Chapitre 15
- Qu'est-ce que vous fichez ?
Réellement surpris, je regardai Raël, Lyra et Lyris se faufiler dans ma tente alors que je venais de passer les douze dernières heures dans un profond sommeil réparateur, ne m'étant réveillé qu'à cause des vociférations de Raël voulant m'affirmer qu'il entrerait de force si je ne daignais les inviter à le faire.
C'était donc mal réveillé, et l'esprit encore plongé dans des rêves dont je ne me souvenais pourtant pas, que je les laissais s'installer sans vraiment comprendre ce qui était en train de se passer. Sans éprouver la moindre gêne face à cette incompréhension, ils prenaient déjà leurs aises, laissant choir le contenu garnis de leurs bras et chacun trouvant une place assise.
- Qu'est-ce que vous fichez ? Répétai-je, frottant mes mains contre mes yeux pour finir d'émerger. Je dois vous rappelez que je suis actuellement consigné ?
- Caleb t'a interdit de sortir de cette tente pour vingt-quatre heure, sourit Raël. Il n'a absolument pas spécifié que tu n'avais pas le droit aux visites.
J'arquai un sourcil sceptique face à cet argument très bancal, sachant parfaitement que l'omission de ce détail n'était pas tant dû au fait que Caleb voulait leur laisser cette opportunité que le simple fait que la pensé, que quelqu'un cherche à trouver un subterfuge à ses ordres, n'avait pas dû l'effleurer.
Mais je n'en fis pas la remarque, sachant également que Caleb ne se fâcherait même s'il découvrait, inévitablement, leurs présences dans ma tente. Mollement, je m'avançai donc jusqu'à la dernière chaise libre et m'y laissai tomber en venant passer ma main dans ma tignasse ébouriffée afin de dégager mon visage.
- T-tu te sens mieux ?
- Bien mieux, acquiesçai-je, ne tâchant de pas réagir au retour de son bégaiement qui avait voulu m'arracher un sourire. Merci beaucoup pour ton aide.
- Caleb nous a dit que tu allais fournir des efforts... est-ce vrai ?
Raël tentait, comme il le pouvait, d'annihiler sa colère pourtant encore battante dans ses veines. Mais je ne répondis pas précipitamment bien que je n'eusse aucune envie de la raviver ou même de provoquer, une seconde fois, la tristesse de Lyra et probablement celle de Lyris.
La conversation que j'avais eu Caleb avait eu le mérite de me remettre les idées en place et de prendre conscience que mes forces n'étaient plus les mêmes que quelques semaines auparavant... et qu'il avait probablement raison en affirmant que je voyais dans le roi démon quelque chose de plus terrifiant qu'il ne l'était. Caleb avait pu lui échapper. Même plusieurs fois selon ses dires... alors pourquoi ne pourrions-nous y parvenir ? Peut-être pas moi seul, mais Raël en était capable.
Je hochai donc la tête.
- Je suis sincèrement désolé de vous avoir tous inquiété... j'ai appris à me défendre seul et je n'ai pas eu beaucoup l'occasion de me reposer sur quelqu'un donc j'ai toujours pensé que je devais me faire violence pour devenir plus fort ou prendre tous les risques pour vaincre... Et je ne peux pas vous garantir que je chasserai facilement mes mauvaises habitudes. Néanmoins, je ferais attention.
- Hé bien... il semblerait que ta transformation en princesse endormie est eue des effets fulgurants.
Mes joues virèrent au rouge et je saisis un paquet de bonbon que j'envoyai sur un Raël qui éclata d'un rire qui, malgré ma gêne, allégea mes épaules. Il n'était plus fâché. Ou du moins, il acceptait mes excuses.
- C'était siiiii mignon, ajouta-t-il en ouvrant le paquet qu'il avait récupéré sans peine. Il t'a porté jusqu'à ton lit comme si tu étais la plus précieuse des petites libellul...
- Ça va, j'ai compris ! Grondai-je, la chaleur me montant un peu plus encore. J'étais épuisé ! Et c'est lui qui a décidé de me porter jusque-là, il aurait très bien pu me laisser là-bas !
- Ou juste décider de te porter normalement, renchaîna-t-il, tout sourire en engouffrant un premier bonbon dans sa bouche, très satisfait de lui-même. Mais non. Il t'a porté comme s'il voyait clair en toi.
La fin de sa phrase n'était pas totalement de la taquinerie et je ne pus que m'en sentir troublé, ma main passant dans ma nuque alors que je détournai le regard pour fixer mes pieds.
Je n'avais aucun souvenir de ce qu'il s'était passé à la fin de notre conversation. J'avais simplement à nouveau sombré dans le sommeil, m'effondrant entre ses bras solides et réconfortants. Et lorsque je m'étais réveillé une première fois, plusieurs heures plus tard, j'étais allongé dans mon lit, les draps remontés sur mes épaules, sans savoir comment j'étais arrivé là. Enfin. Presque. J'avais encore le vague souvenir d'avoir sentis ses bras passés sous mes jambes et mes épaules. Je vins passer ma main devant mon visage, tentant de masquer tout ce que remuait le souvenir de cette soirée.
- Cesses donc de l'embêter, intervint Lyris en venant passer dans mon dos, ses bras se nouant autour de mon cou, protectrice. Il va se transformer en tomate si tu continues de le taquiner.
- Parce que ce n'est pas ce que tu es en train de faire aussi ? Soulignai-je en venant poser ma main sur un de ses avants bras sans pour autant chercher à la faire reculer.
- Je ne vois absolument pas de quoi tu parles, assura-t-elle dans un parfait sourire. Je ne fais que prendre innocemment ta défense.
Mais oui, j'y croyais. Elle ria et je souris naturellement. J'étais rassuré de voir que tout semblait être revenu à la normal, et même si l'ambiance s'apaisait à mes dépends, cela me convenait parfaitement.
- Assez blablater, buvons !
- Je... t'ai pris du jus de pomme, m'informa Lyranea, me tendant une petite bouteille en verre, timidement.
- Tu es ma déesse, approuvai-je, la prenant avec plaisir. Je meurs de soif et de faim.
- On a pris que des trucs a grignoter mais si tu veux je peux retourner à la cantine voir si je peux te trouver quelques choses de plus consistant, dit Lyris, toujours accroché à moi.
- Non c'est bien, je mangerais bien demain matin, assurai-je. Et si Raël ne termine pas le paquet, je mangerai des bonbons, j'adore les trucs sucrés.
Et, sans me surprendre, ledit paquet vola dans ma direction et, par un miracle inexpliqué, rien n'en sortit malgré l'ouverture béante faite par le jeune homme.
- C'est rare qu'un garçon aime le sucré... enfin je devrais plutôt dire que c'est rare qu'ils admettent aussi aisément aimer les sucreries, se rectifia Lyris.
- Il n'y a pourtant aucune raison d'être gêné à l'idée d'aimer quelque chose, non ? Désapprouvai-je, platement.
- Alors pourquoi sembles-tu l'être autant quand il s'agit d'admettre ton béguin pour Caleb ?
Je lançai un regard de travers à Raël qui me décocha simplement un sourire resplendissant. Il n'abandonnerait pas aisément ce sujet qui semblait profondément l'amuser.
- Je vais finir par croire que tu es jaloux à force que tu sembles t'en inquiéter, rétorquai-je, bien décidé à cesser de me laisser malmener. Mais ne t'en fais pas, tu seras toujours mon préféré.
Raël siffla, se pâmant faussement et un même rire franchit nos lèvres. Je n'avais quasiment aucun souvenir de notre vie passé... mais ce sentiment je le connaissais. Je le connaissais avec certitude car il était gravé au plus profond de mon entré. Et aussi logique que cela soit, je ne pouvais que savoir qu'il m'avait profondément manqué tout ce temps.
- T-tu es... enfin... tu aimes vraiment Caleb ?
Un peu surpris par l'interrogation soudainement sérieuse, je braquai des yeux écarquillés vers Lyranea qui détourna le regard dans la seconde, ses joues rosissant. Je ne sus que répondre à cette question. Non. Je n'étais pas amoureux de Caleb. Au du moins, pas encore tout à fait. Enfin, c'était compliqué. Après tout, je ne le connaissais pas réellement et ce que j'éprouvais était probablement plus la verbalisation d'un atome physique crochu ? Non. C'était malgré tout un peu plus que cela, même si je ne voulais pas le reconnaître.
Pour la première fois depuis la mort de mes parents, j'avais abandonné une grande partie de mes barrières face à quelqu'un qui, pourtant, ne faisait partit de ma vie que depuis un mois tout au plus. Même Jacinthe ne m'avait plus vu aussi fragile depuis bien longtemps, je m'étais même évertué à ne lui offrir que l'image d'un homme solide sur qui elle pouvait se reposer, jugeant que c'était à mon tour de lui offrir mon soutien. Et si je ne regrettai aucunement d'avoir été son roc, je ne pouvais qu'être soulagé de savoir que je n'avais peut-être plus autant besoin de me battre sans cesse contre mes démons.
Parce qu'il était là.
Parce qu'il y avait quelque chose dans sa voix, dans la façon dont il avait de me regarder, dans la force de ses doigts entourant ma peau... mon cœur accélérait bien trop et je soupirai lourdement.
- Je ne l'aime pas, tranchai-je malgré tout.
- Mais ? Tenta Lyris qui avait fini par retourner s'asseoir sur sa chaise.
- Mais disons qu'il faudrait être fou pour aimer les hommes et ne pas savoir apprécier l'un de ces plus beaux représentants.
Raël siffla aussitôt et je haussai les épaules, cette fois peu gêner de reconnaître une évidence. Lyris le rejoint bien vite dans ses piailleries, mais je ne pus que remarquer que Lyra ne partageait aucunement leur enthousiasme. Mon regard croisa le sien et je tâchai de lui sourire, ayant bien eu le temps de réaliser que Raël avait visé juste en affirmant qu'elle avait probablement eu un petit crush à mon encontre. Alors je devais étouffer le problème dans l'œuf avant qu'il n'en devienne réellement un.
Je n'étais pas tout à fait honnête en ayant laissé penser que je n'étais attiré que par les hommes, mais je préférai agir ainsi pour la rejeter sans trop la blesser. En réalité, tout comme pour ma propre apparence, je ne voyais pas de réelle différence entre les sexes, appréciant l'un et l'autre. Du moins, théoriquement. Je devais malgré tout reconnaître avoir toujours eu tendance à avoir une légère préférence pour les hommes. Peut-être parce qu'au fond de moi je souhaitais être couvé d'attention comme ma mère l'avait été avec mon père ? C'était possible. Je reconnaissais aisément mon côté fleur bleu et mes envies de romantisme bien que mon caractère soit devenu bourru après toutes les épreuves que j'avais dû traverser.
Mais encore une fois, tout ceci était bien théorique puisque je n'avais jamais connu de réelle relation, quel soit charnel ou émotionnel. Je ne pouvais donc que me fier à mes premières impressions très récentes.
M'étonnant quelque peu, Lyra me rendit mon sourire avec naturelle, me faisant me demander si je n'avais pas surinterprété les signes, mais me rassurant grandement. Je n'avais aucune envie de la blesser, ni qu'elle ne cherche à fuir alors que j'éprouvais déjà pour elle une véritable amitié.
- Comment ça se fait que tu n'aies toujours pas un peu décoré cette tente ?
Curieux, je me tournai vers Lyris qui s'était relevée de sa chaise, un verre d'un alcool quelconque à la main et arpentant, de long en large, la pièce qui me servait de chambre.
- Parce que je n'en éprouve pas le besoin, assurai-je. Vous avez tous décoré la vôtre ?
- Je l'ai rempli de babioles, sourit-elle. Je demande toujours à ceux qui partent en mission de me rapporter quelques choses de leur voyage... C'est un peu...
- Pour s'assurer qu'ils reviendront, termina Raël à sa place. Tu devrais voir ça, impossible de mettre un pied devant l'autre tellement elle en a accumulé.
- Ce n'est pas si terrible, tu exagères, bougonna-t-elle.
- La dernière fois tu as mis trente minutes avant de parvenir à dégager une chaise, Lyris. Une simple chaise, fit-il déclenchant un léger pouffement que je partageais avec Lyra.
- Ça va, ça va. Et puis autant Raël peut se moquer de moi, mais Lyra je t'ai vu !
La jeune femme sursauta sur sa chaise alors que Lyris se tournait soudainement vers elle. Je souris un peu plus alors qu'elle se permit d'esquisser une grimace une fois sa surprise passée, me témoignant que mes inquiétudes initiales étaient bien vaines. Lyra était certes timide mais si on lui en offrait l'opportunité, elle parvenait à se montrer bien plus confiante.
- De quoi remplis-tu ta tente ? Interrogeai-je. Je t'imagine mal collectionneuse comme Lyris.
- J'aime les plantes, assura-t-elle en relevant les yeux vers moi alors que Lyris s'accrochait à son cou. Que ce soit pour leurs aspects ou pour leurs vertus.
- Je la taquine mais sa tente est vraiment jolie, tu devras y faire un tour un jour Ash !
Le rouge monta aux joues pâles de Lyra et ses doigts se tordirent entre eux face à l'invitation qu'elle n'avait aucunement lancée. Lyris s'emportait parfois, sans réaliser qu'elle sautait les deux pieds joint dans le plat.
- J'attendrai d'y être invité par sa propriétaire, désapprouvai-je donc. Et pour en revenir à ma tente... je ne saurais pas quoi y mettre. Déjà à Esmera, Jacinthe m'avait proposé de m'approprier mon espace mais...
Mais je n'étais jamais parvenu à le faire. J'aimais ma vie à Esmera, j'aimais Jacinthe et les autres habitants, je m'y sentais, d'une certaine façon, à ma place. Cependant, cela n'avait jamais été totalement le cas. Parce que j'avais déjà un endroit qui était mien, un lieu que je voulais considérer à jamais comme ma maison.
Le lac de Comerian. J'y avais passé toute mon enfance, entourés de mes parents et de gens aimant et bienveillant. Je me souvenais avec précision de ma chambre aux murs beiges et verts, du fauteuil suspendu installé par mon père, des milliards de peluche que je m'évertuai d'entasser, de la petite coiffeuse où ma mère passait des heures à coiffer ma longue tignasse si similaire à la sienne... Là-bas, c'était ma maison.
Mais elle était désormais tâchée de sang.
- Je ne suis pas très doué pour la décoration, mentis-je, tâchant de sourire.
- Alors Lyra et moi on ne s'en chargera pas ! S'enthousiasma Lyris. Quand vous reviendrez de votre mission, ce lieu sera parfait ! Tu n'auras plus jamais envie de le quitter !
- Tu devrais fuir tant que tu en as encore l'occasion, rit aussitôt Raël.
A peine sa phrase fut elle terminée qu'il recevait une bourrasque qui fit voleter ses cheveux et intensifia son rire.
- Ne l'écoutez pas, et amusez-vous, assurai-je alors qu'elle s'apprêtait à lui bondir dessus. Je vous laisse libre choix.
- Suicidaire, murmura Raël.
- Homme censé, désapprouva Lyris.
- T-tu dois nous dire au moins le genre de chose que tu aimes, sinon ce ne sera pas réussie.
- Le genre de chose que j'aime ? Répétai-je, songeur. Je n'ai pas de goût spécifique, faite comme bon vous semble, cela m'ira.
- Vous n'aurez qu'à mettre une relique en carton de Caleb, cela suffira.
Mon regard fusilla Raël et il m'offrit un resplendissant sourire, poussant même le vice en soulevant son verre dans ma direction, comme s'il me signifiait apprécier mes remerciements pour sa vanne incroyable.
- J'insiste, reprit néanmoins Lyra. Tu as forcément des choses que tu aimes... Une couleur ? Un type de plante ? Un style ? Ou... peut-être juste quelques choses que tu aimerais avoir ? Nous aurons du temps avant votre retour... laisse nous faire ça pour toi.
Alors elles étaient inquiètes. Lyra et Lyris resteraient au camp pendant que nous partirions, Raël et moi dans cette mission proche du suicide à mon sens. Nous n'aurions que peu de possibilité de les avertir de notre avancée ou de notre sécurité, ainsi elles resteraient dans le flou jusqu'à notre retour. Je n'imaginai pas à quel point cela devait être angoissant d'attendre sans pouvoir intervenir d'aucune façon.
- J'aime... le style bohème, murmurai-je donc. Les teintes naturelles comme le beige et le vert. Et... quelques choses de lumineux.
- De lumineux ? Répéta Lyra, intriguée.
- Je... n'aime pas trop être dans le noir, admis-je. Et le défaut d'une tente est le manque d'ouverture vers l'extérieur... c'est un peu angoissant pour moi.
- C'est vrai que lorsque tu étais encore enf...
Raël se stoppa net dans sa phrase, percutant soudainement la maladresse de ses mots. Je lui lançai un regard en coin, tâchant de paraître naturelle malgré l'affolement des battements de mon cœur. Il toussota et, avec aisance, se rattrapa sous le regard suspicieux des filles :
- Désolé. Il se trouve juste que Ash me rappelle quelqu'un.
- Tasha ?
Mes épaules se raidirent vivement. La voix de Lyris avait prononcé mon nom. Elle le connaissait. Elle connaissait Tasha. Raël grimaça, sans venir se tourner vers moi, probablement par peur de commettre un impair plus colossal encore que celui qu'il venait de faire.
- Tasha, acquiesça-t-il.
- Qui est Tasha ? Demanda timidement Lyra.
Raël glissa son regard dans le mien une brève seconde, me faisant les gros yeux pour que je cesse de me crisper et d'attirer potentiellement leur attention, puis continua calmement comme si de rien n'était :
- C'est le nom de ma petite sœur, expliqua-t-il donc.
- Je ne savais pas que tu en avais une, répondit la semi-humaine avec toute la douceur qui la caractérisait.
- Il en parle rarement, approuva Lyris. En réalité, il ne m'en a parlé qu'une fois il y a longtemps...
- Et comme à l'époque je vais te répondre la même chose : je ne souhaite pas m'étendre sur le sujet. Je t'ai donné son nom parce que tu insistais, mais je n'ai aucune envie de me remémorer un passé contre lequel je ne peux rien.
- Partager nos souffrances est nécessaire pour pouvoir avancer, désapprouva Lyra. Et je pensais que comme tu viens de l'évoquer toi-même pour la première fois depuis tout ce temps... cela signifiait peut-être que tu étais prêt.
Donc si je suivais bien ce que Raël tentait de dire, entre les lignes, Lyris ne connaissais de Tasha que son nom et ce qu'elle était pour lui. Je soupirai discrètement, mes épaules parvenant enfin à se détendre.
- Je ne le suis pas, trancha-t-il, plus froidement. Navré.
- Pas de problème, assura-t-elle, se refermant à son tour. C'est moi, j'aurais mieux fait de me taire.
La tension soudaine me mit particulièrement mal à l'aise. J'en étais partiellement responsable. Si je n'avais pas été présent, Raël aurait peut-être pu s'épancher sur le destin funeste de sa famille d'adoption.
- Q-que penserais-tu de guirlande lumineuse ? Je sais que nous en avons en stock, nous pourrions en installer un peu partout au plafond ? Cela ferait un peu... comme un ciel étoilé ?
Lyra. Ma sauveuse. Nos regards se rencontrèrent et elle hocha faiblement la tête, m'encourageant.
- Ce serait parfait, rebondis-je donc. Et je peux aussi compter sur vous pour me trouver une peluche ?
- Une peluche ? Répéta Lyris, se déridant rapidement. Pourquoi une peluche ?
- J'en veux une gigantesque, assurai-je, balançant la première chose qui me venait à l'esprit. Au moins aussi grande que moi.
- Que toi ? Geint-elle. Tu demandes l'impossible.
- Nous pourrions la coudre nous-même ? Tu voudrais bien faire ça avec moi, Lyris ?
La jeune femme sembla indécise. Une très brève minute avant d'aussitôt s'enthousiasmer avec entrain. Je soupirai faiblement, soulagé que la conversation retourne à la normal.
- Désolé, me murmura Raël en venant se laisser tomber sur une chaise qu'il ramena à côté de moi.
- Pas de problème... mais ça va, toi ?
- Ça va, affirma-t-il, son regard braqué sur les filles qui continuait leur conversation sans plus se soucier de nous. Lyris... a juste toujours mal pris que je ne me confie pas à elle.
- Pourquoi tu ne l'as pas fait, avant mon arrivé ? A cause... de tu sais quoi ?
- En partie, acquiesça-t-il, comprenant l'allusion faite au nom des Alhaita. Mais pas seulement. C'était juste devenu... trop difficile de songer à ma famille.
Je pouvais comprendre. Au fond, j'aurais pu confier à Jacinthe la mort de mes parents, lui expliquer à quel point la trahison que j'avais vécu avait planté en moi une graine impossible à déraciner. Je n'avais pas besoin de prononcer le nom Alhaita pour parler de mon histoire... pourtant je ne l'avais jamais fait. J'en avais toujours été incapable. C'était comme si le formuler à haute voix rendrait les choses plus réelles, plus concrètes. Pourtant qui y'avait-il de plus concret que leurs cadavres recouvrant le carrelage soudainement devenu froid ? Qui y'avait-il de plus vrai que le regard vide d'émotion de mon grand-père avait posé sur moi avec mépris ?
- Ash ?
Me tirant de mes pensées sombres et cessant le déchirement de mon cœur, la voix masculine résonna dans toute la pièce, surmontant tout autres sons. Je n'avais pas besoin de me lever pour ouvrir le pan de la tente pour savoir qui se trouvait derrière. Je ne le savais parfaitement rien qu'aux rougeurs qui me montaient aux joues, sournoisement.
Cependant, avant que je n'aie le temps de réagir, Raël bondit sur ses pieds, se ruant vers l'entrée pour l'ouvrir à la volée, dévoilant un Caleb qui ne sembla guère surpris de se retrouver face à lui.
- Que nous vaut la visite du bourreau ? Tu n'en as pas eu assez de lui taper dessus ? Ou peut-être que tu viens finir le travail ?
- Raël ! S'affola Lyris. Tu ne dois pas par...
- Quoi ? Il n'est plus celui que je suis, je n'ai plus de compte à lui rendre, désapprouva l'intéressé.
- Mais à moi, oui, soulignai-je dans un sourire en coin. Et tu devras m'en rendre si tu continues. Laisse-le tranquil.
- Oui. Chef.
Je levai les yeux au ciel, peu convaincu par sa fausse mauvaise humeur même si elle avait un fond de vérité. Raël en voulait énormément à Caleb pour le traitement qu'il me réservait durant nos entraînements et je ne pouvais lui en vouloir. Au fond, comment aurais-je réagis en voyant Raël se faire passer à tabac jour après jour ? La réponse était évidente : mal.
- Bon... tu comptes prendre racine le tronc ? Ou tu rentres ?
Caleb sembla cette fois un peu plus déstabilisé alors que je ne pus que sourire en coin en constant que je n'étais pas le seul à le comparer à un arbre. Il finit par avancer, Raël pouvant enfin relâcher l'entrée de la tente qu'il maintenait toujours et retourner s'affaler sur mon lit.
Un silence de plomb suivit son entrée, tous passant leurs regards de lui à moi, sans que cela ne me gêne outre mesure. J'étais trop focalisé sur lui pour me soucier de quoi que ce soit d'autre.
- Je... j'étais juste passé pour te proposer de manger avec moi, souffla-t-il, finalement plus gêné que je ne l'étais pas les regards lourds de sens braqués sur nous. Mais il semblerait que j'ai été devancé.
- Désolée, sourit aussitôt Lyris avant que je n'ouvre la bouche. Nous t'avons piqué la place.
- Pas de problème, assura-t-il. Ce ne sera que partie remise.
- Wahou... depuis quand il vomit des paillettes et des arcs-en-ciel, lui ?
- Raël !
- Oh ça va, protesta l'intéressé malgré les yeux ulcérés de Lyris. Je suis sûr que monsieur le leader a un peu d'humour caché sous son écorce.
- C'est bon, Lyris, laisse-le s'amuser, trancha Caleb avant d'esquisser un sourire en coin. Il n'est pas donné à tout le monde d'assumer ses sentiments.
Ouch. Le coup avait été direct et même Raël ne put qu'ouvrir la bouche avant de la refermer, sa moue se faisant boudeuse alors qu'il détournait le regard. Caleb venait de gagner l'échange par un ko technique incontestable.
- Je ne vais pas m'imposer plus longtemps, rajouta Caleb en retrouvant promptement son sérieux. Je suis content de voir que tu sembles aller mieux, Ash.
- On pourra reprendre les entraînements demain, assurai-je.
- Tu n'avais pas dit ralentir ? Désapprouva Lyris.
- Je serais plus prudent, promis-je. Mais cela ne veut pas dire que j'arrête tout pour autant.
- J'imagine que nous devrons nous contenter de cela, soupira-t-elle. Et tu ne veux pas plutôt te joindre à nous Caleb ? Cela fait longtemps que tu n'as pas juste profité d'une soirée à te détendre avec des amis.
- Depuis quand je suis l'ami de c...
- Raël, l'interrompis-je dans un soupire.
- C'est bon, je capitule ! Mais s'il reste, il boit !
Et, sans plus de manière, il bondit vers la table ou il attrapa une bouteille que je devinais être de la bière avant de la balancer dans la direction de Caleb qui l'attrapa aisément. Malgré tout, il marqua un temps d'arrêt, visiblement indécis face à la proposition qu'il venait de recevoir.
- Ne te force pas, lâchai-je, après un moment. On peut tous comprendre que tu as des obligations et que tu sois occu...
Ma voix mourut dans ma gorge alors qu'il faisait sauter le bouchon de sa bouteille, la portant à ses lèvres avant d'en vider une bonne moitié sous nos regard estomaqués.
- Je vous préviens, je ne tiens pas bien l'alcool, à vous d'en assumer la responsabilité.
Et ses iris se plantèrent dans les miens, me défiant clairement de me défiler maintenant. Je pinçai les lèvres, retenant mon sourire d'amusement et me contentai simplement de basculer la tête en arrière sans le lâcher des yeux.
- Je ne bois pas, donc je serais le garant de votre état à tous.
- Je compte sur toi alors.
Mon cœur loupa un battement. Cette phrase. C'était la dernière dont je me souvenais avant d'avoir sombré de fatigue dans ses bras. Et au vu de ses yeux rieurs, il le savait tout aussi bien que moi. Je secouai la tête, ne parvenant plus à retenir mon sourire que je masquai néanmoins en portant ma propre bouteille à mes lèvres.
Calmement, et déstabilisant les autres, Caleb vint s'asseoir sur la dernière chaise libre. Ils l'avaient invité mais probablement ne s'étaient-ils pas attendus à ce que leur chère leader vienne se mêler à eux comme s'il n'était... qu'un simple humain.
- Vous pouvez parler librement, lâcha-t-il, sans réellement m'étonner après quelques secondes, devant penser qu'ils se montraient juste respectueux.
- Merci de nous le permettre, soufflai-je dans un rictus en coin. C'est un honneur de pouvoir t'adresser la parole.
- Vraiment ? Sourit-il en retour, ne se laissant pas déstabiliser. Eh bien je suis heureux si je peux vous faire plaisir.
Je secouai la tête, levant les yeux au ciel, désabusé. Ce type ne manquait ni d'assurance, ni de réparti. Ce qui ne le rendait que plus attrayant encore.
- Je ne savais pas que tu buvais de l'alcool, intervint Raël, interrompant notre échange silencieux. Je pensais te dissuader en te demandant de boire.
- Je ne le fais que rarement, répondit Caleb dans un haussement d'épaule. Comme je l'ai dit, je suis vite ivre et disons que cela ne cadre pas trop avec mon statut.
- C'est vrai que si tous tes adorateurs constataient soudainement que tu étais aussi humain qu'eux, ils tomberaient de haut.
Caleb se rembrunit et je fis les gros yeux à Raël dont la maladresse n'en était pas tant. Il était toujours fermement remonté contre Caleb et le lui faisait bien ressentir. Il esquissa une vague grimace avant de soupirer, capitulant à mon regard accusateur :
- Mais cela ne leur ferait pas de mal. Tu as bien le droit de décompressé de temps en temps... je n'imagine pas à quel point cela doit être lourd d'être toujours épié sous toutes les coutures.
Je lui offris un sourire reconnaissant et il se contenta de hausser les épaules, m'affirmant qu'il avait simplement complété sa véritable pensée. Et j'étais bien d'accord avec lui. Je n'aurais pas supporté d'être sans cesse jugé par tous, devant constamment veiller à conserver une attitude parfaite.
- Je ne peux pas nier le contraire, souffla Caleb en semblant se détendre. Je compte sur vous pour néanmoins taire cette soirée.
- Nous serons muet comme des tombes, assura Lyris. Tu peux te détendre. Bien ! Puisque c'est ainsi, c'est parti pour la soirée la plus amusante !
Et entraînant dans sa bonne humeur le reste de la tente, elle se décida à se comporter normalement malgré la présence de l'homme qu'elle respectait tant. Nos rires fusèrent durant une grande partie de la soirée et je ne pus que douter du secret face à l'euphorie qui les gagnaient tous. Même Caleb me surpris à sourire régulièrement, trouvant une soudaine complicité avec Raël lorsqu'il fut sujet de me faire tourner en bourrique.
Sans qu'aucun réel sujet profond ne soit abordé, et même si je n'en appris pas beaucoup sur ceux que je considérai dorénavant comme mes amis, je ne pus nier apprécier l'insouciance du moment. Pas de question sur mon passé, pas de question sur notre avenir. Juste des discussions frivoles et légères. Juste un instant éphémère où nous redevenions de simples jeunes adultes ivres d'une envie de vivre que le monde avait tenté de leur retirer.
Juste un moment hors du temps.
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