Chapitre 8
Je geins faiblement, m'étirant longuement tandis que mon corps était d'une lourdeur que je n'avais plus ressentie depuis bien longtemps. J'avais l'impression qu'un troupeau de buffle m'était passé dessus, sans aucune pitié pour mes os de verre. Dans un soupir, je laissai retomber mes bras le long de mon buste, fixant le plafond de ma tente.
Je n'étais pas à Esmera.
Ce constat n'était pas une surprise mais mes rêves m'avaient ramené en ce lieu et le fol espoir de m'y trouver encore m'avait habité.
Mollement, je me redressai, m'asseyant sur le bord de mon lit avant de venir passer mes mains sur mon visage. Je me sentais encore terriblement fatigué alors que, pourtant, j'avais le sentiment de me réveiller de plusieurs jours de sommeil. C'était une impression terriblement ambivalente, contre laquelle j'allais très certainement devoir lutter toute la journée afin de m'en extirper.
Je lâchai un second soupir, plus profond encore que le premier. Je crois que je subissais le contrecoup de l'adrénaline des derniers jours. Plus que de la simple fatigue, mon moral était au plus bas. Je n'avais plus aucun repaire, plus aucune certitude. Je ne savais même pas à quoi allait ressembler ma journée, alors imaginer ce qu'allait devenir ma vie était inenvisageable... et puis voulais-je vraiment le savoir ? Je n'avais aucune envie de visualiser une vie de combat incessant ou de lutte perpétuel. Si j'étais devenu plus fort c'était uniquement pour protéger Esmera, rien de plus.
Mais il allait bien falloir me faire une raison et j'allais commencer cette nouvelle vie pleine de surprise, par une douche bien méritée.
Mollement, et les pieds un peu trainant sur le sol, je récupérai l'une des serviettes que l'on avait déposé dans mon étagère et la faisait tomber sur mon épaule avant de me diriger vers la sortie de ma tente, bien décidé à chasser cette odeur de moufette mal léchée que je me trimballai.
Du moins, fusse mon ambition initiale. Lorsque le pan de ma tente s'entrouvrit, je tombai aussitôt sur un regard ambre qui m'était devenu plus que familier. Mon cœur loupa un battement, me faisant froncer les sourcils. Depuis quand mon palpitant était devenu acrobate ? J'aurai aimé qu'il me prévienne de son inclinaison soudaine pour les cabrioles.
- Salut.
Salut ? C'était tout ce que je trouvais à dire ? Salut ? Vraiment ? Mais je déraillai beaucoup plus que je ne l'avais craint.
- Salut, me sourit Caleb, assis sur une chaise juste devant sa tente, aiguisant son katana. Enfin réveillé.
- Je dors depuis longtemps ? Répondis-je donc, soulagé qu'il entame une conversation que je n'aurais su comment débuter.
- On ne t'a pas vu sortir de là depuis un peu plus de vingt-quatre.
- Waouh, sifflai-je, réellement surpris. Je m'attendais à être resté dans le coma quelques heures, mais pas à ce point.
- Rien de surprenant avec tout ce que tu as encaissé, me rassure-t-il. Ta tente te plaît ?
- Hmmm... pour être franc, elle me gêne un peu.
- Te gêne ? Pourquoi ? Il te manque quelque chose ? Tu peux obtenir à peu près tout ce que tu veux si tu en fais la demande à Priya.
- Non, en soit elle est très bien... mais je ne comprends pas ce que je fais là.
- Tu es devenu un membre des cendres après avoir acc...
- Je sais ce que je fais ici, chez les rebelles, le coupai-je en levant les yeux au ciel, agacé qu'il me prenne pour un tel crétin. Je veux dire ce que je fais ici, dans la tente B situé dans la zone nord.
Il sembla comprendre où je voulais en venir, son attention se tournant enfin entièrement sur moi plutôt que sur son arme. Mais là où je m'attendais à une réponse logique contre laquelle je n'aurais rien pu réfuter, il se contenta d'un petit sourire en coin.
- Va savoir, je n'en suis pas certain moi-même.
Pardon ? C'était lui qui m'avait placé ici, lui qui en avait formulé la demande expresse et, pourtant, il ne savait pas pourquoi ? Il se fichait de ma figure. C'était la seule explication. J'allais m'emporter, pas d'humeur à me laisser malmener, mais il me coupa l'herbe sous le pied :
- Pour l'instant je n'ai eu qu'un vague aperçu de l'étendu de tes aptitudes, j'attends encore de voir si tu mérites réellement cette tente.
- N'aurais-tu pas dû attendre de me la donner dans ce cas ? Désapprouvai-je. Aux yeux des autres je vais passer pour ton chouchou.
- Je me fiche de ce que pense les autres.
Ça, étrangement, je m'y attendais. Mais mon avis dans tout ça ? Moi je ne m'en fichai pas. Cela allait déjà être assez compliqué de m'intégrer dans un groupe déjà constitué depuis de nombreuses années alors je n'avais pas besoin de passer pour le petit préféré.
- Et disons que j'estime que tu n'as pas pleinement choisi d'être ici... il est donc normal que je t'accorde quelques faveurs. Du moins, jusqu'à ce que j'aie décidé ce que je comptais faire de toi.
- Et si je me montre décevant ?
- Je ne m'inquiète pas trop à ce sujet, répondit-il sobrement, haussant les épaules. Ce que j'ai vu est, en réalité, déjà suffisant pour que je t'accorde une place de choix. Je te taquine juste.
- Tu exag...
- Et dans le cas où tu en douterais remémore toi la situation : tu as mis en déroute une grande partie des soldats envoyés par Azrealith, tu a...
- Ils étaient exécrablement mauvais, désapprouvais-je, n'hésitant pas à le couper à mon tour.
- Quoi que je dise je ne pourrais pas te convaincre, n'est-ce pas ? Soupira-t-il.
- Probablement, acquiesçai-je. Jacinthe dit que j'ai une légère tendance à l'entêtement.
- Légère ? Répéta-t-il dans un sourire moqueur.
- Minuscule, souris-je.
Il ria à nouveau. Son rire avait quelque chose d'agréable, de presque envoûtant. Et il fallait que je redescende les pieds sur terre. Car je savais. Je savais ce qui était en train de se jouer. Je savais ce que j'étais entrain déprouver et que le fait que je trouve ce type foutrement séduisant n'était pas une bonne idée du tout. Je devais absolument arrêter de frissonner à sa fichue voix grave et encore plus cesser de m'emballer dès que son regard d'ambre se posait sur moi. Bon sang. Il fallait vraiment que je remette ma tête sur mes épaules.
- Tu allais te doucher ?
- Exact. Pourquoi ?
- Simple question. Tu te souviens d'où se trouve les douches ?
- J'ai une plutôt bonne mémoire des lieux, affirmai-je. Et heureusement pour moi sinon je ne serais jamais revenu des dunes de Diura.
- Argument implacable, admit-il. Mais avant d'y aller, que dirais-tu d'un petit entraînement ?
- Entraînement ? Interrogeai-je, mes sourcils froncés. Avec toi tu veux dire ?
- Je pensais que tu serais plus à l'aise avec moi plutôt qu'un inconnu, affirma-t-il dans un haussement d'épaule. Tu as de bonne capacité mais tu manques d'entraînement et il faut également consolider tes bases... tu ne pourras pas toujours t'en sortir en te contentant d'être un animal sauvage.
Je ne protestai pas, bien conscient moi-même des limites de mon style de combat. Je me fiais à cent pour cent à mes instincts et ceux-ci pouvaient aisément me jouer des tours, surtout face à des combattants aguerris tel que Caleb.
- Tu es sans pitié, geins-je faussement avant d'esquisser un sourire. A peine réveillé que tu veux déjà me malmener.
- Ne dis pas ça ainsi, on pourrait penser que je n'ai pas que de pure intention à ton égard.
Oh. Les bras m'en tombaient. C'était une chose de reconnaître mon attirance et de la réfuter. Mais cela en devenait une autre bien différente si je ne semblais pas le seul à l'éprouver.
Mes joues s'échauffèrent mais je me détournai pour éviter qu'il ne le remarque, tâchant de retenir la main que j'avais eu envie de glisser dans ma nuque, pour masquer un peu plus mon état, et qui me trahirait sans aucun doute.
- Je doute que quiconque pense une chose aussi insensée.
Ma voix avait voulu se faire plus froide, tenter de couper l'élan qui semblait nous pousser, l'un l'autre, vers une direction qu'il était hors de question que j'arpente. Mais, je n'étais pas seul dans ce jeu et il le maîtrisait avec plus de dextérité, à n'en pas douter.
- Qu'est-ce que cela aurait d'insensée ?
Mes dents mordirent ma lèvre inférieure. Pas pour m'empêcher de parler. Pas pour m'empêcher de dire quelque chose que je regrettai. Juste pour empêcher mon foutu sourire de s'étaler sur mes lèvres.
- Cela te dérang...
- Caleb !
Ah. Le retour du petit prince. Je me tournai légèrement sur le côté, regardant le jeune homme courir dans notre direction avec entrain. Caleb soupira, me faisant reposer mes yeux dans les siens. Et je relevai la tête pour fixer le ciel, l'air de rien, lorsque son sourire me signala bien que mes joues étaient encore largement rougies.
- Oh... tu es réveillé, Ash ?
- Il semblerait, approuvai-je mollement.
Il se stoppa à notre hauteur, fixant d'abord Caleb en lui offrant son plus beau sourire, et surtout le plus sincère qu'il n'ait jamais arboré depuis notre première rencontre, puis se tourna vers moi. Il me jaugea de la tête au pied et une légère grimace vint défigurer son visage. Plus encore, il vint ramener sa main de petit prince précieux à sa bouche, venant la recouvrir ainsi que son nez.
- Désolé de te dire ça, Ash mais... tu ne sens pas la rose.
- Pas vraiment surprenant après avoir été traîné par ce type d'Esmera à ici, rétorquai-je, peu vexé par son dégoût évident. J'allais justement me doucher avant que ce type ne m'interpellé.
- T'interpellé ? C'est toi qui m'as dit "salut".
Cette fois, les rougeurs se volatilisèrent et je le fusillai du regard. Ce moment avait déjà été foutrement gênant, pas besoin d'en remettre une couche. Et il pouffa, m'agaçant d'autant plus. Mais je préférai ne pas rentrer dans son jeu. Je devais faire attention. Je devais absolument faire attention. Parce que ce "jeu" avait trop de conséquence, trop de risque que je ne pouvais me permettre de prendre sous prétexte que mes hormones de jeune adulte soient en effervescences.
- Tu devrais y'aller avant qu'il ne soit trop tard, à partir de dix heures, c'est une véritable lutte pour trouver une douche libre.
- Je vais l'emmener s'entraîner, affirma Caleb en se redressant. Il ira plus tard.
- Oh tu ne peux pas faire ça, Cal.
Et comme pour attester ses paroles, Sarih vint se pendre au bras d'un Caleb qui ne chercha pas à le lui retirer, me troublant quelque peu. Il se lova tout contre lui, dans une proximité qui ne laissait aucun doute sur leur relation. Le petit prince me décocha un regard en coin et il eut le mérite d'être dénué de toute comédie. Tout à l'inverse, c'était un message très clair : "Ne t'approche pas de ce qui m'appartient".
- Pourquoi je ne pourrais pas ? Rétorqua Caleb, les sourcils froncés. Je n'ai rien de prévu à ma connaissance.
- Nous avons reçu une réponse de Ravanel.
Caleb tourna son visage vers moi tandis qu'il ne m'était pas difficile de comprendre l'enjeu. Probablement avait-il commencé à chercher des informations sur la tour des âmes ou même simplement cherché à savoir si je n'avais pas totalement inventé cette histoire.
- J'ai demandé à mes contacts un état des lieux de la ville. Je voulais savoir quel risque nous prendrions à nous y rendre.
Il visait avec une justesse sidérante. Comment avait-il deviné que j'étais vexé par son doute potentiellement compte à la véracité de mes propres ? Il en devenait agaçant à la fin. Ou était-ce ma faute ? Etais-je devenu trop lisible à force de côtoyer une Jacinthe qui ne cachait pas la moindre de ses émotions ?
- Pas besoin de te justifier, assurai-je donc.
- Je ne veux pas que tu te fasses de fausse idée, désapprouva-t-il.
- Je ne m'en fais pas, mentis-je ouvertement.
Il arqua un de ses épais sourcil noir, me jaugeant avec cette moue voulant me signifier qu'il ne me croyait pas le moins du monde.
- Tant mieux alors, affirma-t-il. En tout cas, je suis désolé, nous allons devoir remettre à plus tard ton entraînement.
- Aucun problème, de toute façon il semble urgent que j'aille me laver, je ne voudrais pas importuner plus longtemps l'odorat des plus sensibles.
Ah. Cette fois, je n'avais pas eu le temps de me retenir, le pique était parti tout seul. Sarih redressa la tête qu'il avait toujours enfoui contre Caleb et m'affronta longuement avant de sourire énigmatiquement.
- Merci beaucoup de te soucier de moi.
Au moins, il avait dû caractère. Je lui rendis donc son sourire, plus naturellement. Après tout, qui étais-je pour juger son comportement ? Je ne connaissais pas son histoire et encore moins son histoire avec Caleb, alors je préférai cesser mes enfantillages. Nous ne serions jamais amis, mais je devais cesser mon comportement des plus puéril en cherchant à le provoquer.
D'un bref signe de la main je voulus quitter rapidement les lieux, n'ayant pas non plus le désir fou de les voir batifoler, mais à peine eus-je fait trois pas qu'une main ferme vint saisir mon poignet, me forçant à me retourner.
- Tu devrais venir avec moi, me souffla-t-il, ses yeux ambre encore et toujours rivés dans les miens. Le contenu de la lettre te concerne directement et ce sera l'occasion de te présenter les autres.
- Je vais soulever deux points : je ne tiens pas spécialement à faire de rencontre importante alors que je n'ai pas eu l'occasion de me laver depuis une semaine et que l'on vient de me souligner mon odeur corporelle, débutai-je et venant lever la main devant son visage lorsqu'il tenta d'ouvrir la bouche pour contre-argumenter. Et secondement je ne vois pas en quoi ça me regarde. Ce n'est pas parce que c'est moi qui t'aie parlé de la tour, que je dois participer à une quelconque réunion où des informations sur les futurs actions des cendres seront peut-être décidés.
- Il n'a pas tort, tenta Sarih, tirant sur le bras qu'il n'avait toujours pas lâché. Ce serait mal vu que tu ramènes un petit nouveau... nous ne le connaissons pas.
- Je lui fais confiance, désapprouva Caleb. Cela devrait vous suffire. Me suis-je déjà trompé ?
- Non, reconnut Sarih. Mais tu ne t'es également jamais comporté ainsi avec quelqu'un, encore moins un étranger.
Le reproche à peine dissimulé sous une fausse inquiétude dû à l'impartialité de Caleb, ne passa clairement pas auprès de celui-ci. Il écarta le petit prince, un peu sèchement, et l'affronta de toute sa hauteur. Son regard était glacial. Et j'eus presque pitié pour ce jeune garçon qui n'en menait clairement pas large face à la colère brusque et démesuré de celui qu'il admirait profondément.
- Si tu as quelque chose à me dire, cesse tes détours et dis-le franchement. Et cela vaut également pour vous tous !
Je sursautai légèrement lorsque sa voix porta avec plus de force, se rependant entre les arbres et les tentes, attirant le regard de tous ceux se trouvant à proximité. Je portai une main à mon visage dans un profond dépit. Ce type était vraiment leur leader ? Ils étaient sûr ? Parce que, clairement, il manquait de subtilité et de patience.
- Calme-toi, sifflai-je en constatant que tous baissaient le regard sans s'avancer. Tu pourrais être un peu plus réfléchi. C'est logique qu'il doute d'un type qui vient d'arriver. Tu veux précipiter les choses à tel point que cela me met moi-même mal à l'aise, alors je n'imagine même pas ce qu'eux doivent penser.
- Je ne leur demande pas de penser sim...
- Le retour du dictateur, geins-je lourdement.
- C'est quoi ton problème ? C'est ta défense que je prends, tu devrais...
- Je devrais quoi ? T'aduler parce que tu agis comme tu l'entends ? Soupirai-je, me fichant pas mal des signes avant-coureurs m'indiquant que toute sa colère allait bientôt se tourner sur moi. C'est juste égoïste. Si tu tiens tant à faire de moi un... un quoi d'abord ? Un bras droit ? Un pion ? Un soldat ? Est-ce que tu sais toi-même sur que tu veux faire de ma vie ? Parce qu'en fonction il va peut-être falloir arrêter de me donner l'impression qu'avec toi nous n'avons pas le droit d'ouvrir la bouche sans que tu hausses le ton. Bien sûr si tu ne veux que je sois qu'un petit pion que tu enverras à ta guise au combat, tu n'as pas besoin de changer mais à ce compte-là, facilite-nous la vie et traite-moi juste comme tu traites les autres.
Et avant qu'il ne laisse éclater son mécontentement, je passai à côté de lui, bien décidé à clore la conversation. Je n'aimais pas sa façon de faire, détestant sa brusquerie envers ceux qui le suivaient, visiblement, avec une adoration sans faille. Ils auraient sauté d'un pont s'il l'avait exigé, je n'en doutais pas un instant. Alors il devait faire attention à son comportement, sinon cela ne pourrait que mal finir.
Me surprenant néanmoins, je pu quitter la zone nord sans qu'il ne me saute sur les talons, et je ne pus m'empêcher de me retourner légèrement, persuadé que j'allais le voir surgir de derrière une tente pour me signifier que je n'avais pas à m'opposer ainsi à lui. Mais rien. Juste le bruit du vent s'engouffrant dans les tentes.
Alors, mollement, je me contentai d'aller prendre une douche froide qui eut le mérite de finir de me remettre les idées en place.
♜
- Tu es devenu si populaire en si peu de temps, rit Lyris, assise à côté de moi sur l'une des tables de la zone qui servait de cantine.
- Arrête de te moquer, protestai-je. Je n'ai rien fait qui mérite toutes ces messes basses.
- Tu as tenu tête à Caleb le grand ! Protesta-t-elle. Et tu as toujours ta tête sur tes épaules ! D'habitude, c'est un droit réservé à Oreina.
- C'est juste que vous n'osez pas lui rentrer dedans, rétorquai-je. C'est en partie de votre faute si monsieur à la grosse tête. Vous l'adulez comme s'il était une divinité. Mais au fond, je suis certain que si certains avaient eu un peu plus le cran de lui dire les choses, vous n'en seriez pas arrivé à une telle extrémité. Vous avez tout fait reposer sur ses épaules, bien sûr qu'il ne supporte plus la moindre contrariété.
Lyris ne me répondit pas et je lâchai un profond soupir. J'étais passablement agacé. Cinq jours s'était écoulés depuis ma petite dispute avec Caleb. Cinq jours où il m'avait évité avec minutie et où je n'avais pas non plus cherché à revenir vers lui. Cette distance m'arrangeait bien en toute franchise. Néanmoins, j'avais découvert que le fonctionnement des rebelles... était plus que problématique.
Caleb était seul, ou quasi seul à diriger tout ce petit monde. Chaque décision, de la plus infime à la plus importante, passait par lui. Ils courraient tous dans ses jambes à la moindre problématique qu'ils auraient pourtant pu résoudre d'eux-mêmes avec un peu de réflexion. Mais non. Ils préféraient tous le surcharger de demande toutes plus dérisoires les unes que les autres. Et j'en savais quelque chose : le défilement dans sa tente ne s'arrêtait que tard le soir et prenait très tôt le matin. Bien sûr que face à un tel débordement d'idiots, Caleb n'avait d'autres choix que d'être un dictateur intransigeant.
- Caleb est quelqu'un d'extraordinaire, tenta de se justifier Lyris. Il a des pouvoirs que no...
- Je ne remets pas en question ses capacités, coupai-je, un peu plus froidement. Je suis le premier à reconnaître qu'il n'est pas quelqu'un d'ordinaire et pour bien des raisons. Mais vous vous rendez compte de ce que vous lui imposez ? Hier, un mec est venu lui demander s'il avait le droit de recouper du bois pour préparer l'hiver. Sérieusement ? Il avait vraiment besoin que Caleb lui dise que oui il fallait le faire parce que sinon vous alliez tous mourir de froid ?
Lyris se pinça les lèvres, retenant un léger sourire moqueur alors qu'elle savait, tout comme moi, que le dit "mec" se trouvait attablé derrière nous et que j'avais parlé suffisamment fort pour qu'il l'entende. De toute façon, j'étais convaincu qu'il ne s'énerverait pas, il était bien trop mollasson pour ça. Je soupirai, repoussant mon assiette pleine d'une soupe au goût étrange, l'appétit coupé.
- Je comprends que vous l'admiriez et je comprends aussi que vous ayez envie de vous reposer sur lui... mais vous allez finir par faire de lui quelque chose qu'il n'a jamais demandé à être : un tyran. Je ne l'ai pas côtoyé beaucoup, je te l'accorde, mais j'ai bien vu que tout comme chacun d'entre vous, Caleb espère recevoir de l'aide.
Elle me fixa longuement, ses grands yeux bleutés tirant sur le gris me dévisageant avec moins de gaieté qu'à son habitude. Elle savait que j'avais raison. Lyris était une jeune elfe à la tête bien pleine et même si elle avait le même travers que les autres, il était moins marqué, lui permettant parfois des moments de lucidité.
- Tu as raison, admit-elle sans me surprendre. Je... n'y avait jamais réfléchi mais nous avons peut-être un peu trop oublié que Caleb était aussi... humain que nous.
- Merci ! Geins-je en levant les mains vers le ciel de façon exagéré. Enfin la lumière atteint le cerveau de l'un d'entre vous !
- Tu nous juges bien sévèrement, dis donc.
Je jaugeai prudemment le nouvel arrivant tandis qu'il se laissait lourdement choir sur le même banc que moi. Un semi-humain à en juger les oreilles touffues sur le sommet de son crâne. Mais ce n'était pas ce qui me marqua le plus. Je crois que je commençai à comprendre le critère de sélection pour devenir un Cendre : la beauté.
Grand, longiligne, un visage au trait aquilin, de longs cheveux de soie noire attaché en une queue de cheval base et des yeux d'un marron profond. Pour compléter le tout, un kimono orangé, mal ajusté laissant entrevoir une musculature parfaite agrémenté de tatouage qui recouvrait sa peau d'albâtre.
- Super, soupirai-je. Encore un bellâtre.
- Un bellâtre ? Rit-il aussitôt, sa voix résonnant avec trop de force. Tu cherches à me séduire ? Si c'est le cas, je suis navré mais je préfère les seins.
- Raël ! S'emporta aussitôt Lyris, ses joues pâles se rosissant. Fais attention à ton langage ! Combien de fois vais-je devoir te le répéter ?!
- Beaucoup de fois ?
Lyris fronça les sourcils pour la première fois, scrutant le nouvel arrivant avec un agacement que seul lui devait parvenir à lui soutirer. Et il en était passablement heureux au vu de son sourire.
- C'est bon, c'est bon, je suis désolé, reprit-il en manquant cruellement de sincérité. Je ne voulais pas choquer de pures et innocentes oreilles.
Elle le fusilla du regard et il lui décocha un nouveau sourire charmeur. Ils étaient ensemble tous les deux ? Cela ne m'aurait guère étonné au vu de leur comportement.
- Maintenant que je me suis excusé, revenons-en à nos moutons : je disais que je trouvais que tu nous jugeais bien sévèrement, le petit nouveau.
- Prouve-moi que j'ai tort et je me répandrais en excuse.
- Oh loin de moi cette idée, cela fait longtemps que je dis qu'il y'a un trop grand nombre de bras cassés dans ce camp.
M'intriguant, son regard venait de passer derrière mon dos, se teintant d'une grande froideur. Je me tournai légèrement et constatai, avec étonnement, qu'un groupe de cinq hommes se tenaient debout tout proche de nous. Lorsque l'un croisa mon regard, j'écarquillai un peu les yeux en le voyant détaller la queue entre les jambes. Vite suivis par ses compares qui filèrent sans demander leur reste sous les rires de toute la cantine.
J'eus envie de prendre ma tête entre mes mains et de geindre un peu plus encore. C'était pire que tout ce que j'avais pu imaginer. Qu'avais escompter faire ces abrutis ? M'attaquer dans le dos ? Dans quelle bu...
- Ne te prends pas la tête, m'interrompit Raël en m'affublant d'une grande claque dans le dos qui me fit grimacer. Paravel et ses petits sbires sont des adorateurs primordiaux de Caleb, mais ils ne sont pas bien méchants. Ils cherchaient juste ce qui leur reste de courage pour oser venir te faire un petit sermon comme quoi il ne fallait pas médire de notre dieu tout puissant.
- Je ne sais pas si cela me rassure vraiment, avouai-je.
- J'admets que c'est flippant, ria-t-il. Mais tu verras on s'amuse bien avec eux, c'est si facile de les faire sortir de leurs gonds. Une fois j'ai m...
- Raël !
- Pris sur le fait, répondit le jeune homme en levant les mains en l'air lorsque les mains de Lyris claquèrent sur la table. Ça va, je ne fais que les titiller un peu. Ash a raison, il faut tous vous secouez un peu, sinon votre chère petite tête brune va tomber de fatigue. Ou peut-être va-t-il simplement la déposer au pied de notre petite nouvelle recru.
Avec un naturel déconcertant, Raël vint passer son bras autour de mon cou, se vautrant de tout son poids contre moi. Je grognai vaguement mais le laissai faire. Il me faisait penser à Jacinthe. Ce même franc parler, ce même cynisme, ce même caractère intrépide. Elle aussi, dans sa jeunesse, en avait fait voir de toutes les couleurs à sa famille, réalisant les quatre cents coups au quatre coin d'Esmera sans jamais se soucier des conséquences.
- Ne le taquine pas alors que tu ne t'es même pas correctement présenté, soupira Lyris en se laissant retomber sur sa chaise.
- C'est vrai que j'en oublie toutes les bonnes manières !
Et, d'un bond, il s'éloigna aussi vite qu'il s'était approché, m'offrant une main tendue que je ne pus que saisir avec plaisir. J'appréciai déjà ce garçon qui, contrairement aux autres, ne semblait capable de penser par lui-même.
- Raël Lupha, charmeur de ses dames, combattant aux nombreux exploits et espion émérite des Cendres.
- Raël ! S'alarma aussitôt Lyris. Tu ne devrais pas donner cette information ! Quasiment personne ne sait réellement quel est ton rôle ici !
- C'est bon, affirma-t-il dans un haussement d'épaule désinvolte avant de river ses yeux dans les miens, beaucoup plus sérieux cette fois. Autant qu'il sache ce que je peux lui apporter si je veux qu'il m'intègre à son équipe.
- Mon équipe ? Répétai-je, sceptique.
- Oh ? Vous n'avez pas encore reçu la nouvelle ? Caleb va annoncer, ce soir, que tu prendras la tête d'une équipe.
Mes épaules s'affaissèrent et je basculai la tête en arrière tout en fermant les yeux, le cœur au bord des lèvres. Ce type. J'allais tuer ce type de mes mains sans autres formes de procès.
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