Chapitre 4 (21) : Explain to me
(TW : Mention de mort par pales d'hélicoptère pendant l'enquête)
Sachiko m'a traîné dehors après quelques minutes de silence.
J'imagine que c'est parce que le temps file. On a douze heures, après tout. Douze heures, c'est très, très court, pour trouver un coupable. Et elle ne voulait sans doute pas que... Que je perde du temps.
Est-ce que c'est perdre du temps ? Je ne sais pas.
En tout cas nous voilà dehors. Ansgar, Seo-jun, Ibrahim, Nako et Moanaura forment un groupe un peu à l'écart de l'entrepôt, en pleines messes basses. Et, à côté de l'entrée, Emerens n'a pas bougé. Toujours la tête entre les genoux, toujours, les yeux baissés. Il ne prend même pas la peine de les rejoindre.
Il lève la tête en entendant mes bruits de pas. Ses yeux sont complètement vides de toute émotion, même alors qu'il me fixe, de derrière ses bras enroulés autour de ses jambes.
Le sang sur son pantalon n'a toujours pas bougé.
Il me regarde, et je serre les dents. Que ce soit toi ou non, Emerens, tu sais quelque chose. Et compte sur moi pour te faire cracher le morceau.
« Toi, ne crois pas t'en tirer comme ça, je gronde alors qu'il continue de me regarder. Tu as intérêt à avoir une bonne explication, van Heel. »
Et je dis ça sincèrement.
Emerens ne me lâche pas du regard. Ses lunettes glissent sur son nez, il les remet en place d'un doigt. Mais il ne dit rien.
Il ne dit toujours rien.
Avec un grognement, je retourne voir le groupe des conspirateurs, un peu plus loin. Suivi par Sachiko, qui lui jette un regard inquisiteur.
Je ne la questionne pas davantage.
Quand je rejoins le cercle, Seo-jun m'adresse un petit signe désolé. Les autres, eux, évitent soigneusement mon regard. C'est Ansgar qui reprend la parole, du même ton calme que d'habitude, après avoir bien vérifié que je les écoutais.
« Je pense qu'il serait trop risqué de laisser qui que ce soit en dehors du groupe d'enquête se balader librement. En particulier maintenant qu'on a un suspect principal.
— Tu... Penses que c'est Emerens ? Grimace Seo-jun. Ça fait pas sens...
— Pas vraiment, mais les faits sont là, elle soupire. On l'a retrouvé devant la scène de crime recouvert de sang. S'il n'est pas le coupable, il a forcément vu quelque chose, quelque chose dont il ne se donne de toute évidence pas la peine de nous parler. »
Nouvelle grimace de la part de Seo-jun, qui baisse les yeux, alors que Nako prend la parole à son tour.
« Si vous n'enquêtez pas... Est-ce que vous pouvez retourner rapidement au complexe hôtelier ? On a que douze heures, et s'il faut trier les interrogatoires, ça va être plutôt long pour Thibault...
— Bien sûr, répond Ansgar. On va aussi s'occuper de surveiller les suspects principaux. Qui sont plus nombreux que vous ne le pensez. »
Iel nous balaie du regard avant de fermer les yeux. Je la vois se courber un peu, comme une petite vieille épuisée. Et ainsi voûtée sur sa canne, l'Ultime Dictateurice me paraît tellement plus... Ordinaire, comme ça. Tellement plus humaine.
Un moment s'écoule dans ce silence qui me devient insupportable. Puis, Ansgar réouvre les yeux. Avant de pointer sa canne en avant.
« Outre Emerens, il y a aussi toi, Ibrahim. Tu étais avec Alannah jusqu'à un certain point, rien ne t'empêche de l'avoir tuée. »
Elle pointe sa canne ailleurs alors qu'Ibrahim se rembrunit.
« Ensuite, il y a toi, Nako. Tu n'as pas d'alibi du tout, et le fait que Monokuma t'ait distraite ne peut être prouvé. Mais tu seras avec le groupe d'enquête. Je compte donc sur Thibault pour te surveiller. »
Nako hoche la tête et me jette un regard désolé, je ne prends pas la peine de le lui rendre. Je me contente d'écouter Ansgar.
« Seo-jun, aussi. Tu n'étais pas dans mon champ de vision au moment de l'heure du crime, tu es arrivé un peu après.
— Vrai, marmonne ce dernier. Même si, si je puis me permettre, Ansgar, ça me laisse une fenêtre assez courte pour rentrer et discuter avec vous avant de repartir ensuite pour trouver Emerens.
— C'est exact, mais je préfère ne pas négliger la moindre possibilité. Cela pourrait être un piège habilement conçu, comme avec Ade. »
Seo-jun baisse les yeux, et Ansgar termine son exposé en se tournant vers Sachiko.
« Enfin, il reste toi. Tu cherchais Emerens, mais personne ne peut le prouver à l'heure actuelle. Donc, comme Nako, je compte sur Thibault pour te surveiller.
— C'est bien beau tout ça, la coupe Moanaura, mais ça veut dire que Thibault se retrouve avec deux des suspectes potentielles tout seul à surveiller. Est-ce qu'il ne vaudrait pas mieux que je l'accompagne, si tu prépares les interrogatoires ?
— Je peux me démerder tout seul, je gronde. Me prends pas pour un assisté. »
Moanaura a une fort vilaine grimace. Eh bah alors, qu'est-ce qu'il y a, j'ai touché juste ? Quoi, t'as peur que je recoure à des techniques d'interrogation musclée sur ta chérie, la troisième principale suspecte ? Tu sais que c'est pas l'envie qui m'en manque, pas vrai ?
Y'en a forcément un de vous qui l'a tuée. Y'en a forcément l'un de vous qui a tué Alannah.
Et ce gars-là, ami ou pas, je crève d'envie de le réduire en pièces.
« C'est pas ce que je voulais dire, Thibault...
— Nan mais j'ai très bien compris ce que tu voulais dire, connasse. Allez, on passe à la suite avant que je me mette à péter des gueules. »
Moanaura serre les dents, mais un regard de Seo-jun semble la dissuader de continuer. Bah tiens. Parce qu'elle a un self-control, la petite pirate ? Vous m'en direz tant. C'est pas la courtoisie qui l'étouffe, pourtant, d'habitude.
Et puis qu'est-ce qu'ils ont à me regarder comme ça, tous ? Je suis quoi ? Un vieux grabataire qui a besoin d'assistance ? Pourquoi j'aurais besoin d'assistance ? Pour tous vous péter la gueule ?
Bande de petits cons.
J'vous déteste.
J'vous déteste tous.
Ansgar hausse les épaules.
« Je pense que ça veut dire non. Donc, Moanaura, Ibrahim, Seo-jun, vous rentrez avec moi. On s'occupe de surveiller Emerens, et de l'interroger, si tu veux bien, Thibault. S'il nous apprend des choses pendant que vous n'êtes pas là, on s'occupera bien évidemment de te les transmettre.
— Ah bah ça, vous avez intérêt, putain. Allez, dégagez du chemin, qu'on en finisse. »
Ansgar hoche la tête, avant de se diriger vers Emerens. Ce dernier relève la tête, toujours les lèvres cousues, visiblement, mais ne proteste pas quand elle lui dit, vraisemblablement, de les suivre. Il se contente de se relever, puis de se diriger vers nous, les yeux penchés vers le sol. Et évidemment, toujours muet.
De près, par contre, je peux voir qu'il est dans un état pitoyable. Sa peau est encore plus blême que d'habitude, crayeuse et grisâtre. Ses yeux sont cernés, ses joues creusées. Le sang qui le recouvre semble être surtout derrière, sur sa chemise, l'arrière de son pantalon et les semelles de ses bottes, au point qu'il laisse encore des traces de sang sur le sol même en marchant vers nous.
Mais je crois que le pire, ce sont les bleus violacés qui lui encerclent la gorge. Des bleus... Assez caractéristiques.
« Les gars, regardez ça, chuchote Seo-jun. Quelqu'un l'aurait pas étranglé ? »
... Quelqu'un l'aurait étranglé ? Quelqu'un avec, visiblement, assez de force pour lui laisser des bleus pareils, surtout qu'ils ont l'air assez récents... Mais ça veut dire qu'il va falloir que j'oriente mon interrogatoire dans cette direction, tiens. Même si... Même si ça peut très bien venir de la victime, dans une énergie du désespoir.
Je lui jette un coup d'œil, pointe mon cou d'un mouvement de doigts autoritaire. Il me rend mon regard. Mais ne répond rien. Il se contente de rejoindre Ansgar, sans un mot, sans un bruit.
Eh bé, on est pas mal barrés, avec toi, mon pote. Vraiment, un pur bonheur de mener cette enquête.
Seo-jun et Moanaura échangent un regard, puis emboîtent le pas d'Ansgar et d'Emerens loin de cet affreux entrepôt du mal. Suivis, après un petit temps de latence, par Ibrahim, qui me jette un dernier coup d'œil désolé et m'adresse un petit signe de la main avant de repartir. C'est ça, c'est ça. On en parlera plus tard.
On en parlera plus tard.
Ce qui fait qu'il ne reste sur place plus que moi, Sachiko et Nako. Qui me regardent avec attention.
Je supporte pas ces regards.
Okay, Thibault. On va faire les choses dans l'ordre. Une chose à la fois. Et le premier truc à faire, dans cette situation, c'est....
« On va commencer par la scène de crime, je grommelle. Suivez-moi, et restez à un endroit où je peux vous voir. Soyez sympa, me rendez pas la tâche plus difficile.
— Bien sûr, Thibault, soupire Nako. On te suit. »
Sachiko, elle, se contente de se diriger vers l'intérieur de l'entrepôt, à pas lents, alors que je la suis sans broncher, sans adresser davantage d'intérêt à Nako qu'il ne m'est nécessaire. Elle m'a suivi sur l'enquête, et alors ? Elle reste suspecte. Et je me fous pas mal des amitiés, des amours dans ce cas de figure. J'en ai déjà perdu un. Le reste n'a plus d'importance.
À l'intérieur de l'entrepôt, la puanteur du sang me prend à la gorge. J'essaie de m'imaginer que ce n'est pas celui d'Alannah, que c'est... Celui de Monokuma, ou même d'un putain d'animal, tout, plutôt que de contempler la vérité de trop près.
Sans grand succès.
Par contre, entre la lumière de l'extérieur et le fait que Nako vient enfin de trouver le putain d'interrupteur de ce putain d'entrepôt de merde, je dois dire qu'on y voit beaucoup mieux. Et ce n'est pas une très bonne chose.
C'est un véritable bordel dans cette foutue pièce. Il y a du sang partout, qui a été remué dans tous les sens, à cause de nous, sans doute, mais plus loin derrière le corps, aussi. La boîte à outils d'Alannah traîne renversée dans un coin près de l'hélico, et ses tournevis commencent déjà à se recouvrir de rouge.
Jamais je n'ai vu un truc pareil. Même avec Sparrow, il n'y avait pas autant de sang. Et le mec s'était fait arracher les poumons, putain.
Qu'est-ce qu'il s'est passé dans cette foutue pièce ? Qu'est-ce qu'il s'est passé, quel genre d'altercation il y a eu pour qu'Alannah... Pour qu'Alannah en soit la victime ? Merde, qu'est-ce qu'elle avait fait au monde, à part être celle qui pouvait nous faire sortir, qui allait nous faire sortir ?
C'est injuste.
C'est tellement injuste.
Nako détourne son regard de la scène, les yeux pleins de larmes. Mais Sachiko, elle, ne semble pas s'en embarrasser. Prenant grand soin de ne pas marcher dans le sang, elle contourne la scène de crime avant de se diriger vers l'hélico, qu'elle bidouille un peu, appuie sur quelques boutons avant de soupirer.
« Vraiment désolée, les gars, elle grimace. Mais ce truc-là ne volera pas. »
C'est probablement le dernier coup porté au moral de Nako, qui s'effondre au sol la tête entre les mains, les épaules agitées de sanglots. Mais moi, je crois bien que je m'en branle complètement. Alannah est morte. Quel intérêt de sortir sans elle ? Quel intérêt de sortir à la sueur de son front pour qu'elle n'en profite même pas ?
Putain de merde. Tout ça pour ça.
Toujours de son point de vue, Sachiko grimace.
« Y'a vachement de sang sur la carlingue. Vu les projections, ça m'étonnerait pas que le meurtre ait pas eu lieu très loin.
— Bravo, Captain Obvious, je grommelle. T'en as d'autres, des comme ça ? »
Elle me jette un regard inquisiteur.
« Par là je voulais dire, vraiment pas très loin. Mate, même les pales sont recouvertes de sang. »
Je lève la tête. Effectivement, elle a raison ; les pales de l'hélico, situées pourtant à plus de deux mètres au-dessus de ma tête, gouttent encore de sang. Il n'y en a pas beaucoup dessus, comparé à la carlingue qui en est recouverte, mais quand même.
Le corps d'Alannah est à bien quatre mètres de l'hélico. Donc, d'une manière ou d'une autre, il a été déplacé, à un moment. Mais par quel moyen, et pourquoi seulement à quatre mètres ?
Nako, de son côté, relève la tête à son tour. Avant de grimacer.
« Quelqu'un aurait-il pu se servir des pales pour la tuer ?
— Je sais pas, grommelle Sachiko. Ça me paraît quand même vachement tiré par les cheveux. Le truc est à deux mètres cinquante, voire trois mètres du sol, au bas mot. Il faudrait pouvoir faire atteindre cette hauteur à Alannah, sans qu'elle se débatte ou quoi...
— T'en penses quoi ? Je lui lance. Impossible ou possible ? »
Elle se prend le menton entre les mains, avant de hausser les épaules.
« Difficile à croire mais possible, je dirais. Après, c'est pas la première fois qu'un meurtrier dépasse toutes nos espérances... Si je puis me permettre. »
Merci bien, un vrai plaisir de t'entendre. Et garde tes petites remarques spirituelles pour toi, tu veux ? ça m'arrangerait. Mais en attendant, on ferait mieux d'envisager d'autres possibilités.
Je me tourne vers Alannah. Toujours au sol. Toujours si petite, dans la mort.
« Je veux pas regarder... De trop près, mais faudrait quand même voir la gueule de sa blessure. »
... Maintenant qu'Ade et son calme olympien devant les corps ne sont plus là. L'Ultime Archéologue, qu'on pourrait croire posséder un autre titre, aurait sans doute eu tellement de choses à dire. Étrange comme son absence se fait ressentir maintenant qu'on a besoin d'elle. Hypocrite, presque. Triste.
Sachiko hoche la tête.
« J'y vais, vous embêtez pas. J'ai l'habitude des sacrifices. »
... Brrr. Connaissant ses antécédents, j'ai pas vraiment envie de savoir ce qu'elle entend par là. Mais pour le coup, je suis content de voir que quelqu'un au moins peut garder son calme, alors qu'elle s'approche d'Alannah en prenant grand-soin de contourner les flaques de sang, avant de se pencher sur sa tête et d'en palper la blessure avec délicatesse.
J'aimerais bien vomir, mais je suis trop énervé pour ça. À la place, je rejoins Nako, qui a fait le tour de la scène par la droite et a les yeux fixés sur les taches de sang.
« T'as vu un truc, Nako ? »
Elle plisse les yeux.
« Je ne suis pas experte, mais... Je jurerais qu'on a lutté, ici. Dans le sang. »
Elle me montre un endroit de la scène, plus vers la porte, ou effectivement, les traces de sang sont beaucoup plus brouillonnes. Devant le corps d'Alannah, bien que les étranges traces atteignent ses pieds. Dont, notamment, une marque qui me semble être celle d'un torse dans le sol, même si je ne suis sûr de rien.
Je grimace. Une lutte. On retrouve Emerens avec un étranglement à la clé, et du sang plein le dos. Il y a eu de la bagarre dont il n'a peut-être pas pu prendre le dessus, ou alors... Ou alors c'est Alannah qui a lutté. Mais ça me semble bizarre. Le sang était déjà là quand ils se sont battus, et sa mort a été immédiate selon le Monodossier, alors pourquoi...
Sachiko se redresse de devant Alannah. Elle semble pensive, regardant à droite, à gauche, ses yeux se plissant alors qu'elle tombe sur la même trace de lutte que celle qui perturbait tant Nako.
Cette dernière se tourne vers elle.
« Tu en penses quoi, alors, Sachiko ?
— Blessure assez sale mais nette, grommelle son interlocutrice. Rapide, je dirais. Qu'on lui ait, genre, scié le cou est à exclure, ça s'est vraiment fait à la mode guillotine. »
Ce disant, elle s'essuie les doigts sur son short, alors que je me remets à réfléchir.
À mode la guillotine...
Donc, à moins de considérer les pales de l'hélicoptère, cette méthode demande de déployer une certaine force. Si la tête d'Alannah a été tranchée d'un coup sec, il faudrait une arme blanche bien aiguisée et assez de force physique pour lui trancher les vertèbres d'un seul coup. Nako, qui reste quand même très faible, vient donc de descendre d'un cran sur la liste des suspects.
Cette dernière semble en être arrivée aux mêmes conclusions que moi, vu son air soulagé. Mais je préfère ne pas m'avancer tout de suite. Il y a mille et un moyens de couper la tête à quelqu'un et on ne s'est pas encore arrêté sur celui employé.
Et si on ne trouve pas l'arme du crime, de manière absolument certaine, on ne pourra pas progresser.
« Il y a autre chose que tu as remarqué, Sachiko ?
— Alors, elle commence, les lèvres pincées. J'ai un peu fait le tour, et je confirme ce qui a été dit dans le Monodossier. Alannah n'a pas une seule autre blessure. En fait, elle a même été tuée avant de s'en rendre compte, je pense. Son visage était pas crispé du tout. Il était... Surpris.
— Une tête coupée peut encore penser quelques secondes après avoir été séparée du corps, réfléchit Nako à voix haute. Si Alannah était surprise, cela veut dire que...
— J'imagine que ses nerfs ont été tranchés pendant la décapitation, grommelle Sachiko. Donc, plus de douleur. Et elle, par contre, a forcément été tuée par surprise. Totale surprise. Ce qui rend les traces de lutte... Assez intéressantes. »
Parce qu'on ne peut pas avoir une lutte et une victime tuée dans son dos, pas vrai ?
C'est mathématiquement impossible. En probabilités, on appelle ça des évènements exclusifs.
Donc, si lutte il y a eu, ça veut dire qu'il y a forcément quelqu'un d'impliqué en plus.
Le meurtrier... Et un témoin.
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