place sans dépasser le palier. On se regarde en face à face. Je sens nettement les battements de mon muscle cardiaque, qui se tord et se tend. Aucun de nous deux ne parle, je constate qu'il fixe le sol ou le papier peint pour ne pas avoir à m'affronter. Il finit par plonger :
-Bon, ben, j'y vais ! A la prochaine, Clovis. Je t'ai laissé un papier dans la cuisine tout à l'heure avec des adresses et des numéros. Le, le mien, notamment. C'est un peu dommage que tu n'aie pas de téléphone. Ce n'est pas pratique. Tu es ... sûr que tu n'en veux pas ?
-J'insiste. Je déteste les IPhone et autres appareils du genre. Ça ne m'intéresse pas.
Il soupire.
-Hhmph. Comme tu veux, pas d'IPhone.
Son téléphone vibre, une fois de plus.
-Ma mère, anticipe-t-il immédiatement. Elle n'aime pas que je sois toujours dehors après vingt-trois heures.
Il sourit, et pose une main sur mon épaule. Une main qui me brûle à travers le tissu, qui presse mon épiderme et qui reste même après qu'il l'ait retirée.
-A bientôt, Clovis. C'était vraiment agréable de passer la soirée en ta compagnie.
Il me sourit, se retourne et descend en silence les escaliers, qui grincent sous ses chaussures.
Je referme la porte. J'y met un coup de serrure. Je recule. Je respire.
Une valse silencieuse et immobile commence alors. Une valse entre moi et moi-même, toute de l'intérieur. C'est donc ça, vivre seul ? Est-ce vraiment ce que j'avais cherché ?
Est-ce seulement vivre seul ?
J'ai du mal à me cerner. J'ai du mal à cerner Milan, aussi, mais je crois que ce serait moins pire si je me comprenais moi-même. Les mouvements rapides et nerveux à l'intérieur de moi ne font pas sens, me font péniblement tourner en rond sur le morceau fébrile et nébuleux de mes émotions. Je déteste ressentir trop de choses à la fois, je préfère encore les abîmes de ne rien ressentir. Je crois ? Je ne sais plus.
Ce n'est pas désagréable. Si, ça l'est.
C'est horripilant, de ne rien maitriser. Je déteste ne rien maitriser. Je ne maitrisais pas, ceux qui se moquaient de moi, ce qui se disait sur moi.
Je déteste. Je déteste ressentir des choses que je ne contrôle pas. J'ai trop peur de perdre pieds.
Quelle situation désastreuse. Je suis bloqué entre une personne que je ne veux pas voir, et entre le fait que je dépends de cette personne. Je voudrais me fondre dans ses bras pour ne plus avoir sa voix dans ma tête.
Plus qu'à faire ce que je sais le mieux faire pour fuir : disparaitre. Est-ce que je le peux encore ? Comment faire ?
Rien ne me retient. Si, tout me retient.
Je ne sais pas, je ne sais plus.
Je suis à peine arrivé ici. Je brûle de me barrer le plus loin possible, coûte que coûte.
Tandis que petit à petit, mon corps glisse contre le mur, rattrapé par la gravité et le poids de l'intérieur, j'entends un crissement. Le son léger d'une feuille de papier contre le sol. Le son délicat qu'elle produit en étant glissée sous la porte. Elle apparait devant moi, finalement entière. Une carré blanc froissé, comme un morceau d'aile.
Alors, ma masse se soulève et se traine, comme un monstre déformé, rythmé par le bruit des marches qui grincent, bruit qui m'attire en s'éloignant. Mes doigts effleurent le papier. Le retournent.
Une écriture fine et harmonieuse, celle de Milan.
« Je passerai demain soir. Bonne nuit, bisous : ) »
Je lâche un éclat de rire, vibrant, un éclat qui sonne faux. Un éclat bouffé par tout le reste. Pourquoi je me sens aussi content de savoir qu'il va venir ? Je ferai en sorte de ne pas être là. Je devrai partir. Fuir.
Je suis un fuyard, un peureux. Un fantôme, ce n'est bon qu'à disparaître.
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