Chapitre 6 (13) : Despair is a tenacious disease
https://youtu.be/5f_JYl87wnQ
https://youtu.be/1n5a9vk1wig
Et j'insiste encore-
TW : mention d'automutilation, de TCA, de suicide et de suicide de masse
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Mettre à l'épreuve ses capacités.
Endiguer le Désespoir.
Une Tuerie entière. Pour ça.
...
Il se foutrait pas un petit peu de ma gueule ?!?
Je ne peux m'empêcher de serrer les poings.
« T'es en train de... T'es en train de me dire... Que t'as fait une Tuerie... La représentation du Désespoir... Pour lutter contre le Désespoir ? »
Nouvelle fissure.
Il se crispe sur sa tribune.
« C'était une démonstration, n'est-ce pas ? De ce qu'est le Désespoir. De comment il peut se créer. Pourquoi est-ce que vous croyez que vous avez été choisis, vous seize spécifiquement ?
— Oh, je sais pas, crache Moanaura, pour le plaisir ? T'sais, je ne questionne plus la logique des Désespérés. »
Emerens lève les yeux au ciel.
« T'écoutes quand on te parle ou tu le fais exprès ? Thibault n'a-t-il pas dit à un moment que je n'étais pas Désespéré ?
— Ouais, et j'ai vachement envie d'y croire maintenant, en effet, elle siffle. Parce qu'il n'y a qu'un Désespéré pour commettre ce genre d'atrocités. »
Nouvelle fissure.
Emerens serre les poings.
C'est Louna qui répond à sa place.
« On peut voir les choses sous cet angle, en effet. Notre but à nous était surtout de faire une démonstration la plus variée possible de comment s'exprime le Désespoir et où le trouver. Pour cela, eh bien, on a choisi les meurtres, les victimes... Le protagoniste. Pour la démonstration.
— ... Le protagoniste, je chuchote comme dans un souffle. Alors, ma plot armor depuis le début... Toutes les fois où j'ai eu un alibi, où j'ai échappé à la mort avec Emerens derrière moi... »
Emerens a un petit rire. Cassé. Au rythme des fissures qui se dessinent.
« Eh oui mon vieux... Je crois qu'on appelle communément ça le bonus MasterMind ex machina. »
Et il sourit. Il sourit encore, avec cette satisfaction que plus ça va, moins j'ai envie de croire. A me fixer, droit dans les yeux, avec ce regard brillant, satisfait, de derrière lequel je vois se dessiner un vide que je ne veux pas appréhender.
Il rit encore. Écarte légèrement les bras.
Une autre fissure.
« Après tout... Qui de mieux qu'un Ecrivain pour concevoir une plot armor... ? »
... Tu crois que c'est le moment de faire un trait d'esprit ?
Tu crois que c'est vraiment le moment d'essayer de nous faire rire ?
J'ai pas envie de rire.
J'ai envie de crever.
J'ai envie de crever exactement comme Seo-jun qui ne bouge plus que pour sangloter du sol. J'ai envie de crever exactement comme Moanaura qui serre les poings, l'air de ne pas pouvoir y croire. J'ai envie de crever comme les douze autres victimes de ce jeu de la mort.
Je ne veux pas le regarder continuer de sourire.
Je ne veux pas voir les fissures se dessiner.
« ... Tout ça pour ta foutue démonstration.
— Tout ça pour prouver ce qu'est le Désespoir, réplique un Emerens toujours souriant. Tout ça pour l'apogée des Tueries, la meilleure des Tueries, la dernière des Tueries. Tout ça pour prouver aux Monokuma qu'ils n'avaient pas besoin d'étaler leur cruauté. Tout ça pour en finir avec cette saloperie. »
Je déteste les beaux parleurs.
Je les ai toujours haïs, très profondément. Un beau parleur peut te convaincre de n'importe quoi, avec son charisme. Un beau parleur peut même se convaincre tout seul du bien-fondé de ses actions. De comment justifier ses atrocités.
Il peut même se convaincre qu'une Tuerie, représentation même du Désespoir, peut lutter contre, mettre fin au Désespoir.
Se convaincre qu'il ne mérite pas notre colère, notre haine, tout ce qui commence à bouillonner en moi alors que les fissures se multiplient. Je devrais m'effondrer. Je devrais cesser d'exister. Mais la rage me maintient encore debout.
« Et tu prétends savoir... comment lutter ? »
Il hausse un sourcil.
« Pardon ? »
Ma mâchoire se contracte.
« J'ai dit, tu prétends savoir comment lutter ? Toi, et ton foutu titre d'Ultime Prodige Littéraire, le cadeau des Monokuma, tu prétends savoir comment lutter contre le Désespoir ?! A faire ton bon samaritain aux mains recouvertes de sang, tu oublies peut-être un petit détail, c'est que tu as foutu dans le Désespoir de vraies personnes ! »
Nouvelle fissure.
Mais je ne peux m'arrêter de hurler.
« Et qu'est-ce que tu sais de leur douleur à eux, hein ?! De comment Aldéric, Ruben, Ade, Ibrahim ont vécu leur Désespoir ! Ne va pas me dire que tu étais dans leur foutue tête, Emerens, parce que la vérité, c'est que tu ne les as vus que comme des pions jetables, des simples Déséspérés ! »
Ma gorge brûle. Mes yeux, aussi. Tout brûle. Et devant moi, devant la chaleur de ma colère, le sourire de glace d'Emerens fond presque à vue d'œil.
« Mais qu'est-ce que tu sais du Désespoir, au juste, hein, salopard ? Qu'est-ce que tu en sais, à part de la rhétorique et des témoignages ?! Qu'est-ce que tu en sais ?! »
Quelque chose éclate.
D'un coup. En même temps que la peau de mes paumes qui se perce, le sang qui coule sur mes ongles. En même temps que son sourire disparaît.
L'iceberg vient de voler en éclats.
Le visage d'Emerens est caché dans l'ombre. Si bien que je ne vois même pas sa bouche ouvrir. Mais les mots qui en sortent, eux, s'impriment dans mon esprit au fer rouge.
« ... Et toi, Thibault, qu'est-ce que tu en sais ? »
Je serre les dents.
Mais il ne me laisse pas le temps de répondre.
« Qu'est-ce que tu connais du Désespoir, toi, qui ne l'avais jamais vu en face avant aujourd'hui, qui en était ignorant avant ta foutue théorie ? Tu te crois en position, il continue d'un ton dangereusement instable, tu te crois en position de me faire la morale sur le Désespoir ?
— En tout cas certainement plus que toi, je crache. Ta haine te conduit un poil trop loin pour que je ne puisse pas la considérer alimentée par de la cruauté ! Et tu te crois... Tu te crois vraiment dans ton bon dr–
— Ta GUEULE, Thibault ! Ferme ta putain de gueule ! »
Il a hurlé.
Et je me rends compte, alors que les éclats de glace gisent au sol avec ce qu'il reste de son calme, que quelque chose brille au coin de sa paupière, que c'est la toute première fois que je l'entends hausser le ton depuis que je le connais.
« Non, tu ne sais pas ce que c'est ! Tu as beau l'avoir vu tu ne sais pas ce que c'est, tu ne sais pas la douleur que c'est, l'horreur que c'est ! Tu ne sais pas à quel point ça te ronge la cervelle, à quel point il suffit de si peu pour partir en vrille ! Tu me fais la morale sur mes propres atrocités, mais est-ce que tu sais ce que c'est, d'avoir sa vie guidée par le Désespoir ?!?
— Suffisamment en te regardant, je crache, et en voyant que tu n'en as même pas eu besoin, salopard ! Tu aurais fait quoi de pire avec, hein, dis-moi ?
— J'ai dit FERME-LA ! Ne t'avise même pas, il hurle, à s'en déchirer les cordes vocales. Ne t'avise même pas de me faire la leçon sur le Désespoir ! »
Ma gorge me brûle.
La sienne aussi.
Sa voix s'est cassée sur ces derniers mots. Il reprend sa respiration, doucement, sans remarquer que sur le coin de sa joue coule un reflet brillant au rouge de la lumière.
Il nous faut quelques secondes, à tous les deux, pour reprendre notre respiration. Quelques secondes pour qu'il se relève sur sa tribune. Pour que le bout de son index vienne couper le reflet du coin de son œil.
Pour que ses yeux se plantent dans les miens.
« ... Tu veux parler de Désespoir, Thibault ? On va parler de Désespoir. »
Ses épaules sont secouées de spasmes. Pourtant, c'est d'un geste sûr qu'il tend le bras devant lui. Avant de remonter ses manches d'un coup sec.
La première chose que je remarque, c'est qu'il n'a plus ses manchons.
La seconde...
La seconde...
...
Putain de bordel de merde.
Emerens a le regard fixé droit devant lui. Alors qu'il tourne, devant moi, ses deux avant-bras entièrement nus pour la première fois. Recouverts de petites saletés, des traces laissées par le port si long de ses manchons, mais ce n'est pas ce qui attire mon regard en premier.
Comment faire autrement ?
Comment ne pas être focalisé sur le fait qu'il n'y a plus un seul carré de peau qui n'est pas recouvert de traces ?
Des cicatrices. Longues, fines, anciennes, sombres sur la pâleur de sa peau.
Profondes.
Très. Très. Très. Très profondes.
Je savais qu'il avait des cicatrices. Je me doutais d'où elles venaient. Il... Il me l'avait dit. La dernière fois.
Je me rappelle de Wen Xiang décrivant celles de Senri.
Mais je ne m'attendais pas à ça.
Je ne m'attendais pas à une pareille étendue.
Emerens baisse les yeux. Regarde les cicatrices. Tourne le coude, une fois, deux fois, nous laisse admirer toute l'étendue de ses anciennes blessures. Sous les yeux horrifiés de Moanaura, le regard hanté de Seo-jun.
De sa tribune, même Louna a l'air catastrophée.
Cette dernière porte une main à sa bouche. Tremblante.
« ... Oh... Oh putain de merde... »
Exactement les mots qui résonnent dans mon crâne.
« On peut presque les compter, » soupire Emerens, d'une voix atone, son sourire vide, en faisant glisser ses doigts sur une des cicatrices les plus récentes. « On peut presque les séparer.
— .... Compter quoi ? »
Il lève les yeux au ciel à la question, lâchée dans un souffle, de Seo-jun.
« À ton avis, abruti ? »
Ses dents se serrent.
« Mes tentatives de suicide. »
Le feu a disparu depuis longtemps.
A la place, mon cœur se débat dans une forteresse de glace.
Il a fallu quatre mots. Quatre mots pour que je n'arrive même plus à être en colère.
Est-ce que c'est le reste... De l'amour que j'éprouvais pour lui ?
Il lève les yeux vers moi. Des yeux pleins de ressentiment.
« Tu veux que je te raconte une jolie histoire, Thibault ? Une histoire sur un gamin de treize ans abandonné par tous ceux qui l'entouraient. »
...
Tais-toi.
« Un gamin de treize ans, il continue d'une voix atone, qui s'était retrouvé dans un environnement inconnu, loin de sa famille, forcé à travailler, travailler, travailler, encore travailler, jusqu'à ne plus rien voir de positif dans sa putain de vie. »
Il serre les dents.
Quelque chose hurle dans ma tête.
Tais-toi. Tais-toi, tais-toi, tais-toi.
« La première, il gronde, c'était un appel à l'aide. J'avais piqué un rasoir à un étudiant plus âgé. Je n'avais pas coupé trop profond, hein, mais quelle importance, quand la première chose que font les surveillants quand ils te trouvent, c'est appeler le directeur et non l'infirmière ? »
Son doigt se contracte sur une cicatrice.
Quelque chose bouillonne.
« Quelle importance, n'est-ce pas, quand on te dit de fermer ta gueule auprès des autres étudiants pour qu'ils ne soient pas soi-disant paniqués ? Les autres étudiants dont ils ignorent aussi les appels à l'aide, la dépression, les anxiolytiques, les troubles du comportement alimentaire, de la personnalité, les blessures sur les bras, le ventre, les jambes ?! »
... Quelle importance, n'est-ce pas, quand Saint-Cyr ne t'écoute pas, quand la raison précise pour laquelle j'ai quitté cet établissement de merde était qu'ils ne veulent pas t'aider ?
Quelle importance, n'est-ce pas... Quand j'ai une croix sur mon poignet ?
Quelle importance, n'est-ce pas, quand le volume de sa voix ne cesse de se rehausser ?
« La deuxième, un mois plus tard, il grimace. Juste après Noël. J'avais réussi à remonter un peu la pente chez ma famille, et ils m'ont renvoyé dans le cycle sans la moindre pitié. Cette fois, ce sont les élèves qui m'ont trouvé. Mais les élèves, c'est parfois pire que les profs, il crache. J'ai eu droit à trois mois où ils parlaient de moi dans mon dos, et tous n'étaient pas forcément compatissants, hein. »
... Je ne sais pas s'il attend une réponse.
Moi, je ne peux plus parler.
Ni moi, ni les autres, figés sur place, ni Monokuma qui savoure le moment, cette espèce de salopard.
« Trois mois de rumeurs dans mon dos, il continue, alors que sa voix tremble de plus en plus. Trois mois de cours qui s'accumulaient, trois mois où je ne pouvais même pas toucher à mon carnet de notes, mon foutu manuscrit dans ma chambre sans qu'on me hurle dessus. Trois mois à subir le mépris des profs pour ma faiblesse d'esprit et de travail, trois mois à me prendre les regards en coin des élèves, et le dégoût de mon salopard de géniteur parce que je n'apportais pas les résultats attendus. Trois mois, jusqu'à ce que j'y tienne plus. »
Son sourire tremble.
Il tremble.
Il n'a cessé de trembler.
Ou peut-être est-ce ma vision, brouillée, qui me fait cet effet.
« J'ai appelé ma mère, il continue, les dents serrées. Je lui ai tout raconté. Les tentatives, la pression, mes appels à l'aide, tout. Je voulais juste de l'aide, putain. Je voulais juste quelqu'un qui comprenne. Je l'ai suppliée de me laisser rentrer tout de suite, avant les vacances d'avril, de me laisser abandonner. Que je réessayerais l'année prochaine, plus tard, quand je me sentirai mieux... »
Son poing se serre.
« ... Devine ce que cette salope a osé me sortir. »
...
Je ne veux pas deviner.
Je ne veux pas connaître la fin de l'histoire.
Je ne veux pas savoir ce qu'il s'est passé.
Mon poignet me brûle. Mes bras me brûlent. J'ai l'impression que c'est à moi qu'on enfonce les lames de rasoir.
Et pourtant, je n'arrive pas à l'arrêter.
Je n'arrive pas à l'arrêter, alors que devant moi sa voix se brise.
« Elle m'a dit, mot pour mot : « Tu rentreras quand tu auras augmenté un peu tes résultats, bonhomme. Les vacances, ça se mérite. » »
Et je comprends.
Ce qu'il s'est passé.
Je ne veux pas l'entendre me le dire. Je ne veux pas que ses mots, les mots qui arrivent, gravent dans la pierre cet instant que je ne voulais pas connaître.
Je ne veux pas imaginer le garçon que j'aimais brisé loin de moi.
Arrête ça.
S'il te plaît.
Emerens mime un geste. Celui d'un poing qui se tend en avant. Se referme sur quelque chose.
« Tu veux que je te dise ? C'était le dernier coup qu'il me fallait, il grimace, les dents serrées. Tout ce dont je me souviens après cet appel, c'est le vide. Le putain de vide que tu devrais reconnaître, pas vrai ? Pas vrai ?! »
Le putain de ...
« ... Le putain de Désespoir.
— J'ai pris un cutter dans mon sac, continue Emerens qui n'arrive plus à s'arrêter. Et tu vois le résultat, hein ? Là, ce n'est plus une connerie d'appel à l'aide !
— Arrête... »
Les larmes dévalent ses joues.
« Là, je voulais vraiment me tuer !!! »
Ça brûle.
Ça fait mal.
Moi non plus, je crois que je n'arrive pas à m'arrêter de pleurer.
Seo-jun non plus n'arrive plus à s'arrêter de pleurer.
Moanaura, les mains sur les oreilles, marmonne des prières entre deux de ses sanglots.
Et Louna, sur sa tribune, a les yeux écarquillés. Les deux mains sur la bouche, presque comme pour contenir sa tête en train de trembler.
Par pitié.
Arrête-toi.
« Je ne dois la vie qu'à une femme de ménage un peu compatissante et un docteur absolument ulcéré, il gronde, les poings serrés. Et tu veux savoir le plus drôle ? Quand je me suis réveillé de mon coma, les urgences débordaient ! Et tu veux savoir pourquoi elles débordaient ?!?
— ... Pitié, arrête...
— Parce que ma putain de tentative de suicide avait été tellement putain de violente qu'elle a déclenché les tendances suicidaires de toute ma promotion, voilà pourquoi ! »
Il hurle, encore, et encore, les poings serrés sur la tribune, tellement contractés que je vois le sang couler de sa paume, de ses ongles qui y sont plantés.
« Parce que sans que je m'en rende compte mon Désespoir avait fait un effet halo et contaminé absolument tout le monde, même ceux qui n'étaient pas des génies ! Parce que je suis responsable des morts, des hospitalisations, des traumatismes de tellement de mes camarades, juste parce que j'avais voulu me tuer ! »
Ses yeux sont écarquillés. Et les derniers mots hurlés achèvent de m'arracher le cœur, alors qu'ils transpercent le vide du tribunal.
« Alors je t'interdis de me parler encore une fois de Désespoir ! »
...
Il se tait.
Il se tait, les poings serrés, les larmes qui sortent de partout, alors que son regard me vrille, au plus profonde moi-même. Et je me rappelle des mots de Sachiko, sur une certaine Tragédie, d'à quel point son ton était sérieux lorsqu'elle a prononcé ces paroles.
« Il souffrait d'un Désespoir tellement autodestructeur, tellement brutal qu'il s'est propagé à tout son entourage par effet d'onde. Même alors qu'il n'y avait probablement pas que des génies, dans le lot. »
... Putain.
Putain, putain, putain.
C'était lui depuis le début, et ni elle ni moi n'avons rien vu. On s'est voilés la face. Tous les deux. Ou alors, elle savait. Et a refusé de le dire pour nous ménager.
Je sais pas.
Je sais pas, et je veux pas savoir.
Je veux pas savoir alors que mon cerveau traître n'arrive qu'à imaginer la scène. Une scène que je suis bien incapable d'occulter.
Pendant que j'étais loin. Dans mon village de Belgique.
Il a tenté de se tuer.
Et je n'ai rien vu.
Je n'ai rien vu.
... Est-ce que c'est ma faute ?
Est-ce que j'ai créé mon organisateur ?
Je devrais pas me dire ça, putain, je devrais pas me dire ça. Mais je n'arrive pas à m'arrêter d'y penser. Je n'arrive pas à me sortir cette foutue idée de la tête. Même alors que ce n'est pas moi que Moanaura regarde avec une telle horreur. Que ce n'est pas moi que fixe Seo-jun, qui se relève, tout doucement, les yeux écarquillés.
« ... C'est pas possible... Quand je... Quand je t'ai rencontré... T'avais l'air tellement normal... Un Désespoir pareil, ça ne peut pas rester dissimulé, pas vrai ? »
Emerens renifle. Presque dédaigneusement.
« Parce que tu crois que je ne m'en suis pas relevé ? Je serais pas devant toi si c'était le cas, ni maintenant ni au moment de notre rencontre ! »
Que-
Pardon ?!?
Mais on ne se relève pas du Désespoir, c'est... C'est contraire au concept même du truc !
Ce n'est pas censé arriver...
Et pourtant, sa foutue fiche même raturée le dit, hein. Propension au Désespoir extrêmement élevée.
Pas Désespéré avéré.
Seo-jun a l'air de ne pas y croire, lui non plus. Sa bouche s'ouvre et se referme pire qu'un poisson rouge. Ce qui arrache un nouveau reniflement dédaigneux à Emerens.
« Ce brave docteur doit bien regretter de m'avoir sauvé la vie, il gronde, et d'avoir porté mon manuscrit lui-même en maison d'édition. Pourtant, c'est bien ce qui m'a permis de remonter la pente. La compassion que j'ai passé des mois, des années à chercher chez mes propres parents, c'est en lui que je l'ai trouvée, et c'est ce qui m'a donné la force d'un foutu suivi psychiatrique ! »
Ses poings se serrent de nouveau.
Le sang goutte.
« C'est ce qui m'a permis d'intenter un procès à ma salope de génitrice pour maltraitance infantile, ce que tu sembles bien avoir oublié, pas vrai, Elvira, il crache, venimeux, se tournant vers les caméras. C'est ce qui m'a permis d'obtenir mon émancipation et de pouvoir m'installer en France. De commencer la carrière dont j'avais toujours rêvé, depuis mes souvenirs dans les couloirs de l'hôpital alors qu'on venait de m'amputer la jambe. »
Il lève les yeux vers Louna, qui est toujours recroquevillée sur sa tribune, immobile. Et l'espace d'un instant, son regard s'adoucit.
« C'est ce qui m'a permis de rencontrer les plus belles personnes de ma vie. »
Son regard retourne vers moi. Beaucoup plus dur.
« Alors, oui, j'ai récupéré. Et je suis peut-être le seul Désespéré connu à avoir recouvré ma santé mentale, ne serait-ce que pour quelques années. »
... Putain de merde.
C'était sous mon nez depuis le début.
... Pourquoi je n'ai rien vu ?
« ... T'es un cas sans précédent, intervient Moanaura, blême. Le seul Désespéré à avoir ne serait-ce que partiellement récupéré. Et t'as quand même... T'as quand même trouvé que c'était une bonne idée de faire une Tuerie.
— T'as cru que ma vie, c'était l'amour et les papillons, après ça ? crache Emerens. Essaie un peu de te retrouver autonome à treize ans alors que les adultes autour de toi flairent quasi tous la machine à fric. Petit scoop, mais t'apprends pas les bons réflexes quand tu dois survivre dans la jungle, et encore moins une notion crédible de la moralité. Tout ce que t'en retires, c'est de la haine. »
Ses yeux se plissent.
« La haine du Désespoir, la haine de ceux qui l'ont provoqué, et la haine de ceux qui le provoquent encore aujourd'hui. La haine de ceux qui le possèdent, ceux qui comme moi sont en mesure d'y entraîner des innocents. Une saloperie qui n'a pas sa place dans ce monde. »
Le sang coule. De ses poings, de la lèvre qu'il se mord. Partout. Même sur ses joues, avec les reflets, je crois voir du sang.
« Une saloperie à éradiquer. »
... et en ce sens, tu parles exactement comme les Monokuma.
Ce sont les mêmes mots que je retrouve dans ta bouche. Les mêmes mots que l'Ultime Juge prononçait dans un rire, le Gardien dans son calme, l'Impératrice dans un reniflement. Mépris des convictions que toi tu possèdes.
Et pourtant...
On en arrive là.
A toi, devant moi, qui collabore avec un Monokuma. A moi, qui me demande jusqu'à quel point tu m'as menti, même alors qu'aujourd'hui tu nous balances toute la vérité.
Et la vérité fait mal.
T'entends ça, Ade ?
La vérité fait mal.
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