06. Ya'aburnee
« Ya'aburnee, tu m'enterres - l'espoir qu'un être cher nous survivra pour s'éviter la douleur de vivre sans lui. »
↳ Elodie Delisle ↲
- Regardez-le, tout sourire et plein de fumée de cigarette alors que sa famille pourrit actuellement en prison, fit Kaya d'un ton dédaigneux laissant un goût amer dans sa bouche, secouant la tête en observant Thomas discuter avec Christopher et les frères Bardin à quelques tables de la leur.
Elle était tellement mécontente de partager le même espace que les Peaky Blinders qu'elle mettait un point d'honneur à faire savoir à tous les gens à l'intérieur du café - eux y compris.
- Un jour il faudra nous dire pourquoi tu le hais tant, dit Arwen, saisissant son quatrième ou cinquième verre de champagne. Elle avait décidé de célébrer l'arrivée du gang de Birmingham à La Vie en Rose, même si personne n'était d'humeur à la rejoindre, car ils ne connaissaient que trop bien leur mauvaise réputation et leur passé avec les discothèques londoniennes.
- Un jour il faudra nous dire pourquoi ce n'est pas ton cas, rétorqua Kaya. As-tu oublié ce qu'ils ont fait au Eden Club de Sabini ?
- Eh bien, il est de notoriété publique que Sabini est un connard, donc...
- Il est peut-être un connard, mais ça n'excuse pas ce qu'ont fait les Peaky Blinders à sa boîte de nuit, intervint Elodie, toujours diplomate. Kaya a raison, je n'apprécie pas non-plus leur présence ici. Ils sont calmes pour le moment, mais il suffit d'un seul ordre de l'homme élégant et sûr de lui qui te plaît tant pour qu'ils se transforment en chiens enragés et foutent le bordel.
- Rose ne le permettrait pas, contra Audrey, sa foi en sa sœur demeurant inébranlable comme toujours. Audrey était le genre de personne qui ne suivait pas seulement les gens, mais les aimait aveuglément et inconditionnellement également ; elle offrait son cœur au monde au point que c'était plus celui des gens que le sien, ce qui inquiétait ses sœurs, qui avaient déjà appris il y avait bien longtemps à porter une armure autour du leur. Elle maîtrise la situation.
- Parfois je me demande si Rose sait vraiment ce qu'elle fait, ou bien si elle fait semblant, déclara Kaya.
- Eh bien, ça fonctionne dans tous les cas, non ? s'enquit Audrey. Thomas a été incapable de la lâcher des yeux de toute la nuit, donc je dirais qu'elle arrive plutôt bien à le tenir à l'écart des problèmes. J'en conclus que si lui et son gang sont des vipères comme vous le dites, alors Rose est la charmeuse de serpents.
- Prions pour que la charmeuse ne se fasse pas charmer, répondit Kaya, les bras croisés sur sa poitrine. Elle avait vu Rose et Thomas discuter au bar, et cela avait été comme regarder deux requins testant les eaux de l'autre, humant tous les deux le sang sur les mains de la personne en face.
- Ben, je ne la blâmerais pas... Vous avez vu son visage ? demanda Arwen avec un sourire coquin quand ses yeux couleur café s'écrasèrent sur les traits de Thomas sans aucune once de gêne. Il est si...
- Frappable ? s'agaça Kaya. Je suis d'accord.
- J'allais dire embrassable, mais...
- Elodie, interrompit Rose, apparaissant de nulle part avec un air de détresse sur son visage et une urgence latente dans son ton. Utilise tes contacts de téléphoniste et trouve-moi tout ce que tu peux sur l'homme là-bas.
Elle fit un geste très discret vers un homme chauve assis dans un coin qui avait l'air de boire et de fumer normalement, mais Rose était Rose ; elle avait un instinct puissant et une propension irrémédiable non seulement à causer des problèmes, mais aussi les sentir arriver.
- Qu'y a-t-il ? questionna Kaya tandis qu'Elodie se levait sans mot et se dirigeait rapidement vers le deuxième étage où le bureau et le téléphone se trouvaient. Rose ne répondit pas et fit volte-face, attrapant le bras d'Evelyn qui passait par là avec une carafe de vin rouge.
- Evelyn, tu sais quoi faire, murmura Rose et Elodie opina du chef, se rendant au coin éloigné pendant que les French Kissers la regardaient, leurs cœurs battant à l'unisson pour un danger que seule Rose pouvait percevoir. Quand Evelyn trébucha et renversa complètement le vin sur l'homme, le faisant crier bruyamment et l'insultant, Sienna se leva du siège où elle se trouvait, stratégiquement placée à proximité de l'homme, avant de revenir vers Rose.
- Rose, cet homme vient de cacher un pistolet sous les coussins du divan, et je suis presque certaine qu'il a un ou deux canifs dans sa poche intérieure, car si c'était moi qui avait créé ce costume c'est exactement là que je les aurais cachés. Et il vient de jurer en allemand.
Rose secoua la tête avec anxiété, se retournant vers Arwen qui se tenait déjà près d'elle. Même si elle n'était pas sûre de quel était le danger précis pour le moment, les mots « allemand », « pistolet » et « canifs » suffisaient à tirer la sonnette d'alarme chez chacun d'eux.
- Arwen, j'ai besoin que tu distraies Thomas Shelby, d'accord ? demanda Rose en risquant un œil en sa direction, et comme elle s'y attendait, il se levait déjà de sa chaise et marchait vers eux. Le requin est de retour, pensa Kaya, sentant le sang arriver avant même qu'il ne tache les mains de Rose. Ne le laisse pas quitter la salle.
- Avec plaisir ! s'exclama Arwen, coupant la route à Thomas et mêlant son bras au sien pour l'emmener aussi loin que possible. Monsieur Shelby, quelle chance que vous ayez pu vous joindre à nous ce soir ! Je suis profondément heureuse d'avoir l'opportunité de vous rencontrer, j'ai entendu tellement de choses à votre sujet...
- Tu aurais pu me demander de le distraire, je lui aurais volontiers mis un coup de poing, chuchota Kaya, appréciant fortement le regard ennuyé et exaspéré que Thomas portait tandis qu'il écoutait Arwen. Remarque, elle ne l'aurait pas mieux torturé elle-même.
- Non, toi et Audrey, gardez un œil sur les autres Peaky Blinders, surtout sur Finn et Isaiah, ordonna Rose, n'attendant même pas leur réponse avant de rejoindre ses sœurs.
- Renée, Christopher, surveillez Andrea, assurez vous qu'elle ne quitte jamais votre champ de vision. Angeline et Jules, je vous veux sur scène, c'est l'heure d'une chanson au rythme effréné. Commencez quand je quitte la pièce, et faites en sorte que les gens ne s'arrêtent pas de danser.
Elle tourna les talons de nouveau, un petit coup de coude de Nicolas l'arrêtant. Il avait instantanément compris la situation car les mêmes rouages tournaient dans leur esprit.
- Es-tu sûre de vouloir faire ça ? Je peux le faire, tu sais que j'en suis capable.
- Il est là à cause de moi, c'est à moi de m'en occuper. Sois simplement à l'heure, demanda Rose et Nicolas la laissa passer avec un hochement de tête assuré.
Rose commençait à s'avancer vers l'Allemand, mais elle fut interceptée par Elodie qui revenait du bureau.
- Cet homme est allemand, il est arrivé en Angleterre il y a environ deux semaines. Il réside au Ritz, a posé des questions sur deux autres clients allemands qui y ont aussi vécu. Ceux que...
- J'ai tués, ouais, j'ai deviné, lâcha Rose, qui n'avait clairement pas aussi bien couvert ses traces que prévu, et maintenant un homme était ici pour venger ses compatriotes, et Rose ne le permettrait pas, parce qu'à l'intérieur de cet espace se tenait tous les gens et toutes les choses auxquels elle tenait.
- Rose... ça ne veut pas forcément dire que c'est un espion.
- Il a un flingue. Il n'est pas là pour faire du tourisme, répondit Rose qui s'en alla, arrivant enfin à l'endroit où Evelyn avait maladroitement essayé de s'excuser auprès de l'homme furieux qui veillait à jurer dans un anglais parfait maintenant qu'il avait repris ses esprits.
Alors qu'il était occupé à essuyer son costume et maudissait Evelyn, cette dernière approcha Rose et lui murmura discrètement :
- Il allait sortir son arme juste avant que je ne renverse le vin sur lui, mais je ne sais pas qui il comptait viser.
Cela n'avait pas d'importance. Tout meurtre en ce lieu aurait été comme l'assassiner elle.
Les yeux inquisiteurs de Rose furent rapides à déceler l'endroit où le pistolet avait été caché hâtivement derrière les coussins du divan, et elle sentit ce goût familier de révolte sur le bout de sa langue, ce sentiment réprimé de haine qu'elle portait en elle depuis la toute première balle ayant été tirée dans son pays. Son estomac se retourna violemment quand elle dû ravaler tout cela et arborer un sourire contrit.
- Je suis vraiment désolée pour ce qui vient de se passer, monsieur, je...
- Qui êtes-vous, bon sang ? la coupa le boche sévèrement, ne lui jetant même pas un coup d'œil, trop occupé à faire le deuil de son costume abîmé. Je suis ta mort, bâtard.
- Je suis la sœur du gérant, monsieur, répondit-elle, ne pouvant dire qu'elle était elle-même la gérante car l'homme ne l'aurait pas crue. Au moins, il n'avait pas l'air de savoir qui elle était vraiment, ce qui signifiait que ses renseignements étaient incomplets.
- Eh bien, vous devriez dire à votre frère de la virer immédiatement, je n'ai jamais vu une serveuse aussi catastrophique de toute ma vie, se moqua l'Allemand.
- Ce sera fait, monsieur, ne vous inquiétez pas, poursuivit Rose. Maintenant, si vous voulez bien me suivre, je suis certainement capable de vous trouver des vêtements décents dans son bureau, nous avons un stock de costumes pour ce genre d'urgences.
- Ce n'est pas une urgence, c'est de l'incompétence. Je ne veux pas de vos affreux costumes français, rugit-il, et s'il avait craché au sol, il n'aurait pas été capable de rendre son hostilité historique plus évidente, ou bien rendre le désir qu'éprouvait Rose à lui faire ravaler sa fierté allemande plus vive.
- Je suis certaine qu'un affreux costume français vaut mieux qu'un anglais taché, sourit Rose, et dans ce sourire le boche vit ce que tous les autres hommes voyaient : une jeune femme idiote et naïve incapable de faire du mal à une mouche, et dont le manque de cervelle ne pouvait pas cacher une menace.
C'était ses préjugés qui allaient le tuer plus que tout autre chose. Ses yeux vacillèrent brièvement vers les coussins, la balance dans son esprit pesant le pour et le contre, et au final il décida que l'arme était suffisamment bien cachée pour qu'ils ne la remarquent pas.
- Très bien, approuva-t-il, son regard glacial inconscient du destin qui l'attendait.
Alors que Rose et lui quittaient la salle, Jules ramena le piano à la vie avec un rythme frénétique et sauvage qui fit se lever les gens pour danser, et Rose se demanda si dans l'histoire des funérailles il y avait déjà eu une marche funèbre aussi vivante que celle-ci.
Elle conduisit l'homme dans l'arrière-café tandis qu'il continuait à critiquer le lieu et l'équipe et verrouilla rapidement la porte derrière elle sans qu'il ne s'en aperçoive.
- Je m'excuse sincèrement pour votre expérience désagréable à La Vie en Rose, monsieur, vous ne devez pas avoir une bonne impression de la France, maintenant.
- Je n'en ai jamais eue, ricana l'homme pendant que Rose ouvrait un placard et fouillait parmi les vestes et les chemises les plus élégantes de la boutique de Sienna, spécialement conçues pour impressionner même les clients les plus critiques.
- Ah, vous avez fait la guerre, fit Rose en hochant la tête, sortant deux chemises pour qu'il en choisisse une. A ce sujet, savez-vous d'où vient le concept du baiser à la française ?
- En quoi cela m'intéresserait ?
- Vous avez l'air d'être un homme cultivé, répondit Rose tranquillement, l'aidant à ôter sa veste. Elle fut surprise qu'il ne proteste pas ; mais allemand ou non, les hommes étaient des hommes après tout. Ce sont les Anglais et les Américains qui ont inventé le nom pendant la guerre. Ils étaient impressionnés par la manière dont les femmes françaises étaient bien plus ouvertes à une technique si audacieuse que leurs compatriotes. Le terme est donc resté.
Ses doigts couraient sur son cou alors qu'elle l'aidait à déboutonner le col de sa chemise, et elle remarqua, non sans une certaine satisfaction, à quel point même un espion entraîné tremblait légèrement au toucher de ses doigts délicats et à l'attrait de son ton soyeux.
- Aimeriez-vous l'expérimenter ? Un tel baiser ? proposa-t-elle, et ses sourcils se froncèrent tandis que son visage devint aussi rouge que ses lèvres. Avec un peu de chance, il penserait que c'était sa manière de le dédommager pour l'incident du vin, plutôt qu'imaginer que ce serait la cause de sa mort.
- Que... commença-t-il, mais Rose ne lui laissa pas le temps de terminer sa phrase et l'attrapa par le col, menant ses lèvres aux siennes pour une magnifique démonstration d'un baiser à la française, dans l'unique but de transférer le comprimé de cyanure de sa bouche à la sienne, avant de se retirer et d'attraper son visage des deux côtés d'un mouvement travaillé pour lui faire fermer la bouche, ses dents s'écrasant impuissamment sur la capsule qui libérerait l'ampoule contenant le poison.
L'homme ouvrit la bouche pour parler mais aucun son n'en sortit, comme si tous les bruits étaient déjà morts en lui, ses genoux fléchirent, et Rose l'attrapa pendant qu'il tombait et s'étranglait.
- Que... articula-t-il en luttant pour respirer, ses poumons et son cœur le trahissant, ses yeux roulant en arrière, et Rose ressentit tout cela comme si c'était la première fois. Qu'est-ce que vous venez... de faire ?
Les mots étouffés quittèrent sa bouche en un murmure dénué de vie, et puis le poids sur ses bras devint plus lourd, car le poids de la vie n'était rien en comparaison de celui de la mort.
- Je vous ai tué d'un baiser, répondit-elle quand il ne fut plus capable de l'entendre, car c'était la vraie signification d'embrasser à la française ; un amour qui tuait. Vous ne le saviez pas ? murmura-t-elle en laissant le corps tomber au sol dans un bruit sourd, son propre cœur à deux doigts de s'arracher lui-même de sa poitrine pour s'allonger près du sien. Les roses sont les plus venimeuses des fleurs.
Puis elle se courba, ses doigts touchant ses paupières froides tandis que la mort soufflait au-dessus de leurs deux cous.
- Ya'aburnee, prononça-t-elle en lui fermant les yeux.
Vous m'enterrez.
***
Dissimulés dans l'obscurité, Nicolas et Christopher empruntèrent l'allée sombre quand ils virent la porte arrière du café s'ouvrir légèrement, signe qu'ils avaient attendu pour aller récupérer le corps. Quand le visage livide de Rose apparut devant eux, comme un fantôme n'ayant nulle part où aller, les bras de Nicolas l'étreignirent pour lui apporter un soutien qu'elle ne sentirait pas, et Christopher entra à l'intérieur et commença à traîner le cadavre dehors. Il détestait le faire, mais il s'assurait toujours d'être présent dans ces moments-là. Il croyait solidement qu'aucun homme ne méritait de mourir sans un enterrement convenable, peu importe les choses qu'il avait faites.
L'avoir à ses côtés garantissait à Rose la certitude qu'elle aurait elle aussi des funérailles décentes.
- Rentre, lui dit Nicolas en plaçant le plus délicat des baisers sur son front. On s'en occupe.
Rose opina du chef mais ne dit rien, jetant un dernier coup d'œil au corps sans vie avant de revenir dans le café, et le cœur de Nicolas souffrit à l'idée qu'elle doive agir normalement, comme si de rien n'était, comme si elle ne venait pas de tuer un énième homme. Cela n'était pas supposé arriver, ils ne s'y attendaient pas. Et un meurtre sans préparation mentale blessait cent fois plus.
- Allons-y, dit Nicolas à Christopher, la lueur de la lune étant la seule trace de vie dans cette allée.
Tout le monde était toujours à l'intérieur, heureux et au chaud, et maintenant un homme était mort et un autre morceau du cœur de Rose aussi, et Nicolas ne souhaitait que pouvoir le remplacer avec le sien. Si elle ne le laissait jamais tuer pour elle, il pouvait au moins mourir pour elle, et il le ferait volontiers. Quand Rose avait donné son discours toutes ces années auparavant, il avait été certain de s'engager pour une deuxième guerre, et il ne l'avait pas regretté depuis.
***
La tête de Rose tournait quand elle rejoignit le café, répercussion de l'absinthe et du meurtre se mélangeant dans son cerveau. L'Allemand n'avait pas de documents sur lui, évidemment, mais Evelyn s'était arrangée pour récupérer le pistolet des coussins, et il s'agissait sans le moindre doute du type d'arme utilisée par les espions allemands.
Il était là pour venger ses compatriotes, et savait exactement où trouver les informations, ce qui signifiait que le traître qui l'avait piégée au Ritz des semaines plus tôt laissait toujours fuiter des renseignements sur elle. Elle n'avait pas été capable de trouver qui était cette personne pour le moment, mais cela serait tôt ou tard fait. Ce qu'elle en ferait, Rose ne voulait pas y penser pour l'instant.
La grande gueule du traître pouvait impliquer que plus de gens étaient au courant que les meurtres avaient un lien avec son café, alors dans les prochains jours elle devrait enquêter là-dessus, mais pour le moment elle avait besoin de se concentrer sur le présent, ce qui se révélait incroyablement difficile à faire, surtout quand le présent avait le visage scrutateur et les yeux interrogateurs d'un Thomas Shelby. Arwen l'avait occupé du mieux qu'elle pouvait, mais il était un homme naturellement méfiant. Ainsi, dès qu'il repéra Rose dans la foule, il se libéra de l'emprise d'Arwen et s'avança vers elle.
- Tout va bien, chérie ?
- Oui, se força-t-elle à sourire, et cela l'écœura de constater combien il lui était naturel et facile de le faire.
Une partie d'elle en était malade, et une autre voulait que cette façade tombe afin que la vraie Rose apparaisse. Mais pour le bien des gens qu'elle aimait, elle ne pouvait pas succomber à ce désir. Les leaders devaient porter des masques. C'était le seul moyen de protéger les vrais visages des autres. Parfois, elle se demandait si elle avait vraiment un vrai visage. Regardant Thomas, elle se demanda la même chose à son sujet.
- Je vous ai vue quitter la salle avec un homme. Il n'est pas revenu.
- Eh bien, certains hommes ne peuvent supporter qu'une certaine dose de plaisir avant de ressentir le besoin soudain de courir à la maison leur queue entre les jambes.
Thomas arqua un sourcil, un froncement d'intérêt qui poignait dans ses yeux habituellement impassibles.
- Vous étiez clairement avec le mauvais homme.
- Je plaisante, fit Rose en levant les yeux au ciel. Une serveuse a renversé du vin sur lui, alors je lui ai offert un nouveau costume. Puis, il est parti à un autre café où « les putain de serveuses sont bien plus professionnelles », comme il l'a si gentiment dit.
- Hm, marmonna Thomas, ses doigts courant sur ses lèvres pendant qu'il la dévisageait. Pourquoi j'ai du mal à y croire ?
- Eh bien, vous semblez être du genre à avoir du mal à croire tout ce qui se passe, donc c'est hors de mon ressort. Je vous ai dit la vérité, faites en ce que vous voulez.
Thomas hocha la tête et fit un pas vers elle, faisant un geste de sa cigarette. Rose avait le sentiment qu'un séisme pouvait se produire maintenant sans qu'il ne lâche cette maudite cigarette.
- Vous avez prévu de rester ici toute la nuit ?
La question la laissa pantoise alors que ses yeux analysaient la pièce pour s'assurer que tous ses êtres chers étaient là, saufs. Certains la regardaient, l'interrogeant silencieusement, mais elle ne pouvait rien dire ou faire qui ne ferait Thomas la suspecter un peu plus.
- Hâte de partir ? Je le prends comme une insulte.
- Non, c'est un endroit charmant. Mais votre sœur ne va plus chanter et je commence à m'agiter. C'est mon sang gitan, vous voyez ? Cela vous dérangerait-il de vous promener avec moi ?
Merde, pensa Rose. Il la poussait à bout. Viens avec moi et prouve-moi que tout va bien ou reste parce que tu as quelque chose à cacher.
Dans une situation normale, Rose aurait dit non. Mais plus que pour calmer ses suspicions, plus que pour emmener Thomas loin de la scène de crime, Rose était fatiguée et ne voulait pas être toute seule, c'est pourquoi elle dit oui.
Après avoir mimé des lèvres un « Tout va bien » à une Renée inquiète pendant que Thomas parlait à un Finn extrêmement à l'aise, la French Kisser et le Peaky Blinder quittèrent le café dans la brise fraîche de la nuit. La température avait chuté de plusieurs degrés, mais au moins cela donnait à Rose une excuse pour justifier les frissons courant le long de son échine.
- Tenez, proposa Thomas, prêt à enlever son manteau noir pour le lui donner, mais Rose refusa avec le sourire espiègle qu'elle donnait aux soldats à l'hôpital. Le même sourire qu'elle avait toujours utilisé pour camoufler sa douleur.
- Donc vous pouvez geler à mort et mourir de galanterie ? Non merci. Il y a eu assez de meurtres pour la nuit.
- Donc vous admettez enfin que je suis un gentleman, hein ? demanda-t-il, l'épiant du coin de l'œil tandis qu'ils commençaient à marcher côte à côte sous le ciel de Londres, dont les étoiles lointaines semblaient fades comparées aux lampadaires lumineux.
- Vous êtes bien des choses, Thomas Shelby. Je ne suis pas sûre qu'elles soient plus bonnes que mauvaises. Je ne les ai pas toutes comprises pour le moment.
- Et vous pensez que vous y parviendrez ?
Rose sourit, cette fois plus librement, se retournant pour marcher dans l'autre sens, ses yeux se plissant en un challenge.
- Et vous ?
Thomas rit et jeta sa cigarette.
- Vous êtes également bien des choses, Rose Salvage. Mais je ne pense pas que vous soyez une meurtrière.
Rose s'arrêta brusquement, son dos entrant durement en collision avec un réverbère. Elle ne dit rien, autorisant ses yeux à l'interroger à sa place.
- Vos mains tremblent, expliqua-t-il avec un mouvement du menton, et Rose s'exhorta à ne pas les regarder, à ne pas lui donner le privilège d'avoir raison. Elles tremblent depuis votre retour au café. Les mains d'une personne en bonne santé ne tremblent pas pour beaucoup de raisons, et certainement pas pour les bonnes.
- Peut-être que je ne suis pas en bonne santé.
- Ou peut-être avez-vous fait une chose pour laquelle vous n'aviez pas assez de cran.
Comme une vague rageuse s'écrasant sur un bateau, Rose sentit le besoin soudain de le frapper. Il n'avait aucune idée de quoi il parlait, de combien de cran elle avait dû avoir au fil des ans. Le seul genre de sang dont elle avait peur, c'était celui qu'elle ne pouvait pas nettoyer.
- Quelles sont vos suggestions, alors ? Que j'ai tué un homme ?
- C'est à vous de me le dire, rétorqua-t-il, et quand il réduit la distance entre eux, Rose regarda ailleurs, vers les rues enfumées et désertes, parce qu'elle ne supportait pas de se voir dans ses yeux, de la même manière qu'il la voyait. Il vous a fait du mal ?
- Non, dit Rose, riant presque devant cette ironie. A l'ironie de tout. C'était dans des moments comme celui-ci qu'elle ne pouvait de se retenir de se demander s'il y avait une influence malfaisante au-dessus d'eux pour laquelle la vie des gens n'était qu'un jeu. Je peux vous donner le nom de cet homme si vous voulez, et vous pourrez aller lui parler demain dans toute sa gloire bien vivante. Quel genre de vie menez-vous, Thomas, pour voir des meurtres et du sang partout où vous allez ?
- Le genre de vie que j'espère que vous n'aurez jamais à vivre, répondit-il, et Rose s'écarta du lampadaire et s'approcha de lui. Soudainement ses yeux semblaient capturer toute la lumière, comme si la lune s'était enfuie du ciel pour se cacher en eux.
- Vous a-t-il traversé l'esprit que si mes mains tremblent, c'est peut-être parce que j'ai froid et que je manque de sommeil et aussi que je me balade avec un homme dont tout le monde me conseille de me tenir à l'écart ?
- Alors pourquoi êtes-vous là, Rose ? demanda-t-il d'une voix grave et rauque, et Rose détesta à quel point elle trouvait qu'elle sonnait bien. Elle n'aurait pas dû boire l'absinthe. Il était plus sobre qu'elle, et c'était actuellement un désavantage. Cela pouvait faire la différence entre la vie et la mort. Pourquoi avez-vous accepté ?
- Pourquoi m'avez-vous invitée d'abord ? riposta-t-elle, et Thomas fit un signe vers ses mains de nouveau.
- Comme je l'ai dit, vos mains tremblent. Donc on se promène jusqu'à ce qu'elles ne le fassent plus.
Ses yeux s'écarquillèrent ; elle ne put s'en empêcher. Soudain le sourire sur son visage n'avait plus de rapport avec sa douleur.
- Thomas Shelby faisant une bonne action ? Qu'est-ce donc ? Vais-je être béatifiée demain pour avoir assisté à un miracle ?
Ses lèvres se courbèrent légèrement et Rose sentit le désir soudain et idiot de faire se dessiner un véritable sourire sur son visage, de le faire rire jusqu'à ce que ça lui fasse mal, mais elle ne savait pas comment, ou du moins, elle ne savait pas si elle en était capable.
- Les méchants font aussi des choses bien, vous savez ? Pour les bonnes personnes.
- Bien. De ce que je comprends de ce petit manège, vous espérez que je vous emmène chez moi. Vous voulez savoir où je vis. Car Thomas Shelby a besoin de tout savoir.
- J'espérais faire plus que simplement savoir où vous vivez.
Rose grogna.
- Si vous pensez que je vais vous conduire chez moi, dans mon lit, vous vous mettez le doigt dans l'œil. Bon sang, Thomas, êtes-vous incapable de voir une femme sans vouloir coucher avec elle ?
- Eh bien, j'ai vu vos sœurs et vos amies et, aussi éblouissantes qu'elles soient, je n'ai pas la moindre envie de coucher avec elles. Je me souviens très bien de quelqu'un m'ordonnant de ne pas m'en approcher.
- Vous menaçant, corrigea Rose.
- Oui, voilà, lâcha Thomas en menant une main à son front, son pouce caressant l'arête de son nez. Mais je dois l'admettre, je voudrais coucher avec vous. Mais vous n'avez pas l'air d'être intéressée.
- Et vous ne pouvez vous y faire, n'est-ce pas ? Qu'une femme ne soit pas intéressée par vous.
- Parce qu'en général, elles le sont, répliqua Thomas, plaçant une nouvelle cigarette entre ses lèvres. Ou bien elles finissent par l'être.
- Vous êtes incroyable, vous savez ? s'écria Rose. Vous pensez que me faire me balader sous les étoiles avec vous va me faire vous apprécier instantanément et vous dévoiler tous mes secrets les plus sombres ?
- Quelque chose du genre, admit-il en allumant la cigarette. Il en offrit une à Rose, mais elle déclina.
- C'est bien peu me connaître.
- Vous ne me facilitez pas la tâche, chérie. Vous avez dit que vous vouliez me comprendre, eh bien j'ai essayé de faire de même avec vous pendant toute cette putain de nuit et je n'ai pas avancé d'un pouce.
- Je vais prendre ça pour un compliment, sourit Rose, satisfaite, s'autorisant à soupirer pour la première fois de la soirée. Ce n'était pas un soupir de soulagement, mais presque. De quelque manière que ce soit, Thomas lui avait permis de chasser ses pensées et d'apaiser la main suffocante qui semblait être agrippée à ses poumons.
- Alors c'était vous ou Angeline qui a choisi cette chanson ce soir ?
- Vous l'aviez déjà entendue ?
- Une fois. A la Somme.
Rose sentit une douleur cinglante dans son cœur à la mention de ces mots, qui avaient pris tant et donné si peu en retour.
- Vous y étiez de retour cette nuit ?
- J'y suis de retour toutes les nuits, souffla-t-il, un nuage de fumée roulant de sa langue jusque dans l'air du soir, mais ses yeux restèrent posés sur elle. Ça n'a pas changé grand chose pour moi.
- Et c'est ainsi vous avez remarqué que j'ai quitté la salle avec un homme, commenta Rose quand ils se remirent à marcher, côte à côte. Il n'y avait plus de hâte désormais. La dernière chose que Rose voulait, c'était affronter une longue nuit durant laquelle ses yeux se fermeraient mais pas son esprit. Si elle fixait le plafond de sa chambre ne serait-ce qu'une seconde de plus, elle était certaine qu'elle serait capable d'y graver la suite de tous les événements de sa vie. Et vous étiez agacé que ça ne soit pas vous ?
- Oui. Crois-moi, tu te trompes. Mais vous êtes là maintenant. Et je suis là maintenant.
- Thomas, vous réalisez bien qu'il y a plus de chances pour qu'il y ait une deuxième guerre qu'il se passe quelque chose entre nous, n'est-ce pas ? contra Rose en s'arrêtant au niveau d'un vieux bâtiment victorien qui faisait partie d'un réseau complexe de lieux sûrs appartenant aux French Kissers. Elle le regarda pendant qu'il observait la maison et elle se demanda s'il savait que ce n'était pas vraiment la sienne.
- On ne sait jamais, dit Thomas, sa langue glissant sur sa lèvre inférieure. Ils ont dit que la guerre serait terminée avant Noël, et elle a fini par durer quatre ans.
- Eh bien, nous sommes loin d'être en guerre, non ? répondit Rose, soulagée d'avoir trouvé la bonne clé dans son sac à main.
- Vous n'utilisez pas le sac que je vous ai offert ?
- Je n'aimais pas la couleur.
- Il est rouge.
- Ce n'était pas la bonne teinte, dit-elle, insérant la clé dans la serrure et ouvrant la porte avant de se retourner vers lui. Parce que je donne aux gens ce dont ils ont besoin, pas ce qu'ils veulent, Thomas.
- Hmm ?
- La raison pour laquelle j'ai accepté cette balade. Et c'est aussi pourquoi je ne vous laisse pas entrer. Bonne nuit, Thomas.
Rose pénétra dans la maison et ferma la porte avant d'attendre une réponse, l'empêchant de voir comment Thomas ne bougea pas et attendit qu'elle allume la lumière. Ce n'est seulement que quand il fut sûr qu'elle était en sécurité qu'il murmura un « Bonne nuit, Rose » dans la nuit et partit.
***
Dans le silence de la nuit, Nicolas et Christopher affrontaient la fraîcheur du vivant pour laisser le mort s'en aller. Mais tandis qu'ils se débarrassaient du corps, les deux hommes ne virent pas l'individu dans l'ombre. Sans s'en apercevoir, cela faisait des années qu'ils ne remarquaient jamais l'homme qui se tenait dans l'ombre...
*
DISCLAIMER : ce chapitre est l'œuvre de endIesstars, je ne fais que le traduire en français.
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