
Chapitre 6 (15) : Discovering Despair in the Art of Creating Hope
Il me faut un peu de temps avant de... De pouvoir me remettre à bouger.
Mon corps me porte tout seul. Vers l'avant. Un pas après l'autre. La canne d'Ansgar si lourde entre mes doigts, immaculée, toujours parfaitement neuve.
Un pas après l'autre.
Tout ça pour arriver devant le rocher.
Devant la bague.
Elle brille, au sol, sous la lumière rougeâtre de la salle, qui se mêle au soleil tombant des trous dans le plafond. Quelques gouttes de sang en coulent, pas beaucoup, pas assez pour que je ne puisse déchiffrer les trois noms gravés à l'intérieur en lettres cursives.
Je me rappelle avoir si souvent vu cette bague à son annulaire.
Il ne l'a jamais enlevée.
Sans même que je ne m'en rende compte, mon dos se tord. Mes genoux rencontrent le sol, se recouvrent de sang, de son sang. Mes doigts glissent sur le fin métal, se referment sur l'anneau le plus proche, celui où mon nom est gravé. Le soulèvent du sol, entraînant les deux autres anneaux à sa suite.
Les explosions continuent.
Pourtant, je n'entends que le silence.
Une main se pose sur mon épaule. Tire. Une voix transperce le silence.
« ... Allez, debout. Le plafond est encore instable. »
Je reconnais cette voix.
Je reconnais cette voix, et l'injustice qui l'habite me donne encore moins envie de faire ce qu'elle veut.
Pourquoi est-ce que c'est toi qui survis ?
Pourquoi toi, et pas lui ?
Je serre les dents. Ne réponds rien. Me contente de refermer mes doigts sur la bague.
La main se fait plus insistante.
« Thibault. Bouge-toi le cul, allez. »
Non.
Non. Laisse-moi. Qu'est-ce que ça t'importe, de toute façon ? Quel intérêt tu as à me garder en vie ?
Je me fais tirer en arrière. Mon regard rencontre, celui, vide, de Louna Asin-Orduña, qui me force à me relever, son bras enroulé autour de mon épaule. Je n'ai pas eu assez de force pour lui résister.
Mes mains sont pleines de sang.
« ... Laisse-moi tranquille. »
Sa mâchoire se contracte.
« Non. Je te laisserai pas tranquille. Il est hors de question que je te laisse crever ici. Alors bouge-toi, espèce de paresseux, avant que la seconde pierre ne soit pour tout le monde ! »
Son visage n'exprime rien.
Mais elle est là, pourtant.
Au coin de sa paupière.
La larme prête à couler.
La canne d'Ansgar est lourde entre mes doigts. Si lourde. Trop lourde...
Je ne sais pas quelle forme de courage je trouve ou qu'est-ce qui me motive à finalement me bouger. Mais lorsque Louna m'entraîne derrière elle de toute sa force d'adolescente, je ne résiste pas, et me laisse tirer. Loin, loin, loin du rocher plein de sang. Loin, loin, loin de sa dernière tombe.
Elle m'entraîne vers l'ascenseur le plus vite possible, esquivant du mieux qu'elle peut les pierres. Je n'ai pas la même chance. Un éclat de rocher déchire la manche de ma chemise, m'arrachant quelques sutures au passage. Je saigne, mais je ne sens rien. Ni la douleur, ni la chaleur du sang, ni le froid de l'air ambiant.
Je ne sens plus rien.
Seo-jun et Moanaura sont toujours devant l'ascenseur, à s'échiner pour l'ouvrir. La panique se dessine sur leurs visages. Aucun des deux n'a vu ce qu'il se passait, visiblement, trop concentrés sur leur propre fuite pour tourner la tête. Mais lorsque Seo-jun nous voit arriver, qu'il remarque l'expression vide de Louna, le sang qui me recouvre, il comprend.
Il comprend tout de suite.
Il cesse de s'acharner sur la porte.
Louna en profite pour lui filer un coup d'épaule qu'il ne cherche même pas à lui rendre, l'écartant du chemin de l'ascenseur. Du panneau de commande où une serrure se dessine.
« Poussez-vous de là ! »
Moanaura obéit tout de suite, et c'est une Louna aux gestes brutaux qui insère la clé dans l'orifice. Avant de la faire tourner d'un coup sec, au bruit d'une sonnette.
La porte s'ouvre aussitôt.
La Scénariste Ultime, notre maître de jeu, ne perd pas une seule seconde pour pousser à l'intérieur de l'ascenseur d'abord Moanaura, puis moi et Seo-jun. Je perds l'équilibre, manque de m'affaler au sol, ne m'en relève pas, pendant que Moanaura se colle au fond de la petite salle et que Seo-jun résiste à peine à la réception en plein torse de toutes nos valises.
Moanaura, elle se tourne vers Louna alors que cette dernière bondit dans la cabine et appuie sur un énorme bouton rouge. Hésitante.
« ... Et Emerens ? »
Le regard de Louna vaut tous les mots.
La porte de l'ascenseur se ferme. Les bruits de l'explosion s'étouffent. Et enfin, je sens les vibrations dans mes pieds, dans tous les endroits de mon corps qui touchent la paroi de l'ascenseur. On est en train de descendre. Assez vite, même. Pas assez vite pour que je puisse croire que l'explosion a endommagé notre seul moyen de sortie... Mais assez vite.
Un profond soupir échappe à la Scénariste, qui s'appuie contre le mur.
Et moi, je me laisse glisser au sol.
La canne d'Ansgar dans une main.
La bague d'Emerens dans une autre.
Le silence, quelques instants. Et puis, Seo-jun finit par poser une question, d'un ton presque trop apeuré pour celui qui fut l'Ultime Garde du Corps.
« ... C'est safe, hein, l'ascenseur ? On ne risque pas de, genre, mourir parce que l'explosion l'a endommagé ?
— Non, soupire Louna. Lorsqu'on l'a conçu avec cette fameuse taupe, on a fait en sorte que les explosifs ne puissent abîmer le système, même avec la pire des réactions en chaîne. Et une erreur de calcul nous laisserait quand même assez de temps pour sortir de la structure en un seul morceau. »
Seo-jun a un petit grognement un peu soulagé, et Moanaura en profite pour s'appuyer sur son épaule. Ils sont vite oubliés, les hurlements de tout à l'heure, alors que nous étions mieux sans savoir. Mais j'imagine que ce genre d'expérience balance à la trappe toute accusation infondée.
Surtout quand celui qu'il fallait accuser est mort devant moi.
Mes doigts se serrent sur la bague. Marrant, hein, ce que fait l'organisme pour se protéger. La logique voudrait que je sois en train de pleurer. Ou de me réjouir. Que quelque chose se passe, à l'intérieur de moi, un truc fort, n'importe quoi.
Mais je ne sens rien.
Juste du vide.
« ... Eh. Louna. »
La Scénariste se penche vers moi. Ses yeux sont aussi vides que les miens.
« Oui ? »
Je soupire.
« Pourquoi tu nous as laissés de quoi enquêter ? »
Elle a un petit tic de la paupière. Mais je continue.
Sans m'arrêter.
« Pourquoi tu m'as donné ton scénario ? T'y étais pas obligée, pas vrai ? Même si tu savais que j'allais pas lâcher l'affaire, t'y étais pas obligée. T'aurais pu éviter cette situation. »
T'aurais pu éviter de tout perdre devant ces foutues caméras. Surtout maintenant, alors que la seule chose que tu pouvais sauver est morte, et qu'il aurait sûrement survécu si tu avais fermé ta gueule, mis le cercle un sous haute sécurité, si même je ne t'avais jamais rencontrée.
Rien ne t'en empêchait, pas vrai ?
« Alors pourquoi t'as fait ça ? »
Louna fronce les sourcils. Avant de détourner le regard.
« Parce qu'il me l'a demandé. »
Je baisse les yeux.
Le silence est de retour.
Lourd, terrifiant silence. Presque aussi lourd que la bague entre mes doigts, avec ces trois noms qui me brûlent la peau. Presque aussi lourd que le vide qui pèse sur mon cœur, à deux doigts de l'arrêter, de l'empêcher de battre.
J'aimerais bien qu'il le fasse.
Pourtant, quand l'ascenseur s'ouvre sur une série de voitures tout-terrain à pilotage automatique, je suis toujours vivant.
Pourtant, quand Seo-jun me charge à l'arrière et Moanaura les bagages dans le coffre, quand Louna s'installe au volant et programme une destination dans le GPS avant de lancer un signal de détresse dont je me doute de la destination, je suis toujours vivant.
Pourtant, quand la voiture s'éloigne de cet espèce d'immense pylône en traversant la forêt amazonienne à grande vitesse, laissant la Cité Perdue et ce que j'y ai perdu derrière moi, je suis toujours vivant.
Il nous faut esquiver les pierres qui chutent encore, les tuyaux, les structures que l'explosion ravage. D'ici peu, la ville entière sera complètement détruite, et sans doute dans plus longtemps, toute les failles dans la structure la feront s'effondrer. Il ne restera aucune trace de ce qui fut la Tuerie de l'Art de créer l'Espoir.
Des signaux se font entendre, dans la voiture. Une voix que je reconnais, pour l'avoir vue et entendue des dizaines de fois à la télévision depuis 2017. Aiguë, sèche, de moins en moins aimable au fur et à mesure que Louna communique avec elle. Je surprends quelques bribes de phrases, sur une infiltration, un moyen d'obtenir des informations, quelques bribes de promesses.
Elle gronde, une phrase que même dans mon vide, je ne peux que comprendre.
« Je connais leur chef, leur organisation, l'emplacement de leur quartier général. Je sais quels élèves voulaient faire une Tuerie sans jamais le mener à bien. Je sais qui pourrait être une taupe et quelles ressources détourner. Je sais où se trouvent les données les plus sensibles sur le Projet Renaissance. Et je n'hésiterai pas une seule seconde à retourner ces informations contre eux. »
...
Mais à quoi bon, maintenant ?
On a trouvé le Désespoir dans l'Art de créer l'Espoir.
Je sais où on va. Je sais où Louna nous emmène. Je sais qui je vais rencontrer, très prochainement.
Je sais que nous ne sommes sûrement pas les dernières personnes que Wen Xiang Monogatari et Kagari Goto vont accueillir.
Autant pour ton dernier souhait. Autant pour ton dernier Espoir.
Le show ne fait que commencer.
Mais mon histoire s'achève ici.
"A la mémoire de vous tous, morts sous la plume de l'Ultime Prodige Littéraire pour un but rendu vain. Sacrifiés sur l'autel de l'Art de créer l'Espoir."
Épitaphe d'un monument aux morts dans la cour du Danemark
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