3. Le Devoir Des Maîtres
3. Camélia Tsubaki Shirotora : Le Devoir des Maîtres
Le bras droit de mon cousin entre soudainement dans ma chambre, alors que la nuit est déjà tombée. Instinctivement, je me relève et me mets sur mes gardes. Aucun homme excepté Satoshi n’a le droit d’arpenter cette aile de la maison. Dans tous les cas, les raisons sont mauvaises. Il s'incline en voyant ma position d’attaque et s’excuse de l’intrusion.
— Quelque chose de grave est arrivée, Mademoiselle Camélia, continue-t-il toujours la tête baissée.
— Relevez-vous, dis-je en relâchant ma défense. Poursuivez.
— Maître Satoshi Shirotora a été kidnappé, mademoiselle.
Une soudaine panique vient naître dans mon estomac, une douleur puissante qui traverse mon être. Mon cousin, mon frère. Satoshi. Non, que se passe-t-il ? Qui peut bien s’en prendre à lui ?
— Il a été enlevé il y a quatre heures, nous n’avons aucune trace, ni piste à ce sujet pour l’instant.
— Alors que faites-vous dans ma chambre ? Retrouvez votre maître, et ramenez-le moi !
— Mademoiselle, en l'absence de votre cousin, ajoute-t-il d’un ton peu sûr de lui. Vous donnez les ordres. Nous avons besoin de vous en bas.
— Il en est hors de question, je ne descendrais pas, pas moyen de me retrouver avec quinze tigres en rut de votre sorte, je lance avec dédain. Qui me dit que vous ne me mentez pas ?
— Mademoiselle Camélia, répond-il avec un ton ferme maintenant. Je vous connais depuis votre arrivée du Japon, je suis aux côtés de Sato depuis son enfance. Il est autant votre cousin qu’il est mon frère. Je vous protégerai au péril de ma vie.
Son petit discours arrive à me convaincre facilement, en même temps, je sais qu’il a raison. Hiro est le bras droit de mon cousin depuis qu’ils sont enfants, ils ont fait leur apprentissage ensemble. Quand il sort enfin en me répétant par deux fois que lui et ses hommes m’attendent en bas, mon esprit sature à force de carburer à mille à l’heure. Que se passe-t-il bon sang ?!
Sato a tout fait pour me tenir éloigné du monde qui a tué plus de septante pourcent notre famille. Il m’a inscrite dans un lycée public, il a payé tous mes frais de scolarité pour l’université. Aujourd’hui diplomée d’un master en histoire japonaise, je n’ai aucune idée de comment gérer une putain de mafia !
Mon pouls commence à s’accélérer, ma tête à tourner. Il faut que je respire, que mon calme revienne.
— Satoshi qu’as-tu fait d’aussi grave pour que cela prenne de telle proportion ? je lance en trouvant un leggin noir et une jacquette de la même couleur.
Habillée d’un ensemble d’agent secret, je descends les escaliers et traverse toutes les pièces pour retrouver Hiro et ses dix hommes de main. Tous s’inclinent devant moi, laissant une sensation étrange dans ma poitrine. J’ai l’habitude de leur révérence, mais savoir que j’ai un contrôle sur ces personnes, me procure un sentiment de plaisir inavoué, une puissance avare.
C’est donc cela que tu ressens tout le temps, mon cousin ?
C’est ce plaisir de force qui te fait avancer ?
— Mademoiselle Camélia, s’écrie Hiro. Vous êtes à la tête du clan des Tigres Blancs. Jusqu’au retour de Satoshi, vous serez notre cheffe à tous.
— Relevez-vous messieurs, dis-je avec moins d’entrain que d’habitude. Nous allons retrouver le jeune maître Shirotora. Je n’aurais pas le temps d’être votre cheffe. Ce rôle revient à mon cousin.
— Avec tout le respect que je vous dois, lance un des hommes d’Hiro. Vous êtes l’héritière des Tigres Blancs, si nous sommes ici, c’est pour voir le sang de maître Sarutobi Shirotora prendre le contrôle sur la pègre.
— Loyauté à maître Sarutobi Shirotora, s’écrient en même temps toutes les personnes présentes dans la pièce.
Mon cœur se serre à l’idée que ces gens puissent vouer une telle loyauté à mon père. Cet homme droit et sage, trahi par les Dragons ! Jusqu’à maintenant, quatorze ans plus tard, ces gens, ici-présent, protègent et défendent l’honneur de notre clan.
Une douleur profonde vient tordre mon ventre, une peur… Je ne veux pas revivre ça, je veux pas perdre ma famille.
Serrant les dents, je prends une profonde inspiration. Je dois à tout prix retrouver Satoshi et ré-instaurer l’équilibre dans notre clan.
— Quelles sont vos dernières informations sur la localisation de Sato, je demande en prenant place derrière le bureau de mon cousin. Son téléphone est-il localisable ? Avec qui était-il juste avant qu’il ne disparaisse des radars ?
Les onze hommes dans la pièce me regardent avec étonnement, puis comme d’une fierté, un sourire vient naître sur leurs visages. Ne comprenant pas trop eux-mêmes leurs réactions, ils agitent la tête comme pour se mettre au travail. Le garçon qui a pris la parole ne doit pas être plus vieux que Hiro ou Sato, il me tend une enveloppe en me disant qu’ils viennent tout juste de recevoir ses informations, j’y sors plusieurs clichés.
— Camélia, prononce Hiro lentement. Que sais-tu à propos de la famille Ryuu ?
Un frisson glacial parcourt ma colonne vertébrale à l'évocation de ce nom de famille. Les traîtres ! Les Dragons !
— Qu’ils sont des traîtres, je n’ai plus entendu ce nom depuis quatorze ans. Quel est le rapport ? je demande avant que des pièces viennent combler les trous. Non, non, non ! Ne me dis pas ça Hiro ?! En quoi nos familles sont-elles impliquées ?!
En regardant les photos dans mes mains, j’y vois Satoshi avec une femme entrant dans un bordel. Sur une autre, la femme est seule. Une autre, un homme typé asiatique ouvre la porte. Sur le coin des photos, les chiffres laissent voir que trois heures se sont écoulées entre la première photo et la dernière.
— C’est John Ryuu ici, lance Iro. Je suis sûr que c’est lui qui a kidnappé Sato.
— Quel est le dernier emplacement du portable de Sato ?
On me tend une carte et un membre place une croix sur le dernier signal gps laissé par le portable de mon cousin. J'établis une limite de traçage, et commence à réfléchir. Soudain, mes yeux trouvent sur la carte une zone non répertoriée.
— Qu’y a-t-il ici ? je demande en pointant l’emplacement du doigt.
— Le quartier Japonais, mademoiselle.
— Il est là-bas, dis-je sûre de moi. C’est certain. Allons-y, nous devons le récupérer tout de suite.
— Ce n’est pas si simple, répond l’autre garçon. Ils nous surpassent en nombre et en armes. Nous devons réfléchir à une stratégie. Ça ne sert à rien de se jeter dans la gueule du Dragon.
Ce n’est vraiment pas le moment de faire des jeux de mots. Sa manière de me parler me procure le même effet qu’une craie sur un tableau. Moi, qui le trouvait mignon, je lance mes longs cheveux noir en arrière et le pointe du doigts devant tout le monde.
— Je te trouve bien arrogant de me répondre de la sorte ! Au lieu de faire des jeux de mots sur la vie de mon cousin, tu ferais mieux de trouver une solution !
— Proposez des idées, lance Hiro.
Les hommes imaginent des stratégies les plus folles les une que les autres. Quand l’arrogant prend la parole, ce n’est plus pour jouer de la situation.
— Il nous faut localiser sa position exacte, dit-il. Nous devons placer un membre des Tigres Blancs dans la maison, repérer le jeune maître et le sortir de là.
— Comme quoi, les mots qui sortent de ta bouche peuvent être une bonne idée, je réponds d’un ton froid. Qui va infiltrer la famille Ryuu ?
Tous se regardent les uns les autres. Des mines étonnées s’affichent sur leurs visages, puis d’un mouvement lent, ils se retournent tous vers moi.
— Pourquoi me regardez-vous de la sorte ?
— Mademoiselle Camélia, ajoute lentement Hiro. Nous ne pouvons pas infiltrer les Dragons Noirs.
— Et pourquoi ça ? je demande avant de lâcher un petit rire nerveux. Parce que vous pensez que je peux le faire ?!
— Nous avons tous une marque sur le corps représentant notre clan, répond l’arrogant. Il n’y a qu’un moyen d’infiltrer quelqu’un dans leur résidence et c’est à travers les domestiques.
Je rigole maintenant, les domestiques ? Moi, une domestique ? Je ne serais jamais crédible.
— Vous n’avez aucune trace de votre affiliation, reprend-il. Ils ne découvriront jamais qui vous êtes, mademoiselle.
— Vous n’avez pas pensé à ça, je rétorque. Ils connaissent mon visage, ils vont me reconnaître, c’est certain !
— Tous les membres des Dragons Noirs sont morts, argumente Hiro. Le chef est au Japon, toutes les personnes habitant dans le quartier japonais, ne vous ont jamais rencontré.
— Je refuse !
— Vous n’avez pas le choix, mademoiselle Camélia, me répond-il en levant la voix. Si nous devons exécuter un autre plan, ça nous prendra des semaines et Satoshi pourrait déjà être mort. Nous n’avons pas le temps de réfléchir plus.
— Non, je vous dis que je refuse !
— N’aimez donc vous pas votre cousin ? demande Hiro avec défiance dans la voix. Celui qui a tout fait pour vous ?
— Je n’aime pas votre ton, n’oubliez pas à qui vous parlez, je lance avec fierté dans la voix. Faites les préparatifs. Je dois me préparer.
— Avec tout le respect que je vous dois mademoiselle Camélia Tsubaki Shirotora, répond Hiro d’une voix plus calme. Vous… N’oubliez pas qui vous êtes.
Une tension vient se répandre dans mes muscles. Je passe la porte du bureau et retourne dans ma chambre à grande vitesse. Enfermée à double tours, je m’écroule au sol, ramenant mes jambes à moi. La peur que j’ai ressenti plus tôt ne s’en va pas, au contraire, elle est en train de prendre le dessus sur ma personne.
— Oto-san, que dois-je faire ? je demande en priant vers le ciel.
Satoshi est ma seule famille, la seule personne présente pour moi depuis quatorze ans. Je dois le retrouver, il faut que cette peur s’en aille, la vie de mon cousin en dépend.
Je règle mes affaires personnelles, j’envoie un mail à mes deux amies en disant que je dois partir pour le Japon en urgence, que je ne sais pas quand est-ce que je reviendrais… Si je reviens.
Une joie amère vient emplir mon ventre quand je pense à mon nouveau travail. Je viens tout juste d’être engagée comme assistante à l’université, mais maintenant, c’est sûr que je vais perdre mon boulot. Je leur envoie un mail d’excuse, en expliquant un faux départ, pendant que des larmes viennent perler mes yeux.
Mon dieu, mais qu’est-ce qui se passe ?! Suis-je en train de rêver ?
Mes yeux s'alourdissent, je n’arrive plus à contrôler les muscles de mon corps qui se fatiguent. La force de rester éveillée s’enfuit, pour m'engouffrer dans un sommeil lugubre.
***
Un toquement puissant vient frapper à la porte me faisant redresser d’un bond. Le souvenir d’un cauchemar traîne au fond de ma tête qui me fait mal. Quand Hiro passe la porte, je sais que les dernières heures sont bien réelles. Satoshi a été kidnappé, et je dois infiltrer les Ryuu, ces satanés Dragons Noirs pour le sauver.
— Mademoiselle Camélia, dit Hiro. Nous devons vous préparer.
— Laissez-moi me doucher, je réponds. Je vous rejoins dans le bureau.
En direction de ma salle de bain, je me prends à trembler. Un frisson glacial me parcourt la colonne vertébrale pour faire venir le plat chinois d’hier soir. Je cours vers la cuvette pour rendre ces satanées crevettes.
Je crois que je n’en mangerais plus jamais !
Rendant une deuxième fois, aucun contrôle ne m’anime, des larmes se déversent sur mes joues. Des hoquets puissants, coupant tout air dans mes poumons. La frayeur est si intense dans mes entrailles. La peur d’être découverte. Me traînant au sol, je me glisse dans la baignoire. Je sais que je n’ai pas le temps, mais c’est comme si mon corps m’abandonnait. Le bassin se remplit rapidement, recouvrant mon corps d’une chaleur insoutenable, mes muscles se détendent quand même. Pendant quelques secondes, je ne pense à rien et un sentiment de calme m'envahit, comme si je m’assoupissais.
J’entends la voix d’Oto-san, je l’entends distinctement.
— Papa ? demande la voix d’une enfant.
Dans son bureau, Papa parle avec quelqu’un… Je ne vois pas très bien son visage. Mais il a le dessin d’un dragon sur le cou. Ce n’est pas très joli, mon papa a un tigre dans le dos, et je le trouve très joli son dessin. Il a dit que quand je serais grande, je pourrais aussi avoir le dessin d’un tigre si je le voulais.
— Moi aussi, j’ai hâte d’avoir mon dessin, je chuchote derrière la porte coulissante.
— Tu veux quoi comme dessin ? me surprend un petit garçon de mon âge.
— J’aimerais bien une tigresse blanche et bleu, répond ma petite voix en entraînant le petit garçon dans le couloir. Et toi ?
— Un dragon noir et bleu.
Papa et le monsieur sortent lentement du bureau, et on entend le monsieur dire :
— Quoi qu’il arrive, leurs destins sont liés.
Secouée par des bras, mes paupières se lèvent pour me voir dans la baignoire, l’eau débordant de toute part. La voix d’une domestique crie mon nom, elle panique et commence à s’agiter. J’essaie de parler, mais ma voix est enrouée. J’attrape sa main pour la rassurer, et me lève par la même occasion. Étourdie, mes jambes chancellent encore. La jeune fille m’aide à sortir du bassin et m’entoure d’un linge. Assise sur le banc en carrelage rose, elle me tend un verre d’eau que j’avale d’une traite.
Reprenant mes esprits, j’essaye de me souvenir la voix de mon père, je l’ai entendu parler juste avant. J’ai l’impression d’être folle, c’était si réel. Que disait-il déjà ?! Merde, je m’en souviens plus ! Une migraine vient noyer ma tête au moment où je cherche désespérément les paroles de mon paternel.
— Mademoiselle Camélia. Vous devriez aller voir un médecin, je dois le dire à Hiro-san.
— Non, ne dites rien, dis-je en la stoppant dans son élan. Je vais bien, alors s’il vous plaît gardez ça pour vous.
— Mais mademoiselle ?! S’il vous arrive quelque chose, vous ne serez pas en mesure de sauver maître Satoshi, ni même de revenir. Vous devez annuler ce plan.
— Nous ne pouvons pas, je lance me relevant. Nous n’avons plus de temps. Je dois me préparer maintenant.
À dix heures du matin, j’entre dans le bureau de mon père habillée d’une combinaison noir de combat. J’ai bien fait d’avoir insisté auprès de Satoshi pour qu’il m'en fasse faire une.
Enfant, j’ai appris à me battre, mon père m’a éduquée comme ses fils, mais une fois arrivée aux États-Unis, j’ai abandonné les arts-martiaux. L’année dernière, nous avons dû faire un cours de self-défense, je n’étais pas trop pour à la base, mais j’y ai pris goût, et j’ai continué toute l’année qui a suivi.
— Finalement, ses cours vont me servir à quelque chose, dis-je une peur au ventre.
— Que dites-vous Mademoiselle Camélia ? demande Hiro.
— Rien, rien, dis-je en m’installant sur le fauteuil en daim brun. Ne perdons plus de temps, comment allons-nous procéder ?
Arisu, le second d’Hiro répond :
— Vous avez un entretien à la résidence principale des Ryuu à quinze heures. Si vous êtes prise, vous travaillerez directement. Voici vos horaires, l’uniforme et un nécessaire.
— Je vais devoir loger là-bas ?
— Du lundi au vendredi, vous avez vos permissions les week-ends, ajoute Hiro. Mais nous n’attendrons pas jusque-là. Deux semaines, c’est tout ce que nous avons.
Deux semaines ?! Jamais, je ne tiendrais. Ils vont me découvrir avant, c’est certains.
— Les premiers jours, affiliez-vous avec l'environnement, conseille Arisu. Observer les gardes, les domestiques, et surtout…
— Une voiture vous déposera en ville vendredi soir, après votre service, lui coupe Hiro. Vous aurez un itinéraire à suivre, et Arisu viendra vous chercher.
— Et surtout quoi, Arisu ? je lance tout en regardant Hiro.
— Faites attention à vous, mademoiselle Camélia.
La tension qui traverse mon corps me fait mal. Les choses se concrétisent. À quinze heures, je signe peut-être mon arrêt de mort.
— Quelle est la suite du plan ? je demande, les yeux troubles.
— Nous verrons à votre retour, répond Arisu.
— Non ! Donnez-moi toutes les informations détaillées du plan, je rétorque. Je ne peux pas risquer ma vie sans savoir dans quoi je m’embarque.
— Nous ne savons pas où est Satoshi, confie Hiro. Ta mission est de découvrir où ils l’ont enfermé. Tu dois te préparer maintenant, la couturière t’attend pour les retouches de ton uniforme.
— Je serai votre second à partir de maintenant, annonce Arisu. Tu ne seras pas seule, je t’aiderais.
Ses mots aussi rassurant soient-ils ne font pas l’effet escompté. J'acquiesce tout de même de la tête et sors du bureau sans vraiment le réaliser. D’un pas lent, je me dirige vers l’atelier et trouve une dame âgée habillée d’un kimono.
— Installe-toi, mon enfant, dit-elle d’une voix douce, en indiquant un siège devant un miroir. Il est si dommage de cacher un visage pareil. Vous ressemblez tellement à votre père.
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