Les jours qui suivirent, Hayato parla peu, Saeko faisait de son mieux pour établir une relation de confiance avec le garçon. Il s'ouvrait un peu plus chaque jour mais restait en même temps, tout aussi silencieux. La policière avait déjà eu affaire à des criminels réticents de parler, mais là, son silence dépassait l'entendement. Elle avait donc entrepris de ne pas le forcer et de laisser le temps faire. 

La policière avait eu raison, le temps fait bien les choses. Hayato ne se cachait plus derrière le canapé, il communiquait un peu plus même si depuis le début, elle n'avait à vrai dire pas vu ne serait-ce que l'ombre d'un sourire.  Il en était même venu à l'accueillir lorsqu'elle rentrait de ses journées de travail, ou même à rester non loin lorsqu'elle cuisinait. La seule chose qui paraissait le repousser, c'était sa passion de la bouteille et de la cigarette. Le garçon avait toujours l'air dégouté, voir triste de voir cela. Mais pour le moment cela lui importait peu, le chat noir qu'elle avait recueilli commençait à prendre ses marques. Hayato parlait de plus en plus. Il en vint même à donner son prénom. 

Il tenait à garder son nom de famille secret par précaution. Bien qu'il avait compris que la policière ne lui voulait pas de mal, il n'avait aucune envie qu'elle fasse des recherches sur son compte derrière son dos et qu'elle tombe sur ses parents. Si elle tombait sur ses parents et que l'Organisation venait à l'apprendre, ils risqueraient de la tuer. Ils ne pouvaient pas lui arracher la seule personne qui avait su écouter sa détresse. 

Inconsciemment, Saeko était en train de devenir vraiment importante aux yeux du lycéen. Il y tenait de plus en plus, s'inquiétant quand elle tardait à rentrer, se préoccupant de son addiction à la bouteille et à la cigarette. Pourtant la barrière invisible qu'avait créé ses traumatismes l'empêchaient d'exprimer tout ce qu'il aurait voulu lui dire. Il faisait de son mieux pour le lui montrer, combattant par la même occasion ses peurs. 

*** 

- ... Akiyama-keiji ? 

- Mmh ? 

La femme lève la tête du papier qu'elle était en train de remplir. 

- Merci ... 

Elle penche la tête sur le côté : 

- Pourquoi me remercies tu ? 

- P-pour tout ce que tu as fait ... 

Elle arque un sourcil avant de retourner à sa préoccupation : 

- Boaf ? Pas besoin de me remercier, je n'allai pas te laisser ainsi dans la rue. 

Le garçon détourne la tête rapidement, il ne s'attendait pas vraiment à cette réaction

- ... 

- Hum ? Mais pourquoi me dis-tu cela tout d'un coup ? 

Hayato perd ses moyens, il faut forcément une autre raison ? Il reste silencieux, dansant d'un pied à l'autre. Saeko se désintéresse rapidement du garçon et continue ce qu'elle faisait. 

- Tu sais ... Tu avais raison ... 

La policière regarde de nouveau le garçon avec un air interrogateur. 

- J'ai fui mes parents. 

Saeko se tait, Hayato n'a jamais beaucoup parlé de lui depuis qu'elle l'a rencontré. 

- I-ils ne voulaient pas vraiment de moi, j'étais un boulet pour eux ... 

Le garçon reprend les derniers mots sortis de la bouche de son père. La policière avait bien le droit de savoir, après tout ce qu'elle avait fait pour lui. Il resterait juste dans la limite de ce qu'elle pouvait savoir sans que sa vie ne soit mise en jeu. Il se garderait bien de parler du travail de ses parents ou encore de sa collaboration pour les crimes qu'ils ont commis pour le compte de l'Organisation. 

- Je les gênais ... 

La policière reste silencieuse, elle le laisse parler, écoutant tout ce qu'il a sur le cœur. Elle ne relève pas le mot "gêner" bien qu'elle trouve le terme utilisé, étrange. Il touche du bout des doigts sa joue. 

- J'ai décidé de fuguer, je ne pouvais en supporter plus, ils auraient pu très bien me tuer à force de me battre. 

Il serre le poing, en pensant à la vraie raison qui l'avait poussé à fuir, la vengeance qu'il devait à tous les innocents tués par ses parents. Mais cela il ne pouvait pas le dire à la policière. Mourir l'importait peu, une ordure comme lui ne pouvait pas mériter mieux. La prison ne lui siérait pas, il le savait très bien, la culpabilité le rongerait un peu plus chaque jour. Un contact chaud sur le haut de sa tête le fait sursauter. Saeko a posé la main sur la tête du garçon de manière affective. Son instinct lui crie de fuir, il se raidit mais ne bouge pas d'un pouce. Il doit lui faire confiance. 

Il doit ... 

Il devait ... 

"Il devait avoir 7-8 ans ...

- Eh gamin, tu fais ce qu'on t'a dit, tu gardes la tête haute, je suis ton père, je t'emmène au parc d'attraction, tu es content. 

La voix froide d'Aiichirō, son père, résonne à ses oreilles. 

- La transaction devrait s'effectuer rapidement, notre effaçage de preuve doit se faire encore plus vite ... 

Hayato ne peut qu'hocher la tête alors qu'il pénètre dans les toilettes du parc avec son père. Une boule dans la gorge gêne sa respiration. Encore une fois il est témoin et participe à cela sans lever le doigt pour l'empêcher. 
Tout s'est déroulé très vite, l'homme s'est occupé de la transaction et s'est débarrassé du gêneur qui avait essayé de faire chanter l'organisation. Hayato n'avait jamais connu personne qui avait été capable de les faire chanter sans mourir. 

- Foutons le camp d'ici, siffle Aiichirō, il est façon naturelle, nous n'avons rien vu. 

L'homme referme doucement la cabine des toilettes dans laquelle se trouve le cadavre, en prenant garde de ne pas laisser de traces. Il pousse ensuite Hayato devant lui. Le garçon tente de dissimuler sa main tremblante. Ils avancent en direction de la sortie. 

Pof 

Aiichirō a posé la main sur la tête de son fils, Hayato s'arrête aussitôt. Un frisson lui parcourt l'échine. Il sait très bien ce qu'il va se passer ensuite, il va jouer la comédie une énième fois. Son père arbore un grand sourire, il s'accroupit à sa hauteur, la main toujours sur sa tête : 

- Alors tu t'es bien amusé avec papa ?  

Le garçon hoche vigoureusement la tête, une lueur de terreur brille dans ses yeux ..."  

Hayato recule, c'est plus fort que lui. Saeko laisse sa main retomber lentement, une mine attristée sur le visage,  elle le sait au fond d'elle, il lui cache d'autres choses encore ...