Chapitre 5 (18) : Poisoning hate
Quand la première chose que tu vois, c'est que la porte de la cache d'armes a été verrouillée devant toi, tu sais que cette enquête va être bien plus compliquée que prévu.
Pourquoi je dis devant moi ? Je sais que ces serrures sont vieilles. Mais il me semble, je dis bien il me semble, qu'entendre un cliquettement dans la porte juste au moment où tu essaies de l'ouvrir et qu'elle soit après cela bloquée est un assez bon indicateur.
Et évidemment, un insupportable caquètement a rendu ça signé. Monokuma semble prêt à aller très loin pour me mettre des bâtons dans les roues, y compris aux pires bassesses. Donc, ça ne lui suffisait pas de diviser par deux le temps alloué à l'enquête ? Maintenant, il veut aussi qu'on ait des problèmes pour fouiller ?
Peu importe. Sa réaction me dit que j'ai bien fait de commencer par là. Et il ne pourra pas non plus aller trop loin. Il y a des limites à ce qu'un Monokuma peut faire pour obstruer une enquête sans risquer la mort, et il semblerait que l'Artiste craigne encore la mort.
Il m'a suffi d'un signe vers Sachiko. Et cette dernière a donné un grand coup dans la porte, suffisant pour la faire se décrocher de ses gonds, et manquer de l'envoyer dans la gueule de l'Artiste Ultime, qui s'est malheureusement reculé juste à temps. Visiblement même pas gêné par ce petit tour de la Chanceuse, vu son immense sourire.
« Oups ! Eh bah on dirait qu'une porte, ça peut pas vous retenir longtemps... Sur ce, je vais donc vous laisser, les enfants !
— Une minute, Monokuma, je lance, froidement. Vide tes poches. »
L'Artiste a un grand sourire innocent.
Exactement ce qui me fait justifier ma réclamation.
« Mais pourquoi donc ?
— Vide tes poches, Monokuma, c'est un ordre, je gronde. Il est hors de question que tu emportes quoi que ce soit de la cache d'armes, et surtout pas quelque chose pouvant orienter mon enquête, autant que tu adorerais me voir mourir.
— Je vois pas ce qui justifie que tu me donnes des ordres, ricane Monokuma. C'est moi, le maître de cérémonie, ici. Pas toi. Tu tiens donc tant que ça à te faire punir ? »
Emerens s'avance d'un pas.
« Vide tes poches. Maintenant. Sauf si tu veux que je t'étrangle de nouveau. »
Le sourire de l'Artiste s'efface.
Levant les yeux au ciel, en silence, il porte la main aux poches de son manteau et en sort deux petites bouteilles portant le même label générique. Que je reconnais instantanément.
« Tiens donc... Tu essayais de nous priver de poisons mortels ? Mais comme c'est gentil, quel dommage que ce soit trop tard.
— C'est ça, fais le malin, Laangbroëk, gronde Monokuma en les posant devant moi. Tu as de la chance qu'il me reste certaines règles essentielles à suivre.
— Dois-je considérer ton instinct de survie comme une variable significative ? Lance Emerens, glacial. Parce que ma menace tient toujours. »
Monokuma montre les dents. Avant de s'éloigner dans la direction de la porte une fois ses deux poches de manteau retournées, non sans donner un magistral coup d'épaule à Emerens qui ne bronche même pas.
Je me tourne vers ce dernier. Il tremble encore. Malgré le calme dont il a fait preuve pour obtenir gain de cause, je vois son visage blêmir un peu plus à chaque seconde qui passe, et de la sueur coule sur ses tempes. Une vraie fièvre. Et c'est rare de voir une fièvre prendre ce bloc de glace vivant, parangon de calme même dans les pires situations.
D'ailleurs, c'est peut-être la première fois que je le vois dans un état pareil.
« Eh. Ça va ? »
Il prend une profonde inspiration.
« Ça ira mieux... Quand j'aurais compris ce qu'il se passe. »
Je grimace.
« Ouais. Toi comme moi, mec. »
Sachiko est déjà plantée devant l'étagère des poisons. Je l'y rejoins, avec Emerens et les deux bouteilles récupérées par Monokuma, que je commence par chercher dans l'inventaire. Juste au cas où.
« Voyez-vous ça... Poison S-47, aussi appelé grenades d'Hadès, présentations en grains et goût imitant la fraise, provoque la mort par hémorragie interne du système digestif, efficace en consommation régulière ou pris à très, très forte dose d'un seul coup... »
Je tourne une page, récupère le deuxième poison, les yeux plissés.
« Et poison L-2, fruit défendu, présentation en liquide fluide au fort parfum de banane, détruit le système respiratoire de l'intérieur pour provoquer la mort par hémorragie interne, se mélange à l'eau régulièrement pour un empoisonnement sur la durée... Monokuma voulait vraiment nous remuer sous le nez une carotte empoisonnée, je siffle, mécontent. Ou nous entraîner sur une sacrée fausse piste.
— Pas surprenant venant de Monokuma, grommelle Sachiko. Mais du coup, si ce n'est pas ces deux poisons qui ont été utilisés... Lesquels ?
— Cherche, je marmonne. Y'a bien une bouteille qui manque. Ou qui paraît à moitié vide.
— Thibs, lance Emerens depuis son propre coin. Celle-là. »
Aha. Voilà qui est intéressant.
Emerens me fait signe de venir avec le livre, et j'obtempère, ramenant l'inventaire vers moi. Il tient une petite bouteille, soigneusement bouchée, mais au sceau de protection brisé et visiblement bien entamée. Utilisée à un moment ou un autre, cela est une évidence.
Mais pourquoi la remettre là ?
Je fais signe à Emerens, et ce dernier tourne le label vers moi. Marqué D-59, le poison n'est pas trop compliqué à retrouver.
« Voyons, je grommelle. D-59, surnommé le poison du glouton, allez savoir pourquoi. Provoque des ulcères foudroyants à l'estomac, assez pour une mort par hémorragie interne ou destruction du système digestif... Action immédiate, à moyenne dose peut rompre la membrane de tous les vaisseaux sanguins et provoquer des saignements généraux... Je sais pas vous, mais moi, ça me semble assez proche des symptômes de Nako.
— En effet, soupire Emerens. Et si c'est bien celui employé, il a une action immédiate. On peut oublier tout de suite la thèse d'un empoisonnement sur la longueur.
— A forte dose, c'est la paralysie, je continue de lire. Poison liquide et sans goût... Hm, je pense pas que Nako ait bu du poison pur, elle s'en serait rendu compte, je pense. Il a pas l'air d'avoir la même gueule que l'eau, vu comme ça, si ? »
Emerens secoue la bouteille devant moi, me laissant regarder comment le liquide se comporte. Ce qui me confirme que ça n'a rien de l'eau. Il est beaucoup plus épais.
Liquide, moins fluide que l'eau, transparent vu la bouteille et sans goût. Difficile d'imaginer qu'il a été ingéré comme ça, pourtant, d'après la fiche du poison, une gorgée suffit à absorber une très forte dose. Donc, il peut très bien avoir été mélangé à un liquide.
Un solide, peut-être pas. Apparemment, il supporte mal la cuisson et est assez volatile. Mais faudrait voir ce que Nako a ingéré. On sait jamais.
« Sachiko, je lance. Rien d'autre sous le soleil ?
— Nan, elle grommelle. Pas de bouteille à moitié vide, en tout cas. Mais je crois qu'il manque un poison... Tu veux bien chercher le G-18 dans ton espèce de gros livre ? »
Mouaif, je pense que je peux. Je feuillette les pages de notre ami l'inventaire, toujours bien utile, ma foi, avant de trouver, enfin, la page du G-18. Visiblement nommé... Le gaz glacé ?
Je plisse les yeux et commence à lire la notice du poison, dans ma tête, puisque je suis assez surpris par la présentation. Voyons un peu ce qu'il a d'intéressant, ce truc...
Alors. Poison se présentant à température ambiante en gaz. Point de rosée situé à -10°C, ce qui est pas dégueu pour un gaz censé être un poison... Affecte le système respiratoire, effet curare, pas de sang... Pas de sang ?
Effet immédiat sous forme de gaz, si ingéré sous forme liquide prend un peu de temps avant de faire effet... Mais ce n'est pas ça qui m'intéresse le plus. C'est le mode opératoire du poison.
Pas d'hémorragie interne.
Il n'a clairement pas pu être utilisé pour Nako. Alors pourquoi il manque ?
Qui l'a pris et pour quoi l'utiliser ?
Et est-ce que le plan a été mis en place maintenant ? Ou pas ?
... Un gaz, puisque c'est le moyen d'utiliser ce poison le plus facile, ça se fait pas comme ça. J'aimerais bien me dire que le poison n'a sans doute pas été utilisé, mais la vérité c'est que je vais sans doute devoir être très prudent quand je fouillerai les autres pièces. Histoire de ne pas m'effondrer dans d'atroces souffrances avant de mourir comme un chien sur le sol.
Ce serait sympa, on va pas se mentir.
Je referme le livre, les lèvres pincées, et me tourne vers Sachiko, qui fouille toujours. Cette dernière me jette un coup d'œil.
« Alors ?
— Alors, je grommelle, je sais pas pourquoi il manque, mais visiblement y'avait un plan B de prévu, et ça me plaît pas. Y'a rien d'autre, Sachiko ?
— Nan, sinon tout est là et plein.
— Nickel. »
Je vais prendre en note tout cela de suite, ça vaut mieux. Déjà, on a l'arme du crime à quatre-vingt-dix-neuf pour cent, sauf si Ansgar trouve de la mort-aux-rats quelque part. Enfin, tu me diras... Un empoisonnement à la mort-aux-rats est très compliqué, même s'il n'a pas eu lieu pendant, mais avant la fête. Surtout s'il visait spécifiquement Nako, qui faisait la cuisine pour nous depuis le début.
... Putain.
Nako qui agonise, empoisonnée par ce en quoi elle avait le plus confiance, sa propre nourriture...
Ne pense pas à ça, Thibault. Ne pense pas à ça. Pense à l'enquête. Seulement l'enquête.
Réfléchis. Donc. L'arme du crime. Probabilités extrêmement hautes. Et un autre poison carrément manquant, qui n'a pas pu être utilisé pour le crime mais l'a peut-être été pour autre chose. Il va donc falloir trouver cet autre chose. Et fouiller toutes les chambres, de même que tous les endroits où un poison aurait pu être rangé.
Je me tourne vers Sachiko et Emerens, qui semblent attendre mon signal pour partir de la pièce. Les deux ont l'air à deux doigts de s'étriper. Je ne suis pas très surpris, mais bon, quand même.
« Okay, les gars. On a l'arme du crime. Et du coup, ça veut dire que l'empoisonnement est immédiat. Immédiat comme, quelqu'un a mis un poison dans un truc que Nako a ingéré juste avant de crever.
— ... Donc les suspects se portent plutôt sur les cuisiniers, grimace Emerens. Ça limite nos possibilités à Moanaura et Seo-jun. Sauf que Moanaura... »
Je le coupe d'un revers de la main.
« Tout doux les assomptions. Je suis d'accord avec toi, le coupable est forcément passé dans la cuisine au moment du meurtre, sauf si on trouve une autre combine. Mais derrière, Nako n'était pas forcément la personne visée. »
Emerens pouvait l'être aussi, par exemple. Puisqu'il a failli boire dans le même verre que la morte. Il y a peut-être eu d'autres cas comme ça, d'ailleurs, mais vu la notice du poison, ça se limite aux ingestions de liquide. Il est trop volatile pour avoir été mis sur un solide à l'air libre et trop sensible à la chaleur pour avoir été cuit dans un gâteau.
Faudra que je demande à Seo-jun la liste de ses plats. Pareil pour Moanaura. Et que je trouve un moyen de récupérer ce que Nako a cuisiné. Pour me donner une idée des possibilités.
Mais avant toute chose, je dois confirmer ma thèse.
« On en a assez vu chez les poisons, je grommelle. File la bouteille entamée, Emerens, elle sera une sacrée pièce à conviction. Maintenant, c'est direction la cuisine. Je veux voir de mes propres yeux l'endroit où le piège a été préparé.
Sachiko et Emerens ne se font prier ni l'un ni l'autre. Et sans perdre la moindre minute, nous finissons par rejoindre Ansgar à la salle des fêtes, au moment où cette dernière en sortait avec son propre groupe d'enquête. Et une expression pincée.
Je hausse un sourcil.
« Un souci, Ansgar ? »
« Rien sur la scène de crime, comme je m'y attendais, iel répond, calmement. A part notre bazar organisé. Une des guirlandes était débranchée, mais quand j'ai voulu la rebrancher, j'ai entendu un grésillement très désagréable. Je crois que l'allumer pour de bon aurait fait sauter les plombs. »
Sachiko grimace. Moi, je me tourne vers elle.
« T'avais prévu trop de lumière, on dirait.
— Mauvais calcul, elle grommelle. Ça arrive, des fois, je ne suis pas non plus une reine en physique. C'était plus le truc d'Houshang, ça.
— Mouaif. Enfin, ça a plus d'importance, maintenant. »
Même si je crois que j'aurais préféré le sautage de plombs à la mort de Nako.
Enfin bref.
« Rien d'autre ?
— Si, lance Seo-jun. Ansgar a fait un peu le tour entre nous, histoire de s'avancer sur les interrogatoires. Et on s'est rendu compte que le seul truc que Nako avait avalé, c'était le verre qu'Emerens avait posé. Rien d'autre. »
Je me crispe.
« Rien d'autre ? T'es sûr ?
— A cent pour cent, soupire Moanaura. Elle et moi, on s'est tenues assez éloignées du buffet. On s'est câlinées, on a parlé, tout ça... Enfin, quand j'ai vu Emerens se casser, j'ai eu envie de goûter une des pâtisseries de Seo-jun, et c'est à ce moment-là que Nako a pris le verre. Cinq minutes plus tard... »
Elle n'achève pas sa phrase. De toute façon, elle n'en a pas besoin. J'ai très bien compris ce qu'il s'est passé.
Je me tourne vers Emerens, dont toute couleur a disparu de son visage. Ce dernier me rend mon regard, de la panique plein les traits. Lui aussi, il a compris.
Il a compris qu'il a failli être celui à la place de Nako.
... Comment je l'aurais pris ?
Des fois, je me dis que j'ai vraiment une chance de cocu. Et pour un polyamoureux, c'est extrêmement ironique.
« ... Emerens était peut-être visé, je grimace. Lui, par contre, il a pas mal mangé. Ça aurait été plus compliqué d'identifier le vecteur du poison.
— Vous êtes sûrs que c'est ça ? Grimace Seo-jun, visiblement pas plus rassuré que nous. C'est pas, genre, un empoisonnement sur la longueur ? »
Je lève devant moi ma pièce à conviction détestée, la bouteille à moitié pleine.
« Ouaip. Voilà l'arme du crime, d'ailleurs. Poison immédiat, te déchire de l'intérieur, ce genre de trucs. De ce que Moanaura me dit, ouais, ça peut être que ce verre. Et il y avait quoi dedans ? »
Moanaura grimace. Serre les points. Avant de répondre, d'une voix presque résignée :
« ... Un de mes cocktails à la clémentine et au jus de mangue. Ma spécialité... Que Nako voulait goûter depuis que je lui ai parlé de la recette... »
Elle retient un sanglot, avant de détourner le regard, les poings toujours serrés comme si elle voulait m'en coller un dans la tempe. Ou s'en coller un, au choix.
D'accord. Donc, Moanaura a préparé le cocktail. Bon à savoir. Ça fait d'elle la suspecte principale et je pense qu'elle s'en doute, vu la situation, surtout si sa cible était Emerens et non Nako elle-même. Mais d'un autre côté... Si elle a tout observé... Et sachant que le verre d'Emerens était piégé... Rien ne l'empêchait de protéger Nako, de lui tendre un autre verre, que sa petite amie aurait sans aucun doute accepté sans sourciller.
Conclusion, il y a quelque chose de louche dans l'histoire.
« Tu vas m'accuser, pas vrai ? Gronde Moanaura, les yeux fixés sur le sol. Tu vas dire que c'est moi qui l'aie tuée. Que c'est moi la meurtrière. »
Ses mots sont presque... Vide de sens. C'est presque à croire que ce n'est pas à moi qu'elle s'adresse. Il y a de la culpabilité qui traîne ? Ou c'est juste se rendre compte qu'une de ses préparations a tué la femme qu'on aimait ?
Je hausse les épaules.
« Pour l'instant, j'accuse personne. J'essaie de retracer le scénario du meurtre, et je doute fort qu'il soit complet. Je peux aller dans la cuisine voir le bordel ?
— Bien sûr, répond Ansgar. La porte est ouverte.
— Merci. Au fait, Moanaura, lorsque tu as fait ce cocktail, tu certifies avoir utilisé des bouteilles scellées ?
— A cent pour cent. Personne n'a ouvert... ces bouteilles avant moi. »
Bon à savoir.
« En attendant, Ansgar, j'ajoute avant de me diriger vers la porte, est-ce que tu peux préparer les interrogatoires ? Je serai dans le petit salon, je pense, ça sera mieux pour tout le monde. »
Ansgar hoche la tête, avant d'entraîner Seo-jun et Moanaura dans la direction dudit salon. Les deux semble traîner de la patte, démoralisés, mais aucun ne proteste vraiment ou ne renâcle à la tâche. Tant mieux, ça m'arrange. J'ai vu assez de récalcitrants aux consignes pour une vie entière.
Emerens et Sachiko échangent un regard. Et les deux me suivent dans la cuisine, alors que j'ignore soigneusement le corps de Nako toujours abandonnée au sol, bras croisés sur la poitrine, étalée dans son propre sang.
Le deuil viendra plus tard. Je n'ai que six heures. Je dois absolument comprendre ce qu'il s'est passé.
Pour notre survie à tous.
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