La Toile (nouvelle)
Le métro secoue les passagers. Tout le monde s'accroche tant bien que mal. Moi, je m'assois. J'ai le droit. Je suis pas vieux. Mais vu mon état, j'ai le droit. Le métro s'arrête, faisant pencher tout le monde sur la gauche. Quelques personnes rentrent, s'installent tranquillement, ils entament la routine de six heures. Métro, boulot, dodo.
Parmi ces hommes et ces femmes occupés, rien de spécial. J'enfonce mes écouteurs dans mes oreilles. C'est le genre d'écouteurs qui ne marchent que quand le fil est dans une certaine position, parcequ'ils ne supportaient finalement pas la pluie. C'est mes écouteurs, et de toute façon, le temps passe : j'ai autre chose à faire que d'aller tuer mon porte monnaie. Le temps file vraiment vite, on dirait pas comme ça.
Je me laisse prendre par la musique, je ne sais même plus vraiment ce que j'écoute, mais j'écoute. Je sens quelque chose percuter mon épaule. Je reste concentré. J'ai toujours détesté les gens qui nous touche, sans jamais s'excuser, ou chercher leur reste. Cette personne là, elle n'arrête pas de me tapper l'épaule. Ma priorité : ne pas m'énerver, rester calme, et ne pas là regarder.
Tout d'un coup, une main saisit mon écouteur, et me l'arrache de l'oreille.
- Eh. Monsieur.
Je ne me retourne pas. C'est bien une voix d'enfant que j'entends. Où sont ses parents ? Ils sont vraiment sans gêne.
- Monsieur ?
- Bonjour petite, dis-je en me retournant avec un sourire crispé. Tu es perdue ? Où sont tes parents ?
- Je suis seule, répond la petite.
Je la regarde, interloqué.
- Mais... Tu as quel âge ?
- 10 ans. Je suis grande maintenant.
- Quoi, je m'exclaffe, 10 ans ?! Qu'est ce que tu fais dans le métro parisien, seule, à 18 heures ?!
- Je fugue, répond simplement la petite.
- Oh. Je vois, répondis-je surpris.
La petite ne dit plus rien. Moi non plus. Je fixe les gens monter, descendre. Attendre. Je tripote machinalement la tirette de mon sac a dos, posé sur mes genoux. Je colle l'arrière de ma tête à la vitre, tant pis si c'est pas propre. Je ne sais pas où je vais, la petite non plus. J'ai pas envie de l'emmener, je ne sais pas ce qu'elle m'apporterait, mais absolument rien de bien. Je ne connais pas son prénom, je ne sais pas d'où elle vient, je ne sais pas... Bon, tant pis. De toute façon, je n'en suis pas responsable. Quel désastre si je l'étais ! Autant pour elle que pour moi.
Une voix grésille dans le haut parleur. Toujours le même discours, Truc Muche en direction de Petaouchnock, correspondance Bidule Chouette, et cetera.
Je ne connais pas vraiment cette gare ci, mais ça ne me semble pas être là bonne. Les gens descendent. Ils n'y a plus personne dans le métro. Il redémarre, et nous partons. Moi, le métro, et la petite. Elle attend toujours sur son siège, les jambes dans le vide. Elle s'est mise a chantonner. Oh ! j'ai en horreur les enfants. Et les enfants qui chantonnent... Ne m'en parlez pas ! Mais je dois bien avouer que cette enfant là, est plutôt mignonne. En se concentrant bien, on peut presque apercevoir la bulle qui recouvre son petit univers d'enfant.
Ça y est, le métro s'arrête enfin. Terminus. Je me lève, mes jambes sont raides. J'ai mal au cœur. Marcher me fait souffrir. Mais je sors du métro, la petite aux basques, sautillante, joyeuse. Un peu trop enthousiaste. Tout de même, elle fugue !
Dehors, il fait à peu près bon. Quelques degrés de plus ne feraient pas de mal, et j'aurais peut être dû prendre une veste. Mais la gamine a l'air d'aller bien, elle continue de chantonner gaiement derrière moi.
Je marche au hasard dans Paris. Je ne connais absolument pas cette ville. Je suis Lyonnais. Mais toutes les grandes villes se ressemblent non ? Enfin... J'espère. Pour le coup, j'espère aussi que les parents ne mentent pas : "Tous les chemins mènent à Rome".
***
Un immeuble, c'est un immeuble. Dans toutes les villes, c'est pareil. Un gros bloc gris et terne, pleins de fenêtres, très haut, et surtout : pas beau. Et pourtant, j'adore les immeubles. Ils fonctionnent tous de la même façon : et depuis quelques temps, j'ai appris quelque chose de sympa.
Je regarde chaque bloc un par un, j'examine, j'analyse. Soudain, je trouve celui que je veux : le plus haut, le gros. Et bien sûr : le plus moche.
Je m'approche de la porte a grandes enjambées, et tente de l'ouvrir de toutes mes forces. Mais rien a faire, elle est fermée. Normal, pour une résidence... Mais j'essaye encore. Et encore. Une fois de plus. Je considère quelques secondes ce que je suis en train de faire. Et je pèse le pour et le contre.
D'un côté, l'effraction. Je ne peux pas rentrer par effraction chez les gens, c'est contre la loi : et je n'ai aucune envie de me dresser contre la loi. De l'autre, il y a repartir. Abandonner, et repartir chez moi. Et pas question d'emprunter cette voie. Il ne me reste que l'illégalité pour aujourd'hui. Il ne me reste pas beaucoup de temps. Il y a tellement de choses que j'aurais voulu faire avant ce jour... Remplir mon casier judiciaire, pourquoi pas ? Autant essayer.
- Dis moi, petite. T'aurais pas une épingle à cheveux, où un truc du genre ?
Elle me regarde avec des yeux ronds.
- Tu t'es cru dans un film d'action ? T'as déjà crocheté une serrure dans ta vie ? Non mais oh !
Plus aucune gêne les gamins d'aujourd'hui, plus aucune. Et pourtant pour moi c'était il y a pas si longtemps que ça quand on y pense.
- Non, mais je vais essayer de faire un truc et j'ai besoin d'une épingle à cheveux, petite peste !
La petite rechigne, mais me donne finalement un petit crochet rose avec une fraise au bout.
Je complète mon attirail de voleur ridicule par mon petit couteau suisse, il a déjà 40 ans le pauvre. Il était à mon père avant.
J'insère le tout dans la serrure, mes mains glissent. Je tourne dans tous les sens, mais rien ne cède. Mon doigt ripe sur le couteau, faisant perler quelques gouttes de sang sur ma peau. Je serre les dents, mais je continue. J'ai l'air bête ! Je ne suis qu'un idiot. De toute façon, je sais pas faire.
Je sens deux petites main attraper les miennes.
- Tu permet ?
Je me pousse, en boudant comme un gamin. Pourquoi cette fille y arriverait mieux que moi ? On a 13 ans d'écart ! On a que 13 ans d'écart. Effectivement.
J'attend quelques secondes, je regarde le ciel assombri par le soir. Mon regard s'attarde sur ma montre, il est huit heures. La petite continue de faire cliqueter nos outils dans la serrure. Soudain la porte s'ouvre. Je regarde d'un air effaré, elle a triomphé de la porte. Elle me fait une grimace, puis s'engouffre a l'intérieur et monte les escaliers à toute allure. Heureusement qu'on a pas déclenché d'alarme avec nos conneries ! Et heureusement qu'il y avait pas de gendarmes dans la rue...
Je la suis, mais je ne peux pas tenir le rythme. Mon cœur est trop fatigué. Mes muscles sont engourdis, a mesure que je monte les marches je m'épuise. En haut la petite s'arrête. Elle me regarde. Visiblement elle a entendu que j'avais du mal. Elle redescend et m'attrape la main, toute souriante.
- Regarde cet escalier, dit elle en souriant. C'est un peu la vie, en fait. Au tout début on va bien, et puis tu commences à gravir les marches, et au début, tes cuisses sont pas fatiguées, alors ça va. Mais au bout d'un moment t'as mal au cuisses. Alors tu vas plus vite en pensant que t'es bientôt au bout. Mais en fait non. Et si t'avais pas accéléré t'aurais moins mal. Alors tu ralentis, et tes cuisses s'habituent. Ça devient plus simple. Mais plus tu monte, plus c'est ton souffle qui suit pas. Du coup tu ralentis encore pour résoudre le problème sauf que ça marche pas. Et tu peux pas t'arrêter le temps de reprendre ton souffle. Faut y aller lentement pour arriver au bout. Si tu accélère, tu tombes. Et ça fait super mal. Alors du coup, si tu veux arriver au bout, prend ton temps.
Je fixe la gamine, qui continue de monter comme si de rien était. Elle me sourit, et me tire un peu plus par le bras.
- Quelques fois, il y a des gens qui viennent t'aider à gravir les marches. Et ça... C'est vraiment sympa.
- Dis t'es sûre que t'as 10 ans ? Parceque je t'en vois bien le double là.
- Non non. Au fait, je m'appelle Maé.
***
Moi et Maé, nous sommes assis sur le toit de l'immeuble. C'est super haut, et Maé a eu un peu peur de monter. Maintenant elle a les pieds dans le vide, et elle admire la nuit sur Paris. C'est bien les enfants. Ça a pas peur de grand chose. Je m'allonge sur le dos. C'est dur, et pourtant je me sens bien. À ma gauche, mon sac, a ma droite, Maé. Dans le ciel, une traînée de poudre blanche. Et autour de tout ça, l'infini bien trop compliqué de la vie.
- Dis, dit Maé en me tapotant le bras. Pourquoi on est là ?
- On est là parceque c'est beau.
- Oui mais pourquoi pas la montagne ?
- Parceque la montagne, j'y suis déjà allé.
- Mais la montagne, j'y suis jamais allée moi, proteste Maé.
Je me redresse et plante mon regard dans le siens.
- On profite de mes derniers instants petite.
- Mais t'es pas vieux !
- Je suis malade Maé.
Je me laisse tomber sur le sol. Maé laisse échapper un petit "Oh." puis s'allonge à mes côtés, penaude.
- Et toi, dis-je en soupirant. Pourquoi t'as fugué ?
- J'aime pas mes parents.
- C'est pas une raison ça !
- Papa me tappe, Maman s'en fiche de moi. T'es content ?
J'acquiesce.
- Ça, c'est une raison valable. Au fait, moi, c'est Matthieu.
On sourit, et puis on regarde les étoiles, silencieux. C'est beau, le ciel la nuit. Rempli d'étoiles scintillantes. C'est rare qu'on en voit autant a Paris. Elle sont là juste pour moi. Maé m'explique que chaque étoile garde quelqu'un. Qu'une étoile apparaît quand quelqu'un naît, et qu'elle s'allume lorsqu'il meurt. Qu'une étoile filante, c'est tes ancêtres qui viennent te sauver. Je sais bien que c'est des conneries, mais j'écoute. Je me laisse porter par le son de sa voix, douce et calme. Puis elle se tait. Puis elle reparle. Et se retait. Maé est un petit moulin à paroles. Je la regarde, tandis qu'elle ferme les yeux. C'est une chic fille. Une adulte dans le corps d'une petite fille.
Elle a plus de sagesse que n'importe qui ici, j'en suis sûr. Et puis, elle sait crocheter des serrures.
- Matthieu ?
- Hm ?
- Il y a quoi dans ton sac ?
Je me redresse lentement. Je sens que je fatigue. Mon cœur bat très lentement. Mais c'est plutôt agréable, cette sensation...
Je saisit mon sac, et je l'ouvre. Maé mime le bruit de la fermeture éclaire. "Ziiiiiiip !"
J'en sors une petite boîte de craies grasse. Avec ça, une toile vierge.
- Je voulait dessiner. Pour mes derniers instants.
- T'es un artiste ?
- Non, j'ai jamais essayé... C'est pour ça que c'est l'occasion rêvée.
J'ouvre la boîte de craies, je pose la toile sur mes genoux. Un tableau aux craies grasses. Ça me ressemble pas. Enfin un tableau tout court, ça me ressemble pas. La luminosité baisse, je ne vois presque plus rien. Je distingue les différentes couleurs. Soudain une petite lumière s'allume sur le toit. Un genre de petit lampadaire est installé. Surement pour le personnel, mais n'empêche qu'il est ici. J'y vois clair, maintenant.
Je regarde les quelques couleurs de la nuit, pensif. Que pourrais je bien faire ? Rien ne pourras refléter la beauté de ce monde en entier. Un visage ? Trop banal. Des tas d'artistes en ont fait. Je veux que le miens soit unique. Une autoportrait. Non, je ne suis ni Van Gog ni de Vinci. Un paysage peut être ? Un paysage ne reflète pas tous les paysages. Surtout mon panorama. C'est beau, mais ce n'est pas la vie.
Je regarde l'horizon, perdu.
- Ça, dit Maé, c'est la ligne de la vie.
Je baisse les yeux sur ma toile, et je vois que la petite a tracé une grande ligne rouge qui traverse de long en large mon support. Elle prend une craie noire, et tracé un petit trait noir au dessus.
- Ça, dit elle tout bas, c'est la tristesse et la colère ma fugue.
Je prend une craie marron, et je fais a mon tour une drôle de forme, un cercle complètement déformé. Maé le considère quelques instant, avant d'affirmer avec certitude que ceci représentait ma tristesse, lorsque j'ai appris le temps qui me restait à vivre.
Nous continuons de tracer notre vie sur le papier. Maé met du vert, c'est son dégoût envers ses parents, je met une petite touche de rouge, et c'est mon désarroi. Quelques points bleus, sa naïveté et sa joie innocente, du rose, ma joie de l'avoir rencontré.
Et on continue. Plus on avance, plus il y a d'inspiration. On trace, on sourit, on pleure, on rit. Concentrés, on ne voit pas le temps passer. Quand enfin sur notre production n'y a plus d'espace pour tracer, nous posons notre œuvre à terre, et nous l'admirons.
- C'est pas super beau, dis-je légèrement déçu.
- Regarde avec ton cœur, triple andouille. Cette œuvre est magnifique.
Je la regarde, encore, encore. C'est une œuvre compliquée. Mais au fond, c'est vrai qu'elle a une jolie signification. Maé se laisse tomber en étoile sur le bitume, et je l'imite. Au bout de quelques minutes, Maé est endormie. Il fait frais, cette nuit. Je retire ma veste et la pose sur les épaules de la petite. Puis je jette un dernier coup d'œil à la toile, avant de m'endormir.
C'est vrai qu'elle est belle, notre toile.
Ça mérite une petite réécriture mais je l'aime bien quand même. Je vous dirais quand c'est réécrit !
PS : comment allez vous ? ❤️
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