Après cette conversation entre Clarence et moi, l'état de Timéo s'est très vite dégradé. A chaque fois que j'allais lui rendre visite à l'hôpital, il devenait de plus en plus agressif avec moi. Il était de mauvaise humeur, en colère et morose. Il parlait très fréquemment de la mort, si bien que ça tournait à l'obsession. Surtout vis-à-vis de la sienne et de ce qu'il aimerait. Pas de pleurs mais bien des histoires joyeuses quand il n'était pas encore malade. Pas de chansons mélancoliques mais du gospel. 

- Ma mort ne doit pas être aussi triste que la fin de ma vie, murmurait-il, catégorique.

- Arrête.

- Arrêter quoi ?

- ça. Ta vie n'est pas triste. Et elle n'est pas finie.

- Mais ça ne va pas tarder, Romy. Il faut se rendre à l'évidence.

Je ne l'écoutais pas. J'espérais un miracle. Une marraine la bonne fée. Un génie qui exauce les souhaits. Une baguette magique sorti d'un roman de fantasy.  

Rien de tout cela n'est arrivé. Timéo est mort dix jours plus tard. Le 18 juin 2020. Ce jour-là, je suis sorite de mon dernier examen, satisfaite de mon oral d'anglais. Bizarrement, ma mère était venue me rechercher et m'a annoncé la mauvaise nouvelle. Je ne l'ai pas cru au début. J'ai pris conscience qu'il est parti quand j'ai vu son cercueil au funérarium. J'ai hurlé. Je suis devenue folle. 

ça ne pouvait pas être vrai. ça ne devait pas arriver.

Je secoue la tête et chasse ce souvenir de la main.  Mon regard se porte sur sa tombe. Je dépose mon bouquet de tournesol au milieu. Ses fleurs préférées et m'assieds devant. 

- Salut, Tim. Je sais que je ne suis pas venue depuis... depuis... ton enterrement.

La culpabilité me ronge les entrailles. Il doit m'en vouloir de là-haut. Enfin, s'il existe quelque chose après la mort.

- Je voulais revenir, repris-je. Je te l'assure. Pourtant, je ne l'ai pas fait. En vérité, je n'en ai pas eu la force. Après ta... mort, j'ai perdu ma joie de vivre, mes rêves, mon ambition. Tout est parti en fumée avec toi.

Mes larmes coulent sur mes joues. Ce jour-là, une partie de moi est partie avec lui. J'ai profondément changer depuis. J'ai enterré mes rêves, mis au placard mes ambitions et tué mon positivisme. Je suis devenu en mouton. Une esclave du temps et de la routine. Seule une personne a réussi à me faire revivre. Matéo.

- Tu te souviens de la liste que j'avais faite pour mes quinze ans ? Celle que je voulais accomplir avec toi et qu'on a pas eu le temps de le faire à cause des cours et de ta foutue maladie qui s'est invitée ? Je suis entrain de l'accomplir. Au début, je ne pensais pas la faire mais Matéo m'a convaincu. Tu sais à quel point il est perspicace.

 Je sèche mes larmes d'un revers de main. Un sourire se dessine sur mon visage lorsque que je me remémore toutes nos aventures. Le saut de la falaise. Danser sous la pluie. La course dans les escaliers de Buren. Ma transformation et ma performance chez les Queens. 

- Grâce à Matéo, j'ai l'impression de revivre à nouveau. Je redeviens qui je suis vraiment. La vraie Romy.

Je baisse les yeux et repense à ma conversation avec Ella.

J'ai pensé à ce que Mathia aurait voulu. Que je sois heureuse.

- Je vais être sincère avec toi. Matéo me plait. Beaucoup. Enormément même ! Il est si gentil et attentionné avec moi que je fonds à chaque fois. 

Je souris. Mon Matéo. Ella a peut-être raison. Je devrais oser avec lui.

- Tu sais, il me plaît vraiment. Mais j'ai la trouille. J'ai peur de souffrir à nouveau et je culpabilise d'aimer quelqu'un d'autre que toi. 

Je secoue la tête et je relis l'inscription sur sa tombe en m'attardant sur le petite-amie. Aux yeux des gens, je resterais toujours la petite-amie de Timéo. Celle avec qui il a été pendant toutes ces années. Que dirait-il en me voyant au bras de mon meilleur ami ? Penserait il que je l'aimais déjà quand j'étais encore avec Tim ?

- Si t'étais, toi tu serais me dire quoi faire pour que tout soit plus facile, murmuré-je la voix cassée.

Le silence s'installe. Je suis seule dans le cimetière entourée de tous ces morts. Je reste encore quelques instants avant de m'en aller, le cerveau embrumé.