
Interrogating in progress
La cuisine est autant un bordel que ce que je pouvais m'attendre d'un terrain de jeu pour trois cuisiniers.
Et même si l'idée d'imaginer Nako en train de superviser tout ça, joyeuse, heureuse, glissant quelques remarques amusées de temps à autres aux pitreries des deux autres, me rend affreusement malade...
Je dois me concentrer, pour pouvoir trouver un maximum de preuves.
Donc. Un cocktail à la clémentine et au jus de mangue. Déjà, ça m'épargne d'avoir à demander des recettes, si c'est le seul truc que Nako a ingéré, bouffe comme boisson ; Et du coup, ça fait aussi moins d'ingrédients à analyser. Même si ça ne m'empêchera pas de fouiller la poubelle.
J'vous jure. Quelle vie que celle d'enquêteur.
Enfin bref. J'ai mes deux ouailles qui restent plantés au milieu de la cuisine, l'air d'attendre mes ordres, et visiblement pas en situation de réfléchir par eux-mêmes. Emerens regarde partout autour de lui, comme s'il allait trouver la solution à tous ses problèmes dans les peaux de clémentine, et Sachiko a les yeux baissés et le teint verdâtre. Visiblement, je vais devoir me dépêcher de fouiller la poubelle si je ne veux pas qu'elle la remplisse.
« Bon, les gens. Vous savez quoi chercher ?
— Ma dignité, marmonne Emerens. J'arrive toujours pas à croire que j'ai laissé faire ça sous mes yeux.
— Plus tard, les regrets, on a pas le temps. Emerens, tu cherches la recette du cocktail de Moanaura. Sachiko, toi, tu analyses toutes les bouteilles de jus de mangue ouvertes ou vides. Cherche des trous dans le bouchon, la paroi, n'importe quoi. »
Cette dernière cligne des yeux, l'air d'émerger d'un long rêve.
« ... Tu penses que ça vient de là ?
— Je pense qu'il faut vérifier tous les ingrédients et vu que Moanaura confirme avoir ouvert pour la première fois toutes les bouteilles, le seul moyen de mettre un poison liquide dans une bouteille, c'est de la percer à la seringue. Donc cherche, s'il te plaît. On a moins de six heures et je vais devoir vous interroger. Moi, je m'occupe des clémentines. »
Emerens, qui a déjà commencé à chercher la recette sur la table, au milieu des feuilles de note des trois cuisiniers, hoche la tête. Sachiko ne peut donc que se mettre à inspecter toutes les bouteilles vides qui traînent, en pinçant les lèvres voyant que la plupart sont en verre.
De mon côté, je m'avance vers les peaux de clémentine que Moanaura n'a pas eu le temps de jeter. Il y en a beaucoup, génial. Même si au moins, ça limite mes chances de devoir fouiller la poubelle pour d'autres peaux. Ou au moins, ça retarde l'échéance. Je sais que je dois chercher absolument partout, mais quand même, y'a des limites...
Je récupère les épluchures une à une, avant de passer mes doigts délicatement dessus. Logiquement, la solution la plus pratique pour empoisonner quelqu'un reste de piéger une bouteille au hasard, mais je ne peux pas négliger que quelque chose ait été injecté dans les clémentines.
Surtout que ce sont des fruits très juteux. Pas trop compliqué de garder l'intégrité d'un poison comme celui employé pour quelques jours si on calcule bien son coup.
Sachiko gronde à chaque bouteille qu'elle examine, et Emerens ne semble pas aimer ce qu'il trouve sur les feuilles de recettes. Mais je préfère me concentrer sur mes propres recherches. Si les clémentines sont impliquées, il va falloir que je trouve un tout petit trou de seringue, et... Là !
Bingo. Dieu merci, Moanaura épluche assez bien les clémentines pour limiter les déchirures. Et dans celle-ci, je viens de sentir une petite protubérance, un léger trou trop profond pour être naturel au fruit. Autour de ce creux, d'ailleurs, la peau est un peu nécrosée. C'est inhabituel pour une clémentine, mais très peu visible de prime abord.
Moanaura aurait très bien pu le louper dans la précipitation. Ou en relâchant sa garde.
On peut se demander si c'est le même piège. Mais le fait d'en trouver au moins un éloigne grandement la culpabilité de l'Ultime Capitaine ; Certes, rien ne l'empêche de préparer à l'avance sa clémentine, mais déjà, ça veut dire que quelqu'un d'autre a pu toucher aux ingrédients.
Il va vraiment falloir que je voie qui est retourné à la cache d'armes pendant la préparation de la fête. Cela pourrait m'assurer des points de détail précieux.
« J'ai rien trouvé, marmonne Sachiko en reposant ses bouteilles. Tous ces trucs sont en verre. Et le bouchon est trop solide pour être percé sans que je le voie.
— Rien dans la recette non plus, annonce Emerens. Moanaura rajoute du gingembre à ses cocktails, mais je doute que ce soit exploitable. Le gingembre qu'elle a utilisé, c'est une racine. Impossible de mettre du poison dessus ou dedans.
— C'est pas grave, je lance. Parce que je crois bien que j'ai trouvé. »
Est-ce que j'inspecte les autres clémentines ? Hm, peut-être pas la peine. La quantité de poison utilisée, au vu de la taille de la bouteille, limite le nombre de fruits qui auraient pu être injectés.
Il me suffit de savoir qu'au moins une a été piégée.
Maintenant, je dois trouver quand.
Et pour ça, une seule solution.
Tout le monde va devoir passer à la casserole.
Le silence d'une salle endeuillée. Un feu qui crépite, seule marque de lumière dans la pièce, lumière qui se reflète sur le visage de l'enquêteur, sur le carnet de notes qu'il tient dans ses mains.
Un fauteuil, une chaise, face à face, dos au feu, deux personnes, assises, deux regards qui s'échangent.
Une statue vivante ou morte de capybara qui fixe l'assemblée en écartant les bras.
Le bruit d'un crayon qui court sur le carnet de notes.
Pas d'ordinateur cette fois. Les possibilités diminuent avec l'étincelle dans les yeux de chacun. Étincelle qui n'est plus suffisante, en ces lieux maudits des sacrifiés, pour alimenter un tel appareil. Mais il faut bien interroger. Alors, que l'interrogatoire se fasse.
Première question. La plus simple. La plus stupide, peut-être. Mais il y a des mots qu'il est bon de coucher sur le papier.
« Quel était votre rôle au moment de la fête ? »
Tout le monde répond sans hésitation. Pourquoi ils hésiteraient ? Il n'y a rien à cacher dans ces révélations.
Ou peut-être que si ?
« La conception des guirlandes. En termes d'art, surtout... »
« La cuisine... »
« Je m'occupais de la supervision des tâches. A ce titre, j'ai dû maintes et maintes fois faire le tour des différentes activités pour vérifier que tout se passait bien. »
« ... Les boissons. »
« Les guirlandes. On les a accrochés ensemble, en plus. Fin, sauf celles de la salle des fêtes... Et ailleurs, aussi. Mais voilà quoi. »
Rien de surprenant. Les rôles ont après tout été établis ensemble. Mais de cette question découle la suivante. Capitale.
« Et que faisiez-vous pendant vos rôles ? »
Là, plus d'hésitation est montrée.
Là, des regards fuyants sont repérés.
Lesquels ? Et pourquoi ?
Cela est une question pour un autre moment.
« ... Bah du coup... Je faisais mes gâteaux. J'ai aussi vérifié s'il y avait pas de poison dans les ingrédients, avec des recherches... Sans doute trop sommaires. Regarder les bouchons de bouteille, les emballages, l'apparence des fruits, ce genre de truc... Mais j'ai forcément loupé un truc, pas vrai ? »
« ... J'avoue, je ne me suis pas contenté de simplement les concevoir. On est allés en accrocher quelques-unes. Ça n'a pas été une mince affaire, comme tu t'en doutes... (profond soupir) Si ça te paraît important, je te montrerai où. Mais je... Doute que ça t'aide... »
« Du coup... J'ai fait mes cocktails. J'ai pas bougé de la cuisine tout le temps où on la faisait, parole ! D'ailleurs, les deux autres non plus. On s'est surveillés du mieux qu'on pouvait entre deux préparations, mais bon... Vu qu'on faisait la cuisine, on a pas forcément l'occasion de voir si un poison était glissé dans un truc. Putain... Putain de merde. »
« Je me suis chargé.e de la supervision, bien évidemment. En allant voir surtout les cuisiniers, puisque je craignais un empoisonnement malheureux... Mais aussi, les jours avant la fête, Sachiko. Pour regarder son placement des guirlandes. Et puis, toi, et Emerens, aussi. Essayant de me renseigner au maximum sur comment cela avançait. Nous pourrons en parler plus tard, si tu veux... Ou au procès. »
« ... Bon. J'ai posé mes guirlandes, quoi. Avec l'aide de l'autre trou de balle, et la tienne, aussi. On est aussi allés voir la cache d'armes pour l'inventaire ensemble, après j'y ai plus remis les pieds, ça peut se certifier... La veille de la fête, j'étais dans la salle à mettre en place les décos, puis... Avant d'aller manger, on a installé un petit truc. Ouais, aussi. Si tu veux, je peux te montrer. C'était plus ou moins sans rapport, mais si ça te paraît important... »
Tiens tiens.
Un petit quelque chose installé par ces deux personnes-là en particulier, voilà qui est intéressant. Il serait bon de le garder en mémoire. Et c'est exactement... Ce qui est prévu.
Continuons. La vérité se trouve là, quelque part.
« Qui avez-vous vu dans la cache d'armes depuis notre inventaire, il y a deux jours ? »
Puisqu'elle est mentionnée, autant que les réponses puissent se contredire. Est-ce que quelqu'un ment ? Ou est-ce que c'est un aveu qui me permettra de me lancer sur une piste ?
« Depuis... l'inventaire ? Avec toi, et... Ouais, ok, je vois. Ecoute, moi, j'y suis pas retournée. Je sais qu'Ansgar si, pour vérifier, sans doute, puisqu'elle l'a dit après au repas, mais aucune idée de si elle était accompagnée. »
« .... J'y suis allé. J'ai croisé... Ansgar et Seo-jun. Ensuite, je me suis concentré sur mon travail, et eux sur le leur. Les autres... N'y sont pas retournés, oui. J'en suis certain pour... au moins l'une d'entre elles... Putain. Putain de merde... »
« J'y suis plus retournée depuis l'inventaire. Ton mec peut attester. »
« Ouais, j'y suis allé, une fois avec Ansgar pour checker le truc. C'est tout. Après, c'était cuisine. »
« J'y ai vu Emerens. Et Seo-jun, puisqu'il est venu avec moi. Personne d'autre. »
Pas de contradictions. Donc, les alibis se tiennent. Et donc, ces informations peuvent servir, elles peuvent être considérées comme fiables.
Nous pouvons donc... Passer à la suite du fil rouge.
« Et dans la cuisine ? Avez-vous croisé des gens ? »
Silence. Moment de réflexion. Et les premières réponses s'égrènent.
« Alors, récapitulons... J'y suis allé pour ramener les ingrédients, d'abord, que Monokuma a eu la gentillesse de nous fournir des autres cercles... On les a inspectés avec les deux autres... à partir de là, j'étais toujours avec eux à un moment. Je quittais toujours la cuisine en premier, quand il y avait Ansgar ou Sachiko pour réclamer la clé... Ansgar, par contre, je l'ai vu.e qu'une fois, à part la fête, et elle est sortie juste après moi. »
« Euuuuuh... Je partais rarement en dernier, maintenant que tu me le dis. Une fois, j'ai laissé Nako et Sachiko derrière... Après, sinon, pour le reste, il y avait... Notre groupe de cuisine, évidemment, et Ansgar est venue une fois ou deux. Mais pour ce qui est de vous deux... Jamais vu. »
« Je......... ne suis pas allé dans la cuisine. Trop à faire... »
« Tout le monde, sauf un. »
« J'ai vu tout le monde, plus ou moins. Même Nako. Ansgar et moi, on se faisait des tours pour récupérer la clé avant de la mettre dans ce coffre... Enfin, tu le sais, vu que tu avais le code. »
Le code, en effet... Celui qui dispose du code peut aller dans la cuisine comme bon lui semble. Mais ce code est en la possession de quelqu'un qui n'a aucune chance d'être coupable, tant par alibis que par simples certitudes...
Le fil rouge aurait pu être reconstitué. Mais ces derniers mots le cassent.
Il faut donc trouver un moyen... De nouer les deux bouts.
Passons à la question suivante. Une question plus de philosophie que de réelle importance.
« Imaginons un instant que vous soyez résolus au fait que le meurtre est la seule solution. Qui auriez-vous tué et pourquoi ? »
Les grimaces se font nombreuses, pourtant, il faut savoir. Il faut savoir...
« L'organisateur. Si je l'avais trouvé. Sinon... Si j'ai vraiment pas le choix, moi-même. Je me sentirais pas capable de prendre une vie innocente... Nan, je sais pourquoi tu me regardes comme ça. Mais je l'ai pas trouvé. Sinon... Sinon, Nako ne serait pas morte comme ça. »
« .... Je sais pas. Putain, Thib, je sais pas, et ça me bute. »
« .... Monokuma.... »
« L'organisateur, si je l'avais trouvé. Ce qui n'est hélas pas le cas aujourd'hui. J'aurais aimé répondre Monokuma, mais il est devenu bien plus dur à tuer. Cela ne m'aurait sans doute pas empêché de tenter, j'imagine... Si j'étais certaine d'y arriver. Dans l'éventualité où je ne pouvais faire ni l'un ni l'autre, je me serais résolue à mon sacrifice. Mais je ne voulais surtout pas arriver à cette extrémité. »
« Monokuma et l'organisateur. Aucun des deux ne doit sortir. A aucun prix. »
Personne ne se serait résolu à un simple meurtre ?
Est-ce une marque de notre résolution ou simplement de notre peur ?
Car le simple meurtre est devant nous, inévitable, accompli, et quelqu'un l'a commis. Quelqu'un qui ment éhontément... Ou avait un autre objectif.
Essayons une dernière question. Juste une. Juste une pour comprendre.
« Aviez-vous vu venir cette éventualité ? »
Et cette fois, les grimaces, se font plus douloureuses.
« ............. Non........ Ma Nako... Pas ma Nako. Rendez-moi ma Nako.... »
« Putain de merde, évidemment que non ! Si je m'attendais à un meurtre, ce serait après la fête ! »
« ...... Pas comme ça... Pas comme ça... Pourquoi ?!? »
« ......................... Non. »
« ........ Je.... Jamais je n'aurais pu penser... Que ça tournerait... De cette manière.... Qu'est-ce qu'il se passe, bordel ?!? Qu'est-ce qu'il se passe ?!? »
Fin des questions.
Fin des questions, et pourtant, je n'en sais pas plus.
Parce que j'ai beau retourner le problème dans tous les sens.
Je ne comprends pas.
Je ne comprends pas ce qu'il se passe.
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