Chapitre douzième
Les quatre vampires gisaient au sol, inconscients, sans défenses, et le temps défilait comme un long fleuve calme et limpide.
Autour d'eux, la ville était silencieuse, plongée dans la pénombre du soir et de la nuit qui se cachait derrière les couleurs ambrées du couchant.
Une silhouette couverte d'une magnifique cape de velours mauve s'avança dans la ruelle et vit les quatre hommes au sol. Intriguée, elle se pencha vers eux et vérifia qu'ils étaient tous en vie, avant que l'un d'entre eux ne se redresse en gémissant, perdu et visiblement blessé à l'épaule.
-S-Songe, murmura-t-il en jetant des regards paniqués autour de lui.
En voyant la silhouette devant lui, il se releva maladroitement et se mit en position défensive pour protéger les trois autres, mais il faillit retomber, faible.
-Cela faisait longtemps, Macabre, sourit la silhouette à l'intention du vampire, en italien.
En le reconnaissant, le roi soupira d'aise en ne comprenant plus grand chose.
-Tes amis n'ont pas l'air en forme, ricana le squelette devant lui, taquin. Mes filles et mes fils vont s'occuper d'eux, ma maison n'est pas loin. Tu m'expliqueras ce que vous faites ici plus tard...
Macabre acquiesça et plusieurs jeunes hommes et femmes s'approchèrent pour aider les vampires inconscients et les emmener ensuite dans une grande bâtisse illuminées par des lanternes d'un style plus oriental. Sur la façade se lisait un simple nom : Eden Hortus.
******
Lorsque Encre émergea de son sommeil, il avait un mal de crâne à hurler. Encore embrouillé, il se redressa et soupira d'aise en sentant de nombreux coussins contre son dos.
-Fallacy...
-Bonsoir joli môme, roucoula une voix féminine non-loin de lui.
Le peintre sursauta et vit, penchée au-dessus de lui, une femme d'une grande beauté qui portait une robe avec un décolleté scandaleux. Rougissant comme rarement, il se recula et faillit tomber du divan sur lequel il était.
-Maria, cesse donc d'importuner notre invité, ordonna une voix douce et amusée. D'autres clients t'attendent dans la Jardin~
Avec une moue déçue, la jeune femme s'éloigna et sortit de la pièce en roulant ses hanches. Encre inspira en calmant ses rougeurs et regarda ensuite le squelette aux pupilles violines habillé de vêtements orientaux aux couleurs mauves et turquoises.
-Bonsoir jeune homme, sourit-il en s'asseyant à côté de lui et en lui tendant une coupe de vin.
Le peintre l'accepta avec gratitude et en but la moitié. Son interlocuteur avait une voix à fort accent italien.
-Avant que tu demandes, tes amis vont bien, reprit l'étrange personnage en se levant. Suis-moi, ils t'attendent dans notre Jardin secret~
Le ton enjôleur de l'autre le mit un peu à l'aise mais il hocha simplement la tête et se dépêcha de le suivre, inquiet pour ses amis. L'italien le conduisit à travers des couloirs où la lumière projetait des ombres rouges et or sur des tentures de soie lisses et douces, une agréable odeur d'encens flottait dans l'air et l'on pouvait entendre au loin un air de musique joué par une cithare.
-Excusez-moi, commença Encre en s'approchant de son hôte. Mais qui êtes-vous ? Et où sommes-nous ?
L'être habillé de violet eut un sourire joueur et darda ses pupilles charmeuses sur lui, le faisant de nouveau rougir.
-Tu es actuellement à Rome, mio carino~ Quant à cet endroit...
Il repoussa un peu les rideaux diaphanes sur son chemin et, devant eux, se dévoila une pièce nimbée de rouge et d'or où des hommes et des femmes prenaient un plaisir à se tourner autour et à jouer leurs jeux de séduction dans des tenues qui auraient fait rougir une nonne.
-Mes dieux, souffla Encre en prenant de jolies teintes.
-Tu es dans ma maison close~ Bienvenu au Jardin d'Éden mon ange~
Il ricana bien devant l'embarras du français mais avança parmi les êtres amourachés, contraignant le peintre à le suivre sans que quiconque ne fasse attention à eux. Ce dernier s'étonna néanmoins de la liberté de mœurs de cet établissement. Les femmes ne cachaient pas leurs embrassades, les hommes se plaisaient à leurs jeux de caresses, tout semblait léger et dans une atmosphère respectueuse et codée. Chacun semblait suivre la règle du plaisir sans se soucier des convenances, et chacun se respectait et respectait les jeunes hommes et femmes qui étaient "employés" ici.
L'italien finit par écarter d'autres rideaux de velours et l'emmena dans une alcôve privée où se trouvaient les trois autres vampires entourés de gourgandines. Certaines les charmaient, d'autres les servaient, et Encre remarqua que Macabre avait un épais bandage à l'épaule.
Le peintre prit place à côté de son mari et lança un mauvais regard aux jeunes femmes en se blotissant contre lui.
-Tout va bien, mon amour ? demanda-t-il en voyant les mines sombres de ses camarades.
-Jasper et Suave ont disparu, répondit le roi de but-en-blanc. Ainsi que Katell et Jack...
-Fallacy, peut-être faudrait-il d'abord lui expliquer ce qui s'est passé, intervint calmement Songe en buvant une gorgée de vin. Tout a été si soudain...
L'anglais s'apprêtait à répondre lorsque l'italien ricana avant de prendre ses aises sur un sofa dans une position plus qu'aguicheuse.
-Tout d'abord laissez-moi me présenter : je m'appelle Sehvet. Et disons que je suis... un.e ami.e des deux rois ici présent~
Malgré la situation, les deux concernés se mirent à rougir de gêne alors que leurs amants les regardaient avec suspicion. Ils ne relevèrent pas les pronoms utilisés et se contentèrent de simplement reporter leur attention sur la personne androgyne devant eux.
-Bref, continua Sehvet en délaissant la cape sur ses épaules. Comme je le disais au jeune français tout à l'heure, vous êtes ici à Rome, dans ma maison close. Vous étiez inconscients lorsque je vous ai trouvé dans la rue, mes enfants m'ont aidé à vous soigner ici~
-Mais comment pouvons-nous être à Rome alors que nous étions en France il y a quelques heures ? s'étonna Encre en fronçant les arcades sourcilière.
-Lorsque nous nous sommes fait attaqué par Katell à l'abbaye, elle a incanté un flux d'énergie, expliqua Songe avec calme. Ce flux, s'il est contrôlé, permet de voyager où le sujet le souhaite. Elle comptait fuir en Italie de cette manière mais Jack nous a attiré dans le cercle avant qu'elle ne réussisse.
-C'est pour ça que nous avons perdu connaissance, continua Macabre en grimaçant. Ce soudain afflux de magie était une surprise, nous n'avons pas pu anticiper un tel choc.
Le peintre inspira et expira lentement en essayant de faire le point dans son esprit encore bien secoué par les événements.
-Mais dans ce cas... pourquoi ne sommes-nous que quatre ?
-Elle a dû rediriger sa téléportation au dernier moment pour pouvoir s'enfuir, termina Fallacy en serrant les poings. Je l'avais enfin dans mes bras... J'avais retrouvé mon enfant... et j'ai mis sa vie et celle d'un ami en danger une fois de plus...
Comprenant que son mari ne pouvait en supporter plus, Encre le prit contre lui et embrassa sa joue avant de le laisser sangloter contre lui. Le roi était à bout de nerfs, tendu en permanence, il avait besoin de lâcher prise.
Dans la pièce, le silence devient bientôt pesant et chacun le respecta, sachant qu'ils ne savaient pas où était leurs ennemis, ni même si le jeune prince et le majordome allaient bien.
Sehvet soupira un peu et lança quelques mots en italien et les prostitués quittèrent la salle.
-Je ne prétends pas connaître votre histoire, murmura-t-iel. Mais je vous dois bien mon aide, messires. Si cette sorcière voulait venir à Rome, elle doit toujours y être.
-Katell parlait des Borgia, intervint Encre en se rappelant de ce nom. Qu'est-ce le pape vient faire dans cette histoire ?
Les trois autres vampires le regardèrent avec surprise avant que Songe ne fronce les arcades.
-Alexandre est mort il y a plus de quinze ans, et son fils également. Je ne vois pas ce qu'elle leur voudrait.
-Caesar e Rodrigo Borgia, siffla Sehvet comme si ces noms lui faisaient horreur. Un débauché et un assassin, il n'y a qu'une sorcière pour s'associer aux deux mâles de cette famille...
-Elle a parlé d'une perle, se souvint Macabre. La perle des Borgia... ça te dit quelque chose ?
Le.a tenancier.ère se crispa et prit le temps de se lever avant d'aller s'accouder à la fenêtre pour contempler la ville endormie.
-C'est une rumeur... Un ragot qui se propage comme un feu de forêt. Il se disait que les Borgia avaient conclu un pacte avec le Diable pour que la fortune et la gloire leur sourient. Il se disait qu'ils avaient reçu des mains de Lucifer une perle noire qui renfermerait de sombres pouvoirs. Mais aujourd'hui, maintenant que ces deux bastardi sont morts, cette histoire ne vise plus que la plus jeune fille de Rodrigo, Lucrezia.
-Lucrèce Borgia, murmura Encre en se rappelant ce nom. Une demoiselle distinguée, protectrice des arts et de la culture, elle est une véritable princesse de par son éducation... Sa renommée la précède.
Sehvet hocha la tête en silence et sembla se perdre un moment dans ses pensées vagabondes, oubliant ses invités un court instant.
-Sehvet, as-tu déjà entendu parlé d'une personne nommée Burckhardt ? demanda Fallacy en essayant de redevenir le roi impassible qu'il était censé être.
-Ce prélat est mort il y a douze ans lui aussi, reprit l'italien.ne en revenant sasseoir en face d'eux. Il s'occupait d'organiser les événements pontificaux au Vatican. Un germain si je ne m'abuse. Originaire de votre Alsace, de Strasbourg.
En entendant cette information, Macabre se redressa un peu, pensif.
-La folie dansante...
Surpris, les autres le regardèrent avec étonnement avant de lentement comprendre.
-Si Katell est une nécromancienne, ça expliquerait l'attitude du capitaine sur le navire, comprit Encre en suivant son résonnement.
-Et si elle était responsable de cette épidémie à Strasbourg ? reprit Songe en comprenant à son tour. Si elle avait été là-bas à la recherche de ce fameux journal ?
-Le Liber Notarum ? s'étonna le.a squelette aux pupilles violines. Votre sorcière cherchait au mauvais endroit. Burckhardt est mort et enterré à Rome, pas dans sa ville natale. Et personne ne sait ce qu'il est advenu de son si précieux carnet.
-Comment se fait-il que tu saches autant de choses ? interrogea le roi anglais en faisant naître une pointe de jalousie dans l'âme du peintre.
-L'avantage à être une catin, c'est que les gens te prennent pour une idiote. Et comme ils ont souvent bu, ils se confient très facilement à mes enfants ou moi-même. Tu n'imagines pas ce que peuvent raconter tous ces faux prêcheurs et ces nobles frivoles ! En tout cas...
-Signora ! Signora !
Soudainement, un jeune homme interrompit leur conversation en entrant brutalement dans la pièce.
-Gabriel, cosa sta succedendo ? gronda Sevhet en se levant.
Il y eut un bref échange en italien et le.a tenancier.ère précipita hors de la pièce. Inquiets, les autres le.a suivirent et se rendirent bien vite compte que l'ambiance avait changé dans le "jardin". La pièce était silencieuse et seuls les murmures parcouraient la foule de gens. Puis il y eut un cri et des injures que les vampires reconnurent très distinctement.
Un homme leva la main sur une des filles de joie et lui assénant une gifle violente qui la propulsa au sol. Scandalisé.e, Sevhet s'approcha du concerné et lui lança un regard noir en se mettant entre lui et la jeune femme.
-Personne ne maltraite mes enfants, messire. Je vous prierai de bien vouloir quitter cet établissement.
L'homme lança de nouveau ses insultes en levant la main et tout le monde recula avant que l'italien.ne ne sorte prenne une dague accrochée à sa cuisse et ne lui tranche la paume de la main.
-Puttanna ! hurla l'autre avant de se retrouver avec la lame sous la gorge.
Il y eut un long instant de silence solennel, la foule était calme mais pas surprise, puis le.a squelette pressa un point particulier au niveau de son cou et l'envoya rejoindre les bras de Morphée. Le goujat s'écroula de toute sa masse sur le sol et iel reprit son arme avec un geste dégoûté.
-Ma maison, mes règles. Le prochain qui maltraite mes enfants ira revoir son Dieu avant son heure...
Iel appela alors deux hommes plus forts et leur demanda de sortir cet imbéciles de chez lui.elle. Étonnés, Encre et Songe le.a regardèrent revenir vers eux avec un sourire charmeur. Fallacy et Macabre eurent un léger petit rire.
-Tu n'as pas changé, sourit le français. Toujours aussi stricte.
Le peintre et l'astronome se lancèrent un regard entendu.
-Et pourrait-on savoir comment vous vous êtes connus ? demanda le squelette aux pupilles dorées avec une pointe de jalousie.
Les rois perdirent un peu leurs sourires et essayèrent de bredouiller une explication mais Sevhet ricana tout bonnement.
-Si candides pour des adultes~ Nous avons couché ensemble, voyons~
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