04. Retrouvailles
« La joie de retrouver quelqu'un après longtemps. »
↳ Andrea De La Cour ↲
Gare de London Bridge
En regardant les rues brouillées et brumeuses passer devant ses yeux, Andrea De La Cour ne pouvait s'empêcher de penser que Dieu avait certainement loupé Londres au moment de peindre le monde. C'était comme si chaque coup de peinture colorée et vive ne s'était qu'occupé de toutes les autres villes, laissant le grand Londres dans une monotonie et une désolation permanentes.
La pluie tombant lourdement sur les vitres n'aidait pas non-plus, encore moins que les épais nuages obscurs rassemblés dans le ciel sombre, annonciateurs d'une terrible tempête. Andrea essayait de ne pas voir cela comme un mauvais présage. Elle voulait que ça fonctionne. Son frère était en Angleterre, construisant un futur sans danger pour eux, et c'était son devoir de ne pas y emmener la France. Pour autant qu'elle le savait, on ne construisait pas de bons futurs sur les fondations fragiles du passé.
Soudainement, un sifflement abrupte et perçant sortit Andrea de ses pensées tandis que le train faisait une embardée à un arrêt. Les gens autour d'elle ramassèrent frénétiquement leurs bagages en se précipitant vers la sortie. Andrea était la seule qui ne bougeait pas, restant immobile pendant quelques secondes, désorientée. Puis le ciel fut secoué d'électricité, tout comme son cœur, se languissant des rues tranquilles de sa ville, de la familiarité qu'elle avait laissé derrière elle et qu'elle craignait de ne pas retrouver. Mais seulement parce que Londres n'était pas sa maison ne voulait pas dire qu'elle n'en créerait pas une dedans ; elle était déterminée à profiter de sa nouvelle vie du mieux que possible, et si cela signifiait devoir supporter le mauvais temps et les accents étranges, qu'il en soit ainsi.
Soupirant bruyamment, Andrea attrapa ses sacs, luttant contre leur poids pendant qu'elle se dirigeait maladroitement vers la porte et se fit tremper en quelques secondes. Pour compléter l'accueil, un coup de tonnerre gronda dans l'air du dehors, envoyant des frissons courir le long de son échine.
Je vais tomber, pensa-t-elle quand son pied heurta les marches en tremblant. Je viens d'arriver, et la première chose que je vais faire à Londres est tomber. Je suis certaine que quand maman m'a dit d'y faire des choses mémorables, se vautrer sur le trottoir sale de cette maudite ville n'était pas ce qu'elle avait en tête.
— M-merde... bégaya-t-elle quand elle atteignit le trou entre le train et la plateforme et glissa sur le sol mouillé. Elle sentit sa cheville se fouler et son équilibre lui échapper, envoyant ses bagages valdinguer sur les pavés, et son corps s'écraser contre celui de quelqu'un d'autre.
— Wow, c'est une sacrée entrée en scène, chérie, entendit-elle dire la personne alors que sa main lui tint la hanche pour la stabiliser et les empêcher tous deux de tomber sur les rails. Elle leva les yeux immédiatement, rencontrant ceux noisette d'un garçon plein de taches de rousseur pendant que la pluie sembla s'intensifier soudainement et que la foudre déchira le ciel en deux au-dessus d'eux. Tu vas bien ?
Avoir un coup de foudre, se souvint-elle alors que ses yeux enregistraient son visage entre les gouttes de pluie. Avoir un coup de foudre, c'est-à-dire tomber amoureux au premier regard, en français.
Quand Andrea disait qu'elle allait tomber, elle n'imaginait pas que cela soit littéralement le cas.
— Ahm... Hmm..., balbutia-t-elle, incapable de former un mot cohérent. Ce n'était pas que l'anglais, elle était soudainement incapable de parler, comme si le français s'en était aussi allé. Le garçon pouffa à cette réponse, attrapant le parapluie au sol qu'Andrea avait lâché et l'ouvrit au-dessus d'eux. C'est seulement à cet instant que la fille se souvint de ses bagages, s'enfuyant sous la pluie du petit refuge que créait le parapluie.
Elle commença à ramasser ses sacs trempés parmi l'océan de pieds pressés quand elle le sentit de nouveau à ses côtés, la protégeant de l'averse.
— Hé, laisse-moi t'aider, chérie, dit-il, les mots étranges sonnant encore plus bizarrement pour Andrea quand il les prononça, accentuant certaines lettres tout en touchant à peine les autres. Tiens-moi ça, tu veux ?
Il lui tendit le parapluie et s'abaissa pour attraper les sacs les plus lourds, un sourire sur son visage quand ils se relevèrent tous les deux et se regardèrent encore.
— C'est tout ? demanda-t-il en regardant alentour, et Andrea opina du chef.
— Merci beaucoup, répondit-elle en français avec un sourire. Elle espérait que ça puisse parler pour elle. Les sourires étaient un langage que tout le monde comprenait, et heureusement, c'était une langue qu'elle maîtrisait parfaitement.
— Tu n'es clairement pas du coin.
— Non, je... Je viens d'un endroit où la météo est beaucoup plus clémente. La France.
Le garçon gloussa de nouveau, les coins de ses lèvres se courbant en un rictus malicieux.
— Et où il y a beaucoup moins de jeunes hommes altruistes, j'en suis sûr.
— Oui, aussi, rit Andrea, et les yeux de son interlocuteur le firent aussi en la voyant, et soudainement Londres n'était plus si nul, comme si ce garçon remettait les couleurs à leur place, ramenant la ville à la vie. Pardon pour tout à l'heure, je... Je me sens encore un peu dépaysée.
— Je n'ai aucune idée de ce que ça veut dire, mais je sais que ça sonne bougrement bien quand tu le dis, affirma-t-il, enlevant son béret gris trempé de sa tête, révélant une chevelure rousse bien garnie.
— C'est..., commença-t-elle, luttant avec les mots étrangers dans sa bouche. Quand elle était petite, elle pensait que le français avait été inventé par un poète. Maintenant, elle pensait que l'anglais avait été inventé par un savant fou. Chaque mot sonnait mal dans sa tête, dans son cœur. La désorientation que l'on ressent quand on n'est pas dans son pays et que tout semble... étranger ou bizarre.
— Eh bien, on peut changer ça, déclara-t-il, posant ses sacs et lui tendant une main. Andrea savait qu'elle devait chercher son frère, et Rose, qu'ils seraient peut-être inquiets maintenant, mais elle ne pouvait pas se résoudre à quitter le petit dôme dans lequel elle et lui semblaient immergés. Pour la première fois, Londres semblait être une bonne idée. Je suis Finn.
Andrea prit sa main dans la sienne et sourit. Elle sentit encore de l'électricité dans l'air, sauf qu'elle était d'un autre genre cette fois.
— Andrea.
— Qu'est-ce qui t'amène à Londres, alors ? Si la France a une météo si agréable ?
— Mon frère est ici. Il n'y a plus grand chose qui nous attend en France, après la guerre.
Finn hocha lentement la tête.
— J'ai bien peur qu'il n'y ait pas grand chose ici non-plus.
— Tes vêtements disent le contraire, répondit Andrea, analysant rapidement du regard ce qui semblait être une paire de chaussures onéreuse et une veste grise. Elle pouvait presque parier qu'il y avait un élégant costume trois-pièces dessous.
— Et maintenant tu trouves une excuse pour te rincer l'œil.
— C'est faux ! rétorqua Andrea, sentant le sang courir sur ses joues pendant que Finn riait doucement.
— Tu te mens à toi-même, chérie. Ils ne font pas de mecs comme moi en France, je te le dis. Celui qui est devant tes yeux vient tout droit de Birmingham, dit-il, se pointant lui-même du pouce. Mais avant qu'Andrea ne put répondre, elle repéra un visage familier dans la foule et sentit soudainement de la pluie s'évader de ses yeux et non du ciel. Elle aurait pu reconnaître ce dos entre mille. Impossible de se souvenir le nombre de fois qu'il l'avait l'avait porté pendant son enfance.
— Raphael ! cria-t-elle, s'extirpant du parapluie et courant vers son frère, ne se souciant plus de tomber ou de se fouler l'autre cheville. La douleur d'avoir manqué de lui faisait bien plus mal. Jusqu'à ce qu'elle glisse encore et plonge par terre. Oh, merde...
***
— Raphael !
Au son de ces mots, Rose et Raphael se retournèrent d'un coup, leurs cœurs soupirant collectivement de soulagement en voyant le visage familier d'Andrea leur foncer dessus, ses cheveux et son sourire tous deux collés à sa peau pâle.
Rose commença à lui rendre son sourire, jusqu'à ce que ses yeux s'ouvrent en grand quand elle remarqua le pied d'Andrea glisser dangereusement et qu'elle ne s'étale sur les pavés, un juron quittant ses lèvres avec tellement de sincérité que Rose ne put que se sentir fière.
— Andrea ! s'écria Rose en courant vers elle. Elle l'aida à se relever et inspecta son corps à la recherche de la moindre blessure possible alors que Raphael se tenait toujours à sa place et explosait de rire. Tu vas bien, ma chérie ?
— J'irais mieux si mon grand frère arrêtait de rigoler comme une hyène et venait me faire un câlin à la place, riposta Andrea, lançant à Raphael un regard de la mort qui fit Rose se sentir fière de nouveau.
— Je suis désolée, c'est juste... que ça me rappelait quand nous étions petits et que tu pouvais à peine marcher, dit Raphael, raccourcissant la distance entre eux et donnant à Andrea une étreinte ferme, Rose les couvrant avec un parapluie. Tu m'as beaucoup manquée, petite.
— Toi aussi, imbécile, répondit Andrea en souriant. Et Rose, merci d'avoir accepté de m'accueillir. Ça me touche beaucoup.
— Pas de problème, sourit Rose, tirant l'adorable jeune femme dans ses bras en se fichant que ses vêtements soient détrempés. Bienvenue à Londres.
— Ouais, c'est cool. Je recommande.
— As-tu fait bon voyage ? Personne ne t'a embêtée, hein ? demanda Raphael, passant en mode grand frère protecteur. Les yeux de Rose regardèrent instinctivement ailleurs tandis qu'un visage flou s'approchait d'eux.
— Non, en réalité, un gentil jeune homme m'a même aidée, je...
Les sourcils de Rose se froncèrent, les engrenages dans son cerveau connectant tous les points que personne ne voyait. Elle le faisait souvent. Quand tout le monde ne voyait rien, elle trouvait des sens cachés. Quand les autres voyaient de la gentillesse, elle voyait des intentions masquées. Quand tous les autres accusaient quelque chose d'être une cause perdue, elle la sauvait.
— Et le nom de ce jeune homme... ne serait pas Finn ? murmura-t-elle, ses lèvres se serrant pendant qu'elle regardait par-dessus l'épaule d'Andrea.
— Si, comment as-tu... ? demanda Andrea en plissant les sourcils, mais sa voix se perdit quand un nouveau coup de tonnerre éclata dans le ciel et que le visage flou qui approchait devint clair. Rose ne l'avait jamais vu, et pourtant elle avait l'impression de l'avoir déjà fait. Certaines parties de lui se retrouvaient chez son frère.
— Désolé de vous interrompre, dit le garçon, s'arrêtant à quelques pas d'eux, menant à lui les yeux d'Andrea et de Raphael. La mâchoire de Rose se contracta quand son accent confirma ses doutes. Au moment où elle pensait que Thomas Shelby ne pouvait plus la surprendre, il lui faisait ça. Mais tu as oublié tes bagages, Andrea.
— Oh, merci beaucoup ! s'exclama-t-elle, complètement inconsciente du fait que Raphael foudroyait Finn du regard. Il était peut-être un Shelby mais il n'était pas son frère, c'était clair. Et Rose se sentit soudainement indignée en réalisant que même ses frères n'étaient pas épargnés du jeu d'échecs auquel Thomas insistait de jouer avec la vie. Mais Andrea, cette fille innocente près d'elle qu'elle avait porté, dont elle avait pris soin quand elle était bébé, n'en ferait pas partie.
Si Thomas Shelby voulait jouer, il devrait être prêt à être mis en échec et mat.
— Je suis terriblement désolée de t'avoir autant dérangé, lui dit Andrea, le soulageant des bagages en les passant à son frère grincheux.
— Ce n'est rien, répondit Finn, le sourire sur ses joues faisant ressortir ses fossettes. Les sourcils de Rose se relevèrent légèrement. Voilà donc à quoi ressemblait un Shelby en train de sourire.
— Tu as raison, ce n'est rien comparé à ce qui t'attend si tu ne gardes pas ta bite dans ton froc, mec, siffla Raphael, s'avançant de deux pas vers Finn et s'arrêtant devant lui. Le garçon aux tâches de rousseurs carra ses épaules et soutint son regard, soudainement plus Peaky Blinder qu'avant. Tu as l'air de t'intéresser à Andrea, Finn. Tu veux savoir quelque chose sur elle ? Elle a un frère. Et ce frère est champion de boxe.
— Et apparemment un gros menteur, rétorqua Andrea. Je me souviens vivement de Rose m'écrivant comment tu étais K.O. au dernier round, ce qui t'as fait arriver deuxième.
— Ce n'est qu'un détail, grogna Raphael en haussant les épaules, son regard toujours fixé sur Finn, et Rose leva les yeux au ciel. Les hommes et leurs egos. Le monde pourrait être un meilleur endroit s'ils se souciaient autant d'être bons que d'être virils. Je peux toujours me battre contre n'importe quel type qui essaie de profiter de ma sœur.
Avant que Finn n'eut le temps de répondre et faire tourner la discussion au vinaigre, Rose plaça une main ferme sur l'épaule de son serveur et s'avança, souriant au plus jeune des Shelby. Un sourire qui pouvait être aussi fatal que le regard de Raphael, mais juste un peu moins perceptible.
— Ne t'occupe pas de lui, Finn, Raphael adore être théâtral. C'est un plaisir de te rencontrer. Je suis Rose, dit-elle en le regardant hocher la tête, collectant l'information, se demandant comment Thomas Shelby avait prévu de s'en servir. Peut-être qu'il voulait juste la sonder, ou peut-être qu'il voulait lui envoyer un message, comme avec le sac à main. Je peux t'atteindre. Mais je suis sûre qu'on t'a assez retardé comme ça. Tu dois sûrement avoir un train à prendre ?
— Oui, absolument, je devrais y aller, acquiesça Finn, sortant le béret de sa poche et le plaçant sur sa tête. Pendant un quart de seconde, Rose vit son frère en lui, à l'exception du fait que Thomas Shelby ne souriait pas alors que le visage de Finn s'illuminait d'un sourire. Ravi de t'avoir rencontrée, Andrea. Je dois avouer que tu as un frère impressionnant, mais heureusement, c'est aussi mon cas.
— Te reverrais-je ? s'enquit la Française, ignorant comment Raphael pesta et croisa ses bras sur sa poitrine derrière elle.
— Oui, dit-il avec un clin d'œil qui provoqua presque un arrêt cardiaque aux deux De La Cour, mais pour des raisons très différentes. Je pense que oui.
***
Après s'être arrêtée à la maison que Rose avait arrangée pour que Raphael et Andrea puissent s'y changer, la French Kisser emmena les frères et sœurs à une petite boutique de South Kensington qui pouvait facilement passer inaperçue dans l'immensité des bâtiments fantastiques du Quartier Français. Mais pas aux yeux de Rose. Le Petit Paris n'était pas seulement le magasin de vêtements qui fournissait aux French Kissers les tenues les plus élégantes et les secrets ayant le plus de valeur, c'était aussi le rêve devenu réalité de son amie proche Sienna Yang.
— Rose, une boutique ! s'exclama Andrea avec excitation en regardant par la vitrine la soie magnifique et les robes en velours présentées. Et qui ressemble à celles de Paris ! C'est pour ça que je voulais que tu me fasses faire le tour de la ville, je sais que Raphael ne saurait pas m'emmener à ce genre d'endroits. On peut entrer ?
Rose rit à son enthousiasme et hocha la tête. La façon facile, authentique dont Andrea souriait – cela lui rappelait combien sa génération était différente, celle qui n'avait pas eu à soutenir la guerre. Celle qui pouvait sourire sans craindre que ça ne lui soit pris.
— Bien-sûr.
— Je n'ai pas d'argent pour t'acheter une robe, Andrea, alors ne rentre pas...
— Oh mon Dieu, regarde celle-ci ! l'interrompit Andrea, se ruant sur un mannequin présentant une robe dorée fastidieusement ornée de sequins argentés.
— Putain ! marmonna Raphael en voyant le prix. Je pourrais acheter toute la ville avec ça.
Andrea se retourna, ses épaules s'affaissant en entendant les mots de Raphael.
— Alors on n'est pas là pour m'acheter une robe ?
— Non, fit une voix derrière elle venant de l'arrière-boutique. C'était Sienna, avec ses cheveux bruns foncés et ses yeux brillants. Elle avait une présence charismatique, et Rose l'admirait énormément. Bien qu'elle travaillait avec des vêtements, Sienna détestait les étiquettes. Elle refusait de se glisser dans une boîte et être jugée. Quand la société essayait de la rabaisser en utilisant « femme asiatique » comme une insulte, elle s'en émancipait en le prenant pour un compliment. Elle était plus que ces mots. Elle était une personne dont l'âme recousait les autres. On est là pour t'en faire une.
***
Vingt minutes plus tard, après que Sienna ait pris les mensurations d'Andrea, Rose s'approcha de la jeune femme ravie et lui tendit un cadeau.
— J'espère que je ne paye pas pour ça ! prévint Raphael, même si la mauvaise humeur dans laquelle il était depuis sa rencontre avec Finn se remplaçait par la joie de voir sa sœur si heureuse.
— C'est un cadeau, Raphael, affirma Rose. Par ailleurs, quand est-ce que tu payes quoi que ce soit ?
Andrea déballa le cadeau vivement pendant que son frère protestait, ses sourcils se fronçant quand ses yeux se posèrent sur un holster fin en dentelle blanche et le couteau qui y était joint.
— Je... Ce n'est pas un rituel d'initiation, si ? Ne me dis pas que je dois tuer quelqu'un ?
Rose rit et sortit le poignard, le faisant tourner entre ses doigts avec agilité.
— Non. Mais je veux que tu portes ce couteau dans tes jarretières où que tu ailles.
— Rose..., intervint Raphael, voyant l'expression terrifiée se dessinant sur le visage de sa sœur.
— Je ne suis pas en train d'initier Andrea à l'art d'être une criminelle, Raphael, mais elle a besoin de savoir se défendre.
— Je suis d'accord. Je fais de la boxe, je lui apprendrai.
— Oui. Mais pendant ce temps, je veux qu'elle porte un couteau sur elle.
— Rose, ce n'est pas à quoi ce à quoi pensaient mes parents quand ils t'ont demandé de prendre soin d'elle.
— Raphael, Andrea est une jeune femme, une très jolie jeune femme. Tu sais ce qui arrive aux jeunes femmes dans les rues de Londres ? Il est hors de question que je laisse ça lui arriver, ou arriver à n'importe qu'elle autre femme. Pas sous ma garde. Alors, Andrea, prends le couteau, et Raphael, ferme-la.
Raphael crispa ses lèvres, mais il savait qu'argumenter ne servait à rien avec elle. Rose prenait juste soin d'Andrea, et au fond il était soulagé qu'elle le fasse. Être sous la protection de Rose était l'endroit le plus sûr de Londres où elle pouvait se trouver.
— Bon, maintenant, Andrea, il faut que tu saches que ce jeune homme que tu as rencontré à la gare, ce n'est pas qu'un gentil garçon. Son nom est Finn Shelby. Il est le frère cadet de Thomas Shelby.
— QUOI ? explosa Raphael, cherchant à prendre le couteau des mains de Rose. Donne-moi ce putain de couteau, je vais trucider ce bâtard tout de suite.
— Non, tu ne vas pas le faire, contra Rose, ses yeux le mettant plus en garde que des mots ne pourraient jamais le faire. On ne regardait pas ces yeux sans changer. Rose avait autant le pouvoir de guérir les hommes que de les briser.
— Qu'est-ce que ça signifie ? D'être un Shelby ? demanda Andrea, confuse.
— Ça signifie être un connard hautain qui pense pouvoir faire tout ce qu'il veut et s'en sortir indemne, voilà ce que ça signifie, gronda Raphael.
— Ça signifie qu'on ne les approche pas, corrigea Rose. Je m'occuperai de Thomas Shelby. Pendant ce temps, je veux que tu sois prudente avec Finn. Il essaiera très certainement de te revoir, mais tu dois avoir conscience qu'il le fait pour le compte des autres. Pour obtenir des informations de ta part. Sur moi.
— Pourquoi ? demanda Andrea, le regard interrogateur. Qu'est-ce que tu fais dans la vie ?
— Je fais... des mauvaises choses, finit par répondre Rose. Des choses qui peuvent blesser des gens bien s'ils ne font pas attention à qui ils font confiance, ou à ce qu'ils disent et à qui. Je ne veux pas t'effrayer, mais Londres ce n'est pas Amiens, Andrea. Et le plus tôt tu le réalises, le mieux c'est.
La jeune femme pris le couteau des mains de Raphael et regarda Rose, stupéfaite par combien elle avait soudainement l'air féroce.
— Montre-moi donc, veux-tu ?
***
— Alors tu fais des choses illégales ? questionna Andrea tandis qu'elles déambulaient dans les rues sombres de Londres, le même soir. Rose apprécia comment son ton était plus marqué par la curiosité que par la réprobation.
— En partie. J'essaie de faire autant d'affaires légales que possible, dit-elle en haussant les épaules. Ce n'est juste pas de ma faute si ce que je fais de mieux est considéré comme illicite. On ne peut pas tous avoir du talent du bon côté de la loi.
— Que fais-tu de mieux, alors ? A part m'offrir des cadeaux incroyables et gronder Raphael si merveilleusement bien ?
Raphael avait dû se rendre à la salle de boxe pour une affaire de dernière minute, mais Rose devait encore se rendre à un rendez-vous et avait décidé qu'il serait mieux d'emmener Andrea pour qu'elle puisse s'habituer au genre de vie qu'ils menaient ici. Dieu savait que les parents d'Andrea ne l'auraient jamais laissée quitter la France s'ils savaient ce que Rose faisait à Londres.
— Il vaut mieux que tu ne le saches pas. Ce que l'on ignore ne peut pas nous blesser.
— Tu en es sûre ? Tu disais que l'ignorance était le plus grand ennemi d'un homme.
Rose pensa à son sourire, à quel point il était immaculé des horreurs qu'elle avait vues.
— Eh bien, maintenant je considère ça comme une bénédiction. Et j'avais tort. Le plus grand ennemi d'un homme, c'est lui-même.
Mais Andrea n'était plus là. Elle était restée en arrière, s'émerveillant de comment les forgerons travaillaient, de comment les étincelles de feu dansaient devant ses yeux et disparaissaient dans l'épaisse fumée.
Puis le pire qu'elle puisse imaginer arriva, et Rose vit un homme aboyer quelque chose à Andrea, et Andrea avoir l'air outré, puis terrifié, puis humilié quand d'autres rirent autour d'elle, et ensuite une main taper son postérieur sans aucune once de son consentement.
Les poings de Rose se serrèrent sévèrement, ses ongles s'enfonçant dans ses paumes. Elle se considérait ouverte d'esprit sur de nombreux sujets. Toute forme d'agression n'en faisait pas partie. En deux secondes, elle était déjà aux côtés d'Andrea, attrapant son bras pour la pousser derrière elle. Rose regarda l'ouvrier avec des yeux menaçants, supportant son regard tandis qu'il la dévisageait de la tête aux pieds.
— C'est mon jour de chance, hé, chaque femme qui traverse cette rue est super..., commença-t-il en avançant sa main pour essayer d'attraper Andrea de nouveau, mais avant qu'il ne puisse faire quoi que ce soit, Rose s'était agrippée facilement à son bras et l'avait tordu douloureusement dans son dos, l'empoignant par la nuque et poussant dangereusement son visage près de l'un des fourneaux ouverts. Elle pouvait en sentir la chaleur brûlante d'où elle se tenait.
— La prochaine fois que tu penses à faire ça à une femme, je veux que tu imagines ton visage quelques centimètres plus près du four, menaça Rose, sa prise inébranlable sur l'homme qui gémissait faiblement. C'est clair ?
Au lieu de répondre, il pivota légèrement la tête et cracha par terre. Rose resserra sa poigne sur ses cheveux et approcha sa tête plus près du feu.
— Je répète : c'est clair ?
— O-Oui ! bégaya l'homme avant que Rose ne le relâche, observant la peau rouge de son visage sans aucun regret. Espèce de tarée !
— A quoi sert un jour de chance si l'on n'a pas de cicatrices pour s'en souvenir ? ironisa Rose en saisissant la main d'Andrea pour l'écarter de là. Tu vas bien ? lui demanda-t-elle quand elles furent en lieu sûr.
— Je... Oui. Je pense que oui. Ça ira mieux. Mais tu... Je...
— Je te le dis. Je fais des choses mauvaises.
Andrea opina du chef.
— Et tu les fais bien.
***
— Bien, mademoiselle Salvage, je suis enchanté d'enfin vous rencontrer. J'ai beaucoup entendu parler de vous. En bien, je vous rassure.
La pire façon de finir sa journée était pour Rose d'être coincée dans un bureau avec un politicien imbu de lui-même qui la rabaissait juste à cause de ce qu'elle avait entre les jambes, et c'était pourtant pour elle la façon la plus commune de finir sa journée. Heureusement, cette fois c'était avec un ministre français, donc considérablement plus supportable qu'avec les anglais.
— Comme ? questionna Rose avec un sourire forcé en faisant un geste pour qu'il s'asseye en face d'elle. L'homme d'Etat français visitait Londres pour s'assurer que les affaires françaises fonctionnaient bien en Angleterre, et on ne pouvait pas parler d'affaires françaises sans mentionner Rose Salvage. Elle avait constamment été l'une des plus grandes sources de revenus pour la France ces dernières années ; un acte qui, en plus de ses relations et de son patriotisme, étaient fortement apprécié par la République française.
— Eh bien, tout d'abord, j'ai entendu dire que vous contrôlez presque chaque port de Calais jusqu'à Dieppe, dit l'homme, sortant une cigarette de sa poche. Beaucoup d'entreprises n'apprécient pas un tel monopole, mademoiselle Salvage.
— Quand je n'apprécie pas quelque chose, j'agis pour changer la donne. L'ont-elles fait ?
— Bien vu, opina-t-il du chef. Vous avez un business légal considérable ici en Angleterre, des usines industrielles à des accords commerciaux, en passant par un réseau de cafés réputés, de magasins et de chambres d'hôtes. Les rumeurs disent même que vous songez à ouvrir un hôtel.
— C'est dans mes projets, acquiesça Rose. Des idées de nom ?
L'homme sourit, pointant sa cigarette vers elle avant d'en inspirer une grande bouffée, permettant à la fumée de souligner ses mots.
— Le problème est que vous trempez également dans une quantité considérable d'affaires illégales, comme la vente d'armes, le trafic et l'alcool de contrebande. J'ai aussi entendu dire que votre distillerie d'absinthe a beaucoup de succès. Je suis sûr que vous le savez déjà, mais à cause de ses effets hallucinogènes et néfastes, l'absinthe est interdite en France, et pourtant vous continuez à en introduire clandestinement dans notre pays.
Ah, la voilà. « La fée verte ». Son secret le plus précieux. La production et la vente d'absinthe avait été l'une des façons les plus stables qu'elle avait trouvé pour construire sa fortune, et elle n'était pas prête à l'abandonner juste pour le caprice de quelques hommes politiques.
Il n'y avait que deux choses auxquelles Rose était loyale : sa famille et son pays. S'il devait se produire une nouvelle guerre, elle savait qu'elle mourrait volontiers pour les deux de nouveau. Mais il y avait une différence aveuglante entre eux. Sa famille se sacrifierait tout autant qu'elle pour la sauver. Son pays la remercierait simplement pour son sacrifice et l'oublierait peu après. Alors elle devait s'assurer que, au cas où elle mourrait, sa famille n'aurait pas encore à se battre pour survivre. Qu'elle aurait un futur même si elle n'était plus là pour le voir. Alors si tout devait s'effondrer, et si elle avait à choisir entre la volonté de son pays et la sécurité de sa famille, le sang serait toujours son seul choix.
— Je vous assure que l'absinthe n'est pas plus dangereuse que n'importe quel autre spiritueux. Vous devriez plutôt vous occuper du trafic d'opium et de cocaïne. C'est ce qui détruit réellement les hommes qui ont survécu à la guerre. Ça, en plus du manque de soutien complet de l'Etat, bien-sûr.
— Je me contrefiche de ce que vous vendez ici en Angleterre, rétorqua l'homme, ignorant sa remarque. Je me fiche que vous l'expédiez aux Etats-Unis. Mais le gouvernement français n'approuve pas le fait que vous insistiez à en trafiquer ici.
— Je ne vois pas de quoi ils se plaignent. Presque tout l'argent que je gagne revient à la France, pour construire des écoles et des hôpitaux, des orphelinats et des institutions, pour que les Français puissent avoir une meilleure vie que mes sœurs et moi avons eue. Pour qu'ils n'aient pas à quitter leur pays pour avoir une vie meilleure, comme je l'ai fait. Je prends soin de mon peuple, monsieur. En faites-vous autant ?
— Vous savez, quand j'ai entendu parler de vous pour la première fois, je n'y croyais pas, admit le politicien, tapotant sa cigarette dans le cendrier pour en retirer la cendre. Une femme dirigeant tellement d'hommes, tellement d'usines et d'entreprises, capable de conclure des accords même avec les diables les plus craints. Une femme à la tête d'un gang sans que personne ne sache qui elle est. Dites-moi, comment avez-vous fait ? Pour avoir conservé le secret de votre identité ?
— Vous l'avez dit vous-même, monsieur, dit Rose, ouvrant son portefeuille et en sortant une cigarette. J'ai la meilleure protection dont je puisse rêver : la société, et sa croyance absurde mais bien ancrée qu'une femme ne peut rien commander, encore moins un empire criminel. Ce sont les gens qui me protègent, à chaque fois qu'ils refusent de croire qu'une femme peut être le chef. Personne ne me soupçonne grâce à cela.
— Il y a bien des gens qui ont dû vous suspecter, à l'heure qu'il est.
— Peut-être, répondit Rose en haussant les épaules. Ils ne sont plus là pour en parler. Quant à l'absinthe, je crois comprendre que le gouvernement français serait plus enclin à l'accepter si quelques parts du profit généré par sa vente lui revient ?
Les yeux du Français scintillèrent légèrement, la courbe de ses lèvres dessinant un sourire.
— Je comprends mieux pourquoi vous êtes la cheffe, mademoiselle Salvage.
***
Arrow House, Warwickshire
Seul dans ce grand bureau, Thomas Shelby ne se sentait pas l'âme d'un Dieu. Il ne se sentait même pas l'âme d'un roi, juste comme un homme solitaire dont les aiguilles de l'horloge bougeaient trop lentement pour un esprit qui travaillait trop rapidement. Soupirant profondément, il s'enquit de la came d'opium dans le tiroir de son bureau. Il avait le sentiment que ça allait encore être une longue et blanche nuit. Et il rêvait encore. D'épouses et de roses mortes.
Parfois – trop souvent à son goût –, il trouvait son esprit en train de voguer vers cette femme fascinante qu'il avait rencontré des semaines plus tôt, vers la façon dont elle avait réussi à le sortir de sa torpeur avec ses mots mystérieux et son sourire énigmatique. Parfois, il se demandait si elle existait vraiment ou si elle n'était qu'un autre produit de son imagination, un fruit de son esprit ravagé. Il ne savait pas. Tout ce dont il était sûr, c'était que son envie de la revoir était bel et bien réel, et de plus en plus difficile à ignorer.
Il secoua la tête et toucha l'emballage de ses doigts. Il ne pouvait plus gérer la douleur, l'opium aurait à le faire pour lui. Il ne pensait pas qu'on le dérangerait, et qu'il allait pouvoir au moins passer une nuit calme, jusqu'à ce que son petit frère Finn débarque dans la pièce, son visage tatoué de tâches de rousseur tordu par le mécontentement.
— Bon sang, Tommy, tu aurais pu me le dire !
Thomas le regarda avec impassibilité, une cigarette pendant dans ses doigts, tandis que ses yeux presque transparents essayaient de comprendre ce que racontait son jeune frère.
— Te dire quoi ?
— Qu'elle était... tu sais... jolie !
Thomas haussa les sourcils, son pouce grattant son front alors qu'il essaya puis échoua à pardonner Finn pour avoir interrompu ce moment de tranquillité pour une si maigre raison. Il aurait dû anticiper cette réaction, après tout. Il avait été un adolescent, lui aussi, il y avait plusieurs vies de cela.
— Qui ?
— Qui ? A ton avis ? Andrea, évidemment ! s'exclama Finn, sa voix s'élevant à quelques décibels inutiles en essayant d'exprimer son indignation à un homme qui se fichait royalement du ressentiment des autres. Je ne veux pas voir une seule de nos lames de rasoir près de ce visage !
Thomas soupira et posa la cigarette sur son bureau.
— Je ne pouvais pas te dire qu'elle était jolie vu que je ne l'ai jamais vue, Finn.
— Même si tu l'avais fait, tes yeux auraient été trop focalisés sur Rose pour remarquer quelqu'un d'autre, hein, Tommy ? Depuis que tu as rencontré cette femme, tu n'as aucune autre idée en tête.
Thomas ne dit rien. Le silence était pour lui une forme de protestation, mais pas cette fois.
— Mon Dieu, Arthur et John me manquent. Au moins ils ne me demandent pas d'espionner des filles innocentes pour que je puisse en savoir plus sur les gens qui les ont entubés.
— Tu peux toujours leur rendre visite. La dernière fois que j'ai vérifié, les prisons acceptaient toujours les visiteurs.
— Oui, et pourquoi pas sniffer de la coke juste devant les flics, hein, Thomas ? ricana Finn en secouant la tête. Je veux que tu me tiennes hors de tout ça. Je n'utiliserai pas Andrea juste pour que tu puisses atteindre Rose.
— As-tu au moins pu apprendre quoique ce soit d'utile ?
— Seulement que le frère d'Andrea est un putain de boxeur super flippant.
— Un Shelby ? Terrifié par un boxeur ? grogna Thomas, prenant la cigarette de nouveau et la faisant glisser sur ses lèvres. A-t-on un problème, Finn ?
— Non. Mais je n'utiliserai pas Andrea. Peu importe ce qui se passe entre toi et Rose, je ne veux rien avoir à faire avec ça.
— Ça me semble juste, affirma Thomas, fermant le tiroir et faisant un geste vers Finn avec sa cigarette. Donc, tu l'as trouvée jolie. Je suppose que tu veux la revoir. J'ai raison ?
Finn ne répondit pas, ce qui était déjà une réponse en soi.
— Bien, va te préparer, Finn, dit Thomas, claquant ses paumes sur le bureau. On va à Londres.
*
DISCLAIMER : ce chapitre est l'œuvre de endIesstars, je ne fais que le traduire en français.
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