Confortablement assise sur l'un des divans du bureau de Linaria, je savourai de retrouver, pour quelques heures, l'apparence de Tasha. J'aimais ce corps plus petit et plus agile bien qu'il manquait de force, me rendant curieuse à l'idée de voir ce que rendrait mes techniques de combat avec son agilité et sa souplesse.
Néanmoins, je devais reconnaître que les vêtements de Ash gâchaient grandement mon plaisir. Ash devait mesurer dans les mètres quatre-vingts tandis que Tasha avoisinait le mètre soixante-cinq au maximum. Et c'était sans parler de ses épaules bien plus fluettes qui me faisait littéralement nager dans ma chemise et paraître ridicule avec cette cape infiniment trop vaste pour moi. Mais je me fichai bien de mon allure. C'était juste agréable de retrouver cette facette qui me constituait pleinement.
- Je vois, soupira Linaria, me tirant de mes pensées alors que j'avais laissé Raël expliquer notre situation. Dans quel guêpier vous êtes-vous fourrez tous les deux... Les cendres d'Andora... je comprends que vous puissiez être animé par un esprit de vengeance mais vos parents préféraient cent fois simplement vous savoir en sécurité ici. Je pourrais vous aider à disparaître et éviter des représailles si c'est ce que vo...
- Je n'ai aucune intention de quitter les Cendres, coupai-je la première. Je vous suis très reconnaissante pour votre sollicitude, mais je ne suis plus l'enfant que ma mère vous a demandé de protéger. Et je vous assure que ma motivation n'a strictement rien à voir avec une envie de vengeance envers le roi démon... je suis suffisamment lucide pour savoir qu'une telle motivation ne me conduirait qu'à la mort.
- Alors qu'est-ce qui vous pousse à vous rendre à Ravanel au moment même où il s'y trouve ? Rétorqua-t-elle, peu convaincue.
- Comme je te l'ai expliqué, nous devons aller y chercher quelque chose, reprit Raël.
- Et quelle chose justifie de prendre autant de risque ?
- Ravanel est difficile d'accès, nous avons simplement jugé que cette période serait la plus propice pour passer inaperçu.
Linaria marqua une pause, le jaugeant froidement tandis que ses oreilles s'agitaient sur le sommet de son crâne, marquant son agacement plus qu'évident. Elle finit par fermer les yeux, croisant les bras sous sa poitrine.
- Quoi que je dise vous ne changerez pas d'avis, n'est-ce pas ?
- Non, admis-je. Mais nous comprendrons si vous ne souhaitez pas nous ai...
- J'ai un groupe de fille qui va partir pour Ravanel demain pour le festival, Tasha pourra aisément se faire passer pour l'une d'elle avec son visage d'ange. Je teindrai juste tes cheveux avec ma magie pour éviter que tu n'attires l'attention. Compte à toi, Raël, tu pourras te faire passer pour un des mercenaires que j'emploi pour assurer leurs protections.
- C'est parfait, assura l'intéressé. Des filles que je connais ?
- Ne t'en fais pas, Silfira n'en fais pas parti.
Raël sembla réellement soulagé, ne pouvant que me faire m'interroger sur qui était la dénommée Silfira et, surtout, quelle relation l'unissait à lui ?
- Et les mercenaires ? Enchaîna-t-il donc, satisfait. Des gens du coin ?
- Il y aura Tebanari, que tu connais déjà, approuva-t-elle. Mais malheureusement les têtes changent beaucoup dans le coin... j'ai recruté un autre homme à qui je fais appelle depuis quelques mois désormais, ainsi que deux jeunes femmes récemment arrivé sur Shanara.
- Tu connais leurs noms ?
- L'homme se nomme Menelire, c'est un ancien soldat des terres glacés. Les deux femmes sont des yokai du nom de Sylphanem et Tartania.
Je tiquai immédiatement, me redressant légèrement en attirant l'attention de tous.
- Des oni, n'est-ce pas ? M'enquis-je vivement, ne parvenant à retenir mon sourire. Leurs cornes sont noires et elles se ressemblent beaucoup... Mais Sylpha a les yeux noir nuit tandis que Tarta les a gris.
- C'est exact, approuva Linaria. Tu les connais ?
- Elles passaient souvent à Esmera, ceux m'ayant recueilli faisaient régulièrement appelles à elles pour se fournir en vivre, acquiesçai-je. Avec le temps, elles sont devenues des amies.
- C'est une bonne chose si vous avez des alliés supplémentaires, je les préviend...
- Elles te connaissent en tant que Tasha ? Interrompit Raël, coupant la satisfaction de Linaria.
- Bien sûr que non, soufflai-je plus tristement. Même Jacinthe ne savait rien de Tasha.
Un silence pesant s'établit et je ne pus que me crisper face aux regards emplit de pitié qu'ils braquaient tous sur moi.
- Il vaut mieux ne rien leur dire, fis-je donc. J'aurais été heureuse de pouvoir leur parler en étant moi-même... mais les choses sont ce qu'elles sont et j'ai d'autres priorités. C'est juste rassurant de savoir qu'elles seront là, ce sont des combattantes hors paires.
Raël me fixa longuement, peu convaincu par mes paroles mais finit par se détourner sans que je ne comprenne ce qui se passait dans son esprit sournois.
- Combien de temps tes filles sont censées rester à Ravanel ?
- Une semaine tout au plus, répondit Linaria. Tu aurais besoin de plus de temps ? Je peux peut-être vous faire gagner un ou deux jours, mais guère plus.
- Nous repartirons par nos propres moyens, assura-t-il. Nous... ne savons pas combien de temps il nous faudra.
- C'est sûr que fouiller la tour des âmes va demander un certain temps.
Hakan, resté très silencieux jusqu'alors, venait de frapper fort, attirant toute l'attention sur lui tandis qu'il buvait élégamment une tasse de thé, les jambes croisées et un air faussement désintéressé sur le visage.
Il semblait évident qu'il avait, lui aussi, un goût prononcé pour la théâtralisation de ses entrées.
- La tour des âmes ? Répéta Linaria, intriguée. De quoi s'agit-Il ? Je n'ai jamais entendu parler d'un lieu portant un tel nom.
- C'est normal, seuls quelques rares familles connaissent encore l'existence de cette vieille tour, répondit Hakan sans relever les yeux de sa tasse. Mais c'est le seul endroit à Ravanel qui pourrait motiver de courir de tel risque... surtout quand le leader des Cendres est à la recherche d'une enfant au sang ancien dont le nom sera peut-être mentionné là-bas.
Imperceptiblement, le corps de Raël se raidit, sans pour autant trahir son étonnement. Il restait maître de ses expressions et émotions, ne laissant paraître que ce qu'il souhaitait montrer.
Pour ma part, je n'étais pas aussi rodée qu'il pouvait l'être dans ce genre de situation. Mes sourcils s'étaient froncés et mon regard avait dévisagé Hakan avec une telle surprise que s'il avait eu un doute face à son affirmation, il aurait eu la confirmation de sa véracité. Mais il ne semblait pas avoir besoin de jauger la moindre de nos réactions, étant parfaitement confiant face aux informations qu'il détenait.
- Je constate que notre prince a encore conservé quelques atouts dans ses manches, sourit Raël. Pour quelqu'un ignorant où se trouve Dunor, tu es fort bien informé sur notre leader.
- Il se trouve que j'ai encore quelques contacts avec des amies que les Cendres ont approchés durant ces dernières années, répondit-il platement. Les rumeurs ont vites circulées.
- Je vois, acquiesça Raël, visiblement peu surpris par l'information. Et par le plus grand hasard, aurais-tu eu vent d'informations pouvant nous intéresser ?
- Dans les nobles de lignés directe, vous ne trouverez personnes répondant à vos attentes, souffla Hakan, confirmant ma propre pensée. De notre génération, nous avons eu des enfants aux capacités hors normes... mais aucun n'ayant la possibilité de prétendre rivaliser avec Azrealith. Mais j'imagine que vous êtes finalement arrivez à la même conclusion que nous : les enfants nés de liaison sont méconnus et peut-être que l'un d'entre eux se révéleraient être doués d'un talent non exploité. D'où la nécessité de se rendre à la tour des âmes... mais je crains un peu que vous vous lanciez dans une quête sans fin, vous ne parviendrez jamais au bout de cette tour.
Ça aussi nous en avions conscience. J'avais partagé ce même avis à Caleb, quelques semaines auparavant : Andora était un royaume qui avait traversé les âges, subissant les guerres, les intempéries et les calamités sans jamais pleinement s'effondrer. Les familles avaient donc pu prospérées, évoluées et grandir jusqu'à devenir des colosses aux bras tentaculaires. Sans parler des familles dont les noms avaient été oubliés mais qui pouvaient encore subsister et correspondre à la description de famille ancestrale.
Malheureusement, nous n'avions pas trouvé de solution réelle. Je pouvais me baser sur les maigres connaissances à ma disposition ainsi que les enseignements de Dunor, pour tenter d'éliminer quelques noms, mais cela restait limité. Nous avions donc convenu que nous ferions plusieurs expéditions plutôt que de prendre le risque de rester trop longtemps à Ravanel.
- Nous avons également conscience de l'ambition de notre projet, mais je suis plutôt doué pour déceler les bonnes informations, sourit sobrement Raël.
- Et pourquoi ne pas augmenter vos chances en prenant avec vous quelqu'un connaissant parfaitement l'histoire d'Andora et de ses acteurs ?
Lynaria se raidit la première, sa tête se devisant vers Hakan qui ne daigna pas lui accorder la moindre attention. Il se contentait de boire son thé, comme si de rien n'était, comme s'il ne venait pas de faire la proposition la plus insensée de son existence.
- Je rêve où sa majesté souhaite nous accompagner ? Interrogea Raël, parvenant le premier à recouvrir la parole. Je ne suis pas sûr d'avoir les capacités de servir un royal fessier.
- De toute façon c'est juste hors de question, intervint Linaria, fusillant Hakan du regard. Qu'espères-tu ? Penses-tu réellement pouvoir passer les portes de la ville ? Et quel est ton but ? Ne me dis pas que tu espères pouvoir te venger.
- Penses-tu réellement que quelqu'un parviendrait à voir au travers de mes illusions ? Et je te rassure, je n'ai aucune intention de me confronter à Azrealith.
- Alors pourquoi ? Qu'est-ce qui se passe dans ta fichue tête blonde ? Gronda-t-elle, ignorant sa propre interrogation.
- Je t'ai toujours dit que je ne resterais pas éternellement ici, affirma-t-il toujours très calmement.
- Et je t'ai toujours soulignée le danger de la chose, soupira-t-elle. Ton visage est connu de tous en Andora et tu es une cible à abattre pour Azrealith car lui sait que tu es vivant et l'espoir que tu pourrais soulever.
- Et je t'ai également toujours répondu que me terrer ainsi ne serait pas éternel, soupira-t-il. J'avais juste besoin d'une bonne raison, ou d'une bonne occasion.
- Que nous te fournissons ? Interrogea Raël, sans se soucier de la colère grandissante de Linaria. Je doute que tu ais eu besoin de nous pour trouver ta fameuse bonne occasion. Si ce que tu dis est vrai, tu as encore des contacts avec des gens influent et dotés de compétences qui sont probablement largement suffisante pour justifier ton départ de cet endroit.
- Qui pourrait prétendre avoir le temps des Cendres ? Désapprouva-t-il. Vous survivez à Azrealith depuis fort longtemps... peu de gens peuvent se vanter d'un tel exploit, surtout en étant aussi actif que vous l'êtes.
- Et toi et moi savons parfaitement que les Cendres ne t'attire en rien, sourit Raël, parfaitement maître de la conversation. Sinon, tu nous aurais déjà rejoints et obtenu une place de choix.
Hakan releva enfin les yeux de sa tasse, jaugeant Raël sans qu'aucune émotion ne vienne traverser ses iris. Jusqu'à ce qu'un fin sourire étire ses lèvres.
- Je n'ai effectivement aucun attrait pour les Cendres, il n'est pas dans ma nature de suivre un inconnu aveuglément.
- Alors à quoi joues-tu ?! Pesta Linaria, craquant face au jeu de mystère mené par son protégé. Bon sang, Hakan, cesses donc ton petit manège et crache le morceau ! Que se passe-t-il dans ta tête de petit crétin ?!
- Suivre un inconnu me dérange, mais suivre quelqu'un qui a hanté mes songes au point, qu'il fut un temps, je l'ai fait chercher par-delà Andora est une tout autre histoire... Si je dois vouer le reste de ma misérable existence à quelqu'un, cela ne peut être qu'à toi, Tasha.
De justesse, je me pinçai les lèvres, retenant mon soupire de dépit. J'avais senti la chose venir à des kilomètres mais cela restait extrêmement gênant, même si peu surprenant.
Son regard planté sur moi me brûlait tandis qu'il ne devait savoir que penser de mon mutisme qui m'évitait de sortir tout ce qui me passait par la tête voulant lui signifier qu'il avait quelque peu perdu la raison. Tout comme Caleb, j'étais une inconnue. Ce n'était pas notre brève rencontre, si on pouvait appeler ce moment ainsi puisqu'il n'avait pas dû durer plus de dix minutes, qui pouvait justifier de notre relation. Elle n'existait que dans son esprit torturé par les événements tragiques ayant bouleversés son quotidien.
- Tu as cherché Tasha ? S'enquit Linaria, soudainement beaucoup plus calme.
- Pendant deux ans j'ai cherché cette jeune fille mystérieusement apparue dans mes jardins, acquiesça-t-il sans me lâcher des yeux. Mais je n'ai jamais su de quelle famille elle venait, et encore moins son nom.
- Alors tes recherches devaient être fort minime, désapprouva Raël, plus froid. Les cheveux blancs des Alhaita ne sont certes pas unique mais peu commun.
- Et je les avais exclus pour la simple et bonne raison que je pensais connaître tous les Alhaita, assura Hakan dans un haussement d'épaule. J'avais déjà passé beaucoup de temps avec Nabi et Kamagi, jamais aucun autre enfant ne m'avait été présenté. Et... aucun autre nom n'était mentionné dans leurs arbres généalogique.
- Pardon ? Souffla Raël en se redressant légèrement. Qu'est-ce que tu racontes ? Tasha est bien une Alhaita, elle est la fil...
- Grand-père a dû refuser de me reconnaître, coupai-je, les yeux rivés sur mes genoux. Il n'a pas reconnu mon père... alors comment reconnaître l'enfant d'un homme dont il refusait même de prononcer le nom ? Cela expliquerait le changement des autres membres de la famille dès que nous étions en société.
Je n'avais aucune idée que mon nom ne faisait même pas parti de l'histoire publique de ma famille, mais je me souvenais de ces moments étranges ou soudainement ma tante cessait de m'adresser le moindre regard, des gestes brusques de mes cousins habituellement plutôt indifférent à ma présence. Toujours quand d'autres membres de la noblesse pouvaient nous voir.
Je me souvenais également de la colère de ma mère, de sa main saisissant la mienne pour m'entraîner loin de ceux me dédaignant.
- Je suis désolé de te donner une telle information, reprit Hakan alors que mon regard était resté perdu dans le vague. Je pensais que vous étiez au courant.
- Je n'étais qu'une enfant, soupirai-je. Mes parents n'ont probablement pas voulu m'inquiéter en me parlant de chose que je n'aurais pas su comprendre.
- Il est vrai. Je suis d'autant plus désolé alors.
- Pas besoin, assurai-je. Tu n'as fait que dire une vérité. Et puis ce n'est pas comme si je pensais encore que ma famille m'estimait d'une quelconque façon. Je sais que mes parents m'aimaient, c'est tout ce qui m'importe.
Je tâchai de sourire mais je ne sus convaincre que Linaria et Hakan. Raël posa sa main sur la mienne, la serrant discrètement, m'apportant un réconfort réel. Il savait. Il savait parfaitement à quel point j'étais torturé à l'idée de ne pas avoir su être à la hauteur de mon nom. Si j'avais su être une véritable Alhaita, si ma force avait été reconnue par tous... peut-être que mon père n'aurait pas été détesté. Peut-être même que mon grand-père n'aurait pas tué mes parents avec autant de désinvolture.
- Bon... admettons que tu ais cherché à retrouver Tasha, reprit Linaria. Dans quel but ? Et pourquoi aujourd'hui faire une telle déclaration à une jeune femme que tu terrorise juste avec ton comportement ? Et arrête donc de la fixer comme si tu allais la dévorer.
Je retins un sourire en coin, Linaria lisant dans mes pensées avec clairvoyance. Je ne le connaissais pas et peu importait si ce qu'il disait était vrai, cela n'empêchait que ma réalité fût immuable : je ne le connaissais pas. Et cela rendait son comportement extrêmement dérangent de bien des façons.
- Je ne saurais vraiment expliquer pourquoi j'ai tant souhaité la retrouver... mais ce dont j'ai été et suis encore convaincu c'est que nos destins sont liés.
- Rien que ça, soupira Raël. Je suis navré, votre majesté, mais je ne compte pas accepter qu'un sociopathe suive ma petite-sœur.
Bien que son affirmation fût très infantilisante, je ne protestai aucunement. J'étais plus que d'accord avec l'essentiel du message : il ne m'inspirait aucune confiance et je n'aimais pas l'idée qu'il nous suive à la trace.
- Pourtant, je suis votre meilleure chance de parvenir à trouver une information viable à Ravanel, enchaîna-t-il sans s'offusquer du rejet net de Raël ou de son adjectif peu valorisant. Sans mon aide comment pourriez-vous savoir que la famille Demetarra n'a jamais connu aucun mage dans ses rangs, comment la famille Privenema a été éradiquée il y a plus de vingt ans, comment la famille Soroneha était une famille de marchant et non de combattant, comm...
- Ils ont compris, Hakan, soupira Linaria.
Il haussa à nouveau les épaules tandis que nous restions plus silencieux, partageant une grande indécision. Nous ne pouvions nier ce qu'il était capable de nous apporter, son savoir et ses connaissances d'Andora nous ferait gagner un temps plus que précieux. Au fond, pouvions-nous réellement prétendre refuser son aide ? Quitte à prendre des risques insensés, autant en prendre jusqu'au bout.
Raël tourna la tête dans ma direction, cherchant probablement à connaître mon avis et je hochai donc sobrement la tête. Il soupira en retour mais capitula :
- Nous serions bien idiots de refuser ton aide, concéda-t-il donc. Néanmoins, permet moi d'être limpide : si nous acceptons ta présence jusqu'à Ravanel, cela n'implique pas la suite. Tu sembles vouloir suivre Tasha, si je comprends bien ton discours... mais je te confirme que je ne laisserai pas un détraquer s'approcher de ma sœur.
- Je comprends, affirma Hakan, un léger sourire étirant ses lèvres. J'ai donc jusque-là pour vous convaincre l'un comme l'autre que je ne suis pas un danger pour vous.
Et, d'un bond, il était debout, reposant sa tasse vide sur la table basse.
- Puisque nous sommes désormais d'accord, je me permets de vous laisser. Nous nous retrouverons demain.
Sans attendre la moindre désapprobation ou la moindre réponse, il s'empressa de sortir du bureau telle une bourrasque. Un peu hébétée, je mis quelques secondes avant de lâcher la porte du regard, revenant vers Linaria qui, pour sa part, n'était visiblement pas surprise par le comportement furieux du prince. Elle soupira simplement face à nos regards effarés, exprimant toute notre incertitude face à tout ce qui venait de se dérouler.
- Je suis navrée, souffla-t-elle, tâchant de nous offrir un sourire compatissant. Vous venez de vous d'hériter d'un sacré numéro... et malheureusement, je n'ai aucune astuce à vous donner pour tenter de le canaliser... Cependant, vous avez également gagné un compagnon de taille.
- Tu l'as déjà vu se battre ? Interrogea Raël.
- J'ai eu cette chance et je peux t'assurer qu'il rivaliserait sans peine avec Raija si elle était encore de ce monde.
Tout comme moi, Raël ne trouva rien à redire. Linaria connaissait notre mère plus encore que nous, l'ayant côtoyé dans une jeunesse tumultueuse bien éloignée de sa vie de famille plus tranquille. Elle connaissait donc toute l'étendue de ses capacités et elle n'aurait jamais dévalorisée cette personne si précieuse à son cœur. Hakan était donc talentueux. Mais là n'était pas notre inquiétude.
- Vous ne cherchez pas à l'empêcher ? Interrogeai-je. Vous sembliez déprécier l'idée.
- Je sais me retirer dans les combats que je ne peux gagner, sourit-elle légèrement. Et puis... je dois reconnaître que le savoir à tes côtés est rassurant. J'ai promis à Raija de veiller sur vous... mais plus encore sur toi. Elle savait que Raël s'en sortirait quoi qu'il arrive, qu'il était suffisamment solide pour le faire mais... elle s'inquiétait beaucoup pour toi.
Je ne répondis pas, mes yeux se perdant dans le vague. Je n'étais pas surprise par ses paroles, sachant parfaitement à quel point ma mère avait pu être soucieuse de mon avenir. Elle voulait que je m'épanouisse, quel que soit le chemin que je choisissais, mais elle redoutait aussi de me voir m'entêter à suivre ses pas alors que je n'étais pas faite pour cela.
Puis lorsque la guerre avait débuté, je me doutais qu'elle avait dû redouter le futur. Pas pour elle, ni pour mon père ou encore pour Raël. Mais bien pour moi. Je ne possédais aucune once de magie, aucun talent pour le combat... alors comment survivre dans un monde en guerre ?
Lorsqu'elle avait dû prendre la décision de se battre contre mon grand-père, cela avait dû la torturer. Elle devait se douter qu'elle n'avait que peu de chance d'en revenir victorieuse, l'écart de force entre eux étant trop important... alors elle avait forcément dû savoir qu'elle laisserait derrière elle une orpheline bien incapable de se défendre. Je n'imaginais que mal la culpabilité qu'elle avait dû éprouver et l'ambivalence des sentiments qui avaient dû troubler son esprit.
- Et j'ai lamentablement échouée dans le rôle qu'elle a voulu me donner, reprit Linaria, constatant que je ne comptais pas répondre. Alors savoir que le destin souhaite que celui que j'ai pu protéger devienne ton protecteur m'apporte un certain réconfort.
- Je n'ai pas besoin de protecteur, me crispai-je avant de soupirer. Mais j'imagine que je comprends et que je ne peux que vous remerciiez. Nous tâcherons de vous le ramener entier.
- Tâcher de tous me revenir entier, reprit-elle dans un mince sourire. Je sais que je ne peux prétendre tenir un rôle dans vos vies et que je suis même une sinistre inconnue pour toi Tasha... mais sachez que vous serez toujours ma famille. Vous serez toujours les bienvenus sous mon toit, peu importe le danger.
- Ce n'est pas ce que tu as dit en ouvrant la porte tout à l'heure, souligna Raël, la plaisanterie masquant sa gêne.
- Disons que notre dernière entrevue m'a laissé quelques séquelles, sourit-elle. Tu n'as pas été des plus tendres... cela étant, même si je suis en colère, je ferais toujours mon possible pour vous venir en aide.
Ils échangèrent un regard complice qui intensifia mon malaise. Ils étaient peut-être une famille, un lien les unissant clairement, mais je n'avais pas ma place dans ce tableau.
J'étais parvenue à voir en Raël un frère de coeur, perdu des années auparavant, mais j'étais encore parfois terriblement incertaine. Il imposait une proximité et une relation si fusionnelle, que je ne pouvais qu'en être troublée lorsque je ne me souvenais que des brides de notre passée commun. Je ne me sentais pas gênée, mais je n'étais pas non plus totalement à l'aise. C'était un entre deux extrêmement déroutante quand lui n'émettait aucun doute.
Alors que dire de Linaria ? Elle voulait clairement me donner une place dans sa vie, une place essentielle. Probablement aurait-elle souhaité que j'affirme vouloir rester à ses côtés, comme ma mère l'avait elle-même désirée... mais elle n'était qu'un joli visage. Je n'avais réellement aucun souvenir d'elle, rien ne me liait à cette femme. Et j'étais jalouse. Aussi triste que cela soit, j'éprouvais une profonde jalousie de voir leur complicité, de sentir le lien qui les unissait et qui ne se romprait jamais. Ils étaient une forme de famille.
- Tasha ?
Je sursautai légèrement, trop absorbée par mes pensées alors que Linaria semblait s'être tournée vers moi pour me poser une question que je n'avais visiblement pas entendue. Je la fixai un instant avant de me reprendre :
- Pardon, j'étais ailleurs. Vous disiez ?
- Tu ne voudrais pas cesser de me vouvoyer ? Je sais que je suis de la génération de ta mère, mais je ne suis pas encore une grand-mère, me sourit-elle avec douceur.
- Bien, tâchai-je de sourire à mon tour. Tu disais, donc ?
- Je vous proposais de dîner avec moi, reprit-elle, satisfaite. Je peux nous faire monter n'importe quel plat et tu pourras me raconter ce qu'a été ta vie... ou si tu préfères je pourrais simplement te parler des souvenirs que j'ai de tes parents ?
- Avec plaisir.
A peine avais-je donnée mon accord que Linaria bondissait sur ses jambes, nous affirmant simplement qu'elle revenait dans quelques minutes et que nous pouvions nous détendre ici, que personnes ne viendraient nous déranger.
Quand elle eut quitté la pièce, un léger soupir échappa à mes lèvres et je reçu un petit coup de coude auquel je ne pus que répondre par un regard en coin.
- Tout va bien ? S'enquit Raël, lisant clairement en moi.
- Tu aurais pu me prévenir du traquenard, répondis-je simplement.
- Qu'est-ce que cela aurait changé ? Désapprouva-t-il. Tu aurais été tout aussi gênée.
- Peut-être, mais au moins j'aurais su à quoi m'attendre.
- Pourquoi sembles-tu si... tourmentée ?
Je ne répondis pas, préférant me pincer les lèvres, songeuse. Pourquoi ? Peut-être parce qu'il était difficile de réaliser tout ce que j'avais perdue ? Les histoires que Linaria allaient me raconter étaient celles que mes parents auraient dû pouvoir me transmettre eux-mêmes. La place qu'elle souhaitait prendre était celle d'une mère qui avait choisi de défendre ses convictions plutôt que d'être présente dans la vie de sa fille. Mes dents s'enfoncèrent plus fortement, un goût amer envahissant mon palais.
- Je suis juste fatiguée.
- Dois-je dire que je sais que tu mens ?
- Dois-je dire verbalement que je ne souhaite pas m'appesantir sur le sujet ?
Raël fronça les sourcils, ouvrant la bouche pour protester mais, ma sauveuse surgit brusquement, les bras chargés. Je m'empressai donc de me lever pour lui venir en aide, consciente que le regard pesant sur mon dos voulait m'assurer que cette conversation ne serait que remise à plus tard.
Néanmoins, il concéda à venir également au secours d'une Linaria qui avait, visiblement, décidée de nous gaver pour les six prochains mois.
La soirée se passa donc dans une ambiance où je ne sus jamais trouver ma place malgré les efforts d'une Linaria pourtant déterminée à m'inclure. Et je ne pus que finir ma demander si un jour je parviendrais à effacer le trou béant qui n'avait jamais su se résorber au fond de ma poitrine.
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