Chapitre 5 (19) : Cold gaze
Il m'a fallu compiler les interrogatoires encore plus vite qu'auparavant, puisque le temps alloué à notre enquête s'égrène bien trop vite. Il est presque une heure du matin, selon nos Monodossiers, lorsque je sors enfin de la salle, mon Monodossier plein de notes.
Il ne nous reste désormais que moins d'une heure.
Et d'une certaine manière, il valait mieux que je n'aie que cinq personnes à interroger. Les notes ont été prises bien plus vites.
Cinq suspects. Sur six survivants, puisque je suis assuré de mon innocence, et que mes alibis me permettront assez facilement de le prouver. De seize, nous avons perdu dix des nôtres, et nous perdront encore quelqu'un ce soir, avant de finalement sortir à cinq.
Ce n'est pas un trop mauvais score. Mais la perspective de perdre encore quelqu'un dans ce jeu de la mort me rend malade au plus haut point. Et je veux comprendre...
Je veux comprendre pourquoi ce meurtre. Pourquoi il a fallu que Nako meure devant nous.
Ansgar se dirige vers moi à peine fus-je sorti du petit salon, l'air impatient.e de savoir. Je grommelle. Eh, espère pas trop, Kasjasdottir. J'ai eu beau poser des questions, les réponses ne m'ont vraiment pas avancé.
« Alors ?
— Alors, rien, je grogne. Ça a intérêt à servir au procès. Mais il n'y a pas la moindre contradiction. Je n'arrive même pas à déterminer l'état d'esprit du tueur.
— Il y a de nombreuses possibilités, soupire Ansgar. L'une d'entre elles se fera sans doute plus claire au procès. Mais en attendant, je crois que nous sommes au bout de ce que nous pouvons faire. »
Je pince les lèvres.
« Pas tout à fait. Tu sais où sont Emerens et Sachiko ? »
Elle hausse un sourcil. L'air de se demander pourquoi je veux les voir. Pour être honnête, je me demande aussi. Mais ce qu'ils m'ont dit, tous les deux, à l'interrogatoire... Ils ont quelque chose à me montrer, pas vrai. Et je dois voir quoi.
Je ne sais pas si ça va m'aider, mais visiblement, c'est quelque chose issu de leur collaboration, et quelque chose issu de la collaboration de deux fauteurs de troubles, qui se détestent au plus haut point, ne me dit jamais rien de bon.
Traduction, je dois voir de quoi il s'agit.
« Ils sont plus loin dans le couloir, finit par annoncer Ansgar. En train de se disputer, comme d'habitude. Je voulais calmer le jeu, mais vu la violence de la dispute, rester là m'aurait fait plus de mal que de bien. »
Elle serre les poings sur sa canne, qui tremble sous son poids. Avant de se diriger, à petits pas, vers le salon, l'air d'avoir pris au moins soixante ans.
... D'accord.
Donc, Sachiko et Emerens sont encore en train de se castagner. Ben voyons. On se rappelle de ce qu'il s'est passé la dernière fois qu'ils se sont disputés, et c'était un quasi-égorgement. J'avoue que j'ai pas vraiment envie de savoir à quelles extrémités Sachiko va aller, cette fois.
Tu me diras, après un meurtre, personne n'a vraiment le désir de tuer. Et sans doute pas elle, non plus.
En attendant, je ferais mieux de me dépêcher. Je me hâte dans la direction que m'a indiquée Ansgar, guettant le moindre éclat de voix, alors que dans ma poitrine mon cœur bat de plus en plus vite.
Pourvu qu'il ne se soit rien passé de grave.
Pourvu que...
« ... Qu'est-ce que ça veut dire ?!? Comment tu as pu ne pas prévoir que ça arriverait ?!? »
Je serre les dents. C'est la voix de Sachiko. Et au vu de son ton, ce n'est pas la colère qui l'anime.
C'est la panique.
Elle n'est pas seule. Une deuxième voix lui fait écho, que je reconnais comme celle d'Emerens. Agitée de trémolos, haut perchée, elle n'a rien à voir avec le calme qu'il a affiché à chaque procès ayant précédé celui-ci.
« Evidemment que je n'avais pas prévu ça ! Comment aurais-je pu ?!? Personne... Personne n'aurait pu voir le coup venir !
— ... C'est pas possible, réplique la voix de Sachiko, blanche. Alors ça veut dire que... Même elle... »
Je ralentis. Il y a quelque chose dans le ton de sa voix qui me perturbe.
« ... Je sais pas ce qu'il se passe, Kimura, répond Emerens, la voix tremblante, alors que je m'approche d'un coin du couloir. Je sais pas. Et je crois que personne le sait. Mais c'est... Tellement étrange, comme situation...
— Qu'est-ce qui est étrange ? »
Je n'ai pas tenu bien longtemps, hein. Avant de sortir de mon coin de couloir, tombant sur Sachiko et Emerens face à face juste derrière. Ce dernier est appuyé sur le mur, blême, alors que son interlocutrice le fixe avec des yeux écarquillés. Yeux écarquillés qui se reportent vers moi alors que je me rapproche d'eux.
Emerens relève la tête. Me jette un regard aux abois.
« ... Tout ce foutu meurtre, putain, Thibs. Ce n'est pas normal. Tuer quelqu'un, devant moi, comme ça... J'aurais dû voir le coup venir. J'aurais dû voir le coup venir...
— ouais, comme les autres meurtres, pas vrai, je crache, amèrement. Ce n'est jamais que le troisième où tu es impliqué, la seule différence ici étant qu'on l'est sûrement tous, hein. Pourquoi t'en rendre compte maintenant ? »
Ouais, je sais, je crache un peu mon sel, mais le voir craquer maintenant, alors qu'il a tenu les rangs pendant le meurtre orchestré par Ade, par Ruben me fout un peu la gerbe. C'est sûrement pas sa faute, c'est sûrement un mécanisme de protection à la con qui a fini par éclater, mais je m'en branle, d'une certaine manière.
Je crois que je lui envie de ne craquer que maintenant.
Emerens fait la grimace.
« ... Je crois que tu ne comprends pas, Thibs. Ce qu'il s'est passé... C'était le meurtre de trop.
— Ouais. Pour tout le monde. Alors, tu voulais me montrer quoi ? »
Il se redresse. La mention de son indice semble l'avoir calmé un petit peu.
« Suis-moi. C'est à l'atelier de Monokuma. »
...
Pardon quoi ?
« L'atelier de Monokuma ? Comme, comme, l'atelier de Monokuma ?
— Qu'est-ce que t'avais pas compris la première fois, bougonne Sachiko en me prenant la main. Allez, viens, on a très peu de temps. »
... Ouais, enfin, cette fois, vous allez avoir du mal à me la faire avaler ; Qu'est-ce qu'il y avait d'important dans l'atelier de Monokuma pour que ça fasse partie de l'enquête ? Certes, je savais que Sachiko voulait y installer des trucs, mais entre ça et le fait que ça ait un impact dans le meurtre...
Après, c'est bien moi qui aie dit que je voulais tout fouiller. Bon point. Mais quand même.
Sachiko ne perd de toute façon pas de temps pour m'entraîner vers l'atelier de Monokuma. Qui est vide, porte grande ouverte, comme si son occupant en était sorti à grande vitesse. On se demande bien, je ne peux m'empêcher de penser, ce qui peut faire sortir Monokuma de son atelier aussi vite.
Ah bah oui. Un meurtre. Suis-je con.
Bref. En attendant, à part les œuvres sur les murs et les tables qui promettent d'être l'horreur personnifiée, il n'y a rien de particulier dans la salle. Pas de décoration, pas de cadavre ou de surprise, même pas d'Artiste grimaçant. Rien.
Un frisson me parcourt. Je ne peux m'empêcher de me serrer contre Emerens.
« Putain de merde... Cet endroit me fiche la chair de poule.
— Ce n'est pas qu'à cause de ça, Thibs, soupire Emerens. Regarde dans le placard à ta gauche. »
... Comment ça ?
Je m'exécute, et plisse les yeux devant son contenu. Ce n'est ni une œuvre d'art, ni du matériel ; Rien d'aussi terrifiant, du moins. Ce n'est qu'un simple mécanisme accroché à plusieurs réservoirs qui m'ont l'air remplis d'eau. Accrochés à un diffuseur, qui semble répandre dans la pièce un sacré courant d'air froid.
Donc, c'était ça. Les températures de la pièce. Intéressant.
« ... Qu'est-ce que c'est, et pourquoi c'est si intéressant ?
— Monokuma voulait installer un système de refroidissement dans son atelier pour aider à préserver ses... œuvres, me répond Emerens, l'air défait. C'est Kimura et moi qui nous en sommes occupés. Elle a conçu le dispositif et je l'ai mis en place. On a fait ça pendant la préparation, hier.
— D'accord. Donc, c'est ça que tu voulais me montrer.
— Oui. Je t'avais prévenu que ça ne te serait pas d'une grande aide... »
Je soupire.
« Au moins, je suis au courant. Même si j'ai du mal à voir pourquoi Monokuma s'adresserait à vous deux pour concevoir un truc pareil...
— Le skill ? Grommelle Sachiko. Alannah morte, c'est moi qui m'y connais le mieux en mécanismes de ce genre. Et nous, on pouvait difficilement refuser. C'est rudimentaire, mais au moins ça fait le taff. Près du système de refroidissement, les températures sont en-dessous de zéro. Approche pas trop tes mains. Pas le moment de se faire des engelures... »
... Mouaif. Si tu le dis. Effectivement, ça m'a pas beaucoup aidé, mais bon, si j'avais une piste plus sûre à fouiller, je n'aurais pas suivi ces deux-là.
En attendant, l'heure tourne. Et je crois que j'arrive au bout de mes possibilités.
Six heures, c'est à la fois trop et trop peu pour ce meurtre. Dégoûtant.
« On ferait mieux d'y aller avant que Monokuma ne nous découvre, grommelle Emerens. Je n'ai pas envie de découvrir la punition qu'il réserve aux resquilleurs maintenant.
— Je te suis, je soupire. Allez, on y va. »
Emerens et Sachiko se dirigent vers la porte, sans rien dire de plus, sans même jeter un regard à ce système de refroidissement.
J'aurais bien aimé faire pareil. Mais il y a quelque chose qui me retient dans cette salle.
Un pressentiment.
Ce n'est jamais bon signe de suivre ses pressentiments. Je sais. Mais au-delà de ça, ce pressentiment est forcément justifié par quelque chose. Et si ce quelque chose m'emmerde jusqu'à ce que j'aie tiré le fin mot de l'histoire...
Autant que je fasse un truc pour tirer ledit fin mot de l'histoire.
Les deux autres sont déjà loin alors que je retourne vers le système de refroidissement, ignorant la morsure du gel alors que je le prends entre mes mains. C'est un truc plutôt rudimentaire, une espèce de machine à états bien conçue mécaniquement, mais très clairement de conception artisanale. Qu'elle dégage la puissance nécessaire pour des températures sous le zéro est déjà surprenant en soit, mais vous me direz, il ne fait déjà pas très chaud, ici.
En plus, tâter le système me fait dire qu'on est plus proche du zéro que du moins. Pas super efficace pour un réfrigérateur compétent...
... Une minute.
C'est quoi, ce conteneur plus petit que les autres ?
Je le fais tourner entre mes mains, avec précaution. Une espèce de petite bouteille, accrochée à la va-vite au refroidisseur. Visiblement, celui qui l'a mise-là était très pressé, ne voulait pas se faire repérer de qui que ce soit.
Je n'arrive pas à reconnaître le conteneur. Mais quelque chose me dit que c'est important.
Donc la voilà, la source de mon pressentiment. Intéressant. Je vais noter ça quelque part.
« On s'intéresse à l'art, Laangbroëk ? »
Je sursaute.
Putain de merde. J'aurais dû me dépêcher, moi aussi. Ou demander à Emerens et Sachiko de rester avec moi.
Au lieu de ça, je les ai laissés filer comme un idiot, et maintenant je me retrouve seul face à Monokuma en personne, dans son univers, qui me fixe avec un large, très large sourire, son espèce de burin à la main.
... Putain de merde...
Il me faut tous les efforts du monde pour empêcher un réflexe d'avalement de salive. Par contre, même sous la lumière faible de la pièce, Monokuma ne manquera pas de voir que mon visage s'est vidé de toute couleur.
Le sourire de ce dernier s'élargit.
« Eh bien ?
— ... J'enquête, je finis par marmonner. Rien de bien intéressant. Et vu comment le meurtre s'est passé, ça en fait partie... Vu qu'on l'a installé pendant la préparation de la fête... »
Monokuma ricane.
« Ah, oui, le système de refroidissement. Une vraie merveille, pour une conception artisanale. Il m'a bien aidé hier... Mais bon, toutes les bonnes choses ont une fin. D'ici peu, je devrai regagner le QG des Monokuma, et laisser ces merveilles derrière moi...
— ... Ouais. Plus de Tuerie, plus de meurtres, plus rien. Aussi cruel que ce soit, c'est ton dernier, je crache. Tu peux plus m'atteindre, après ça. J'ai survécu, que tu le veuilles ou non. »
Je suis arrivé au bout, moi, l'Ultime Théoricien que vous vouliez tous tuer. Ma survie me garantit une protection inébranlable, en tant que survivant comme en tant que protagoniste. J'ai traversé le dernier meurtre, et plus rien ne m'empêchera de sortir après ça. C'est terminé.
Tout ce que Monokuma a essayé de faire pour me tuer a échoué.
Les sourcils de Monokuma se froncent. Un moment, je vois son sourire trembler. Mais cela ne dure qu'un misérable instant.
« Crois-tu vraiment qu'une Tuerie est la seule chose que nous pouvons faire pour contrôler les Ultimes ? »
... Qu'est-ce qu'il veut dire ?!?
« A part les massacres sans nom et les gouvernements renversés, tu veux dire ?
— Oh, ce n'est qu'une partie de la réponse, sourit Monokuma. Vois-tu, nous Monokuma avons une mission. Une mission venue d'en haut, d'une certaine manière, et cette mission est très simple. Eradiquer le Désespoir. L'empêcher de proliférer. »
Je serre les dents.
Me relève, posant le système de refroidissement au sol avec précaution.
Qu'est-ce qu'il veut dire par là ?
« Les Tueries ne sont qu'un moyen de le faire, il continue, avide de ma réaction. Derrière, nous avons d'autres projets. A moins grande échelle, on pourrait dire, mais quand même...
— Comment ça ? »
Son sourire se fait inhumain.
« Dis-moi, tu ne t'es jamais demandé comment Gabriel Mercier est réellement décédé ? »
Je me fige net.
Que fait le nom de... Que fait le foutu nom de Gabriel là-dedans ? Qu'est-ce que c'est que ce foutu bordel ? Pourquoi le mentionner de nouveau maintenant ?!?
Est-ce que je ne vais jamais cesser d'apprendre quelque chose sur le meurtre d'un de mes amis les plus proches ?!?
Mes poings se serrent.
Foutus Monokuma. Ça ne leur suffit pas de m'enfermer dans une Tuerie, il faut aussi qu'ils me prennent tous ceux que j'aime à l'extérieur. Tu parles d'un monde pourri.
« ... ça a un rapport avec votre projet à la con, c'est ça ?
— Exact. Pour être franc... Je ne sais pas comment il est mort non plus, ricane Monokuma. Nous avons maquillé son décès en une superbe overdose, mais ensuite, ehe, mystère. Tout ce que je peux te dire... C'est que Gabriel fait, ou faisait, partie de ce fameux projet secret. Un rassemblement de médecins et de physiciens, pour suivre les théories de Shizuka Mizutani. Pour éradiquer le Désespoir à la source. Génétique comme physiologique... »
...
...
L'usage du présent...
Un projet secret...
Le maquillage... De sa mort...
Alors ça veut dire...
Ça veut dire...
Que...
« Gabriel... Gabriel... Est encore en vie ? »
Monokuma ricane.
« Aha, p't'être bien que oui, p't'être bien que non. Qui sait ce qu'il peut se passer dans ce genre d'études...
— ... Tu le sais très bien, bordel de merde, c'est le projet de ton foutu groupe terroriste ! Réponds-moi, bordel ! J'ai le droit de savoir ! »
Il sourit. Ses doigts se referment comme des serres autour de la peau de ma joue, qu'il tiraille avec une étrange affection dans les gestes. Une affection qui ne fait que m'énerver un peu plus, tout en rendant la situation bien glauque.
Camle-toi, Thibault. Il veut t'énerver, il le fait exprès, c'est normal. C'est normal. Il ne voudrait surtout pas que ton enquête aboutisse, pas vrai ? Après tout, c'est sa dernière chance de te tuer.
C'est ce qu'il veut.
C'est ce qu'il veut.
Calme-toi.
Calme-toi.
Calme-toi...
Monokuma sourit un peu plus, avant de se pencher vers moi, et de chuchoter à mon oreille d'un ton affreusement doucereux.
« Même si je le savais, Thibault très cher, je ne te le dirai pas. Parce que tant que tu es ici, tu n'as aucun droit à une quelconque information à part celles que je veux bien t'offrir. Tu es un pion de l'échiquier, petit Théoricien. Pas le joueur. »
Je serre les poings.
Je suis figé comme une statue. Incapable de bouger. Incapable de parler.
Incapable de me défendre.
Je suis à la merci de Monokuma qui tient toujours ma joue entre ses griffes.
Et ce dernier prend tout son temps pour me relâcher.
Son insupportable sourire toujours bien présent sur ses lèvres.
« Tu ferais mieux de me suivre, petit Théoricien. Votre enquête est terminée. »
Le procès va commencer.
C'est ça qu'il veut dire, pas vrai.
Six heures. Six heures que j'aurais dû mettre à profit pour trouver une piste, écoulées, sans que je ne découvre quoi que ce soit qui me permette de vraiment me guider.
Et maintenant, c'est terminé.
Je suis bel et bien piégé.
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro