Chapitre 17
- Vous êtes sûr d'avoir tout ce qu'il vous faut ?
- Bon sang, geint Raël. Lyris, pour la vingtième fois, je suis plus que sûr. Qu'est-ce qui te prend ? D'habitude lorsque je pars en mission tu me dresses juste ta liste de course.
- C'est différent, murmura-t-elle.
Raël soupira légèrement mais vint pousser son épaule contre la sienne, tentant de lui arracher un sourire alors que sa nervosité était plus que réelle. Elle était inquiète et ne parvenait guère à se raisonner. Nous allions droit vers la mort. C'était ce que tous pensaient en cet instant hormis Raël et sa confiance inébranlable.
- Tu ne feras pas de folie, hein, Ash ?
L'attention se braqua sur moi, tandis que Lyra m'avait posé cette question probablement autant de fois que Lyris avait demandé à Raël si nous avions le nécessaire pour notre voyage. Je tâchai donc de sourire naturellement :
- Je serais sage comme une image. Cessez donc de faire cette tête toute les deux, nous serons de retour d'ici...
- Un mois, assura Raël à ma place face à mon indécision.
- C'est long, Ravanel n'est pas si loin que ça d'ici, souligna Lyris.
- Mais notre mission prendra peut-être du temps, affirma-t-il dans un haussement d'épaule. Nous ne savons pas exactement ce que nous cherchons donc nous aurons peut-être besoin de plusieurs jours supplémentaire. Peut-être que nous serons rentrés avant mais vous ne vous rongerez les sangs qu'une fois le mois écoulé. Compris ?
- Facile à dire, soupira la jeune elfe.
- Je vais surveiller notre va-t'en guerre donc tout se passera bien, insista-t-il. A moins que je t'aie donné la moindre occasion de penser que je ne suis pas digne de confiance.
Lyris sembla peser le pour et le contre, mais pour la première fois un sourire finit par franchir ses lèvres. Elle avait une foi aveugle en Raël. Je souris à mon tour avant de venir poser ma main sur le sommet de la chevelure bouclés de Lyranea qui se laissa faire avec une certaine habitude développée au fil du temps passé ensemble.
Bien malgré moi j'avais fini par me comporter avec elle comme Jacinthe se comportait avec moi : comme un grand-frère bienveillant. Et elle n'en semblait plus autant troublé que les premiers jours.
- Soyez sage aussi et je n'ai pas oublié que je compte sur vous pour avoir une chambre incroyable à mon retour.
- Nous avons déjà commencé à faire nos petits plans, assura Lyris avec plus d'enthousiasme en venant s'agripper à Lyra. Tu seras ébloui.
- J'ai hâte de voir ça.
Contrairement à sa consœur, Lyra ne semblait pas capable de se dérider mais elle hocha vigoureusement la tête, comme pour m'assurer qu'elle attendrait notre retour avec impatience.
- Allez nous devrions y'aller si nous voulons pouvoir passer la nuit à Shanara.
Je hochai la tête tandis que Raël passait sa main dans mon dos, me signifiant que nous avions déjà assez perdu de temps. Avant que je n'aie le temps de saluer une dernière fois les filles, je fus surpris lorsqu'elles se précipitèrent soudainement sur moi, me laissant à peine le temps d'écarter les bras pour les laisser faire. D'abord étonné, je finis par sourire en venant étreindre leurs épaules avec douceur.
- Dites-le si je suis de trop, siffla Raël, toujours soucieux de dédramatiser la situation.
- Tu es le prochain sur la liste !
Et accompagnant la menace, Lyris se jeta sur lui. Il rit aux éclats tandis que sa prise ressemblait plus à une lutte qu'à un câlin d'au revoir. Sans se soucier de leur manège, Lyra, quant à elle, resta solidement blottit contre moi sans que je ne cherche à la déloger. Si elle en avait besoin, je ne pouvais pas le lui refuser après tout ce qu'elle avait fait pour moi ce dernier mois.
- Allez ! Filez avant qu'on vous retienne définitivement, soupira Lyris.
- On y va, on y va, assura Raël.
Sans laisser le temps à Lyra de protester, Raël m'empoigna par le bras et me tira derrière lui sans plus aucune forme de débat. Je me retournai légèrement, décochant un dernier salut de la main avant que nous nous engouffrions rapidement dans la forêt. Un soupir m'échappa dès la seconde où nous furent hors de leur vision, attirant sur moi un regard brun, inquisiteur.
- Tu laisses enfin tomber le masque ? S'enquit Raël dans un sourire en coin.
- C'était si visible ? Grimaçai-je.
- Non, elles n'y ont vu que du feu... même moi j'aurais pu croire à ta soudaine confiance des derniers jours.
- Elle n'était pas totalement feinte, rétorquai-je. Mais disons que j'ai un peu exagéré la chose pour les rassurer.
Raël acquiesça, comprenant aisément pourquoi je m'étais senti obligé de jouer ce jeu. Après tout si je m'étais montré le plus inquiet face à notre départ, comment auraient-elles pu ne pas se ronger les sangs ? Alors j'avais juste laissé paraître un calme apparent, bien éloigné des sentiments ambivalents qui tordaient mon estomac depuis des jours.
Néanmoins, je ne mentais pas en affirmant que ma confiance soudaine n'était pas totalement une pure illusion. Je me sentais plus assuré que jamais je ne l'avais été auparavant. Mes efforts avaient fini par payer une semaine auparavant : j'avais gagné. Enfin. Le mot était un peu fort. Mais disons que j'avais su obtenir une petite victoire contre Caleb. Minime, certes, mais une victoire malgré tout et pas provoqué par un acte sacrificiel ou reposant sur sa surprise. Non, cela avait été une confrontation directe où mes instincts avaient su le percevoir. Une courte minute, j'avais su anticiper le moindre de ses mouvements, le moindre placement de sa jambe, la plus petite courbe de son poing. Et il était tombé au sol, sans que je ne sache réellement comment j'avais réussi un tel exploit.
Et depuis, mes réactions étaient plus vives, plus fluides. Je percevais plus nettement mon environnement et même si je n'avais pas été retouché par cette grâce soudaine de la déesse de la guerre, je parvenais parfois à prendre une légère ascendance sur un Caleb soudainement excédé par mon progrès aussi brusque qu'inexplicable.
Bien entendu, ce progrès ne suffisait aucunement. Si Azrealith me faisait face, je mourrais. Le constat était toujours le même. Néanmoins, je parvenais désormais à me dire que dans certaines situations, avec un peu de chance ou avec un coup de main extérieur... je pourrais peut-être gagner quelques précieuses secondes qui nous permettraient de nous enfuir.
- Bon sang... ce type est un vrai pot de colle.
Intrigué, je me tournai vers Raël en fronçant les sourcils d'incompréhension face à sa soudaine remarque mais fermai les yeux dans un profond soupir lorsqu'il me désigna, du doigt, un point devant nous. Je n'eus pas besoin de regarder pour savoir qui s'y trouvait.
- Je pars devant ? M'interrogea Raël. On se retrouve à la lisière de la forêt, tu trouveras ton chemin ?
- Oui, acquiesçai-je. Merci.
- Ne traînes pas trop et expédie-le-moi sur la lune, bougonna-t-il en continuant son chemin alors que je m'étais stoppé. Si tu as besoin d'aide, crie j'accourais avec plaisir pour lui botter les fesses !
Je souris en coin, amusé par son mécontentement et ne pouvant qu'en éprouver un profond bonheur. Raël était de mon côté. Raël serait désormais toujours de mon côté, peu important qui était celui que j'affronterais.
Mais ce n'était pas le moment de m'estimer heureux d'avoir cet homme à mes côtés. Plus sobrement, je me tournai sur le côté, affrontant celui que j'avais évité comme la peste pendant de nombreux jours mais qui ne semblait plus me laisser le choix.
Ses yeux ambre me fixèrent intensément sans que je ne sache que lire dans ses iris. De l'agacement comme depuis le début de mes refus répétés de lui adresser la parole pour un sujet déviant sur le personnel ? De l'inquiétude comme je n'avais que pu le percevoir la veille durant notre réunion avec les autres chefs d'équipe ? Ou tout autres choses ? Il était illisible.
- Tu as oublié des consignes ? Tentai-je sans m'approcher pour autant.
- ... Ais-je vraiment l'air d'être là en tant que chef des Cendres ? S'enquit-il en s'écartant de son tronc d'arbre pour réduire la distance à ma place.
- Si ce n'est pas le cas, je préfère couper court, rétorquai-je, reculant d'un pas lorsqu'il en eut esquissé quelques-uns.
- Ash, soupira-t-il lourdement. Tu ne voudrais pas arrêter de te comporter comme un gamin ? Tu vas partir pour une mission difficile, souhaites-tu vraiment que notre relation en reste là avant ton départ ?
- Notre relation ? Répétai-je, arquant un sourcil. Parce qu'on a une "relation" ? Je suis ton rabat-joie en chef, et tu es mon leader ainsi que mon maître... Je te dois beaucoup et te suis reconnaissant... mais notre "relation" se limite à ça. Donc je ne vois pas ce que nous aurions à nous dire, sauf si tu as des informations supplémentaires à me donner sur celle que nous recherchons.
Caleb me jaugea longuement sans répondre, immobile et sans qu'aucune émotion ne vienne encore troubler ses traits.
- Donc c'est dans le cadre de cette échange entre maître et élève que tu as crevé d'envie que je t'embrasse ce soir-là ?
Surpris, mes yeux s'écarquillèrent et mes joues rosirent discrètement dans la torpeur moite de la forêt. Je me retins de me détourner, trop conscient que fuir son regard serait comme admettre haut et fort que j'avais éprouvé cette envie avec une force si inouïe que la terre entière avait dû s'en apercevoir.
- Et c'est également pour cela que tu as été foutrement jaloux au point de ne même pas me laisser la moindre occasion de m'expliquer ?
Je me pinçai les lèvres, légèrement agacé par cette remarque. Je l'avais été. Mais mon refus d'entendre une justification n'était pas dû à une "petite colère" comme il semblait vouloir le sous-entendre. Il ne me connaissait pas, ne connaissait rien de ce qui se jouait pour moi. Et son foutu sourire satisfait avait le don de vouloir me faire sortir de mes gonds.
- Ecoute, soupirai-je. Ce soir-là j'étais épuisé, je venais de passer une soirée où j'avais l'impression d'être... juste un gamin normal. Alors oui. J'ai eu envie que tu m'embrasses et même beaucoup plus que ça, si tu veux toute la vérité. Et oui, sur le coup, constater que je n'étais qu'un plan parmi d'autres ne m'a pas fait particulièrement plaisir. Mais aujourd'hui je suis parfaitement réveillé et je vais réitérer ce que je t'ai déjà dit : il n'y aura rien de plus entre nous que de la simple amitié.
- Tu n'étais pas un plan parmi d'autres, affirma-t-il, sautant sur la porte que j'avais entrouverte. J'avais juste oublié... de régler certaines choses.
- Quoi ? Tu as oublié de le désinviter à vos soirées mensuelles de jambe en l'air ? Raillai-je dans un sourire moqueur.
Caleb tiqua, se raidissant légèrement. Oh. Ce que je venais de dire pour plaisanter s'avérait donc juste. Ils avaient des rendez-vous fixés à l'avance. Certains jours du mois peut-être ? Je soupirai lourdement, passant ma main devant mon visage, quelque peu dépité.
- Tu as conscience que ce que tu fais est répugnant ? Je n'aime pas ce gamin, mais tu le traites clairement comme un jouet que tu prends et jette à ta guise... Tu sais qu'il a des sentiments pour toi, n'est-ce pas ? Et pourtant tu le fais venir à toi sur des plages fixes comme...
Je soupirai, abandonnant par avance l'idée de terminer cette phrase.
- Il a toujours été au courant, m'informa Caleb sans se laisser démonter par mon évidente désapprobation. Je lui ai toujours dit que jamais il ne serait plus pour moi qu'un de mes partenaires avec qui je passerais du bon temps, temporairement. Je n'ai jamais cherché à lui faire espérer quoi que ce soit.
- Et pourtant il a espéré quand même parce que c'est un humain normalement constitué, répondis-je, plus froidement. Tu as couché avec lui, tu l'as allongé dans ton lit en sachant pertinemment qu'il le faisait parce qu'il était amoureux de toi... Qu'espérais-tu ? Que cela le dissuade de penser qu'il parviendrait un jour à atteindre ton cœur ? Te fou pas de ma figure, tu n'es pas aussi con que tu le laisses penser.
Caleb fronça les sourcils et je le vis rouvrir la bouche, probablement pour protester, mais il la referma dans la seconde, son regard se rivant sur un point dans mon dos. Je me tournai légèrement et vit Raël, quelques pas plus loin, m'affublant de grands gestes de la main voulant me signifier qu'il avait bien assez attendu.
Je soupirai en me détournant, lui adressant un petit geste voulant lui signifier que j'avais besoin d'encore une minute supplémentaire.
- Mais au fond, tout ça n'a pas d'importance, assurai-je en me retournant vers Caleb et l'affrontant avec plus de calme. Tu es bien libre de faire ce que tu veux et j'imagine qu'effectivement Sarih est conscient du jeu dangereux auxquels il joue... donc je n'ai aucun jugement a porter sur votre relation. Par contre, comprends bien que moi je ne joue pas. Je suis ici pour Jacinthe. Pas pour toi ou tes beaux yeux, ou même parce que je crois en une potentielle victoire... je suis là parce que j'ai des gens que je souhaite protéger. Et je n'ai pas de temps à perdre à jouer aux adolescents amourachés, prêt à attendre et s'accrocher au cou d'un type qu'il connait à peine mais qui lui a déjà suffisamment montré qu'il n'était pas le genre d'homme à qui il souhaitait confier son cœur ou tout autre chose. Donc navré si je t'ai induit en erreur mais tu ne m'intéresses pas. Et maintenant, tu m'excuseras, mais je crois que tu m'as confié une tâche. On se revoit dans un mois.
Et sans lui laisser l'occasion de protester, je me détournai, avançant calmement vers un Raël dont le regard allait de moi à Caleb, cherchant probablement à estimer l'étendue des dégâts. Une fois à sa hauteur, mes épaules s'affaissèrent, comprenant que Caleb ne chercherait plus à me retenir et à poursuivre cette conversation.
- Il est toujours là, me souligna néanmoins Raël. Je dois lui faire un doigt d'honneur ?
- Pas nécessaire, pouffai-je. Allons-y, nous avons déjà assez perdu de temps.
- En avant pour l'aventure, alors ! S'enthousiasma-t-il. Oublions tous ces connards sans cœur !
Je secouai la tête avant de pouffer alors qu'il venait passer un bras autour du mien, m'entraînant derrière lui avec une bonne humeur exagérée. Mais elle eut le mérite de dissiper cette sensation étrange et désagréable qui me barrait la poitrine.
J'avais pris la bonne décision. C'était la bonne décision. Caleb n'était pas quelqu'un fait pour moi, pas plus que je n'étais fait pour lui. C'était tout ce qu'il y avait à retenir. Désormais, je pouvais me focaliser sur une unique chose : trouver une piste viable pour parvenir à mettre la main sur cette fille tant recherchée par les Cendres.
♜
- C'est incroyable, murmurai-je.
Bouche-bé, je ne savais où poser les yeux. Shanara. Je n'avais jamais mis un pied dans cette ville pourtant plus que centrale puisque seconde en termes d'importance après la défunte capitale royale. J'en avais également beaucoup entendu parler comme étant la ville de tous les plaisirs, mais je n'avais jamais envisagé que cela signifiait que ce lieu serait aussi somptueux.
Tous les bâtiments étaient entassés les uns sur l'autres, mais étaient tous si somptueusement battis et décorés que même la plus petite bâtisse paraissait resplendir de milles et une richesses : construites dans un style victorien, toutes étaient faites d'une brique noire et ornées de dorure aux formes animalières, florales ou plus abstraites. Des lumières étaient accrochées de partout, rendant l'atmosphère de la nuit presque magique, semblant tout droit sorti des livres de conte vantant la beauté des villes mirages d'Esmera.
Mais plus encore que son décor somptueux, c'était l'effervescence de la ville qui était le plus troublant.
Nous étions dans un monde régi par un roi démon, chacun avait beaucoup perdu durant la guerre et, pourtant, rien de tout cela ne semblait transparaître ici. Les gens parlaient fort, se bousculaient dans les rues bondées, riaient, criaient, jouaient...
- Ne te laisse pas avoir, me murmura Raël, tirant sur le bas de ma manche pour me forcer à me concentrer sur lui. Tout ça n'est qu'une illusion.
Une illusion ? Je voulus l'interroger, mais il tirait sur le haut de sa capuche, m'intimant à en faire de-même afin de dissimuler nos visages.
Obéissant, je remontai donc le tissu sur mon visage et suivi son mouvement tandis qu'il semblait savoir où il allait. Il slaloma entre les corps, personne ne se souciant de notre présence. De toute façon, nous n'étions clairement pas les seuls à désirer ne pas attirer l'attention. Beaucoup d'autres étaient vêtus de façon à ne rien laisser deviner de leurs apparences.
Après plusieurs rues, toutes aussi bondées les unes que les autres, Raël finit par nous guider jusqu'à une ruelle plus déserte et surtout bien moins éclairée. Je fronçai les sourcils, sceptique face à l'endroit où il semblait nous conduire mais il était trop tard pour m'en inquiéter. Raël frappait déjà une petite porte en bois brun qui ne tarda pas à s'ouvrir devant lui, sans que je ne puisse pour autant voir celui ou celle qui venait de l'ouvrir.
- Raël... ? Souffla une voix féminine.
- Bonsoir Linaria, répondit l'intéressé en faisant tomber sa capuche pour révéler son visage plus nettement aux yeux de son interlocutrice. Cela fait longtemps depuis la dernière fois.
- Pas assez à mon goût si tu veux mon avis, rétorqua-t-elle, sa voix se faisant plus froide. Qu'est-ce que tu veux, Raël ?
- Je viens réclamer le paiement de ta dette.
Un silence pesant s'établit, me mettant particulièrement mal à l'aise tandis que je ne comprenais clairement pas ce qui se jouait actuellement. Il venait réclamer le paiement de sa dette ? De quelle dette parlait-il ? Et quel paiement exigeait-il d'elle ?
Cependant, je n'eus pas le temps de m'alarmer, la porte s'entrouvrit plus en grand et je ne pus que suivre Raël lorsqu'il s'engouffra dans la petite bâtisse aux allures moins luxueuse que les autres. Mais les apparences étaient souvent trompeuses.
A nouveau je fus ébloui, ne sachant plus où déposer mon regard. Sur le parquet en bois lustré ? Sur le lustre qui semblait être fait de diamant ? Sur le fond de la pièce où un grand bar en bois étaient encombrés d'hommes et de femmes somptueusement vêtus ? A l'omniprésence d'une richesse flagrante ? Ou peut-être juste sur la femme qui se tenait dans l'encadrement de la porte et qui la referma derrière nous.
Jamais je n'avais vu une femme aussi belle. Ses longs cheveux d'un noir nuit, ondulaient jusqu'au bas de ses reins, faisant ressortir une peau pâle et somptueusement recouverte de nombreux tatouage colorés. De grands yeux gris, des lèvres roses charnues, un visage de poupée... tout semblait parfait chez elle. Et comme si son naturel n'était pas suffisant, sa tenue très légère révélait un corps aux volutes invitant aux rêveries des hommes et des femmes.
Je relevai vivement les yeux, le rouge me montant aux joues face aux décolletés plongeant de sa tenue faite d'un métal dorée et de bout de tissu noir souple et léger qui ne cachait pas grand-chose. Remarquant alors seulement les petites oreilles pointues sur le sommet de mon crâne, ne faisant que redoubler ma gêne puisque cela ne pouvait que me signifier que mon regard s'était bien trop attardé ailleurs.
- Toujours aussi ravissante, commenta Raël, peu décontenancé face à sa tenue révélatrice.
- Je t'aurais bien rendu le compliment mais tu sembles avoir trouvé de la concurrence. Qui est le joli minois ?
Me déstabilisant un peu plus, la femme s'approcha de moi, débordant d'une aura séductrice qui voulut me faire bégayer. Sa main passa sur mon épaule, ses longs ongles caressant le tissu dans un jeu qu'elle maîtrisait visiblement à la perfection. Son regard cherchait à me détailler tandis que, contrairement à Raël, je n'avais pas fait tomber ma capuche.
- C'est une femme, c'est juste une apparence d'emprunt pour pouvoir voyager tranquillement.
Mon cœur loupa un battement. Il avait vrillé ? Pourquoi balançait-il ça ainsi si soudainement ? Mon regard se releva vers lui, effaré, mais il esquissa un simple petit geste de la tête discret, voulant probablement me faire garder mon calme.
- Je vois, répondit l'inconnue, me détaillant. Montre-moi.
- Pardon ? Sifflai-je, la mâchoire serrée. Hors de question.
- Bien alors j'ai peur de ne rien pouvoir faire pour vous, affirma-t-il. Tu connais mes règles, Raël.
- Elle va le faire mais pas ici. Tu te doutes bien que qui dit apparence d'emprunt, dit qu'elle ne souhaite pas se faire remarquer.
La femme resta silencieuse, jaugeant Raël tandis que celui-ci se contentait d'offrir un parfait sourire. A quoi jouait-il ? Pourquoi ne m'avait-il pas prévenu que la situation tournerait ainsi ? Il ne l'avait pas prévu ? Si. C'était évident au vu de son calme. Alors pourquoi ? Pourquoi ne m'avait-il pas prévenu ?
- Bien. Suivez-moi... mais je te préviens, je fais venir avec moi l'un de mes hommes. Je ne resterai pas seule avec toi.
- Tu m'offusques, protesta Raël. Comme si je t'avais déjà menacé.
- Tu ne l'as effectivement jamais fait, assura-t-elle dans un sourire. Mais toi et moi savons qu'un chiot habitué à mordre, continuera à le faire même si on essaye de l'aider.
Je fronçai un peu plus les sourcils face à cette conversation dont je ne tirais qu'une unique constatation : un lourd passif opposait ces deux-là.
- Va pour ton homme de main mais choisis-le judicieusement, soupira finalement Raël. Si la moindre information fuite compte à son apparence, le chiot ne se contentera pas de mordre.
- C'est à mon tour de m'offusquer, rétorqua-t-elle. Je sais conserver le secret de mes clients. Et je sais également payer mes dettes. Suivez-moi.
Et sans plus un mot, elle passa devant, sa démarche féline faisant danser le tissu de son vêtement, révélant un peu plus les courbes de son corps. Je m'obstinai donc à lever les yeux vers le plafond, ne sachant pas comment agir autrement pour ne pas sembler être un pauvre goujat incapable de la respecter sous prétexte qu'elle arborait une tenue que je trouvais dénudée mais dans laquelle elle se sentait peut-être juste à l'aise.
Et je trouvai, de toute façon, un autre endroit où poser mon regard. Sur Raël. Sur ce crétin infini de Raël. Discrètement, ma main vint saisir son avant-bras, le forçant à ralentir le pas pour être à ma hauteur.
- Qu'est-ce que tu fou ? Murmurai-je.
- Ne t'en fais pas, m'assura-t-il. Tu comprendras vite... mais au cas où : sache qu'elle entend tout ce que tu dis. Ces fichues oreilles de chat perçoivent le moindre son à des kilomètres à la ronde.
Je me tournai en avant et son regard grisâtre me détaille avant de se fendre d'un large sourire, amusée. Il ne mentait pas. Je me crispai un peu plus, dépréciant cette situation où Raël m'avait jeté sans vergogne et sans aucune forme d'explication.
Rapidement, elle nous fit traverser ce qui était, définitivement, une maison close. Ou quelque chose dans le genre au vu des nombreuses salles tamisées où les voix d'hommes et de femmes se mêlaient dans des sons qui ne laissaient que peu de suspens compte à ce qui était en train de se passer.
Mais, me détendant grandement, lorsqu'elle nous fit pénétrer dans l'une de ces fameuses pièces, je ne trouvai qu'un simple bureau tout ce qu'il y avait de plus basique. Un bureau rempli d'une montagne de documents dans le fond de la pièce, les murs recouverts de bibliothèques pleines à craquées et, au centre, une petite table basse entourés de deux canapés en velours vert.
Cependant, un détail accapara mon attention. Sur l'un des canapés, vautré de tout son long, un homme aux cheveux blancs, tirant sur le gris. Mon cœur se serra une courte seconde dans ma poitrine. Puis redémarra lorsqu'il bascula la tête en arrière, ouvrant les yeux qu'il avait clos, pour les braquer sur les arrivants qui interrompait son repos. De grands yeux or. Pas bleu.
- Hakan, debout, somma la jeune femme. J'ai besoin de ton aura de bourrin pour les dissuader de me jouer un tour.
- Pas de problème, affirma l'intéressé sans grande conviction, se désintéressant même de nous pour retrouver sa position initiale. Soyez gentil sinon je serais très en colère de devoir me lever et de vous tabasser.
Il ne manquait clairement pas de culot. Ce type ne daignait même pas quitter son divan, voulant nous signifier à quel point il nous jugeait indigne d'un tel effort. Car il était certain de gagner. Aucun doute n'effleurait son esprit.
Et au vu de son apparence, je devais reconnaître avoir hésité à glisser ma main sur le pommeau de mon arme malgré sa désinvolture. Il était plus massif encore que Caleb, sa chemise blanche largement ouverte sur un torse musclé et recouvert d'épaisses cicatrice témoignant de sa nature de combattant.
- Maintenant que nous sommes entre nous, je t'en prie, petit.
Je reposai mes yeux sur celle de la jeune femme qui avait fini par s'asseoir sur le bord du bureau, ses bras croisés et son regard me défiant de lui désobéir. Je serai les dents, véritablement hésitant. Raël ne pouvait pas me demander cela. Il ne pouvait pas me demander d'exposer ainsi celle que j'avais tant cherché à cacher. Avait-il une idée des conséquences potentielles ?
Comme s'il avait perçu mon trouble, Raël se pencha légèrement devant moi, m'offrant un parfait sourire. Il était serein, parfaitement paisible. Alors qu'il était le mieux placé pour savoir à quel point mon apparence allait nous trahir et révéler le nom des Alhaita. Je soupirai faiblement, et capitulai. Je ne pouvais que lui faire confiance.
Mollement, je baissai ma capuche, sachant que dès que le tissu serait tombé, mes cheveux bruns seraient remplacés par une épaisse tignasse blanche. Le processus ne prenant pas plus de dix secondes.
Ce fut donc dans des vêtements devenus bien trop grands pour le corps plus frêle de Tasha, que j'affrontai désormais nos interlocuteurs, le cœur sur le point de rompre tant la panique voulait me hurler de fuir.
Et pour ne rien arranger à mon stress, l'homme se redressa brusquement, sautant sur ses jambes en me faisant brandir mes dagues dans sa direction. Il me fixait intensément sans plus bouger, ne paraissant pas menaçant mais sa haute stature ne faisant que redoubler mon inquiétude. Raël avait eu tort, ils allaient nous tu...
- Raija... ?
Surprise, mon dos se raidit avant que mon visage ne se dirige vers celle qui avait prononcé le nom de ma mère. Avant que je ne me tourne pleinement vers elle, Raël vint poser ses mains autour de mes poignets.
- Du calme, me somma-t-il face à ma précipitation évidente. C'est une amie de nos parents.
Il n'aurait pas pu dire ça directement ? Mes épaules retombèrent et je soupirai, passablement agacée. Pourquoi devait-il autant s'amuser à me tourner en bourrique ? Je le fusillai donc du regard, mais rangeais habillement mes armes.
- Mon dieu... alors... tu es Tasha, c'est ça ?
Raël s'écarta légèrement, poussé par la main de la jeune femme qui cherchait à se placer devant moi. J'eus un mouvement de recul, incapable de totalement annihiler la peur profonde qui m'habitait, mais sa paume vint se poser sur ma joue avant que je n'aie pu décider si je voulais réellement fuir ou non.
Mais ses yeux se plantèrent dans les miens, habités par une nuée d'émotion. De la tristesse ? De la nostalgie ? Et peut-être... du bonheur ? Et une affection évidente.
- Bon sang, qu'est-ce que tu ressembles à ta mère...
- Vous... vous la connaissiez ?
- C'était une amie très précieuse, me répondit-elle tâchant de me sourire. J'aimais aussi beaucoup ton père... même si sa jalousie compulsive était insupportable.
Je retins un sourire, toute panique envolée. Oui. Mon père vouait à ma mère une adulation qui avait souvent posé un problème. Ma mère était quelqu'un qui peinait à exprimer ses sentiments et qui avait une volonté de liberté farouche... deux points peu compatibles face à un homme qui ne réclamait que sa présence perpétuelle et des preuves d'amours incessantes. Mais, au fond, ma mère adorait se sentir ainsi couvé d'amour et ne supportait guère d'être loin de lui.
- C'est chez Linaria que les parents voulaient nous envoyer, m'informa Raël alors qu'elle ne me lâchait pas du regard et que ses mains étaient désormais toutes les deux plaquées sur mes joues. Et c'est elle également qui m'a aidé à retourner à Comerian lorsque nous n'avons plus eu de vos nouvelles...
- J'ai également essayé de te chercher, me souffla-t-elle, ses yeux légèrement embués. Raija m'avait fait jurer de veiller sur vous... mais lorsque nous avons appris, une année plus tard, que Jaekal était mort ainsi que les autres Alhaita... j'ai été convaincue que tu étais morte. Et même si Raël voulait continuer les recherches... j'ai abandonnée... Je suis sincèrement désolée, Tasha.
Sa voix avait tressailli, trahissant toute la culpabilité qu'elle éprouvait en cet instant. Je voulus ouvrir la bouche pour lui assurer qu'elle n'avait pas besoin de l'être, mais ma gorge resta nouée, ne permettant à aucun son de franchir mes lèvres. Je lui en voulais ? Cela n'aurait aucun sens. Je ne connaissais même pas son existence quelques minutes auparavant. Alors pourquoi n'arrivais-je pas à simplement lui dire que cela n'avait pas d'importance ?
Peut-être parce que j'aurais voulu que quelqu'un continue de me chercher envers et contre tout. Peut-être parce que j'aurais voulu rencontrer, avant, quelqu'un capable de me parler d'eux. Je soupirai faiblement avant de reculer d'un pas, rompant le contact physique mais lui offrant un sourire le plus sincère possible :
- Je vous suis reconnaissante pour vos excuses, mais tout va bien. J'ai... eu la chance de rencontrer des gens qui ont bien pris soin de moi.
- ... J'en suis soulagée, me sourit-elle à son tour, plus contrite que je ne l'étais. Et... je te dois des excuses à toi aussi.
Raël arqua un sourcil lorsque Linaria se tourna vers lui et se contenta de hausser les épaules face à son air sérieux et coupable.
- Je serais mal placé pour les accepter, quand j'ai fini par abandonner à mon tour quelques années plus tard, affirma-t-il. Nous étions en deuil et... nous avons mal géré la situation... Bref. J'imagine même que c'est plutôt à moi de te présenter mes excuses pour le tort que j'ai pu te causer alors que tu voulais juste me protéger.
- ... Je vois que notre petite Tasha a un effet miraculeux sur toi, sourit-elle plus franchement, plantant ses mains sur ses hanches.
- J'ai retrouvé une raison d'avancer sur le bon chemin.
Linaria sembla comprendre son sous-entendu évident bien que je n'eusse pas du tout conscience de quoi il s'agissait. Elle lui offrit finalement un sourire resplendissant avant de rebraquer son attention sur moi.
- Tu as des choses à me raconter, jeune fille ! Où avais-tu donc disparu ?
Hésitante, je ne pus m'empêcher de relever mon regard vers l'homme qui n'avait pas dit un mot depuis ma transformation. Mais il me fixait toujours de la même façon.
Percevant mon trouble, Linaria se tourna légèrement et fixa l'inconnu avant de venir bousculer son épaule contre la mienne dans une familiarité que je ne pouvais qu'assimiler à celle qui caractérisait Raël.
- Ne t'inquiète pas, Hakan ne connaissait pas tes parents mais il connait ton histoire. Il ne te fera jamais aucun tort.
- Tu lui as raconté ? S'enquit Raël. Cela ne te ressemble pas.
- Hakan... n'est pas un ami direct de vos parents mais il est l'enfant d'un homme qui l'était, répondit-elle dans un mince sourire dévoilant toute sa peine. Je n'étais pas aussi proche de son père que je l'étais de Raija et de Damon mais cela n'empêche qu'à sa mort j'ai eu à cœur de... réussir là où j'avais échoué pour vous.
- Qui est ton père ? S'enquit Raël en se tournant vers l'intéressé.
- Raël, somma Linaria. Ne te m...
- Il connait notre identité, pourquoi ne pourrais-je connaître la sienne ? Interrompit Raël. Tu nous penses moins fiable que ce type ?
Linaria ne répondit pas verbalement mais son silence en disait suffisamment. Bien sûr qu'elle n'avait pas autant confiance en nous qu'en se garçon qui vivait clairement sous son toit. Vexé, Raël voulut protester mais je levai légèrement le bras, le stoppant.
- C'est bon, calme-toi, lui intimai-je. Nous n'avons pas besoin des détails.
- Comme tu voudras, soupira-t-il, bougon. Mais je tiens à signaler que j'apprécierai qu'il cesse de te dévisager de la sorte.
Et je devais admettre que j'aurais également appréciée. Ses yeux allaient finir par m'incendier à force d'ainsi me détailler comme si j'étais... si j'étais quoi au juste ? Une bête de foire ? Non, il n'avait pas l'air moqueur. Un fantôme ? Je ne vois pas pourquoi j'aurais pu le troubler à ce point.
- Hakan, tu comptes ouvrir la bouche ou tu vas juste continuer à te comporter comme un fou ?
Enfin il sembla redescendre sur terre, clignant légèrement des yeux en se tournant vers Linaria avant de me faire grimacer en revenant tourner son regard sur moi. Il n'allait pas recommencer ? Mais me rassurant, il fit mine de toussoter, se détournant enfin complètement.
- Désolé, souffla-t-il. Je... j'ai juste beaucoup entendu parler de vous deux... et je n'ai pu qu'être surpris en réalisant que je t'avais finalement déjà rencontré, Tasha.
Et mes sourcils se froncèrent tandis que, retrouvant de son aplomb, il m'affronta à nouveau en arborant un parfait sourire.
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