Chapitre 14
La douleur.
La douleur me broyait les tripes avec une telle une force que cela en était à peine supportable. Mon corps tangua dangereusement prêt à sombrer, tandis que mon esprit était encombré d'un épais brouillard dont je parvins à peine à émerger. Mon genou tomba au sol, malgré tous mes efforts, et je me retrouvai à cracher mes poumons, une épaisse tâche rougeâtre venant recouvrir le sol terreux.
- Nous allons nous arrêter là pour auj...
- Je peux encore me battre.
Maladroitement, je m'aidai de mes mains contre mes jambes pour me forcer à me relever. Ma vision était floue mais pas suffisament pour que je ne décerne pas mon adversaire.
Caleb me faisait face, quasiment indemne pour sa part, attendant de voir si j'étais encore réellement apte à poursuivre notre entraînement. Enfin. Le mot "entraînement" était un doux euphémisme. J'aurais plutôt dit que j'étais simplement son défouloir.
En deux semaines, j'étais toujours ressorti dans un état pitoyable à chacun de nos échanges. Il me dominait à quatre-vingt-dix pourcents et ce malgré tous mes efforts. Il était doué. Bien plus doué que tout ce que je n'avais envisagé et, surtout, infiniment plus doué que je ne l'étais.
- Tu ne tiens plus debout, trancha-t-il alors que je tanguai encore dangereusement. Laisse Lyranea te soigner et nous recommencerons demain une fois que tu auras récupéré.
Je serai les dents, détestant m'avouer vaincu. Surtout que cela faisait désormais plus d'une dizaine de fois que je me retrouvai à capituler et que je savais que nous manquions de temps. Alors, lorsque Lyranea esquissa le mouvement de se ruer vers moi au signe de tête de Caleb, ma voix porta avec trop de force :
- Je t'interdis de m'approcher !
La jeune femme se tétanisa sur place et je ne pus que me sentir coupable, exécrant l'idée de m'emporter avec quelqu'un qui n'était absolument pas responsable de ma frustration.
Mais dans un peu plus de deux semaines, j'allais à nouveau me retrouver à quelques pas de cet homme. J'allais peut-être devoir faire face aux bourreaux de ma famille. Et, par mes choix, j'allais également exposer Raël à ce monstre. Alors je n'avais pas le choix. Tout comme je ne l'avais pas eu pour protéger Esmera. J'allais devoir dépasser mes limites.
Je me mordis durement la lèvre jusqu'à le goût métallique du sang envahisse mon palais. J'inspirai ensuite profondément. Et me redressai plus nettement que je ne l'avais fait auparavant.
- Je tiens encore debout, assurai-je. On continue.
Caleb ne répondit pas, indécis mais je n'allais pas lui laisser le temps de gamberger. Je n'avais pour moi aucun avantage, alors autant prendre tous les risques.
Conscient que mon corps ne suivrait plus très longtemps la cadence que je lui imposai, je devais me dépêcher d'agir. Sans pour autant être irréfléchi puisqu'un autre coup à l'abdomen ou au visage et j'étais certain de prendre connaissance, flirtant déjà avec le néant depuis de trop longues minutes pour que cela se passe autrement.
Une fois à sa hauteur, j'envoyai mon poing dans sa direction sans réelle espoir qu'il l'atteigne. Sans surprise, il para avec plus d'aisance encore qu'à l'habituelle puisque j'étais plus loin et moins puissant. Mais pas moins réactif. Mes sens fonctionnaient toujours à plein régime. La main qu'il encercla autour de mon poing était tout ce que j'avais espéré. Il s'était montré moins prudent, moins méfiant à cause de mon état.
Un craquement sec. Et mon bras forma un angle étrange alors qu'il n'avait pas relâcher la pression de sa paume, ne s'attendant certainement pas à mon geste relevant purement de la folie. La douleur fusa à nouveau avec force mais j'avais gagné de l'amplitude. Suffisament d'amplitude.
Dans le peu de force qu'il me restait, mon pied s'abattit lourdement dans son genou droit. Le choc manqua de puissance, mais il avait été pris de cours. Il chuta légèrement en avant, obligé de poser ce même genou contre le sol. C'était ma chance. Mon unique chance. Me fichant pas mal de mon bras endolori, mon corps se mouva avec une aisance très certainement déconcertante au vu de mon état général. Et je me retrouvai dans son dos, le surplombant de toute ma hauteur alors que j'avais réussi. J'avais réellement réussi à prendre le dessus.
Et avant même de pouvoir me réjouir, la nausée me tordit l'estomac et je m'éloignai prestement pour aller vomir, peu élégamment, quelques mètres plus loin.
- Lyranea !
L'aboiement sec me vrilla les tympans. Ma tête tourna alors que mon cœur tambourinait avec trop de force, faisant pulser mon sang dans la moindre de mes veines. J'avais déjà été dans un tel état. Je savais ce qui allait se produire. J'allais m'effondrer. Quel était alors l'intérêt de parvenir à une minuscule victoire si ensuite je m'évanouissais ? C'était ridicule. Si ridicule. Les larmes me montaient aux yeux dans une impuissance qui allait me rendre fou.
Puis, je sursautai lorsqu'un contact froid glissa sur mon avant-bras non blessé. J'allais réagir vivement, mais me retins de justesse en rencontrant le regard paniqué de Lyranea. Elle était terrorisée. J'avais dû l'effrayer à force de lui crier dess...
- Es-tu complètement fou ?!
Ça y'est. Mon esprit avait sombré et je devais être entrer dans un rêve qui prolongeait et déformait la réalité. Parce que sinon comment expliquer que soudainement Lyranea était capable d'élever la voix si fortement ?
- A quoi bon m'avoir accepté en tant que soigneuse si c'est pour me rejeter dès que je veux t'aider ?! Continua-t-elle, m'affirmant un peu plus que j'étais désormais dans un rêve. Et qu'est-ce qui as pu se passer dans ta tête pour penser que te briser le bras était une bonne idée ?! As-tu seulement conscience de l'inquiétude que nous éprouvons tous à ton sujet ?!
L'inquiétude qu'ils éprouvaient tous ? Je redressai à peine la tête, contemplant Raël avec intérêt. Il était resté en retrait. Comme toujours. Mais son visage fermé, ses traits tirés et ses yeux incendiaires portés sur Caleb, étaient bien différents de son naturel lumineux habituel.
Un profond râle rauque de douleur échappa à mes lèvres alors que la magie de Lyranea se faufilait en moi, recouvrant mon corps et commençant un processus de soin certes miraculeux mais également foutrement douloureux. Et je dû voir la réalité en face. Je n'étais pas en train de rêver. Lyra avait réellement laissée exploser sa propre frustration, probablement accumulée depuis plusieurs jours à force de devoir me récupérer dans un tel état. Je fermai les yeux, luttant contre le nouveau haut le cœur.
- Je suis désolé de vous inquiéter, articulai-je péniblement. Et je m'excuse aussi pour avoir crié après toi.
- Je me moque de tes excuses, murmura-t-elle. Cesse de te mettre toi-même en danger et cela me suffira.
Ses yeux étaient embués et je soupirai faiblement. La culpabilité voulait me pousser à lui assurer que je serais plus mesuré, mais cela n'aurait été que de belles paroles. J'avais bien trop peur pour être raisonnable. Je devais devenir encore plus fort, développer de nouvelles techniques, renforcer mon corps et mon esprit.
La douleur commençait à s'atténuer et, mollement, je me laissai retomber au sol, m'asseyant plus confortablement sachant que les soins prendraient plusieurs minutes. Je vins frotter le dos de ma main contre mon visage, essuyant le sang séché qui avait coulé de mes lèvres et de mon nez au cours du combat.
- Quand tu auras fini d'être soigné, rejoins-moi dans ma tente.
- Hein ? Geins-je. Sérieux ? Je suis ko, je veux juste aller dormir.
- Ce n'était pas une demande. Viens dans ma tente dès que possible, un point c'est tout.
Sa froideur soudaine me fit froncer les sourcils et je voulus l'interroger, mais il me tournait déjà le dos, déguerpissant furieusement du lieu qui nous servait de terrain d'entraînement. Qu'est-ce qui lui prenait encore ? Ces derniers jours avaient été plutôt paisible si on escomptait le fait qu'il me passait à tabac tous les jours à la même heure.
Nos conversations n'avaient pas été très nombreuses puisque lui était occupé à gérer les préparatifs de notre départ et que je jonglai entre mes entraînements avec lui et mes leçons avec Dunor. Mon peu de temps libre me servant uniquement à me faire soigner, manger et dormir. Cependant, elles avaient toutes été plutôt amicales. Alors je ne comprenais pas se revirement soudain. Je doutai qu'il soit mauvais perdant, mais je ne voyais pas d'autres raisons expliquant sa mauvaise humeur.
Mais bon, il ne servait à rien de gamberger, je saurais bien vite où se situait son problème.
- Ne fais pas cette tête, soufflai-je à Lyra, m'étant plutôt bien rapprochée d'elle au cours des derniers jours. Je suis vraiment désolé si je t'ai inquiété mais je t'assure que je vais bien. Et puis je me permets certaine action justement parce que je sais que je peux compter sur toi pour réparer les dégâts.
- A force de malmener ainsi ton corps, il y aura un point de non-retour, désapprouva-t-elle, son regard sur un point imaginaire alors que ses mains étaient toujours posées sur mon bras valide et diffusaient désormais une douce chaleur apaisante. Tu te brises chaque jour un peu plus et... même si tu plus solide que la moyenne, il y aura un moment où tout deviendra insupportable.
- J'ai déjà atteint ce stade depuis très longtemps, avouai-je dans un petit sourire navré. Je n'ai pas le choix si je veux devenir...
- Devenir quoi ? Fort ?
La voix cinglante qui venait de m'interrompre était aussi surprenante que celle qui avait le courage de me sermonner. Je fixai Raël s'avancer vers nous, le regard meurtrier qu'il destinait à Caleb m'étant désormais uniquement adressé. Je basculai la tête en arrière, retenant mon soupir d'exaspération. Ils s'étaient tous donnés le mot pour me rendre fou, mais je n'étais pas très bien placé pour être agacé. Ils étaient juste inquiets pour moi et je ne pouvais que leur être reconnaissant pour l'affection qu'ils me portaient.
- Tu es déjà fort, enchaîna Raël une fois à notre hauteur. Ce n'est pas parce que tu ne parviens pas à foutre une raclé à ce conna...
- Raël, s'empressa Lyra. Fais attention.
- Je me fiche bien de qui pourrait nous entendre, s'agaça Raël, tandis que c'était à son tour de perdre le contrôle de ses nerfs. Ce type est un connard. Il te massacre comme si cela t'apportait quoi que ce soit et toi tu t'obstines comme un fou furieux alors que tu as déjà le niveau pour rétamer la quasi-totalité des autres membres des Cendres.
Je ne répondis pas, préférant ne pas attiser sa colère en affirmant que "rétamer la quasi-totalité" n'était pas du tout suffisant. Au fond, même parvenir à réellement battre à Caleb ne serait pas suffisant. Néanmoins, y parvenir serait comme crier à la terre entière que je n'allais pas baisser les bras, que je ne les baisserais jamais tant que je n'aurais encore la force.
- Je comprends que vous soyez en colère, finis-je par dire, pesant mes mots afin de tenter d'apaiser la situation. Et je vous promets de me calmer une fois la mission passée. Mais... s'il vous plaît, supportez encore un peu la situation.
- Pourquoi es-tu aussi borné ? Soupira Raël, contrit. Tu as conscience que Lyra a raison n'est-ce pas ? Pire encore, tu as envisagé qu'il pourrait y avoir un coup de trop durant vos foutus "entraînements" ? Tu pourrais mourir.
- Tu exagères, désapprouvai-je. Même si je ne nie pas la violence dont nous faisons mutuellement preuve, Caleb veille toujours à arrêter avant que cela n'aille trop loin.
- Parce que ce qui vient de se passer n'est pas synonyme d'aller trop loin pour toi ?
Je soupirai. La réponse était évidente : bien sûr que non. C'était juste la moindre des choses si je voulais progresser. Mais ce n'était pas ce qu'il souhaitait entendre.
- Juste encore deux semaines, assurai-je. Et je prendrais du repos.
- Ouai. Si tu survis jusque-là.
Et il se détourna, déguerpissant à son tour même lorsque je hélais son prénom. Je le laissai néanmoins s'enfuir, trop épuisé pour songer à lui courir après. Les soins de Lyra était d'une efficacité redoutable mais n'influait pas sur la fatigue.
- J'ai fini, souffla-t-elle d'ailleurs en se redressant. Je vais retourner voir si Lyris a besoin de moi.
- Lyra, soupirai-je. Ne sois pas fâchée toi aussi.
- Désolée, m'affirma-t-elle, ses yeux se plantant dans les miens sans que plus aucune trace de sa timidité ne semble présente. Mais je le suis profondément. Tu ne nous écoutes pas et... je ne sais pas quels sont les démons qui te pousse dans cette course effrénée que tu t'imposes... mais tu ne peux pas attendre de nous que nous restions impassibles. Tu t'es brisé le bras sous nos yeux, juste pour... pour avoir le sentiment de dominer une petite seconde ? Car je sais que tu en as autant conscience que nous... cette victoire n'était pas tienne. Caleb a juste été aussi effrayé que nous par ton geste.
Et me plantant sur ses paroles acérées, Lyra se détourna. Je me retrouvai donc seul et penaud, assis au milieu d'une petite clairière où le silence était ma seule compagne. Je restai un moment ainsi, sans bouger.
Lyra avait raison. Je savais que je n'avais eu qu'un semblant de dessus parce que Caleb avait été déstabilisé par mon choix. Plus encore, je savais également que ce même choix avec quelqu'un d'autre n'aurait peut-être pas aussi bien fonctionné. Probablement me serais-je casser l'os pour que cela n'aboutisse à rien et que ma situation n'en aurait été que plus précaire... mais je devais me battre. Je devais me battre jusqu'au bout quitte à en mourir. Parce que j'étais celui qui devait les protéger, parce que je ne laisserais plus quiconque disparaître sous mes yeux. Parce qu'effectivement un démon persistait à hanter mes pensées.
Epuisé, je m'autorisai encore quelques secondes de repos, me tournant légèrement sur le côté pour fixer la forêt. L'atmosphère qui y régnait était totalement opposée à celle du désert où aucuns bruits ne parvenaient à rompre la course paisible du sable... Ici, les sons s'accumulaient sans pour autant créer de cacophonie. J'aimais le chant des arbres se mouvant au rythme du vent et les cris étranges des animaux habitants tout proche. Si le désert me manquait, je réalisai également à quel point vivre dans un tel lieu me correspondait plus. Peut-être parce que mes parents avaient toujours vécu reclus dans la nature ? Ou peut-être était-ce simplement parce que je m'y sentais naturellement à mon aise.
Je fermai les yeux, profitant du calme paisible, conscient que dès que je serais à la tente de Caleb, je perdrai toute once de paix. Juste encore quelques secondes et je bougerai. Juste quelques minutes et je me relèverai.
Et, sans même m'en apercevoir, je sombrai profondément dans les bras de morphée.
♜
- Ash, réveil-toi.
Je grognai en me retournant sur le côté, protestant après la voix qui devait être celle de Jacinthe. Qui d'autre oserait me réveiller de la sorte ? En Esmera, la réponse était évidente : personne. Et je savais qu'elle n'insisterait pas outre mesure si je manifestai mon mécontentement, comprenant que j'avais réellement besoin de ce repos que je m'étais enfin accordé après de trop nombreux jours passés à m'épuiser.
- Ash, debout. Tu ne peux pas dormir là.
Cette fois, une main se glissa sur mon épaule, me secouant avec douceur mais fermeté. Et cette voix. Ce n'était pas celle de Jacinthe, elle était beaucoup trop grave et viril pour que cela soit la sienne.
Dans un sursaut, je me redressai vivement et deux mains solides vinrent encercler mes poignets à peine eussé-je le temps de chercher à écarter cette menace soudaine. Mes yeux s'agrandirent un instant, la panique faisant accélérer les battements de mon cœur, puis je soupirai dans la seconde en les refermant.
Caleb relâcha mes poignets dès qu'il comprit que mon esprit avait enfin émergé et je venais aussitôt passer mes paumes contre mes paupières, les frottant vigoureusement. Que c'était-il passé ? Je me souvenais avoir terminé notre entraînement et puis Caleb m'avait demandé de le rejoindre dans sa tente. Je n'avais pas souvenir de m'y être rendu. En rouvrant légèrement les yeux, je soupirai faiblement en constatant que les quelques secondes que je m'étais accordé c'était vraisemblablement transformé en plusieurs heures.
- Je suis désolé, lâchai-je aussitôt. Je n'avais pas l'intention de m'endormir et de ne pas t'obéir.
- Cela n'a pas d'importance, ne t'en fais pas, m'assura-t-il alors qu'il restait accroupi vers moi. J'ai hésité à te porter directement jusqu'à ta tente, mais je me suis dit que tu n'apprécierais pas.
- Effectivement, acquiesçai-je. Cela fait longtemps que je dors ?
- Je dirai cinq ou six heures tout au plus, m'apprit-il. Après cinq heures sans nouvelle de ta part et la nuit tombée j'ai fouillé le camp à ta recherche pour...
- Me passer un savon ? Tentai-je dans un sourire contrit.
- Quelques choses dans le genre, soupira-t-il. Mais je ne t'ai pas trouvé... et personnes ne semblaient t'avoir vu. Je suis donc venu faire un tour ici par acquis de conscience et je t'ai retrouvé étendu là.
- Vraiment... désolé, répétai-je, mal à l'aise. Je me suis allongé une seconde et je me suis assoupi sans m'en rendre compte.
- Je t'ai dit que c'était bon, tu n'as pas à t'excuser, répéta-t-il, calmement. J'aurais préféré que tu me dises que tu étais épuisé plutôt que ton corps te lâche à ce point, mais je ne peux pas lui en vouloir de te forcer au repos.
J'eus envie de protester mais me retins, me rappelant la tristesse de Lyranea et la colère de Raël sur ce même sujet. Je ne tenais pas à répéter le même processus vain.
- Cela n'empêche que tu m'avais demandé de te rejoindre et que je ne suis pas venu, désapprouvai-je. Si tu veux me sanctionner, sens-toi libre de le faire, je l'accepterai.
- Bien, approuva-t-il sans protester, m'étonnant quelque peu. Voilà ta sentence : tu es consigné dans ta tente pour la journée. Je préviendrai Dun que tu ne pourras pas assister à vos leçons et notre entraînement est annulé pour la journée.
- Hein ? Sifflai-je. Non ce n'est pas la peine, je n'ai pas besoin de rep...
- C'est une punition, m'interrompit-il dans un sourire en coin. Il est évident que tu n'es pas d'accord, mais c'est le principe, non ?
Je marquai une pause, hésitant entre mon envie de l'incendier de nom d'oiseau et un fond d'amusement face à son regard espiègle. J'optai donc pour la troisième option s'offrant à moi : soupirer. Encore une fois. Je crois que j'expirai plus d'air que je n'en faisais entrer dans mon corps depuis quelques jours.
- J'imagine que tu ne changeras pas d'avis.
- Aucune chance, acquiesça-t-il satisfait.
- Alors je suppose que ma fatigue et mon corps te remercient, capitulai-je. Ainsi que Lyra et Raël.
- Tu sais que va les rendre fou d'inquiétude si tu continues sur ta lancée.
- C'est toujours mieux que de les voir mort.
Cela m'avait échappé. Brusquement, je tournai la tête sur le côté et ramenai mes jambes contre mon torse, extrêmement gêné d'avoir exprimé cela à voix haute.
- Tu sais... Depuis le début de notre entraînement tu as fait preuve d'une force d'esprit que peu possède. Tu te relèves à chaque coup, peut important sa violence et les conséquences engendrés sur ton corps... Ta résistance à la douleur est hors norme et je dois reconnaître avoir trouvé cela remarquable et ai commencé par admirer ce que j'ai d'abord pris pour une qualité.
- Tu aurais pu t'arrêter aux flatteries, tentai-je sans pour autant reposer mon regard dans le sien. J'en aurais bien besoin actuellement.
- Mais ton comportement était en réalité ton plus grand défaut, continua-t-il, sans se soucier de mon intervention. Cette force que tu as à te relever sans cesse... ce n'est pas dû au fait que tu crois en toi ou en ta potentielle victoire, ni même parce que tu prends du plaisir à te battre... c'est uniquement parce que ton esprit est constamment enfermé dans les ténèbres.
Enfermé dans les ténèbres ? Je n'étais pas d'accord. J'avais de l'espoir. Après tout, j'avais réellement espéré pouvoir protéger Esmera. Du moins, tant qu'Azrealith n'y aurait mis les pieds. Et n'était-ce pas l'espoir qui m'avait permis de devenir aussi fort aujourd'hui ? Sinon qu'est-ce qui m'aurait motivé à persévérer sur un chemin que le monde entier m'avait crié de ne pas arpenter ?
- Tu es persuadé de ne pas être doué, persuadé de ne pas suivre la destinée qui t'étais tracé..., reprit-il me faisant tiquer par la justesse de ses mots. Tu es également convaincu que Azrealith aura toujours le deçu et que quoi qu'il advienne il est impossible de lui échapper.
- Parce que c'est le cas, désapprouvai-je aussitôt. Ce n'est pa...
- Azrealith est un homme comme toi et moi, me coupa-t-il. D'accord, il est d'un tout autre niveau, mais il a ses faiblesses et il ne peut tout contrôler d'une situation. Peut-être que nous ne pouvons pas le vaincre en l'état de nos capacités... mais nous pouvons gagner du temps, nous pouvons nous échapper, nous pouvons compter les uns sur les autres pour trouver une échappatoire.
- Tu n'as pas été confronté à lui, tu ne peux p...
- Sincèrement, Ash, penses-tu vraiment qu'en huit ans passés à rassembler de plus en plus de rebelles, il n'a jamais été proche de m'attraper ?
J'ouvris la bouche, toujours prêt à protester mais la refermai dans la seconde. Caleb avait déjà rencontré Azrealith ? Alors comment ? Comment avait-il encore sa tête sur ses épaules ? Comment était-il encore bien vivant, juste devant moi ? Non. C'était inconcevable.
- Je ne sais pas ce que tu as vécu, enchaîna-t-il sans me laisser l'opportunité de trop gamberger. Mais tu as fait de lui un monstre qui te poursuit inlassablement à tel point que tu n'arrives plus à ne voir que sa menace. Pourtant, tu devrais voir tant d'autres choses... Tu es talentueux. Et peu importe que tu ais été un enfant incapable de brandir une lame, ce qui compte aujourd'hui c'est que tu es probablement l'homme le plus incroyable que j'ai eu l'occasion de croiser. Tu t'es forgé seul à l'aide de vagues souvenirs et de connaissance acquise sur un terrain pourtant peu propice... Et crois-moi, si je me permets d'être aussi rude avec toi durant nos entraînements et que je ne me retiens aucunement, c'est parce que je sais que si je me relâche une seconde tu m'attraperas. Et même Vaelina n'a pas la prétention de m'effrayer.
- Tu exagères, murmurai-je. Je ne suis pas aussi talentueux que tu le prétends.
- Bon sang... quand vas-tu ouvrir les yeux. Tu as vu tous les autres défilés à nos entraînements, n'est-ce pas ?
- Les autres chefs d'équipe ? Oui, bien sûr, difficile de ne pas remarquer leurs ricanements.
- Leurs ricanements ? Répéta-t-il, effaré. Je ne sais pas qui tu as entendu rire mais ton esprit est plus perfide avec toi-même encore que ce je n'avais craint. Chacun d'eux est venu me trouver après avoir assister à nos combats et ils avaient tous la même question à me poser : où avais-je trouvé un monstre tel que toi ?
Un monstre ? Moi ? Je n'en étais pas un. J'étais un bon guerrier, tout au p... Le regard noir que Caleb m'adressa me dissuada de finir le fond de ma pensée. Je me contentai de hausser les épaules, sans conviction.
- Devrais-je les faire venir tour à tour pour qu'ils répètent leurs mots ? Cela te convaincrait-il seulement ?
- Certainement pas, geins-je face à l'idée. Et puis, ils mentiraient sur tu leurs demandais.
- Pourquoi te dévalorises-tu à ce point ? Gronda-t-il un peu plus lourdement. Cela en devient pathétique à force.
- Hé bien arrête de te prendre la tête et laisse-le donc tranquille le mec pathétique que je suis, m'emportai-je légèrement avant de me mordre la lèvre.
Nos iris s'affrontèrent et je baissai la tête le premier, trop fatigué pour mener cette bataille jusqu'au bout.
- A défaut de croire en toi, tu devrais au moins croire en ceux qui t'entoure. Croire en mes mots certes... mais croire aussi en nos capacités. Raël est l'un des maîtres des ombres les plus phénoménal que le monde est porté, à ses côtés Azrealith en personne ne saura poser les mains sur toi... Tandis que Lyranea possède une magie quasi inépuisable et te suivras contre vent et marré même par-delà les enfers si tu le lui demandes... Tu as déjà autour de toi des gens prêts à te soutenir, prêt à combattre avec toi... Cesses de penser être le seul à porter le poids du monde sur tes épaules. C'était peut-être le cas avant, mais plus maintenant. Après tout, n'ait-je pas également promis à Jacinthe que je veillerais sur toi ?
Me faisant écarquiller les yeux, sa main rugueuse tomba sur le sommet de mon crâne, ébouriffant mes cheveux. Comme Jacinthe l'avait toujours fait. Mon cœur se serra et un trop plein d'émotion faillit me faire chavirer. Mais je tins bon, bien que je restasse silencieux, trop conscient que le moindre mot pourrait me faire perdre pied.
- Et si tout ceci ne suffit toujours pas... Laisse-moi te supplier ne plus jamais en arriver au stade d'aujourd'hui... Sentir ton bras se briser entre mes doigts et réaliser à quel point tu as peu d'estime pour ta vie...
Sa voix mourut dans le chuchotement de la nuit. Mes bras, qui s'étaient naturellement passés autour de mes jambes dans une position certes très enfantine mais rassurante, se resserrent un peu plus encore. J'hésitai. Une courte et minuscule seconde avant de tourner légèrement la tête sur le côté, croisant immédiatement des iris ambre auxquels je m'étais grandement habitué au fil des jours... mais qui brillaient d'une lueur que je n'aurais jamais songé voir.
Alors cela n'avait pas été de la colère sa scène de tout à l'heure. Enfin si. Probablement un peu. Mais de l'inquiétude. Plus encore, une panique profonde à l'idée de penser que... que quoi ? Que j'étais capable de m'arracher un bras si je pensais ainsi gagner une opportunité de sauver les miens sans songer à la possibilité qu'une autre solution était envisageable ? Je pouvais me reposer sur eux. Je pouvais aussi fuir, reculer ou encore simplement attendre une meilleure opportunité. Mais ils savaient tous que si les choses restaient en l'état, jamais je n'agirai autrement.
Je me pinçai les lèvres, ne sachant que répondre à la sincérité de ses mots et de ses sentiments qui me percutaient avec trop de force. J'ouvris une première fois la bouche mais aucun son ne franchit mes lèvres. Je la refermai donc, prenant un peu plus le temps de la réflexion. Puis fermai les yeux, mes épaules se relâchant tandis qu'elles s'étaient crispées au fur et à mesure de la conversation.
- Je suis juste terrorisé à l'idée de recroiser son chemin, terrorisé qu'il s'en prenne à quelqu'un que j'aime, terrorisé de tout perdre encore une fois... C'est si douloureux de se retrouver seul, si difficile de continuer d'avancer... Je ne pourrais pas le faire une seconde fois. Mais... j'entends ce que vous dites et...à défaut de parvenir à me percevoir autrement, je peux comprendre une chose : je ne suis pas le seul à effrayer à l'idée de perdre quelqu'un. Et vous l'êtes par ma faute... Donc je fournirais des efforts en tentant d'agir de façon plus prudente... et je vais tâcher de chasser les ténèbres.
A nouveau, nos regards se croisèrent mais je le soutins cette fois avec plus de fermeté, ne cherchant pas à me dérober face à ce qui était une certaine forme de promesse.
- Nous tâcherons de les chasser ensemble. Enfin... si tu le souhaites.
Mon cœur s'engourdit, enveloppé d'une douce chaleur diffuse qui se glissait jusqu'au fond de mon estomac et remontai jusqu'à mes joues. Sa façon de le dire, sa manière de me regarder... Le monde aurait pu s'arrêter de tourner que je n'aurais su le remarquer à cet instant précis, noyer dans le profond des iris brunes et or.
Alors ma raison quitta le navire, sautant à pied joins dans les tréfonds de l'océan.
- Je compte sur toi alors.
Et sans que je ne réalise, mon corps se redressa légèrement jusqu'à me tenir debout. Percevant mon mouvement, il s'était relevé, pensant probablement que je souhaitais rentrer au camp. Mais ce n'était pas du tout ma motivation. Doucement, je me plaçai face à lui et avant qu'il n'ouvre la bouche pour m'interroger sur mon comportement, ma tête tomba sur son épaule. Une courte seconde passa. Et ses mains passèrent dans mon dos, me ramenant plus près de lui dans une étreinte aussi douce que puissante. Pour ma part, je ne retins de ce moment que l'odeur de la menthe. Caleb sentait la menthe. Et savoir cela soulevait furieusement les battements de mon cœur.
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