Chapitre 3
Assis sur une chaise, la tête basculée en arrière, je fixai le plafond de l'auberge sans parvenir à définir le méandre de mes émotions. Le silence qui y régnait était déstabilisant tant cette pièce avoir toujours débordé de vie, même lorsque Jacinthe en avait été la seule occupante. Sa voix. Son rire. Sa simple présence animait cet endroit. Mais elle était partie. Elle était partie et désormais ce lieu semblait d'une froideur infinie.
Pourtant, malgré tout, mon cœur semblait sur le point de rompre à l'idée que, dans quelques heures tout au plus, je ne pourrais plus refranchir les portes de cet endroit avant très longtemps. Voir probablement jamais.
Cette auberge représentait tant. Elle avait été mon salut, sauvant l'âme brisée de l'enfant qui avait tout perdu. Elle avait été aussi un lieu de fête, un lieu de rire, de joie, de bonheur. De tous ces sentiments que j'avais cru, un jour, perdre définitivement. Elle était aussi le lieu débordant, d'un amour que l'on prenait plaisir à partager. D'un amour qu'on m'avait également offert. Sans restriction, sans condition, sans jugement.
J'expirai lourdement, mes émotions n'ayant de cesse de m'accabler depuis l'arrivée de Caleb, deux jours auparavant. Le plus dur avait probablement été de devoir dire adieux à tous ceux que j'aimais. Tous ces visages familiers qui s'étaient succédé devant moi, chacun tenant étrangement à me remercier pour une raison que je ne comprenais guère. Je n'avais rien fait méritant tant de reconnaissance. Ou, du moins, rien dont ils n'avaient connaissances puisque, d'un comme un accord avec Caleb, nous avions convenu que je prétendrai avoir pris la décision librement de rejoindre les Cendres d'Andora.
Dans un sens, il avait été difficile de dire au revoir à toutes ces personnes mais cela l'avait été bien plus encore lorsque j'avais dû répéter la chose face aux visages contrits de ceux que je considérai comme mes propres grands-parents. J'étais inquiet. Véritablement inquiet de les envoyer dans un voyage que leurs corps amoindris par les années ne supporteraient peut-être pas, mais je me rassurai en pensant que Jacinthe veillerait sur eux.
J'avais passé une longue heure à parler avec eux, gravant dans ma mémoire le sourire bienveillant de la vieille Andréal et la poigne bourrue mais chaleureuse de Léandre. Et lorsqu'ils avaient tous disparut de mon champ de vision, j'avais compris que Jacinthe ne viendrait pas. Elle n'était pas venue me dire au revoir, pas plus qu'elle ne m'avait adressé la parole durant les deux derniers jours.
Sa colère avait été noire, si violente que Caleb avait dû la saisir pour l'empêcher de me rouer de coup tandis que j'avais été incapable de protester et de me défendre moi-même. Je comprenais. Je comprenais parfaitement le sentiment qui l'habitait. Si la situation avait été inversée, j'aurais été contre vent et marée pour l'empêcher. Mais elle n'était pas moi et je n'étais pas elle. Elle avait dû renoncer, se rallier à l'implacabilité de notre condition : ceux qui partaient avait besoin d'elle, besoin de celle qu'ils jugeaient tous comme leur meneuse et qu'ils suivraient sans protester. C'était son rôle tandis que le mien était de suivre Caleb.
Je refermai les yeux, lasse et d'une étrange fatigue.
- Tu tiens le choc ?
Je ne sursautai pas à la voix masculine et ne pris pas la peine de rouvrir les yeux, préférant rester immobile bien que les pas lourds sur le vieux parquet de bois m'indiquassent qu'il se rapprochait jusqu'à s'immobiliser à quelques pas.
- Tu n'as pas à t'en faire, répondis-je, sobrement. Je ne serais pas un poids pour toi.
- Ce n'était pas ma question, soupira-t-il. Je te demandais simplement comment tu allais.
- Je vais répéter quelque chose que tu as déjà dit auparavant : tu n'es pas là pour faire dans le sentimentalisme. Tu m'as choisie parce que tu attends de moi que je sois un bon soldat, donc je le serais. Pas besoin de me materner.
- Et j'ai promis à Jacinthe de veiller sur toi, me rétorqua-t-il me faisant soupirer tant ce type pouvait se montrer plus têtu que la plus solide des roches.
- Et je pense que cette promesse n'a plus besoin d'être d'actualité, raillai-je. Elle me déteste.
- C'est probablement le cas, approuva-t-il en me tendant un peu plus que je ne l'étais déjà. Mais la force de sa haine n'a d'égal que son affection pour toi. Cela lui passera, surtout quand tu lui reviendras en pleine forme. Donc, je vais répéter ma question, comment tu vas ?
Cette fois, mes paupières se soulevèrent et je le fusillai du regard.
Durant ces deux derniers jours, Caleb avait révélé tout sa splendeur de leader. Dirigeant d'une main de maître une situation pourtant précaire qui nécessitait non seulement que l'on se montre rapide, mais également qu'il mette sa vie en jeu. Pourtant, malgré tout, son plan s'était passé sans accroc, sans que personne ne remette en doute la faisabilité de son projet, sans que quiconque n'est que la pensé de le penser fou. Ils avaient tous obéis docilement et avaient quittés la ville, qui était pourtant la leur, sans poser plus de question que nécessaire.
- Je vais bien, soufflai-je après quelques minutes en refermant les yeux et détournant mon attention de sa royale petite personne. Je profite du calme avant la tempête.
- Tu as bien mémorisé le plan ?
- Oui, acquiesçai-je. De toute façon, il se résume aisément : te coller comme ton ombre jusqu'à ce que nous soyons en sécurité.
- C'est une façon de voir les choses et je me contenterai de cette version tant que tu ne fais de folie, petit "chat sauvage".
- Ne m'appelle pas ainsi, grognai-je faiblement.
- Je trouve que Jacinthe à pourtant visée très juste avec ce surnom, il te va comme un gant.
- Et si je te dis que je t'emmerde, tu trouveras toujours qu'il me va comme un gant ? Répondis-je en rouvrant les yeux pour pouvoir le fusiller du regard.
- Toujours, sourit-il en coin, accentuant mon agacement.
L'envie folle de lui décocher mon plus beau doigt d'honneur s'empara de moi, mais je me retins, ne pouvant m'empêcher de penser à Jacinthe. C'était elle qui en décochait à tout bout de champ, le brandissant comme drapeau ultime pour signifier son agacement. Mais elle n'était plus là.
- Tu es certain qu'ils seront en sécurité avec ces deux types ? M'enquis-je, distraitement, mon regard à nouveau rivé sur le plafond.
- Je ne peux pas te promettre qu'il ne leur arrivera rien, répondit-il en me faisant me crisper. S'il tombe face à Azrealith, même moi je ne pourrais garantir la survie de qui que ce soit... mais, en revanche, je peux te réaffirmer que je confirmerai ma vie à Oreina sans la moindre hésitation.
Je n'avais rencontré que très brièvement le dénommé Oreina, un semi-humain, mi-homme mi- cervidé au vu des longues cornes qui ornaient le sommet de sa chevelure verdoyante. Il s'était montré bienveillant et joviale envers les villageois, mais si son sourire était charmeur il n'avait pas ma carrure et encore moins celle de Caleb.
- Il ne possède pas la même force que nous, reprit Caleb comme s'il avait perçu ma pensée. Mais je t'assure que j'y réfléchirai à deux fois avant de me mesurer à lui. Il n'a pas son égale dans le maniement de l'arc, et une fois qu'ils seront en forêt, je doute même que Azraelith lui-même ne parvienne aisément à lui mettre la main dessus.
- Et le vieillard ?
- Le vieillard ? Répéta Caleb dans un haussement de sourcil. Tu ne devrais pas parler de Dun ainsi. C'est un des guerriers les plus solides que j'ai eu la chance de rencontrer. Tant qu'il est debout et qu'il brandit son bouclier, je ne m'inquiéterais jamais d'aucune attaque.
- Dun ? Répétai-je, sans m'alarmer de son mécontentement visible face à mon scepticisme. Cela me dit quelque chose.
- Dunor Madrigal de son nom complet, et pas étonnant que cela te parle, il a été célèbre du temps du roi Eryndor.
- Le chevalier du soleil, murmurai-je.
- C'est l'un des nombreux surnoms qu'on lui a donnés, effectivement.
Cette fois, je ne trouvais rien à redire. Dunor Madrigal était un homme respecté de tous, même de ma famille pourtant très autocentrée. Mon père m'avait souvent parlé de lui, me vantant les mérites d'un homme qui vouait sa force à défendre les plus démunis.
Et puis, plus encore que sa simple légende, il avait survécu. Il avait survécu à l'assaut du roi Azrealith alors qu'il avait pourtant dû être en première ligne puisqu'il servait le roi Eryndor. Ce simple fait suffisait donc à me convaincre qu'il méritait toute ma confiance.
- Rassuré ?
- Plus ou moins, admis-je, mollement. Mais je ne le serais réellement qu'une fois qu'ils seront arrivés à destination.
- Cela prendra plusieurs jours, il faudra te montrer patient.
- Ce n'est pas mon plus grand point fort, souris-je, contrit.
- J'avais cru remarquer, souligne-t-il. Mais peut-on te le reprocher quand tu as été élevé par ce fauve de Jacinthe.
- J'admets, ris-je malgré moi. Elle n'a jamais été le meilleur exemple pour la chose.
- Vous vous reverrez, ne t'en fais pas.
Je reposai mon regard sur son visage qui, pour la première fois, m'exprima une réelle compassion. Il comprenait. Il comprenait ce que j'éprouvais, comprenait à quel point il m'était difficile de m'éloigner d'elle et des miens. Je pouvais aisément deviner également qu'il éprouvait une certaine part de remord bien qu'elle fût infime par rapport à sa détermination de mener à bien la quête qu'il s'était fixé.
Je finis donc acquiescer, sans plus chercher à débattre ou nier l'évidence qui semblait peinte sur mon visage. Il éprouvait une part de remord et j'éprouvai une part de haine à son encontre. Il nous sauvait uniquement dans son intérêt, uniquement pour obtenir ce qu'il désirait. Si je n'avais pas été suffisamment talentueux pour attirer son attention, il aurait laissé mourir tous ces gens. Il l'aurait fait sans même l'ombre d'une hésitation. Par ce que le risque n'en valait pas la chandelle. Je ne pouvais que comprendre au vu de la situation et après tout ce que j'avais vu, mais, malgré tout, ma colère continuait de vrombir dans le fond de mon estomac. Il fallait donc, à mon tour, que je fasse la part des choses.
- Les tiens sont nombreux ? Interrogeai-je, m'intéressant enfin, et pour la première fois, à ceux qui allaient devenir mes compagnons d'arme, à défaut d'être des amis.
- Nous sommes un peu plus d'une petite centaine, m'apprit-il, visiblement satisfait par ma curiosité. Mais nous avons également beaucoup de membre dispersé aux quatre coins d'Andora afin d'avoir des yeux et des oreilles partout.
- Et tous tes amis te ressemblent ? Je veux dire, ce sont tous des troncs d'arbres ?
- Des troncs d'arbres ? Répéta-t-il en fronçant ses épais sourcils noirs.
- Lorsque nous nous sommes battus et que je t'ai foncé dedans, tu n'as même pas reculé d'un pas. Tu étais comme le tronc d'un arbre dont les racines étaient si profondément enfoncé dans le sol qu'il n'était plus possible de le déloger. Alors je voulais savoir si tu étais une exception ou si tu choisissais tes compagnons sur un critère de force ou quelque chose dans le genre.
Il marqua un temps d'arrêt, continuant de me fixer de ses grands yeux ambre sans que je ne parvienne à y lire une quelconque émotion.
- Je n'ai pas de telle critère, finit-il par reprendre. Ceux qui me suivent... sont des personnes très différentes et de tous horizons... mais elles ont pour point commun de tous avoir choisi de me suivre.
- Contrairement à moi, rajoutai-je donc, suivant son raisonnement.
- Exact.
- Pourquoi ?
- Pourquoi quoi ?
- Pourquoi as-tu changé tes habitudes pour me recruter ? Si je suis ta logique, tu ne sembles pas du genre à forcer les choses, alors pourquoi ?
- Votre situation n'était pas anodine, répondit-il dans un haussement d'épaule. Et tu n'es pas anodin non plus.
- Tout comme beaucoup de tes compagnons, à n'en pas douter. Je reste un "gamin" et comme Jacinthe te l'a soulignée je n'ai aucune expérience réelle de combat hormis contre de petits mercenaires. Alors je vais me répéter : pourquoi ?
Un nouveau silence et toujours ce même regard indéchiffrable. Néanmoins, cette fois, je fus quelque peu surpris lorsqu'un fin sourire dérida ses traits froids et sereins, les illuminant d'une lueur étrange et fugace.
- Peut-être que j'ai eu un coup de foudre, va savoir.
- Hahaha, très drôle. Mais j'imagine que cela signifie que je n'aurais pas de réponse à ma question.
Son sourire s'étendit, plus énigmatique que jamais et je levai les yeux au ciel en venant croiser mes bras contre mon abdomen, agacé par son comportement. Il n'avait aucune raison de ne pas répondre, j'étais déjà engagé et je ne reviendrai pas sur ma parole alors il n'avait pas besoin de s'encombrer de détour. Je soupirai lourdement, ne parvenant pas à trouver d'explication logique à son mutisme.
- Et toi alors ?
- Moi ? M'enquis-je, tournant à nouveau mon attention sur lui alors qu'il avait fini par tirer une chaise afin de s'asseoir à son tour.
- Parle-moi un peu de toi.
- Tu viens de refuser répondre à ma question, pourquoi devrais-je donc répondre à la tienne ?
- Parce que d'ici quelques jours tu connaîtras la position exacte de notre base et que je ne vais pas y faire entrer quelqu'un dont je ne sais rien.
- Il est peut-être un peu tard pour t'en soucier, non ? Désapprouvai-je. Tu as déjà accompli ta part du marché, c'était avant que tu aurais dû te soucier de la qualité de ton gain.
- J'ai une confiance aveugle dans le jugement de Jacinthe, rétorqua-t-il platement. Mais cela n'empêche que je préfère apprendre à te connaître avant de prendre plus de risque.
Totalement insensée. Je fronçai les sourcils, réellement peu convaincu par sa logique, mais finissais par hausser les épaules, désinvolte. Au fond, peu importait si ce type était complètement idiot, ce n'était pas mon problème.
- Comme elle a déjà dû te le dire, je voyageais avec des nomades lorsque nous avons fait escale à Esmera. J'avais environ treize ans à cette époque et était...d'un naturel discret, paraphrasai-je, peu enclins à admettre ma faiblesse. Jacinthe s'est alors entêté à me dérider et j'ai finis par m'attacher à elle... quand les nomades sont partis, j'ai décidé de rester.
- Que faisais-tu avec des nomades ?
- Qui te dit que je n'en étais tout simplement pas un ?
- Parce qu'aucun nomade ne quitterait volontairement les siens.
Alors pourquoi lui n'était pas avec les siens ? La première supposition qui était probablement la plus évidente était qu'ils étaient tous morts. Mais cela serait quelque peu surprenant. Les nomades étaient réputés pour traverser les âges, de survivre à toutes les calamités de ce monde. De plus, la disparition d'un clan tout entier aurait fait du bruit, j'en aurais forcément entendu parler. Alors restait la seconde supposition : il avait été banni.
Cela c'était produit une fois lorsque j'accompagnais le clan des plaines. Un homme avait commis une faute dont j'ignorai l'étendu et avait été banni par ses paires durant un procès qui s'était tenu lors d'une soirée où je ne me rappelais que du bruit des sanglots du condamné. Ils avaient résonné jusqu'à ce que nos pas s'éloignent suffisamment pour qu'ils ne nous parviennent plus.
Mais j'imaginais mal Caleb se faire exclure par les siens. Quoi que. Je n'avais jamais entendu parler d'un nomade se mêlant du destin du royaume d'Andora ou même simplement pris part à une quelconque guerre politique ou humaine.
- Ils m'ont trouvé dans la forêt qui borde le lac Comerian, un an avant que nous n'arrivions à Esmera, soufflai-je, toujours en pleine réflexion mais son regard se faisant trop insistant pour que je l'ignore totalement. Ma famille était morte alors ils m'ont emmené avec eux.
- Il est rare que les nomades daignent s'intéresser à quelqu'un n'étant pas des leurs. Pourquoi ont-ils changé leurs habitudes pour toi ?
- Je n'en ai aucune idée, avouai-je, sans mentir. Comme je te l'ai dit, à l'époque je n'étais pas très loquace. J'étais déjà chanceux que l'on me trouve, je n'ai pas cherché à demander des explications.
- Hmmmm.
Quoi ? Il n'était pas satisfait ? Hé bien il devrait pourtant se contenter de cette version abrégée de l'histoire. Je n'allais pas prendre le risque de lui offrir de plus amples informations sur celui que j'étais. Même s'il semblait décidé à faire de moi son allier et se fier à la confiance que Jacinthe m'accordait, être un Alhaita pouvait tout changer. Je n'avais pas même osé confier ce secret à Jacinthe elle-même, je n'allais donc certainement pas le faire auprès d'un inconnu.
Et puis, de toute façon, je ne mentais pas en affirmant ne pas savoir pourquoi les nomades avaient pris la peine de me sauver. Certes j'étais resté d'un mutisme maladif, mais, même si j'avais recouvert la parole plus tôt, elle ne m'aurait guère servi. Les nomades me soignaient, me donnaient de quoi me vêtir et me nourrir et veillaient à ce que je suive toujours leurs traces mais c'était tout. Ils ne cherchaient pas réellement à me parler, ni à nouer un quelconque lien avec moi. Ainsi, même si je leur étais extrêmement reconnaissant de m'avoir sauvé, je n'avais ressenti aucune tristesse en les quittant.
- S'ils t'ont trouvé au lac Comerian, j'imagine qu'ils y ont vu un présage.
- Un présage ? Répétai-je intrigué alors que cette fois il était celui qui semblait pensif.
- Pour les nomades, les lieux ont une grande importance, notamment les endroits encore marqués par la trace de nos ancêtres... le lac de Comerian fait partit de ces endroits que nous pensons encore habité par une âme.
- Je ne sais pas quel présage ils ont pu voir dans le corps d'un enfant entouré de cadavre, désapprouvai-je, plus froid que je ne l'aurai dû.
- Tu étais un survivant, rétorqua-t-il. Un survivant protégé par un lieu sacré... je peux comprendre pourquoi ils t'ont emmené.
- Si tu le dis. Personnellement, je n'y aurai vu qu'un présage de mort et de violence.
Il ne rétorqua rien, me jaugeant cette fois avec un sentiment qui me fit serrer les poings. De la pitié. Je n'avais aucun besoin de sa pitié, comme si son regard de chien battu allait changer quelques choses à mon passée. Je me mordis la lèvre, luttant contre mon envie furieuse de l'envoyer sur les roses, trop conscient que la colère que j'éprouvais ne lui était pas réellement destinée. J'étais juste un peu trop sur les nerfs.
Les choses s'étaient précipitées en trop peu de temps. En deux jours, j'avais le sentiment que mon monde s'était effrité aussi rapidement que la première fois. Les événements m'échappaient, coulant entre mes doigts comme un filet d'eau que j'avais beau tenté de saisir, il n'interrompait jamais son flot.
J'étais persuadé d'être devenu plus fort, d'avoir désormais les épaules suffisamment larges et solides pour protéger ceux que j'aimais... mais j'avais eu tort. A la première bourrasque, j'avais dû poser un genou à terre. C'était rageant. J'avais tant travaillé, tant progressé, tant sacrifié pour arriver à ce stade... et pourtant je devais désormais faire reposer la vie des miens sur la force de quelqu'un d'autre. C'était ridicule. Tellement risible. Qu'est-ce que j'avais bien pu espérer ?
- Tu as dit avoir treize ans en arrivant à Esmera et que tu avais passé une année avec les nomades... Donc tu avais douze ans lorsqu'ils t'ont trouvé.
- Bravo, tu sais très bien soustraire, relevai-je, quelque peu cynique.
- Donc tu dois avoir des souvenirs de ta famille, non ?
Ma réparti s'envola comme une traînée de cendre. Je blêmis quelque peu, ne sachant pas vraiment quoi répondre à cette question que Jacinthe s'était probablement toujours refusée à poser. Mais il n'était pas elle. Il n'avait aucune envie de protéger d'un passé trop douloureux à évoquer. Plus encore, il avait toutes les raisons du monde de m'interroger : il l'avait dit lui-même, il voulait savoir s'il pouvait m'accorder une certaine confiance.
Mais alors que j'allais tenter d'ouvrir la bouche, prêt à mentir en assurant n'avoir aucun souvenir des miens, un bruit sourd retentit et je bondis sur mes jambes tandis que je ne mis pas longtemps à comprendre.
Une explosion. Une énorme explosion venait de retentir, faisant trembler le sol et les murs de l'auberge. Et, dans un calme que je ne partageai aucunement, Caleb se redressa sobrement, réajustant sa capuche pour la remonter sur sa tête.
- On a de la visite, souffla-t-il dans un léger sourire. Il va être temps de me montrer de quoi tu es réellement capable, gamin.
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