Pov Clay

J'arrive au ranch avec Danny, le rugissement de nos motos brisant le silence de la campagne californienne.
Le logo des "Bloody Fist MC", un poing ensanglanté orné de chaînes, trône au-dessus de la barrière d'entrée. Deux gardes massifs, armés jusqu'aux dents, nous fixent en silence. Les caméras de surveillance pivotent, capturant chaque mouvement. Nous coupons les moteurs.

— Génial, dit Danny, sarcastique. C'est charmant comme endroit.

— J'aime bien !

Je fais un signe aux gardes et je m'avance vers eux, mon regard inquiet est dissimulé derrière une grosse paire de lunettes de soleil. J'ai bien conscience qu'on pénètre dans un territoire de serpents à sonnettes.

— On a rendez-vous avec la direction, je déclare en m'allumant mon 10e cigare de la journée.

Le garde est impressionnant, il me fait penser à Burt, j'évite de lui souffler ma fumée à la figure.

— Vous êtes qui, les gars ?

— Les frères Williamson.

— J'vois ça. Attendez.

Je regarde mon frère. Il me fait la tête. Certainement à cause de Gaby. En fait, j'avais décidé de faire semblant de l'abandonner sur une aire d'autoroute, histoire de bien la calmer. Sauf que quand on est revenu la récupérer, elle avait carrément disparu. On a cherché à fond, elle n'était nulle part !

— Tu m'en veux pour Gaby, c'est ça ?

— Ouais ! éructe-t-il. Tu l'as traitée comme de la merde ! À force de tirer sur la corde, elle se brise, tu sais.

Je souffle une bouffée de fumée, le sourire en coin.

— Je la retrouverai. Tôt ou tard, je la retrouverai. Mon destin est lié à cette fille.

J'ai pas le temps de développer le sujet. Les gardes reviennent vers nous, l'un d'eux prend la parole :
— C'est bon, vous êtes effectivement attendus. Vous pouvez y aller, mais vous roulez au pas. C'est facile à trouver, vous suivez juste la route.

— Ok !

La barrière s'ouvre dans un grincement métallique et nous nous engageons au ralenti. On avance vers le ranch. Tout le long de la route, nous croisons différents campements occupés par des bikers. Ceux-ci nous zieutent en silence. On passe devant certaines vieilles baraques marquées de balles. Des mecs réparent des motos, discutent en petits groupes, jouent aux cartes. On se croirait dans le Bossu de Notre Dame : c'est la cour des miracles.

En arrivant devant le ranch principal, je suis frappé par son immensité. Il est tellement californien : luxueux, gigantesque, bien plus imposant que tout ce que j'imaginais. Devant nous, sur le porche, se tient un groupe d'individus ricanant. À leur tête se tient un gaillard à la silhouette fine et sportive. Il porte une tenue en cuir blanc immaculé et s'appuie, tel un dandy, sur une longue canne. Ses cheveux argentés contrastent fortement avec son sourire malsain. Ses potes se tiennent autour de lui, les regards aiguisés comme des rasoirs.
J'avoue que cela est déjà fort spectaculaire, mais pas autant que ce qui se passe à quelques mètres de nous. À notre gauche, un homme, nu comme un ver, est attaché à un poteau. Le dos en sang, il se fait flageller sans pitié par un malabar torse nu qui envoie ses coups comme un forcené.
Je sens une gêne monter en moi, mais j'avance. Danny me suit, légèrement en retrait. Nous marchons sur des œufs. Néanmoins, je trouve les ressources pour demander d'une voix ferme :

— Monsieur Parmentier ? Monsieur Law ? Monsieur Newcombe ?

Parmentier, l'homme en blanc, hoche la tête, sourit sinistrement et répond d'une voix de stentor :
— On est tous là ! Voici Peter Law (il désigne le gars de gauche) et voici Buster Newcombe (il désigne celui de droite). Mais permettez que je vous présente aussi notre nouvelle associée.

Parmentier pointe le doigt vers un gros fauteuil à roulettes qui nous tourne le dos. L'immense dossier me masque tout, je ne vois qu'un bras nu, tout mignon et tout féminin, qui dépasse. Mais... Une femme dirigeante ? Chez les Bloody Fist !? C'est quoi ce délire ?

Le fauteuil pivote, lentement, Danny et moi regardons avec autant de scepticisme que d'attention.

— Notre nouvelle associée, annonce spectaculairement
Parmentier... Mme Gaby Fielding !

Je découvre alors Gaby, assise en tailleur, avec sceptre en main et couronne en or sur la tête, qui me fait un sourire fort amusé.

— Alors les petits gars, nous dit-elle d'un air royal, vous quémandez mon aide ?