Chapitre 9
Furieux, j'arpentai le camp des rebelles de long en large à la recherche de ma future victime, n'hésitant pas à héler ce que je croisai pour leur demander s'il n'avait pas aperçu ce crétin fini. Mais, comme s'il avait senti la menace, il semblait s'être volatilisé.
- Ash ! Arrête toi deux secondes, mon vieux !
Je me stoppai à la voix masculine qui me hélait aussi familièrement et regardai Raël s'avancer vers moi en courant. Il se stoppa à ma hauteur, essoufflé et je le jaugeai avec un agacement qu'il ne méritait aucunement mais que je peinai à canaliser.
- Bon sang, tu es foutrement rapide, on te l'a déjà dit ?
- Pas spécialement, baragouinais-je en tâchant de ne pas l'envoyer gratuitement sur les roses. Qu'est-ce que tu veux ?
- Du calme, du calme, répondit-il dans une grimace. Je suis de ton côté je te rappelle, je suis ton tout nouveau coéq...
- Je n'aurais aucune équipe, coupai-je. Tu peux donc cesser de tenter de bien te faire voire.
- Pourquoi l'idée semble autant te révolter ? Insista-t-il en me suivant tandis que je reprenais ma quête initiale. Tu sais beaucoup de Cendres voudrait obtenir une telle opportunité.
- Hé bien ce n'est pas mon cas, répondis-je, serrant les poings. Et même si cela l'était, j'aimerais bien qu'on me demande mon avis avant de prendre des décisions à ma place.
- Ah c'est ça le problème ? Qu'il ne t'ait pas consulté ? Il pensait sans doute bien faire, te flatter en t'offrant un poste de choix ?
- Et je lui répéterai donc que je ne veux pas de son fichu traitement de faveur.
- Peut-être est-ce simplement sa manière de répondre à ta question.
- A ma question ? Répétai-je, sceptique.
- Oui, de savoir ce qu'il voulait que tu sois. Visiblement, tu n'es pas un pion et il t'offre l'opportunité de pouvoir lui tenir tête de plein droit.
Je m'arrêtai net, me tournant face au demi-loup qui glapit légèrement à mon mouvement brusque et exagérant un déséquilibre que je devinais parfaitement fin.
- Comment tu sais ça ? Sifflai-je.
- Hé bien que serais un bon espion qui ne sait même pas ce qui se passe dans son propre lieu de vie ?
Un court instant, j'hésitai à lui coller mon poing dans la figure. Après tout, il venait clairement d'avouer avoir espionner l'intégralité de notre conversation. Et je dépréciai profondément cette idée. Mais pouvais-je réellement lui en vouloir ? J'avais fait un esclandre aux yeux de tous, pouvais-je me plaindre que certains aient eu les oreilles qui traîne ? Certainement pas.
- Puisque tu es si au courant de tout, tu ne saurais pas où se trouve Caleb ? M'enquis-je.
- Peut-être que oui, débuta-t-il en arborant un sourire satisfait. Ou peut-être que non.
- Je croyais que tu voulais te faire bien voir, soulignai-je. Jouer avec mes nerfs ne plaidera pas en ta faveur.
- Et je croyais que je n'avais pas besoin de me faire bien voir parce que, de toute les façons, tu n'accepterais pas ?
Le pouffement échappa à mes lèvres. Il était doué, à n'en pas douter. Je soupirai finalement après l'avoir contemplé silencieusement une longue minute et, tout en passant ma main dans mes cheveux afin de les tirer en arrière et dégager mon visage, capitulai :
- En quoi consiste le rôle de "chef d'équipe" ?
- Aaaah, voilà une question que j'aime entendre, sourit-il à pleine dent. Ma tente ne se trouve pas très loin d'ici, que dirais-tu qu'on s'y rende afin de parler tranquillement de tout ça ?
J'hésitai une courte seconde avant d'acquiescer, bien conscient que, de toute façon, j'avais déjà arpenté de long en large le camp et que Caleb ne s'y trouvait visiblement pas. Alors autant glaner quelques informations avant de lui hurler dessus.
Très satisfait de ma réaction, Raël m'invita à le suivre et j'obtempérai donc. Il marcha lentement, décochant, tout au long du trajet, de nombreux sourire enjôleur à chaque femme croisant notre chemin. Beaucoup se mirent à rire à son jeu excessif et je ne pus que constater que j'avais dû commettre une erreur en pensant qu'il était en couple avec Lyris. Ou du moins, je l'espérai sincèrement pour elle.
Mais avant que je n'aie le temps de décider si je devais lui poser ou non la question, nous arrivions à la zone sud. Le secteur le plus éloigné du reste du camp et le plus enfoncé dans la forêt. Je ne pus alors que marquer mon étonnement :
- Selon Sarih la zone sud est réservé au combattant, tu n'as pas dit ê...
- Réservé au combattant talentueux, rajouta-t-il rapidement, plein d'entrain avant de discrètement poser un doigt sur ses lèvres voulant m'intimer le silence. Je suis le plus haut gradé de la zone sud. Impressionné ?
- Pour la troisième place du podium, ce n'est pas si mal, assurai-je.
Il grimaça pour seul réponse mais ne se formalisa pas outre mesure de mon cynisme. D'après les informations délivrées par Sarih, le camp avait quatre zones de dortoir : Nord, Sud, Ouest, Est. Nord était celui des personnes dites importantes et je devinais désormais que les fameux "chefs d'équipes" devaient tous s'y trouver. Ensuite venait la zone Ouest avec tous les magiciens ayant atteint le stade de maître, ainsi que les combattants possédant des capacités hors normes. Puis venait le Sud, et enfin l'Est. Le Sud regroupait la majorité des combats que ce soient des mages ou des guerriers, tandis que l'Est étaient uniquement habités par les novices ou ceux qui restaient toujours au camp pour en gérer le quotidien.
Donc Raël fanfaronnait bien pour la troisième place du podium.
- Voici mon humble demeure.
Et dans l'excès qui semblait le caractérisé, Raël tira à la volé l'ouverture de sa tente, dévoilant une chambre très similaire à la mienne bien que plus petite de quelques mètres. Je m'y engouffrai donc, vite suivit par le propriétaire des lieux qui referma rapidement l'entrée avant de soudainement s'immobiliser au centre de la petite pièce, me faisant arquer un sourcil.
- A quoi tu jo...
La panique fit vriller mon estomac. De la magie. Je la ressentis avec force alors que, pourtant, aucun signe visible n'en témoignait. Je voulus m'avancer pour le saisir et le forcer à s'arrêter, ne sachant pas à quoi il jouait mais bien décidé à le découvrir avant qu'il ne soit trop tard. Cependant, alors que mes doigts allaient se refermer sur un pan de son kimono, une vive bourrasque me projeta en arrière.
Je geins lourdement lorsque mes fesses rencontrèrent durement le sol mais alors que j'allais bondir sur mes pieds, son regard, aussi éberlué que devait l'être le mien, m'affronta.
- Bah... qu'est-ce que tu fiches par terre ?
Sérieusement ? Il m'envoyait valdinguer et en plus il se payait ma tronche ? Je maugréai tout bas et me redressai, tirant sur le bas de chemise comme si cela allait me permettre de récupérer une once de dignité.
- Tu te fiches de ma figure, pas vrai ? Tu utilises soudainement la magie et tu me demandes ce que je fais par terre ?
- C'était un simple sort pour insonoriser les lieux et éviter les oreilles indiscrètes, désapprouva-t-il. Tu n'aurais pas dû t'envoler de la sorte même si mon dôme est fait de vent... Tu as essayé de t'approcher ?
- Bien sûr que j'ai essayé de m'approcher, soupirai-je, lassé d'avance par cette conversation. Dès que j'ai senti ta magie, j'ai voulu te stopper.
- Tu as... senti ma magie ? Répéta-t-il, dubitatif. Tu ne l'as pas vu mais senti ?
- Quoi ? Qu'est-ce qu'il y'a d'incompréhensible ? Oui je l'ai sentie et alors ?
- Hé bien ce n'est pas anodin, murmura-t-il. Tu ne sembles pas le savoir mais les magiciens capables de sentir l'essence même de la magie et de l'anticiper avant de la voir sont excessivement rare. Je ne suis même pas sûr que nous en comptions un seul parmi les nôtres.
Je n'en avais effectivement eu aucune idée jusqu'à présent. Pour dire vrai, je n'avais que rarement été confronté à la magie et ne découvrais cette capacité qu'à l'instant. Jacinthe utilisait parfois de la magie d'eau mais cela ne m'avait jamais interpelé que je parvenais à savoir qu'elle le faisait même lorsqu'elle se trouvait hors de mon champ de vision.
- Si tu veux un conseil, tu ne devrais pas l'ébruiter.
- Pourquoi ? Si c'est si rare que ça, c'est une bonne chose non ?
- Peut-être, admit-il. Et tu pourras le dire à Caleb ou aux personnes auxquels tu accorderas ta confiance... mais cela fait de toi quelqu'un d'encore plus précieux que prévu. Cela ne plaira clairement pas à tout le monde.
- Comme qui ?
- Dois-je vraiment prononcé son nom maudit ? Grimaça-t-il. S-A-R-I-H.
Hmm. Il marquait un point. Je gonflai les joues, agacé. La simplicité de ma vie à Esmera me semblait soudainement bien trop lointaine. Pourquoi tout devait-il se précipiter ?
- Ne t'en fais pas, me souffla Raël. Je te promets de garder ton petit secret.
- Tu as tout intérêt, soulignai-je, mollement. Après tout, il semblerait que tu m'ais un confié un secret plus important encore.
- Tu marques un point, ria-t-il avant de se laisser choir sur son lit. Alors rassure toi définitivement, tu n'as rien à craindre de moi.
- Pourquoi le fait que tu es un espion est-il un tel secret d'état au point que tu sois envoyé dans la zone Sud ?
- Caleb a une légère tendance paranoïaque... que je partage peut-être aussi un peu, sourit-il, très détendu. Si un espion tel que moi peut aisément s'infiltrer dans le camp ennemi, qu'est-ce qui empêcherait ce fameux ennemi d'en faire de même ?
Il marquait un point, me faisant aisément comprendre que vivre dans cette partie du camp était majoritairement une couverture afin de protéger sa réelle activité.
- Combien de personnes sont au courant de ton réel rôle ? M'enquis-je.
- Peut-être une dizaine, réfléchit-il. Caleb, Oreina, Lyris, Dun, les parents de Sarih... et quelques autres grosses têtes du coin.
- Et pourquoi prendre le risque de me le dire ? Tu aurais très bien pu me convaincre de te choisir dans "mon équipe" sans cette information. Tu as l'air d'un bon combattant et tu as dû deviner que ta personnalité semblait s'accorder à la mienne.
- Tu me flattes, minauda-t-il avant de reprendre un semblant de sérieux face à mon regard noir. Disons que j'ai pour principe que si je choisi de me ranger du côté de quelqu'un, je lui offre toutes les cartes que j'ai à ma disposition.
- Et pourquoi décider de te ranger de mon côté ?
- Parce que quelqu'un enfin capable de rentrer dans le lard de cette bru... de ce charmant leader, se rectifia-t-il de lui-même. Me fait un bien fou. J'ai toujours pensé que les Cendres avaient besoin d'un bon coup de pied aux derrières et tu sembles bien décidé à réaliser mes fantasmes les plus fou.
- J'imagine alors que le rôle des "équipes" n'est pas très important.
- Hein ? Au contraire c'est très important, désapprouva-t-il instantanément. Qu'est-ce qui te fait penser ça ?
- Rejoindre une équipe ne doit pas être très engageant ou très important, si ta simple raison est de pouvoir emmerder Caleb. On ne s'engage pas dans quelques choses qui impliquerait peut-être notre survie juste pour cette raison.
- Et si je te disais que c'était pourtant le cas ? Sourit-il en me fixant intensément. Les équipes sont constitués d'hommes et de femmes qui, plutôt que se dévouer entièrement à Caleb, se tourne vers leur "chef d'équipe". Ils lui obéissent aveuglément et son envoyer avec lui vers tous les dangers. Le membre d'une équipe prend la décision délibérée de suivre son chef, conscient qu'il devra tout mettre en œuvre pour protéger cette personne si importante aux Cendres. Je donnerai ma vie pour la tienne si cela s'avère nécessaire. Et, si cela peut un peu plus t'effrayer, on ne quitte pas aisément une équipe. Il faudra de solide justification.
Alors il était simplement taré. Je ne voyais aucune autre raison valable pouvant expliquer que ce type, qui ne me connaissait ni d'hier, ni d'aujourd'hui, prenne un tel risque. Cela n'avait aucun sens, aucun fondement, aucune logique. Son sourire s'étira un peu plus devant mon expression perplexe, continuant à m'enfoncer dans mon incompréhension.
Raël était un de ces êtres solaires qu'on avait forcément envie d'approcher, pourtant, en cet instant, je ne pus que le trouver mystérieux, entouré d'une aura plus sombre.
- Alors je te dirai que tu es cinglé, finis-je par répondre. Et que je ne suis pas intéressé pour me coltiner le fou du village.
- Même si je te disais que je sais.
- Que tu sais quoi ? Soufflai-je.
- Que je sais pourquoi tu as refusé que Lyris t'ausculte.
Mon cœur rata un battement et mes doigts se refermèrent dans mes paumes.
- Tu m'as espionné jusque dans ma tente ?
- Non, assura-t-il dans un haussement d'épaule. Lyris m'a simplement dit qu'elle s'inquiétait pour toi à cause de ta réaction. Elle s'est imaginé que tu avais dû subir un quelconque sévices... mais toi et moi savons que la vérité est toute autre.
- Je ne vois pas de quoi tu parles, murmurai-je. Et si tu as finis de spéculer sur mes traumatismes, je vais arrêter la conversation là.
Je devais fuir. Je devais fuir sur le champ. Non. Et si Caleb se retournait contre Jacinthe après ma fuite ? Alors j'allais mourir. J'allais mourir car j'étais certain que Raël ne bluffait pas. Il savait. Il savait que j'étais un Alhaita, que ce sang maudit coulait dans mes veines. Comment ? M'avait-il espionné dans les douches ? Cela m'avait effleuré. J'avais songé que quelqu'un aurait pu me surprendre dans ce lieu, certes protégés par de petites tentures hermétiques, mais si simple à faire tomber.
Les larmes me montaient aux yeux. J'allais mourir. J'allais mourir après avoir fait autant d'effort simplement à cause de ce fichu nom ? Ce fichu nom qui m'avait déjà tant pris. Ce n'était pas juste. Ce n'était pas juste. Ce n'était pas jus...
- Tasha.
Mon corps se figea et je ne pus m'empêcher de me retourner vers celui à qui j'avais tourné le dos. Des larmes ruisselèrent sur mes joues sans que je ne puisse que songer à les retenir. Depuis quand n'avais-je pas entendu ce nom ? Depuis quand quelqu'un ne l'avait-il prononcé ? Plus encore, depuis quand quelqu'un ne l'avait-il prononcé avec tant de douceur ?
- Cela fait longtemps mais je suis un peu déçu que tu m'ais oublié, reprit-il. Enfin... je ne peux pas t'en vouloir, tu as dû en traverser des choses depuis cette époque... Mais tout ira bien maintenant, je suis de ton côté, Tasha.
Combien de fois ? Combien de fois avais-je juste espéré entendre quelqu'un me dire cela ? Juste me dire que ce n'était pas grave, que cela n'avait pas d'importance que je sois une Alhaita.
Sans que je ne m'en aperçoive, une mèche blanche vint soudainement barrer mon visage et lorsque je fixai mes mains, je ne pus que reconnaître les doigts fins et longilignes de Tasha. Submergé par les émotions, Ash avait abandonné la partie. J'inspirai profondément et ouvris la bouche, tremblant légèrement lorsque ma voix me parut infiniment plus fluette et douce que dans mes souvenirs :
- Qui es-tu ? Comment tu...
- Comment je sais qui tu es ? Sourit-il, en se redressant pour venir à ma hauteur, me dépassant désormais de vingt bon centimètre. Parce que j'ai déjà assisté à tes métamorphoses incessantes. Tu rendais folle Raija et Damon.
- Je... ne comprends pas, articulai-je difficilement. Comment as-tu connu mes parents ?
- Viens t'asseoir avant et je te raconte toute mon histoire, m'affirma-t-il en venant délicatement empoigné mon bras. Je ne voulais pas te secouer autant mais je ne savais pas trop comment amener la chose...
Je hochai péniblement la tête, encore envahit par une multitude d'émotion qui voulait me faire m'écrouler. Mais il était hors de question que je me laisse aller à ce point, surtout devant les yeux de quelqu'un qui avait visiblement eu l'occasion de côtoyer mes parents.
Calmement, je suivis donc son mouvement, le laissant me guider jusqu'à son lit où je me laissai tomber lourdement, venant passer ma main dans mes cheveux pour libérer mon visage de la nuer de mèches qui l'encombraient désormais. J'avais oublié à quel point porter les cheveux longs était un calvaire.
- Tu veux que j'aille te chercher un verre d'eau ? Me demanda-t-il en tirant une chaise près du lit, la tournant pour s'assoir à califourchon et appuyer ses bras sur le dossier.
- Ce n'est pas nécessaire, assurai-je. Peux-tu simplement m'expliquer comment tu connais mes parents ?
- Hé bien... avant tout j'aimerais te raconter un peu mon parcours, me souffla-t-il. Il y a vingt-sept an, j'ai vu le jour dans une tribu d'homme loup située dans le nord du pays, prêt du lac Comerian. J'y étais... quelque peu déprécié puisque issus de l'amour d'une semi-humaine avec un humain... et ma mère étant mort en couche, mes grands-parents se sont retrouvés avec un bambin incapable de se transformer en loup et dont ils ne savaient que faire. Néanmoins, j'aimais bien ma vie, je passai des heures à courir dans la forêt et à m'échapper du village même si cela me valait de sacrer savon en rentrant... jusqu'au jour où des braconniers nous ont attaqué.
- Des braconniers ? Demandai-je, tâchant de m'intéresser à ce pan de son histoire bien que le seul m'intéressant réellement fût celui me concernant.
- Avant l'arrivée d'Azrealith, ils étaient monnaies courante, m'apprit-il. Ce bon vieux roi démon n'aura pas eu que du mauvais puisque désormais il n'y a plus personnes intéressées par l'achat d'un esclave semi-humain ou de la fourrure d'un semi-loup. J'imagine que nous sommes tous occupés à survivre pour nous offrir ce genre de luxe.
- Je n'en avais aucune idée, admis-je. Cela a dut être affreux.
- Je n'en sais rien, fit-il dans un haussement d'épaule. J'étais parti en forêt lorsqu'ils ont attaqué le village... lorsque je suis revenu, tout le monde était mort ou avait disparu.
- Je... suis désolée, murmurai-je. Même si tu n'étais pas... bien traité, c'est difficile de voir sa famille mourir.
Il acquiesça sobrement, sans chercher à nier cette vérité que nous partagions.
- Après ma découverte macabre, j'ai pris la fuite dans la crainte qu'ils reviennent me chercher... sans savoir qu'en réalité je leur fonçai droit dessus.
J'imaginai mal la détresse du petit garçon qu'il avait été face à ceux qu'il avait tenté de fuir à s'en arracher les poumons.
- Ma grand-mère faisait partie de ceux qu'ils avaient gardé en vie, expliqua-t-il, apparaissant peu impacté par ce souvenir. Et si, par je ne sais quel miracle, j'ai réussi à me cacher avant que les braconniers ne me remarquent, elle leur a immédiatement dit que s'il la libérait, elle leur donnerait un enfant qui serait un parfait esclave contrairement à elle et ses vieux os.
Je blêmis légèrement, ne concevant que mal à quel point cette trahison avait dû le marquer. Après tout, j'étais convaincue que le "contrairement à elle et ses vieux os" était l'exact phrase qu'elle avait dû prononcer.
- Ils lui ont dit accepter et l'ont relâché... elle leur a dit où je me cachai tandis que je n'avais pas eu le courage de sortir de mon buisson... Au fond, je crois que j'ai cru jusqu'au bout qu'elle ne me trahirait pas de la sorte. Un des braconniers m'a attrapé sans que je ne me débatte et j'eus au moins la satisfaction d'en voir un autre enfoncé sa lame dans le ventre de ma grand-mère.
- C'est... je n'ai pas les mots, avouai-je, crispée. Je n'imagine même pas à quel point tout ça a dû être...
- Affreux, compléta-t-il alors que je peinai réellement à trouver un mot suffisamment fort. Les autres semi-humain emprisonnés ont alors commencé à paniquer et à se débattre jusqu'à ce qu'une bagarre générale éclate... Les choses sont un peu confuses dans mon esprit mais ce dont je suis certain c'est qu'ils ont finis par prendre le dessus par je ne sais quel miracle et par tuer ou suffisamment amocher les braconniers pour parvenir à s'enfuir en me laissant derrière... j'aurais pu m'enfuir aussi mais mes jambes étaient incapables de me porter et je ne pouvais quitter des yeux le corps de ma grand-mère. Puis j'ai vu un homme se relever et venir dans ma direction. Je me souviens de l'épée qu'il a soulevé au-dessus de ma tête et avoir pensé que c'était là le seul destin possible pour un semi-loup incapable de se transformer.
Je comprenais son sentiment. Moi aussi j'avais éprouvé de la frustration face à mon incapacité à manier la magie, me trouvant inutile au possible, n'estimant rien méritée d'autre au vu de mes compétences médiocre.
- Et puis quelqu'un a soudainement surgit de la forêt. Une femme aux cheveux blancs et au visage recouvert d'un masque représentant un tigre blanc.
- Ma mère, murmurai-je.
- Exact. Elle a désarmé le braconnier et après s'être assurée que plus aucun danger ne nous entourait, elle a retiré son masque et s'est agenouillée devant moi. Elle avait les yeux les plus bleu et envoûtants que je n'avais jamais vu de ma vie... et elle a juste passer ses bras autour de moi sans rien dire.
Cela lui ressemblait bien. Ma mère avait toujours été très mauvaise pour s'exprimer, préférant les actions à la parole. Mon père le lui avait beaucoup reproché quand son propre caractère le poussait à crier, sur tous les toits, son amour.
- Une fois que j'ai eu fini de répandre toute l'eau de mon corps sur son épaule, elle ma ramener chez elle. Je me souviens encore si bien de la grande terrasse qui donnait sur...
- Le lac, finis-je à sa place.
- J'y ai rencontré Damon... puis un être turbulent qui est passé en furie devant moi, faisant voleter de longs cheveux blancs... avant de réapparaître quelques secondes après avec l'apparence chétive d'un petit garçon aux cheveux bruns... J'ai d'abord pensé à un frère et une sœur jusqu'à ce que tu te transformes en plein milieu des présentations que ta mère tentait de t'imposer. Elle a essayé de te disputer mais tu t'es contenté de rire avant de m'entrainer derrière toi dans la maison, m'accueillant comme si j'avais toujours fait partie de ta famille.
- Je... n'en ai aucun souvenir, admis-je, contrite, consciente qu'il ne mentait pas. Tu es resté longtemps avec nous ?
- Un peu plus de deux ans, affirma-t-il. Ta mère... m'a envoyé en sécurité lorsqu'on a commencé à entendre parler de la trahison de ton grand-père.
- Cela signifie que je devais avoir... huit ou neuf ans, la première fois que l'on s'est rencontré et dix ou onze à ton départ... Je ne comprends pas comment j'ai pu totalement t'évincer de ma mémoire...
- Hé bien... ce n'est qu'une supposition mais... une semaine après que j'ai quitté la maison... Raija et Damon sont...
- Morts, complétai-je devant son hésitation.
- Oui. Normalement ta mère avait prévu de te faire me rejoindre la semaine suivant mon départ mais... lorsque j'ai vu que tu n'arrivais pas et que tes parents ne répondaient pas à mes courriers, j'ai compris qu'il s'était passé quelque chose. Avec l'aide de quelques amis, je suis revenu à la maison... mais tu n'y étais pas... contrairement à leurs cadavres.
Je fronçai les sourcils. Cela me disait quelque chose. Je me souvenais d'un soir où mon père était venu me trouver dans ma chambre alors que je m'y étais enfermée, tôt dans la matinée, après avoir appris que j'allais devoir les quitter pour un temps indéterminé. Il était resté tard cette nuit-là, tentant de me rassurer en m'assurant que je serais en sécurité. Que j'allais juste retrouver mon grand-frère.
- Je t'ai cherché, me souffla-t-il, ses yeux soudainement embués. Je t'ai cherché partout en Andora... mais j'ai été incapable de retrouver ta trace.
- Je... ne sais pas trop où je suis allé, admis-je. Je sais juste que j'ai passé toute l'année à traquer grand-père.
- Le traquer ? Répéta-t-il. Mais tu es complètement cinglée ma parole ! Qu'est-ce que tu espéra...
- Il a tué mes parents ! Protestai-je en haussant un peu trop le ton. Désolée.
- Non. C'est moi, soupira-t-il. Je... je suis juste tellement... soulagé. Lorsque nous avons tous appris la mort de Jaekal et du reste des Alhaita, j'ai été persuadé que tu étais morte aussi... Puis quand Lyris m'a parlé d'un petit nouveau que Caleb avait ramené et qui refusait de se déshabiller... j'ai été curieux. Je me suis dit que j'allais aller voir de moi-même qui était ce type étrange... et je t'ai vu. Toi. Ash. J'ai eu l'impression que le ciel me tombait sur la tête, d'halluciner... je t'ai suivi durant plusieurs jours, incapable de croire que tu étais vraiment ce petit garçon turbulent. Et puis... Puis j'ai remarqué ça.
Son doigt se pointa sur ma paume droite, désignant une petite cicatrice qui se glissait discrètement sur ma peau pâle.
- Tu t'es fait cette cicatrice en tombant de mes épaules, sourit-il. Tu as glissé et est retombé sur une pierre. Et bien que tu aies été sous l'apparence de Tasha à ce moment, Ash a également conservé cette marque.
- Je m'en souviens.
Je me souvenais de la chute, du sang qui fusait et de sa panique. De la panique du garçon aux yeux marrons qui tentait de penser une plaie dont je ne me souciais aucunement, trop désireuse de remonter sur ses épaules, telle la digne casse-cou que j'étais.
Puis ma mère était arrivée en trombe, faisant aussitôt pleurer le petit garçon qui avait dû craindre se faire sermonner alors que ma mère savait parfaitement que la seule responsable était ma petite personne. Mais elle n'en avait disputé aucun, se contentant de passer sa main dans nos cheveux pour les ébouriffer avant d'aller chercher de quoi me soigner.
- Tu étais un pleureur, soufflai-je, moqueuse.
- Je plaide coupable, grimaça-t-il. Mais rien que les premiers mois !
Je ris avec naturelle, mes émotions se faisant plus gérables. Et surtout empreint d'une douceur si réconfortante qu'il encerclait mon cœur d'un petit nuage de coton.
- Est-ce que... tu m'autorises à te prendre dans mes bras ?
D'abord surprise, les larmes voulurent remonter à mes yeux avec trop de force pour je lutte plus longtemps. Vivement je me redressai d'un bond et, lui laissant à peine le temps d'en faire de-même, me jetai dans ses bras. Et nous pleurions à chaude larme l'un et l'autre pendant ce qui dû être des heures.
J'avais encore de la famille.
J'avais encore quelqu'un sur qui compté.
J'avais encore quelqu'un qui ne me jugerais pas pour mon simple nom.
J'avais encore quelqu'un pouvant aussi bien m'appeler Tasha, que Ash.
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