Chapitre 5 (6) : Investigation
Bon.
Puisque décision a été prise d'enquêter un minimum, eh bien moi, je fais ce que je sais faire de mieux. C'est-à-dire, je fouine partout et j'essaie de recoller les morceaux sur mon tableau de liège mental.
Il faut dire, mine de rien, que je vais avoir besoin de beaucoup de fil rouge, sur ce coup-là. On a plein d'infos à relier, de toutes sortes, entre les notes d'enquête d'Ibrahim, les paroles malheureuses, ou non, de Monokuma, les portes Monokuma, les circonstances de la Tuerie, le fait que malgré la menace qui pèse sur moi je me retrouve avec la plot armor du siècle...
Tellement d'éléments et rien pour les relier. Alors que je suis persuadé qu'au centre de la toile se trouve le nom que je recherche.
Je ne pense pas être le seul à fouiller. Sachiko le fait depuis le début de cette histoire, et Moanaura avait l'air d'être particulièrement insistante dans le fait qu'elle voulait voir cette enquête... L'enquête d'Ibrahim aboutir pour de bon. Mais bizarrement, aujourd'hui, c'est moi qui me retrouve avec la mascotte de notre petit groupe, cette chère Flushy, qui ne me quitte pas d'une semelle alors que je parcours les couloirs à la recherche d'indices.
Je dois lui reconnaître un truc, mine de rien, à ce capybara. C'est qu'elle est étonnamment sage. Elle ne se met pas dans mes pattes alors que j'explore, ne cherche pas à bouffer les indices, et ne fait pas le moindre bruit alors que je réfléchis. Elle me regarde, c'est tout. Même son air de jugement est un peu plus doux que d'habitude, et c'est dire, pour un capybara.
Aucune idée de ce qu'elle fout là, mais mine de rien sa présence est rassurante. Au moins, je me balade pas tout seul dans les couloirs.
Surtout vu ce que j'y trouve. L'Artiste ne mentait pas lorsqu'il a dit vouloir installer des trucs dans cet endroit de merde. Chaque jour qui passe rajoute son lot d'œuvres d'Art dans les pièces ou sur les murs.
Parfois, j'ai de la chance, et c'est un simple tableau ou sculpture sur les Tueries. Une image de Monokuma, ou un des sacrifiés dans une situation particulière. La scène de l'Ascension rejouée par le sixième procès de l'Enfer Aquatique.
Et parfois, je n'en ai pas. Et c'est un assortiment de crânes, des œuvres faites de fourrure et de sang. Avec, de temps à autres, un crâne qui me rappelle atrocement la forme de tête de Flushy, qui ne regarde même pas dans cette direction.
Et pourtant, elle continue à me suivre.
Alors que je ne trouve rien d'autre que les vestiges de l'horreur et de la désolation.
Le moins qu'on puisse dire, c'est que ce capybara est plus courageux que moi.
À bien y réfléchir, d'ailleurs, je me dis en soulevant le coin d'un tableau qui me semblait louche, je ne l'ai pas beaucoup vue avant aujourd'hui, Flushy. Elle restait dans sa mare, ou avec Sachiko, les deux visiblement éprises de liberté et d'indépendance. Le fait qu'elle nous colle aux basques vient sans doute du fait qu'on l'a sortie de son environnement naturel pour la balancer dans une maison des horreurs. Ou alors, elle est plus intelligente qu'on ne le pense et essaye de nous soutenir dans la tourmente.
... Qu'aurait dit Sparrow à ce sujet ?
Je n'en ai aucune idée. Et il n'est définitivement plus là pour nous le dire.
Je me tourne vers Flushy avec un soupir lassé.
« T'es vraiment une étrange bestiole, toi. »
Flushy lève les yeux vers moi. Son air blasé revient. Pour un peu, j'aurais presque l'impression qu'elle me dit « Tu t'es vu ? »...
Mouaif. En attendant, c'est pas une forme de communication très pratique. Je sens que ça va surtout me soûler cette histoire. Autant essayer d'en faire quelque chose.
« C'est pas facile, hein ? Être loin de son petit coin de confort. »
Flushy cligne des yeux. Bon. On va dire qu'il y a du progrès.
« Pour personne, j'ai envie de dire. On est tous comme des poissons hors de l'eau, là. Et c'est pas près de finir, je soupire. Con un peu que ton meurtre ne compte pas. Même si je ne pense pas que qui que ce soit puisse être capable de te tuer, hein bestiole. »
Mais le meurtre d'humains n'est clairement pas mis au même niveau que le meurtre d'animaux. Parce que chaque meurtre d'humains a été puni. Tandis que l'Artiste s'est repaît des cadavres des compagnons de Flushy.
Je me demande ce qui est vraiment le mieux, pour le coup.
Visiblement outrée, le capybara me donne un coup de tête. Quoi ? J'aurais pas dû parler de ta potentielle mort ? Eh, oh, ça va, hein, je statuais un fait. En plus, je suis même pas sûr que tu puisses me comprendre, tu dois juste penser que je me déplace pas assez vite à ton goût.
Enfin peu importe. Je reprends mon chemin, essayant d'ignorer les présages de mort qui me tournent partout autour, le temps de faire le tour de ce couloir infernal.
Le fait d'être enfermé sans la moindre lumière extérieure n'aide pas vraiment à ma perception des choses. Mais je dirais qu'au vu de la quantité d'escaliers qui descendent assez loin dans les profondeurs de notre prison, on est perchés assez haut, et Monokuma occupe d'abord les salles les plus élevées. Ça corrobore ma théorie sur le fait que cette cité est construite, architecturalement, comme une immense pyramide.
Aussi, c'est sans doute une impression stupide, mais j'ai le sentiment qu'on tourne relativement en rond. Enfin je veux dire, cet endroit s'appelle le cercle deux... Mais comparé à genre, le cinq ou le six, on rejoint vite le point zéro. On a pas accès au un, mais si je devais faire une estimation, il n'est pas bien grand en rayon.
D'un autre côté, le cercle un est censé être celui qui nous donnerait, enfin, accès à l'ascenseur. Il y a de fortes chances qu'on ait pas le moindre espace pour vivre ou s'installer, puisque ce n'est pas le but.
Le compte à rebours continue, et on est presque au bout.
Mais en attendant, je suis presque sûr d'avoir identifié le périmètre intérieur du cercle deux.
C'est pour ça que je suis très surpris lorsque je vois se découper dans le mur en question une ouverture qui semble descendre dans les profondeurs, et plus précisément les profondeurs internes de notre cité.
Tiens, tiens, tiens.
« Mate ça, Flushy, je lance alors que le capybara se rapproche de moi. Je crois qu'on tient notre voie de sortie. »
Enfin je dis ça, mais je suis très optimiste. Parce que ça m'étonnerait beaucoup que je tombe sur une simple porte déverrouillée au milieu de tout ce bordel. À tous les coups, soit on est coincés, soit c'est un cul-de-sac fait exprès pour nous donner de l'espoir.
Ou un piège du même niveau que le Musée du Sommet de son Art.
Je déglutis. Est-ce que j'ai vraiment envie d'aller là-dedans sans personne ? Alors que la dernière fois qu'on a exploré un passage suspect, j'ai dissocié pendant vingt-quatre heures et Emerens a dû me ramener ?
Bon, certes, je suis pas tout à fait sans personne, vu qu'il y a saint capybara juste à côté de moi, et que visiblement les escaliers la rendent tout aussi curieuse que moi. Mais bon, quand même. C'est pas un capybara qui saura prévenir les autres du danger. Ou me transporter en lieu sûr.
Enfin bref. J'ai pas l'impression qu'il y ait de lumières, et celle de ma lampe à pétrole, parce que oui je me balade avec une lampe à pétrole depuis le début de ce petit tour, quel style, pas vrai, va bientôt vaciller. Je crois que l'exploration, ce sera pas pour tout de suite, à moins d'un miracle...
« ... Thib ? Tu fois quoi ici ? »
... Ah bah j'ai mon miracle. En la présence de Moanaura, une autre lampe à pétrole à la main, qui me regarde, moi comme Flushy, avec un air surpris.
Et pour le coup, j'avoue que je suis bien content de la trouver ici.
« Je fais comme toi, je suppose, Moanaura, je dis en haussant les épaules. J'explore. T'es allée par-là, d'ailleurs ?
— Nan. Les escaliers, j'ai moyen envie de les utiliser pour le moment. Pourquoi, tu crois qu'il y a un truc intéressant ? »
Je lui répète, une à une, mes hypothèses sur la structure du bâtiment. Ce qui lui fait plisser les yeux au bout de quelques minutes d'exploration.
« Et donc tu penses qu'il y a un truc par-là ?
— C'est potentiellement en tout cas le seul chemin d'accès connu vers le cercle un, je réponds. Ça vaut le coup d'aller voir, je trouve.
— Mouaif, j'ai pas non plus envie de me faire de faux espoirs, elle réplique, une petite moue sur son visage. Mais bon, t'as raison, on peut toujours essayer. C'est un indice de plus, dans le pire des cas. »
Je préfère ça. Et puisque visiblement elle semble plus courageuse que moi, je la laisse me passer devant, alors que Flushy ferme la marche.
Les escaliers sont beaucoup plus plats que ceux à quoi je m'attendais. Par là j'entends que ce n'est pas un colimaçon. Ils vont très, très loin dans les entrailles de la cité, et pas très bas. Pourtant, rien ne change, autour de moi, rien ne me laisse penser que ce sera notre accès officiel au cercle un.
On est toujours plongé dans le noir, toujours pas d'électricité dispo, et l'architecture reste rigoureusement la même.
Comparé aux autres passages, ça me paraît un peu étrange.
Moanaura reste devant moi. Elle tend sa lampe loin devant, sur les murs, sur le plafond, scrutant tout ce qui passe à sa portée. Ni elle ni moi n'avons vraiment envie de nous éloigner l'un.e de l'autre, et Flushy collée à nos pattes en rajoute encore plus dans l'impression de renfermement sur nous-mêmes. Je me sens un peu claustro, là, maintenant tout de suite, mais pour le coup, je préfère trop sentir leur présence que pas assez.
Surtout au milieu d'un tel silence.
Finalement, je n'y tiens plus ; Tout est bon pour briser cette horrible atmosphère d'oppression. Y compris prendre le risque que Moanaura m'emmerde sur six générations.
« Tiens, au fait. Ça va, avec Nako ? »
Elle sursaute.
« C'est quoi cette question ?!?
— Eh bien, je réponds avec un petit sourire, j'avoue que j'ai pas eu beaucoup de nouvelles après l'avoir vue se jeter à ton cou pour t'offrir ce baiser très passionné ma foi. Et puisque tu as été très curieuse à mon égard, je le suis aussi. Juste retour de bâton. »
Flushy me file un coup de tête, mais ce n'est rien à côté des joues de Moanaura que je peux voir rougir à vue d'œil sous la lumière froide de la lampe à pétrole. Ni à côté de son sourire idiot, d'ailleurs. J'en déduis que ça s'est bien passé ?
« Emerens a une mauvaise influence sur toi.
— C'est toi qui as commencé, ma louloute. Et moi, j'aimerais bien une réponse. Je peux espérer ça de ta part ou il faut que je te donne un truc en échange ?
— J'sais pas, elle rigole, y'a des détails croustillants entre toi et blondinette récemment ?
— Ça devient vieux, je ricane à mon tour. Et puis je vais pas te refiler les détails de ma vie sexuelle alors que tu n'en as même pas. »
Elle pose une main sur son cœur avec une expression faussement blessée.
« Ouchie ! En plein dans le mille !
— Y'a que la vérité qui blesse, Moanaura. Alors, raconte ? »
Elle me tire la langue. Avant de pousser un profond soupir.
« ... Ouais, ça s'est bien passé, on va dire. Aussi bien que possible dans une Tuerie avec une fille en couple qui a aucune raison de quitter sa copine, je veux dire...
— Le dernier point est un détail, Nako est polyA. »
Moanaura hausse les épaules.
« Ouais, je sais. Mais bon derrière... Le moment de passion passé, on a quand même discuté un peu, et elle m'a dit que, bah... Willy restait sa priorité. Logique, tu me diras. Je sais même pas combien de temps on va durer, elle et moi, surtout avec la Tuerie. Et puis, elles sont ensemble depuis quoi ? Huit ? Neuf mois ?
— Le facteur temps est pas vraiment important vu que ça va bientôt faire six mois qu'on est là, je soupire. D'ailleurs, y'a des chances pour que ça fasse six mois.
— Ouais... Mais quand même. Et puis, bon, même si on va essayer de construire un truc... Bah, je suis pas polyA, moi. Je sais pas du tout comment je vais gérer ça dans ma vie quotidienne. On peut s'arranger, bien sûr, mais l'ennui c'est que j'y suis pas exposée du tout dans l'instant présent. Ça va être quoi quand on va sortir et que je vais me retrouver, au bout d'un mois de relation, dans une toute nouvelle situation ? »
Je grimace.
« Alors là, je peux vraiment pas répondre à cette question.
— ça m'aurait étonnée que tu le puisses. Mais tu vois, je me dis, peut-être que ça va pas me convenir. Peut-être que je vais devoir arrêter là tous les frais alors qu'on avait une chance pour un avenir. Et là-dedans, là, maintenant, tout de suite, ça me fout les jetons. »
Ouais. Déjà qu'à mon humble avis, ménager une relation mono-poly ça doit pas être de la tarte, imaginez être exposée à ce problème seulement en sortant d'un truc qui les aura rapprochées en plus de sévèrement les traumatiser.
Ouais, je suis bien content d'avoir eu que des crushs polyA là-dedans.
Dommage que deux d'entre eux soient genre MORTS.
Détail minuscule hein ?!?
Putain de merde.
J'aurais pas dû m'embarquer sur ce sujet. Maintenant, j'ai juste envie de gueuler sur Moanaura pour ses problèmes à la con juste parce qu'elle, au moins, sa copine est encore en vie.
Mais heureusement pour moi, elle détourne vite la conversation.
« Fin passons. Pour l'instant ça va, et j'en demande pas plus. Le reste, on verra plus tard. La priorité, c'est d'explorer ce machin. »
Ouais. Ouais. On va se concentrer sur autre chose. Ça vaut mieux, je crois.
Ça vaut mieux.
En plus, j'ai l'impression que le couloir s'élargit un peu et... Bingo, nous voilà dans une nouvelle salle.
Et dans cette salle, est-ce que je trouve une bonne surprise ? Allez, devinez ce qui me fait face.
Un indice, c'est arrondi au sommet, noir, blanc, moderne et ça me scrute avec un sourire plein de dents que tous les participants d'une Tuerie ont appris à craindre.
Eh oui, bingo, c'est ma vieille amie la porte Monokuma.
Le grand retour, pas vrai ?
Je dois faire une sale tête, en tout cas, puisque Moanaura grimace à peine me voit-elle m'avancer vers l'engin diabolique.
« ... Ouais. Fais chier un peu.
— Écoute, maintenant qu'elle est là, autant l'examiner de plus près, je marmonne, essayant de cacher mon agacement. Après tout, c'est un mystère à résoudre, nan ? »
Elle hoche la tête, et je me penche vers la fameuse porte Monokuma, menton entre les doigts.
Alors, récapitulons. Ce truc est absolument partout. On l'a trouvé dans les cercles six, quatre, et maintenant deux. Aucune au cercle cinq, quelques-unes au trois selon Sachiko. Nous, on peut pas l'ouvrir, il faut une clé, que personne n'a trouvé. On ne sait toujours pas où elles mènent, mais vu le nombre qu'il y a, on peut tabler sur un réseau de portes. Et au vu de la position de celle-ci... Elles mènent peut-être toutes au cercle un.
Et surtout, quelqu'un les franchit. Quelqu'un qui n'est vraisemblablement aucun de nous sept, ou même nous seize, ni Monokuma. Aucun des deux vus. Du moins, en considérant l'option qu'il n'existait qu'une seule porte dans le cercle quatre.
Je passe mes doigts sur la serrure. Elle a une forme très particulière, mine de rien. Au toucher, la clé qui peut y rentrer à l'air d'être vraiment cheloue...
« Eh, Moanaura, je lance, tu t'y connais en clés ?
— Moyen, elle grimace. C'est pas parce que je suis pirate que je fais qu'ouvrir des coffres au trésor. Fais voir ? »
Je m'écarte de la serrure, et elle vient, à son tour, y fourrer ses doigts. Non sans une petite grimace.
« ... Ce truc n'accueille clairement pas de clé ordinaire.
— Ouais, c'est bien ce que je me disais. Une idée du genre de clé ?
— Nan, pas la moindre. Tout ce que ça me dit, c'est que c'est un truc plat et allongé, engravé. Mais après, j'ai aucune idée de comment cette clé actionne la serrure. Et puis, un truc aussi particulier, on l'aurait probablement vu sur quelqu'un... »
À moins que le truc soit tellement évident qu'on n'y pense même pas. Vous savez ce qu'on dit, plus c'est gros plus ça passe... Mais Moanaura a raison ça restreint beaucoup les possibilités. Maintenant que je sais à quoi m'attendre, je vais pouvoir faire des examens méthodiques des affaires des gens. Sachiko pourra me donner un coup de main, je suis sûr elle adorerait ça...
Moanaura se décale de la serrure. Essaye d'y insérer un de ses colliers, force un peu, avant de grimacer.
« Nan, rien à faire. La serrure est pas forçable. En tout cas pas comme ça.
— Sachiko y arriverait peut-être.
— Nan, même elle, je pense pas qu'elle puisse. C'est vraiment super particulier, comme système. De simples outils de crochetage, même avec son skill, ne feraient pas grand-chose, elle risque surtout de casser la serrure. »
Elle pousse un profond soupir.
« Je m'attendais à rien mais je suis quand même déçue. Cette porte est encore plus épaisse que mes darons... »
Je fais la moue.
« Tout doux l'humour noir.
— Parce que je suis black, c'est ça ? Elle ricane. Très drôle.
— C'est ça, c'est ça, je suis un horrible raciste qui ne mérite que de se faire pendre par la peau des couilles. Mas si je puis me permettre, j'y tiens, à mes couilles, donc me lynche pas trop, steuplait ?
— Ça va, ça va, je plaisantais. Te monte pas la rate au court-bouillon. Mais ce que j'ai dit tient toujours. »
Elle se permet un rictus ironique.
« Mes parents, c'est le cliché des serviteurs. Mon père bosse dans les champs, ma mère est gouvernante pour une riche famille, vraiment la totale. Pas étonnant qu'ils aient choisi de m'appeler Suzanne.
— Au vu du ton sur lequel tu prononces ce nom, t'as un certain mépris pour, j'me trompe ?
— Ha ! Si tu savais. C'est un nom de français, et je suis pas française. Du moins c'est pas mes racines. Et je l'aurais peut-être mieux pris si on m'avait appris ma culture et l'histoire de mes ancêtres, mais que dalle. À la place, j'ai eu droit aux prières et au programme des blancs. »
Se laissant glisser sur le sol, elle remet son collier autour de son cou, son rictus ironique toujours bien ancré sur son visage.
« Et le pire, c'est que mes parents ont pas vu de problème avec ça. Par contre, ils ont vu un problème dans le fait que je commence à creuser mon héritage. »
Reniflement de mépris.
« « Ton nom est Suzanne, c'est celui que ta famille t'a offert en cadeau ! », « Pourquoi refuser de faire la prière ? C'est une insulte à Dieu ! » et plein de conneries dans le genre. J'ai eu beau leur expliquer que je me retrouvais pas là-dedans, ils voulaient rien entendre. »
Elle posse un profond soupir alors que je m'assieds à côté d'elle.
« Je t'avais dit que j'avais renié mon nom de famille. La vérité, c'est qu'ils m'ont renié en premier. Quand j'ai commencé à faire des petits boulots juste assez pour remettre en état un vieux voilier de l'ancien temps qui tombait en ruine, à leur faire des pamphlets sur l'importance de notre culture, ils ont décidé de me jeter dehors, et pas très gentiment. À croire qu'ils avaient peur que je parle trop fort et que j'attire l'attention des grands méchants blancs.
— C'était peut-être le cas, je grommelle. Sans vouloir leur trouver des excuses, on parle quand même d'un trauma générationnel assez énorme. Surtout vu leur position.
— Sans doute. Mais bon, quand tu privilégies ta trouille à ta fille... Enfin bref. Maintenant, au moins, j'ai mon équipage. Eux, au moins, ils me laissent pas tomber. J'ai pu choisir ma vraie famille.
— Et.... Ça va ? »
Elle hausse un sourcil.
« Comment ça ? »
Je hausse les épaules. Écoute, au point où on en est ?
« Je sais ce que ça fait de se faire renier par ses parents. C'est pas super agréable, peu importe ce que t'en dis. Du coup, je me demande si ça va. »
Quelques secondes de silence.
Moanaura a les yeux écarquillés.
Elle me fixe, sans bouger.
Et puis, sans prévenir, elle éclate de rire.
« Putain. T'es le premier qui m'a jamais posé cette foutue question. »
Je fais la moue. Eh bé la vache, c'est si exceptionnel que ça de se préoccuper d'une amie qui a traversé un truc compliqué ?
« Personne t'as posé la question ? Vraiment ?
— Mon crew, c'est tous des gens comme moi, elle ricane un peu amèrement. Des outcasts. Des orphelins, ou des gens que leurs parents ont renié pour leurs activités, leur sexualité ou même parce qu'ils n'avaient plus assez de thune. Donc non, eux, ils sont plutôt du genre à dire que c'est pas grave, de toute façon, qu'on trouvera mieux ailleurs. Un moyen de se protéger. »
Je vois le genre. Se prétendre orphelin, renier son nom de famille, se détacher de ses racines, ça se fait pas comme ça, autant qu'on se le dise. Je ne pourrai jamais oublier que j'ai eu une deuxième mère. Et qu'elle m'a aimé, les premiers temps.
« Surtout que bon, elle soupire une fois son rire un peu calmé. T'as pas tort. Je les déteste objectivement, mais ce sont mes parents. Ils m'ont amenée dans ce monde. C'est... C'est pas rien. »
Elle pousse un profond soupir.
« Moi aussi, je voulais avoir des parents aimants. Mais entre ça et la vie que j'ai choisie, je crois qu'il y a pas photo.
— Au moins, je réponds en haussant les épaules, t'es sûre de ton choix. »
Un ricanement lui échappe.
« Ça, c'est parler en vrai pirate. Eh, ça te dirait de rejoindre l'équipage ?
— T'as cru j'avais le pied marin ? Je pouffe. Je tomberais à l'eau au bout de deux minutes sur mer calme ! »
Nouveau rire.
« On t'enfermera dans la cabine, t'inquiète. Du moment que tu vomis pas sur le sol, après, c'est l'horreur pour nettoyer. Et d'ailleurs, tiens, pour toi ! »
Avant que je n'aie eu le temps de répliquer, elle porte une main à ses cheveux, pour en détacher le foulard violet à carreaux qui les retient en arrière. Ses boucles fusent dans tous les sens, mais visiblement elle s'en fout. Elle se contente de tendre les bras pour enrouler le foulard autour de mes cheveux.
« Cadeau, elle pouffe. Comme ça, on te reconnaîtra comme membre de l'équipage.
— Trop aimable, je pouffe. Me voilà donc officiellement pirate tahitien.
— Oh, t'auras jamais le style. Le foulard jure sur tes cheveux, berk berk berk. Mais au moins, si t'as nulle part où aller ou juste envie de trouver un environnement chaleureux, tu es le bienvenu sur le bateau. »
Je tends les mains vers le foulard. Il est tout doux au toucher, et quelque part je suis sûr que ça me donne quand même un petit style, même si le violet va très mal avec le roux. Mais honnêtement, je suis moins concentré sur ça que le visage de Moanaura qui s'adoucit, alors qu'elle me tapote la tête avec douceur.
« Bienvenue dans la famille, le nain. »
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro