Sasha Vanderbulcke... notre premier baiser, sur la banquette arrière de la voiture de son mari. Dorothée Kat, dans le confessionnal de son tuteur, un pasteur. Felicia Adams, à l'enterrement de sa grand-mère. Leila Babarka, dans un bar gay. Et enfin Melinda, dans les souterrains abandonnés d'un auditorium. Autant le dire, mes premiers baisers s'étaient toujours opérés dans des endroits insolites.

Seulement, cette fois, c'était différent. Je le ressentais en moi. Je l'avais ressenti dès l'instant magique, où ses lèvres avaient fusionné avec les miens. Il y avait quelque chose de féerique dans cet instant intime. Je ressentis pour la première fois, cette étincelle jaillir en moi, puis m'embraser entièrement, me consumer totalement.

Je ressentis ce désir naturel, entre un homme et une femme, cette intensité foudroyante qu'il m'avait tant fallu depuis toujours. Il ne suffit que de ce temps infime, ce temps qui s'était arrêté, pour que je me rende compte qu'elle venait d'ébranler toutes mes barrières. Et si jamais il me venait à l'esprit de vouloir la haïr pour ce qu'elle était, je savais d'ores et déjà que mon cœur avait définitivement penché vers un sentiment contraire, un sentiment indescriptible...le sentiment, tout simplement.

Sa main droite cala ma tête contre la sienne, tandis que l'autre s'aventurait de caresses en caresses sur les courbes de mon torse. J'étais comme pris dans un tourbillon d'émotions, duquel je n'arrivais à émerger. J'aimais tellement être là, lié ainsi à elle, seuls au monde, se goutant pour la première fois.

J'aimais tellement être là, faire balader mes mains sur tout son corps, la désirant comme jamais je n'avais désiré quelqu'un. Nos lèvres disparaissaient avidement l'un dans la bouche de l'autre, nous nous dévorions sans nous blesser, nous nous enflammions sans nous embraser, nous nous aimions sans accélérer.

Car ce que je ressentais à cet instant précis c'est ce que j'aurais voulu ressentir dans ma vie d'avant, et c'est ce que je voulais ressentir à tout jamais ; cette magie extraordinaire qui avait eu le pouvoir de dissoudre ma rage comme si elle n'avait pas eu raison de jadis exister. Cette magie qui venait de balayer mes craintes de l'avenir et mes regrets du passé. Cette magie simple et pure, la magie de l'amour.

—T'aurais pas dû me mentir, lui reprochai-je lorsque le contact fut rompu, t'aurais pas dû me prendre pour un con.

— Je te promets que je ne le ferais plus jamais, murmura-t-elle en essuyant ses larmes à travers les mèches brunes. Ça a été une grossière erreur, une erreur que je regrette amèrement. Je repensais à tout depuis le début, sur la plage, le dîner, l'hôpital, c'était elle. Quand j'y pensais bien, elle ne se serait jamais autant occupée de moi si je ne lui tenais pas à cœur ! c'était donc vrai, elle m'aimait réellement...

— Que devrons-nous faire, à présent que tout est clair ? lui demandais-je, en faisant divaguer mon regard sur l'ensemble de la pièce miteuse et grisâtre. J'évitais de croiser le sien, trop apeuré de la réponse qu'ils apporteraient à cette question.

— Peut-être sortir d'ici...

— Je parle de nous Melinda ! m'exclamai-je, toi, tu es une célébrité, la plus richissime de Cannon Beach ! moi, moi...je pris une longue inspiration. Je suis juste moi, un homme de presque dix ans ton aîné, qui vit dans une cabane abandonnée au fond d'une forêt.

Elle détourna le regard, semblant elle aussi prendre conscience que ce n'était pas possible entre nous. Ça n'avait jamais été possible, et ça ne le serait sans doute jamais. Je n'étais pas très futé, mais il ne fallait pas non plus être Albert Newton ou Isaac Einstein ou je sais plus trop qui, pour comprendre qu'il n'y avait pas de place pour l'amour dans son monde, ni pour le rêve dans le mien.

- Je ne renoncerais pas...

- Il le faudra pourtant !

- Je décide de ce qu'il me faut...et j'ai décidé que je ne renoncerais pas à toi Adam ! Elle entama la chanson Never Gonna Give You Up de Rick Astley. je sentis mon cœur chavirer.

Avec toutes mes ex, ça n'avait certes jamais été différent. Elles n'avaient jamais pu se résoudre à renoncer à moi. Sasha était une femme mariée, trente-deux ans, professeure de Littérature anglaise dans une université de Montréal. De dix-neuf ans son cadet, j'avais été celui qui assouvissait ses désirs enfouis, lorsque son mari n'était pas là. Elle n'avait pas pu se passer de moi.

Dorothée, la fille la plus pieuse que j'aie connue. Elle prévoyait devenir none. Pourtant, il avait fallu qu'elle me file malencontreusement une érection lors des échanges de paix à l'église _oui, il fut un temps où j'y suis allé_ pour qu'elle laisse tomber toutes ses convictions et sombre dans la dépravation.

Sans parler de Leila qui, malgré le fait qu'elle m'ait appréhendé dans un bar gay, n'avait pas pu s'empêcher de me sauter dessus, nonobstant le fait que...qu'il y ait des chances que je puisse être homo.

Bon sang, en faisant cette rétrospective de ma vie, je me rendais compte que Melinda faisait vraiment tâche. Elle était différente, de toutes les autres personnes que j'avais fréquentées jusque-là, sauf peut-être de... Je court-circuitai immédiatement mes pensées avant qu'elles ne dérivent du côté obscur.

— Je trimballe un sac à problèmes Melinda. Tu n'auras sûrement pas envie d'être mêlée à tout cela, bifurquai-je en indexant du doigt l'arme à quelques mètres de moi, après que les dernières notes de la musique soient derrière nous.

— J'aurais pu te proposer de venir vivre chez moi, ou de te payer une maison pour toi-même...

— Mais tu sais que je ne l'accepterais jamais... elle se vautra dans mes bras, et je l'enlassais contre ma poitrine, une main sur son dos, l'autre dans ses cheveux.

— Tant pis Adam, murmura-t-elle contre mon thorax, je ne renoncerais jamais à toi.

Lorsque nous nous quittâmes ce jour, je me demandais encore quelle serait l'issue de cette idylle. Il ne pouvait avoir trente-six solutions ! C'était soit je choisissais de sauver son âme, soit je choisissais de sauver la mienne. Dans tous les cas, les deux ne pourraient être sauvées.

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